QUAND DIEU NE RÉPOND PAS. UNE RÉFLEXION BIBLIQUE SUR LE SILENCE DE DIEU (Recension)
25 juin, 2018https://www.bible-service.net/extranet/current/pages/200267.html
crucifix en bois, Santa Croce sull’Arno
QUAND DIEU NE RÉPOND PAS. UNE RÉFLEXION BIBLIQUE SUR LE SILENCE DE DIEU (Recension)
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Recension du livre de Pierre Coulange : « Quand Dieu ne répond pas. Une réflexion biblique sur le silence de Dieu », par Roselyne Dupont-Roc.
Pierre Coulange
Quand Dieu ne répond pas. Une réflexion biblique sur le silence de Dieu
« Lire la Bible » 182, Éd. du Cerf, Paris, 2013, 238 p.,
Membre de Notre-Dame-de-Vie (Vénasque), le théologien Pierre Coulange (P.C.) aborde ici un thème difficile entre tous : le silence de Dieu. Un silence qui fait naître chez le croyant le doute et même la révolte, une absence qui nourrit bien des athéismes. P.C. l’aborde délibérément en bibliste, mais il propose d’abord un état de la question dans la philosophie et la littérature contemporaine. En quelques paragraphes rapides et clairs, il balaie le paysage qui va de Dostoïevski à Camus, Sartre et Comte-Sponville : le silence de Dieu devant l’excès de la souffrance et du mal met en cause radicalement l’existence d’un Dieu d’amour. La grande critique de Hans Jonas est rappelée : après Auschwitz, il faut renoncer à l’un des attributs de Dieu, sa toute-puissance ; sa bonté et son intelligibilité deviennent impossibles à tenir ensemble. Il faut admettre un Dieu impuissant ou énigmatique, un Dieu qui s’est retiré pour laisser place à l’homme. En face de ce constat, P.C. pose aussitôt les éléments de sa propre thèse, le fil rouge qui traversera tout son travail : et si le silence de Dieu était aussi le lieu de sa révélation ? Était aussi une expression de sa Parole pour l’homme ? S’il nous revenait de le dépasser et de l’entendre ?
Autrement dit, le silence ne dit pas l’absence ou l’inexistence ; telle est d’ailleurs la problématique biblique, où le silence de Dieu, toujours, est en attente d’interprétation. P.C. interroge alors les différentes approches que la Bible parcourt : le « Dieu qui se cache » (Is 45), attribut du Dieu lui-même inaccessible, échappant toujours à notre compréhension ; le silence de transcendance qui appelle à discerner Dieu dans l’ordre de la création où la Sagesse vient à la rencontre des hommes ; le silence de l’incomparable grandeur qui convoque l’homme à la contemplation. Mais aussi le silence de Dieu, douloureux, inexplicable, au cœur du drame et de la souffrance. Au-delà du livre de Job, c’est le cri – sans réponse aucune – du livre des Lamentations : « Toute la force du livre est dans cette honnêteté brutale concernant la voix manquante » (p. 90). Mais c’est aussi la fuite et le silence du bien-aimé dans le Cantique qui aiguisent le désir et la quête éperdue de l’épouse. C’est l’expérience collective, dramatique, d’Israël en exil. Enfin, le silence qui révèle la providence attentive et discrète de Dieu, et ne se découvre qu’au terme d’une longue aventure humaine, celle de Ruth ou celle de Jacob : « Le Seigneur était là et je ne le savais pas » (Gn 28,16). Jésus, à son tour, saura garder le silence pour que la foi creuse son chemin. Le livre s’achève, comme on s’y attendait, sur le silence de Dieu devant la mort de Jésus en croix, le cri angoissé du Fils auquel répond la douleur silencieuse du Père.
Nécessairement rapides, les analyses des très nombreux textes que P.C. traverse sont documentées et pertinentes, et présentent des ouvertures originales ; il dialogue avec plusieurs exégètes et spécialistes contemporains, sans oublier les lectures de certains Pères de l’Église ou des grands mystiques (Jean de la Croix, Thérèse d’Avila), et jusqu’aux théologiens, Hans Urs von Balthasar et Joseph Ratzinger (cités sans être discutés). D’un bout à l’autre, la thèse est mise à l’épreuve : le silence est inhérent à l’expérience de Dieu, Dieu qui agit dans le secret, aiguise le désir, affine le regard, laisse advenir la liberté de chaque homme. Car le caractère caché de Dieu (Deus absconditus) fait partie de sa transcendance et requiert de la part de l’homme le cheminement de la foi et le respect du mystère.
Il n’est pas certain que le livre nous convainque jusqu’au bout. Mais s’agit-il de convaincre ? Ou plutôt d’inciter chacun à reprendre le texte biblique pour y suivre à la trace la présence cachée de Dieu qui se dit au cœur dans « une voix de fin silence », et ne répond, peut-être, qu’au-delà du désert et de la mort ?
Roselyne Dupont-Roc