AUJOURD’HUI EST L’ANNIVERSAIRE DU PAPE BENOIT – 91 ANS – UNE PENSÉE AFFECTUEUSE ET DÉFÉRENTE – BENOÎT XVI – Les cathédrales romanes et gothiques, l’arrière-plan théologique
16 avril, 2018http://w2.vatican.va/content/benedict-xvi/fr/audiences/2009/documents/hf_ben-xvi_aud_20091118.html
AUJOURD’HUI EST L’ANNIVERSAIRE DU PAPE BENOIT – 91 ANS – UNE PENSÉE AFFECTUEUSE ET DÉFÉRENTE – BENOÎT XVI – Les cathédrales romanes et gothiques, l’arrière-plan théologique
AUDIENCE GÉNÉRALE
Mercredi 18 novembre 2009
Les cathédrales romanes et gothiques, l’arrière-plan théologique
Chers frères et sœurs!
Dans les catéchèses des dernières semaines, j’ai présenté plusieurs aspects de la théologie médiévale. Mais la foi chrétienne, profondément enracinée chez les hommes et les femmes de ces siècles, ne donna pas seulement origine à des chefs-d’œuvre de littérature théologique de la pensée et de la foi. Celle-ci inspira également l’une des créations artistiques les plus élevées de la civilisation universelle: les cathédrales, véritable gloire du Moyen-âge chrétien. En effet, pendant environ trois siècles, à partir du début du XI siècle, on assista en Europe à une ferveur artistique extraordinaire. Un ancien chroniqueur décrit ainsi l’enthousiasme et le zèle de cette époque: « Il se produisit que, partout dans le monde, mais spécialement en Italie et dans les Gaules, on commença à reconstruire les églises, bien qu’un grand nombre, qui étaient encore en bonnes conditions, n’avaient pas besoin d’une telle restauration. C’était comme une compétition entre un peuple et l’autre; on aurait cru que le monde, se débarrassant des vieux haillons, voulait revêtir partout le vêtement blanc de nouvelles églises. En somme, presque toutes les églises cathédrales, un grand nombre d’églises monastiques, et même les oratoires de villages, furent alors restaurés par les fidèles » (Rodolphe le Glabre, Historiarum 3, 4).
Divers facteurs contribuèrent à cette renaissance de l’architecture religieuse. Tout d’abord, les conditions historiques plus favorables, telles qu’une plus grande sécurité politique, accompagnée par une croissance constante de la population et par le développement progressif des villes, des échanges et de la richesse. En outre, les architectes trouvaient des solutions techniques toujours plus élaborées pour augmenter les dimensions des édifices, en assurant dans le même temps leur solidité et un aspect majestueux. Ce fut cependant principalement grâce à l’ardeur et au zèle spirituel du monachisme en pleine expansion que furent élevées des églises abbatiales, où la liturgie pouvait être célébrée avec dignité et solennité, et où les fidèles pouvaient s’arrêter en prière, attirés par la vénération des reliques des saints, buts de pèlerinages incessants. C’est ainsi que naquirent les églises et les cathédrales romanes, caractérisées par le développement longitudinal, en longueur, des nefs pour accueillir de nombreux fidèles; des églises très solides, avec des murs épais, des voûtes en pierre et des lignes simples et essentielles. Une nouveauté est constituée par l’introduction des sculptures. Les églises romanes étant le lieu de la prière monastique et du culte des fidèles, les sculpteurs, plus que se préoccuper de la perfection technique, soignèrent en particulier la finalité éducative. Etant donné qu’il fallait susciter dans les âmes des impressions fortes, des sentiments qui puissent inciter à fuir le vice, le mal et à pratiquer la vertu, le bien, le thème récurrent était la représentation du Christ comme juge universel, entouré des personnages de l’Apocalypse. Ce sont en général les portails des églises romanes qui offrent cette représentation, pour souligner que le Christ est la Porte qui conduit au Ciel. Les fidèles, en franchissant le seuil de l’édifice sacré, entrent dans un temps et dans un espace différents de ceux de la vie ordinaire. Outre le portail de l’église, les croyants en Christ, souverain, juste et miséricordieux, pouvaient dans l’intention des artistes goûter une anticipation de la béatitude éternelle dans la célébration de la liturgie et dans les actes de piété effectués à l’intérieur de l’édifice sacré.
Au XII et au XIII siècle, à partir du nord de la France, se diffusa un autre type d’architecture dans la construction des édifices sacrés, l’architecture gothique, avec deux caractéristiques nouvelles par rapport au roman, c’est-à-dire l’élan vertical et la luminosité. Les cathédrales gothiques montraient une synthèse de foi et d’art harmonieusement exprimée à travers le langage universel et fascinant de la beauté, qui aujourd’hui encore suscite l’émerveillement. Grâce à l’introduction des voûtes sur croisée d’ogives, qui reposaient sur de robustes pilastres, il fut possible d’élever considérablement la hauteur. L’élan vers le haut voulait inciter à la prière et était dans le même temps une prière. La cathédrale gothique entendait traduire ainsi, dans ses lignes architecturales, l’aspiration des âmes vers Dieu. En outre, avec les nouvelles solutions techniques adoptées, les murs du périmètre pouvaient être percés et embellis par des vitraux polychromes. En d’autres termes, les fenêtres devenaient de grandes images lumineuses, parfaitement adaptées pour instruire le peuple dans la foi. Dans celles-ci – scène par scène – étaient racontés la vie d’un saint, une parabole, ou d’autres événements bibliques. Des vitraux peints, une cascade de lumière se déversait sur les fidèles pour leur raconter l’histoire du salut et les entraîner dans cette histoire.
Une autre caractéristique des cathédrales gothiques est constituée par le fait qu’à leur construction et à leur décoration, de manière différente mais en chœur, participait toute la communauté chrétienne et civile; les humbles et les puissants, les analphabètes et les savants participaient, car dans cette maison commune, tous les croyants étaient instruits dans la foi. La sculpture gothique a fait des cathédrales une « Bible de pierre », en représentant les épisodes de l’Evangile et en illustrant les contenus de l’année liturgique, de la Nativité à la Glorification du Seigneur. En outre, au cours de ces siècles se diffusait toujours davantage la perception de l’humanité du Seigneur, et les souffrances de sa Passion étaient représentées de manière réaliste: le Christ souffrant (Christus patiens) devint une image aimée de tous, et en mesure d’inspirer la piété et le repentir pour les péchés. Les personnages de l’Ancien Testament ne manquaient pas, dont l’histoire devint ainsi familière aux fidèles qui fréquentaient les cathédrales comme partie de l’unique et commune histoire du salut. Avec ses visages empreints de beauté, de douceur, d’intelligence, la sculpture gothique du xiii siècle révèle une piété heureuse et sereine, qui se plaît à diffuser une dévotion sincère et filiale envers la Mère de Dieu, parfois vue comme une jeune femme, souriante et maternelle, et principalement représentée comme la souveraine du ciel et de la terre, puissante et miséricordieuse. Les fidèles qui remplissaient les cathédrales gothiques aimaient y trouver également des expressions artistiques rappelant les saints, modèles de vie chrétienne et intercesseurs auprès de Dieu. Et les manifestations « laïques » de l’existence ne manquèrent pas; voilà alors apparaître, ici et là, des représentations des travaux des champs, des sciences et des arts. Tout était orienté et offert à Dieu dans le lieu où l’on célébrait la liturgie. Nous pouvons mieux comprendre le sens qui était attribué à une cathédrale gothique, en considérant le texte de l’inscription gravée sur le portail central de Saint-Denis, à Paris: « Passant, toi qui veux louer la beauté de ces portes, ne te laisse éblouir ni par l’or, ni par la magnificence, mais plutôt par le dur labeur. Ici brille une œuvre célèbre, mais veuille le ciel que cette œuvre célèbre qui brille fasse resplendir les esprits, afin qu’avec les vérités lumineuses ils s’acheminent vers la véritable lumière, dont le Christ est la véritable porte ».
Chers frères et sœurs, j’ai plaisir à souligner à présent deux éléments de l’art roman et gothique également utiles pour nous. Le premier: on ne peut pas comprendre les chefs-d’œuvre artistiques nés en Europe dans les siècles passés si l’on ne tient pas compte de l’âme religieuse qui les a inspirés. Un artiste, qui a toujours témoigné de la rencontre entre esthétique et foi, Marc Chagall, a écrit que « pendant des siècles les peintres ont trempé leur pinceau dans cet alphabet coloré qu’était la Bible ». Quand la foi, de manière particulière célébrée dans la liturgie, rencontre l’art, il se crée une harmonie profonde, car tous les deux peuvent et veulent parler de Dieu, en rendant visible l’Invisible. Je voudrais partager cela lors de la rencontre avec les artistes du 21 novembre, en leur renouvelant cette proposition d’amitié entre la spiritualité chrétienne et l’art, souhaitée par mes vénérés prédécesseurs, en particulier par les serviteurs de Dieu Paul vi et Jean-Paul ii. Le deuxième élément: la force du style roman et la splendeur des cathédrales gothiques nous rappellent que la via pulchritudinis, la voie de la beauté, est un parcours privilégié et fascinant pour s’approcher du Mystère de Dieu. Qu’est la beauté, que les écrivains, les poètes, les musiciens, les artistes contemplent et traduisent dans leur langage, sinon le reflet de la splendeur du Verbe éternel fait chair? Saint Augustin affirme: « Interroge la beauté de la terre, interroge la beauté de la mer, interroge la beauté de l’air diffus et léger. Interroge la beauté du ciel, interroge l’ordre des étoiles, interroge le soleil, qui avec sa splendeur éclaire le jour; interroge la lune, qui avec sa clarté modère les ténèbres de la nuit. Interroge les bêtes sauvages qui nagent dans l’eau, qui marchent sur la terre, qui volent dans l’air: des âmes qui se cachent, des corps qui se montrent; visible celui qui se fait guider, invisible celui qui guide. Interroge-les! Tous répondront: Regarde-nous: nous sommes beaux! Leur beauté les fait connaître. Cette beauté changeante… qui l’a créée, sinon la Beauté immuable? » (Sermo ccxli, 2: PL 38, 1134).
Chers frères et sœurs, que le Seigneur nous aide à redécouvrir la voie de la beauté comme l’un des itinéraires, peut-être le plus attirant et fascinant, pour parvenir à rencontrer et à aimer Dieu.