HOMÉLIE DU 6E DIMANCHE DE PÂQUES B
4 mai, 2018http://parolesdudimanche.blogs.lalibre.be/
« Dieu est amour »
HOMÉLIE DU 6E DIMANCHE DE PÂQUES B
Act 10, 25-48 ; 1 J 4, 7-10 ; Jn 15, 9-17
Thème : « L’amour n’a pas de frontières mais il a des lois, celles de la gratuité »
(Prononcée en 2000 en la cathédrale des SS. Michel et Gudule (Bruxelles), les événements cités sont de cette époque)
L’évangéliste nous a plongé d’emblée dans une atmosphère de deuil. Nous sommes à l’heure où Jésus passait de ce monde à son Père. Mais ses paroles testamentaires constituent un réel chant d’amour. Un amour évoqué neuf fois. Neuf fois aussi dans la lettre de Jean, proclamée il y a quelques instants. Il ne s’agit pas pour autant d’une rengaine fredonnée, car ces deux textes « résument ce qui est une véritable révolution dans la conception que les hommes pouvaient se faire de Dieu ». Quelle Bonne Nouvelle dès lors, de pouvoir enfin connaître Dieu tel qu’Il est ! Voici la tristesse changée en joie, ce dimanche, que l’on pourrait déclarer « fête de l’amour chrétien ». Même si « chrétien » et « aimer » sont en principe d’authentiques synonymes. (A. Sève)
Cette Bonne Nouvelle, nous sommes tous appelés à la diffuser. Elle nous est rappelée et répétée dans tous les textes liturgiques de ce jour. Et s’il nous faut chanter et même chanter un chant nouveau, confirme le psalmiste, c’est que le Seigneur a fait et ne cesse d’accomplir des merveilles. Notamment en nous rappelant son amour et sa fidélité.
Mais de quel Dieu et de quel amour s’agit-il ? Les humains que nous sommes ont toujours été et restent tentés d’imaginer un Dieu à LEUR ressemblance. Nous sommes ainsi enclins à faire de Dieu un maître tatillon, un juge impitoyable, un souverain jaloux de sa puissance et de ses pouvoirs. Un Dieu qui aurait même des comptes à régler avec l’humanité pécheresse. Une divinité qu’il faudrait dès lors apaiser par des sacrifices agréables. Ce fut donc une vraie révolution quand Jésus de Nazareth est venu révéler par sa parole et par ses actes que « DIEU EST AMOUR », il n’est rien qu’amour. Il EST l’absolu de l’Amour. Et donc aussi la miséricorde et le pardon. Une nouvelle surprenante, qui allait engendrer un bouleversement radical des rapports humains. Elle avait cependant été pressentie et préparée durant des siècles. Le psaume 103 en témoigne : « Yahweh est tendresse et pitié, lent à la colère et plein d’amour ». Et, contrairement à ce que nous sommes trop souvent, « il n’est pas pour toujours en procès, ne maintient pas sans fin ses reproches. Il n’agit pas envers nous selon nos fautes, ne nous rend pas selon nos offenses »… Déjà, le poète des cantiques sacrés d’Israël chantait dans les liturgies du Temple la louange d’un Dieu qui prend soin du plus pauvre et du plus démuni. A tel point qu’ « il relève l’indigent de la poussière, il retire le pauvre de son taudis pour le faire asseoir parmi les princes » (Ps 112).
Aujourd’hui, nous redit le Christ, qui est la Parole, le Verbe même de Dieu, « Mon commandement, LE voici : Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés ». Aimer chrétiennement, c’est donc aimer comme Jésus nous a aimés. Aimer jusqu’à se faire humble et serviteur, jusqu’à donner sa vie. Mais cette perle du commandement nouveau, LA parole essentielle, peut se scléroser en une litanie de mots fades et usés, qui ne conduit nulle part si l’on ne dépasse pas les aspects sentimentaux épidermiques et possessifs de l’amour. C’est pourquoi dimanche dernier, Jean précisait à nouveau : Aimer, certes, mais « pas avec des paroles ou des discours, mais par des actes et en vérité ». Car l’amour demande une volonté d’aimer, un inlassable effort pour aimer, un travail d’amour. C’est tellement vrai que Jean a remplacé le récit de l’institution de l’eucharistie à la Dernière Cène par celui du lavement des pieds, car « LE commandement, le voici : lavez-vous les pieds mutuellement. C’est à cela que tous vous reconnaîtront pour mes disciples ». Aimer, en effet, est une attitude d’ouverture, de don et de gratuit‚. Etre capable de se mettre au service les uns des autres. Ainsi, l’amour de Dieu peut s’incarner, se matérialiser, en utilisant nos paroles, nos bras, nos initiatives. « Il est mis entre nos mains » (A. Sève). C’est pourquoi les disciples du Christ sont envoyés pour aider, pardonner, guérir, rassurer, sauver, libérer, nourrir, encourager, élever.
En définitive, c’est grâce à l’amour incarné dans un éventail de services, que nos prières et nos rites seront en harmonie avec la volonté de Dieu qui n’est qu’amour. Encore faut-il pouvoir assumer l’amour dans la banalité quotidienne. Or, le plus difficile à aimer, estime Marie-Noëlle dans son œuvre poétique (Stock 1956), « C’est ton frère celui qui dérange la paix de tous les jours au seuil de ton petit ménage. Et c’est celui le plus proche et le plus familier dont constamment le dard entre et te mortifie au même endroit comme la pointe d’un soulier qu’on ne peut plus ôter, jusqu’au bout de la vie ».
Si l’esprit de service et de gratuit‚ constituent le label d’un amour authentique, Luc, dans le livre des Actes, nous a montré comment cet amour gratuit fait littéralement éclater les frontières. Mêmes religieuses. Hier comme aujourd’hui, les interventions familières de l’Esprit sont toujours surprenantes et dérangeantes. Autant de surprises qui se heurtent à la résistance de nos fausses certitudes, à certaines pratiques et habitudes exsangues de sève, donc sclérosées et sans vie. Voyez Pierre, resté scrupuleusement fidèle aux traditions de ses pères. Le voici troublé par une intuition ou une vision intérieure. Il se sent poussé à désobéir à cette vieille loi séculaire et sacrée qui réglementait l’usage des nourritures, pures ou impures. Pire encore, il est confronté à une invitation à se rendre dans la maison d’un païen, appartenant de surcroît à l’armée d’occupation. Une visite qui lui est rigoureusement interdite. Et de nouveau, pour raison d’impureté légale. En réalité, Dieu l’invitait ainsi à s’affranchir de l’interdit alimentaire, à le dépasser, tout comme à laisser tomber l’interdit de fréquenter des étrangers. L’amour vrai est réaliste, inventif, incarné. A problème nouveau, solution nouvelle. Manifestement, « tous nos scrupules ne sont pas toujours inspirés par l’Esprit Saint ». Ainsi, Pierre, juif et pleinement chrétien, a été stupéfait, avec tous ceux qui l’entouraient, de voir que même des païens, c’est-à-dire incirconcis et ignorant tout du baptême, « avaient reçu à profusion le don de l’Esprit Saint ». Ce n’était pas dans l’ordre des choses réglementées. Mais ce n’est pas à répéter indéfiniment et littéralement des manières d’agir, de penser et de parler de nos pères dans la foi, qui nous apprendra à être fidèles. Or, l’Esprit n’est pas moins actif, pas moins surprenant, pas moins audacieux, aujourd’hui, que dans ces premiers temps de l’Eglise. Et c’est lui et lui seul qui nous « mènera vers la vérité tout entière ». Encore faut-il oser et vouloir le suivre au-delà de nos barricades et au-delà des frontières construites par des hommes et des femmes.
Et, puisque nous avons été invités au repas festif de la Parole et du Pain, n’en perdons pas une miette.
P. Fabien Deleclos, franciscain (T)
1925 – 2008