PAIX DANS LE MONDE, DIALOGUE ENTRE LES CHRÉTIENS ET LES AUTRES RELIGIONS (2002)
23 avril, 2018Saint Bonnet le Château-Anges musiciens
CONSEIL PONTIFICAL POUR LA PROMOTION DE L’UNITÉ DES CHRÉTIENS
PAIX DANS LE MONDE, DIALOGUE ENTRE LES CHRÉTIENS ET LES AUTRES RELIGIONS (2002)
La paix, shalom, est au centre du message de l’Ancien et du Nouveau Testament. Paix, shalom dans la Bible, n’est pas seulement le salut normal que serait une formule de politesse; paix, shalom, est une promesse eschatologique venant de Dieu et un souhait de bénédiction entre les hommes. En effet, Jésus-Christ lui-même est notre paix (cf. Ep 2, 1). Bénis par Dieu en Jésus-Christ, les chrétiens doivent être entre eux une bénédiction et une bénédiction pour toutes les nations. « Heureux les artisans de la paix, car ils seront appelés fils de Dieu » (Mt 5, 9). L’Eglise est donc appelée à être le signe, l’instrument et le témoin de la paix, paix avec Dieu et entre les hommes (cf. Lumen gentium, nn. 1 et 13).
Paix, justice et pardon
La paix entre les hommes, cette tranquillitas ordinis enseignée par saint Augustin, à laquelle le Pape Jean-Paul II s’est référé dans son Message pour la Journée de la Paix du 1er janvier (cf. n. 3), ne doit toutefois pas être entendue seulement au sens de silence des armes et absence de guerre. Elle est le fruit de l’ordre insufflé par son fondateur dans la société humaine (cf. Gaudium et spes, n. 78), et elle présuppose un engagement constant pour instaurer la justice dans le monde. Comme l’affirme l’Ecriture, la paix véritable est le « fruit de la justice » (Is 32, 17; cf. Jc 3, 18).
Par justice, il faut entendre la reconnaissance de la dignité de chaque personne, ses droits fondamentaux en tant qu’être humain, la liberté de chacun, l’absence de discrimination au nom de la foi, de l’origine, de la culture, du sexe. Par justice, il faut entendre le droit de chaque créature humaine à la vie, à la terre, à la nourriture, à l’eau, et à une éducation qui la rende plus pleinement consciente des droits qui sont les siens, et capable d’autodétermination dans sa propre vie. Ce bien de la personne présuppose le bien commun, la justice sociale, surtout pour les pauvres, l’équilibre social et la stabilité de l’ordre social et politique.
Face à un monde marqué par le péché, l’égoïsme et l’envie, un monde qui trop souvent nie avec violence la justice, et bouleverse, dans le cercle vicieux des conflits, la tranquillitas ordinis, qui est la condition nécessaire et la substance même de la paix, il est impossible d’instaurer la paix sans la « sollicitude miséricordieuse et providentielle de Dieu, qui connaît les chemins permettant d’atteindre les coeurs les plus endurcis et de tirer de bons fruits même d’une terre aride et inféconde » (Message pour la Journée mondiale de la Paix, 1er janvier 2002, n. 1, cf. ORLF n. 50 du 11 décembre 2001). La paix est le don du pardon, de la rédemption et de la nouvelle création; tout comme l’amour, la joie, la pénitence, la bienveillance, la bonté, elle est le fruit de l’Esprit (cf. Ga 5, 22). Le Royaume de Dieu est justice, paix et joie dans l’Esprit (cf. Rm 14, 17).
Cette espérance doit toujours plus profondément animer notre prière. La paix doit être constamment implorée, afin qu’elle puisse nous être accordée et être sauvegardée. Mais l’arme de la prière renforce aussi notre engagement à renverser les situations d’injustice, et à agir ensemble pour l’édification d’un monde plus juste. Guidés par la mansuétude de Celui qui a prédit la justice pour les pauvres du Royaume, les chrétiens savent que « la capacité de pardonner est à la base de tout projet d’une société à venir plus juste et solidaire » (ibid. n. 9).
Les chrétiens savent que la haine ethnique, raciale, religieuse, cette spirale de la violence qui frappe indistinctement victimes et bourreaux, peut avoir un antidote: le pardon. Seul le pardon, en effet, nous situe au-dessus des accusations; nous permet de ne pas rendre coupables à cause de quelques uns, des peuples entiers; de ne pas faire retomber sur les fils les fautes des pères. Le pardon, qui dépend de chacun de nous, peut rétablir la justice et nous conduire d’une situation de guerre à un état de paix.
Réconciliation et paix entre les chrétiens
C’est précisément à propos de ce lien entre la paix, la justice et le pardon qu’il faut souligner l’importance du dialogue oecuménique et de la collaboration entre tous les chrétiens. « Aux yeux du monde l’action conjuguée des chrétiens dans la société revêt alors la valeur transparente d’un témoignage chrétien rendu en commun au nom du Seigneur » (Ut unum sint, n. 75). Mais il y a plus. Accablés par leur histoire, faite de disputes et d’affrontements, coupables d’avoir quelquefois prêché et imposé l’Evangile du Christ également par les armes, les chrétiens se sont engagés, particulièrement au cours de ce siècle, sur le chemin lent et difficile de leur pardon réciproque. Il n’y a pas d’oecuménisme sans conversion et sans pardon (cf. ibid., n. 15s, n. 33). La honte et le repentir intérieur pour le scandale de la division, un repentir suscité par l’Esprit, sont à la base du mouvement oecuménique (cf. Unitatis redintegratio, n. 1).
Aujourd’hui, les chrétiens ont franchi le seuil du troisième millénaire, et se trouvent face à un choix responsable, difficile, essentiel. L’engagement oecuménique, la promotion de l’unité des chrétiens est l’un des grands défis et des devoirs les plus urgents au début du nouveau millénaire (cf. Novo millennio ineunte, nn. 12 et 48). Les chrétiens sont appelés à « promouvoir une spiritualité de la communion » (ibid. n. 43s), et être ainsi « lumière du monde », « ville sise au sommet d’un mont » (Mt 5, 14).
Ils prêchent le pardon, cette forme particulière de l’amour (cf. Message, op. cit., n. 2) et, peu à peu, se l’appliquent à eux-mêmes, à leurs Eglises en Orient et en Occident. Dialoguer, se rencontrer, purifier leurs mémoires, est pour les Eglises un acte de courage et un engagement exigeant. Elles savent que « la cohérence et l’honnêteté des intentions et des affirmations de principe se vérifient quand on les applique à la vie concrète » (Ut unum sint, n. 74). Cela les pousse, dans la situation actuelle, à avoir entre elles un comportement exemplaire, qui offre au monde un témoignage de pardon, de concorde, de dialogue, qui exige d’être d’autant plus profond que les divergences semblent insurmontables.
Malgré les divisions persistantes, les Eglises, grâce à l’expérience du dialogue qu’elles sont en train de vivre, ont pu, jusqu’à aujourd’hui, démontrer au moins que le processus de purification de la mémoire de leur passé entraîne peu à peu une évolution qui fait prévaloir « la « Loi nouvelle » de l’esprit de charité. La « fraternité universelle » des chrétiens est devenue une ferme conviction oecuménique » (ibid., n. 42). Ils vivent déjà dans une communion réelle et profonde, même si elle n’est malheureusement pas encore parfaite (cf. ibid., nn. 11-14). Pour servir la paix et en donner l’exemple, ils peuvent et doivent, dès aujourd’hui, collaborer étroitement entre eux.
Dialogue oecuménique et dialogue interreligieux
L’attitude des Eglises et la prédisposition au pardon, qu’elles appliquent à leurs relations réciproques, doivent les conduire à dialoguer ensemble avec les autres religions et les autres cultures afin que la morale oecuménique, qu’elles recherchent dans leurs actions, se reflète dans les rapports et dans le dialogue avec les autres religions, en vue d’une collaboration qui vise à réaffirmer les valeurs de la vie et de la culture humaine.
Le dialogue oecuménique et le dialogue interreligieux sont liés l’un à l’autre, mais ils ne se confondent pas l’un avec l’autre. Il existe entre les deux une différence spécifique et qualitative, et c’est pour cette raison qu’il faut bien les distinguer. Le dialogue oecuménique ne se fonde pas seulement sur la tolérance et le respect dû à chaque conviction humaine et en particulier religieuse; pas plus qu’il ne se fonde seulement sur un philanthropisme libéral ou une simple politesse bourgeoise; au contraire, le dialogue oecuménique s’enracine dans la foi commune en Jésus-Christ et dans la reconnaissance réciproque du baptème au moyen duquel tous les baptisés sont membres de l’unique Corps du Christ (cf. Ga 3, 28; 1 Co 12, 13; Ut unum sint, n. 42) et ils peuvent prier ensemble comme nous l’a enseigné Jésus, « notre Père ». Dans les autres religions, l’Eglise reconnaît un rayon de cette vérité « qui éclaire chaque homme » (Jn 1, 9), mais qui n’est révélée pleinement qu’en Jésus-Christ; lui seul est « le Chemin, la Vérité et la Vie » (Jn 14, 6; cf. Nostra aetate, n. 2). C’est pour cela qu’il est ambigu de parler du dialogue interreligieux en terme de macrooecuménisme ou d’une phase nouvelle et plus large de l’oecuménisme.
Les chrétiens et les partisans des autres religions peuvent prier, mais ils ne peuvent prier ensemble. Tout syncrétisme est exclu. Néanmoins, ils partagent le sens et le respect de Dieu ou du Divin et le désir de Dieu ou du Divin; le respect pour la vie, le désir de la paix avec Dieu ou avec le Divin, entre les hommes et dans l’univers; ils partagent beaucoup de valeurs morales. Ils peuvent et doivent collaborer pour défendre et promouvoir ensemble, au profit de tous les hommes, la justice sociale, les valeurs morales, la paix et la liberté. Cela est particulièrement vrai pour les religions monothéistes, qui voient en Abraham leur père dans la foi.
L’invitation pour la Journée de prière pour la paix dans le monde est une façon de réaffirmer tout cela. L’Eglise catholique voit dans cette participation une occasion utile pour témoigner ensemble que « les chrétiens se sentent toujours plus interpellés par la question de la paix » (Ut unum sint, n. 76). En respectant les critères de la recherche de leur propre unité, les chrétiens respectent les autres religions. Ils savent que la « loi nouvelle » de l’esprit de charité encourage à accueillir les autres, n’exclut pas la légitime diversité. Ils savent qu’ils ont en commun avec les autres religions l’arme de la prière pour implorer la paix.
Face à ce mal terrible qu’est l’absence de paix, face à la chaîne infinie de deuils qu’apporte la guerre, ils savent qu’il n’y a qu’une seule alternative: donner un témoignage de pardon réciproque et de tranquillitas ordinis entre eux. Ainsi, nous demandons à tous de parcourir avec nous le même chemin d’espoir vers la justice, la réconciliation et la paix.
Cardinal Walter Kasper,
Président du Conseil pontifical pour l’Unité des Chrétiens