HOMÉLIE DU JEUDI SAINT PAR LE FR. DENIS BISSUEL, OP
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HOMÉLIE DU JEUDI SAINT PAR LE FR. DENIS BISSUEL, OP
Je ne sais pas si vous avez l’expérience de la randonnée, pas la petite promenade digestive du dimanche, mais la marche qui doit vous conduire loin et haut, celle pour laquelle il vaut mieux se préparer et prendre quelques précautions si l’on veut arriver au bout, rester en forme et garder un bon moral : il est essentiel de prévoir un bon casse-croûte riche en calories et d’avoir les pieds en bon état.
Il en va de même dans notre vie de foi. Nous sommes des pérégrinant, pèlerins par nature, toujours en marche et à coup sûr éprouvés un jour ou l’autre par la faim, la fatigue ou la soif, parfois par ces ampoules qui vous écorchent là où ça fait bien mal et vous empêchent d’avancer ; ou encore assailli par le doute, le découragement, ou quelque question angoissante à vous tordre l’estomac.
Il faut pourtant continuer à avancer dans la vie, tenir à l’heure de l’épreuve, et ce sera peut-être plus difficile encore quand les ténèbres viendront soudain recouvrir la terre, quand Jésus, sur qui on croyait pouvoir s’appuyer fermement et compter semblera soudain vaincu lui-même, anéanti, terrassé par les forces du mal, emporté par la mort.
C’est aujourd’hui son heure, l’heure il entre dans sa Passion. La Pâque approche, l’ambiance est lourde, mortifère. Les grands prêtres et les scribes cherchent comment arrêter Jésus par ruse pour le tuer ; l’un de ses disciples va le trahir, un autre le renier, et Jésus est à table avec eux. Au cours de ce dernier repas, avant de quitter ce monde et d’aller vers le Père, Jésus va prendre soin d’eux, il va leur donner la nourriture dont ils ont besoin pour la route et s’occuper de leur laver les pieds, signe de son amour indéfectible. Il leur demande de reprendre ces gestes en mémoire de lui. Ils pourront alors avancer et persévérer sur un chemin parfois bien rude. Ce chemin doit traverser les déserts de la plaine, gravir les escarpements de la montagne, ce chemin passe par la croix
Tandis qu’ils mangeaient, Jésus prend du pain, ordinaire, celui qui est fait pour nourrir la masse des hommes, fruit de la terre et du labeur de l’humanité, que l’on sait aussi partager en signe d’amitié. Ce pain, Jésus le brise, le partage, le donne pour qu’il soit reçu, pris et mangé, sur lequel il prononce ces paroles : ceci est mon corps, pour vous. Car c’est lui qui dans sa Passion sera brisé. Par ce geste Jésus donne et se donne, jusqu’à se faire pain, nourriture pour la vie du monde, transformant notre vie pour qu’elle devienne fraternelle, sacramentelle.
Puis il prend une coupe, la coupe du sang versé de la nouvelle Alliance, qui n’est plus le sang d’un agneau à répandre sur le linteau des portes de nos maisons, mais le sang de Jésus qu’il nous invite à boire pour nous protéger des assauts destructeurs du mal et du péché. Prenez, mangez, buvez, ceci est mon corps, ceci est mon sang, pour vous.
Dans l’évangile selon saint Jean Jésus, dans un geste d’humble service, se met à genoux devant chacun de ses disciples, tel le Maître et Seigneur qu’il est en vérité, et il commence à leur laver les pieds à tous. Il y a là Pierre sur qui il bâtit son Église et qui allait le renier et André, des pêcheurs du lac, Jacques et Jean son frère, Philippe, Barthélémy, Matthieu un collecteur d’impôts, un autre Jacques, Thaddée, Simon un zélote, et Judas l’un des douze celui-là même qui allait le livrer. Et à leurs pieds, Jésus. C’est le monde à l’envers, mais bien le seul endroit de Dieu.
Dieu a toujours pris soin de son peuple. Lève-toi et mange autrement le chemin sera trop long pour toi, disait déjà Dieu à Elie épuisé, avant de lui servir une bonne galette et un verre d’eau fraîche. Souviens-toi, durant cette longue marche de 40 ans que tu as faite dans le désert, ton pied n’a jamais enflé, rappelait Moïse au peuple d’Israël. Dieu est fidèle à sa promesse d’être toujours avec nous et pour nous. Il le manifeste et le signifie en nous soutenant et nous secourant dans les réalités les plus vitales et les plus simples : manger, boire, servir, marcher, aimer. Ces réalités essentielles, Jésus les reprend, les accomplit en un sens radicalement nouveau ; sachons en découvrir la grâce et le mystère.
Le Fils de l’Homme n’est pas venu pour être servi mais pour servir et donner sa vie en rançon pour la multitude. Il fallait que Jésus prît la tenue de serviteur, endurât sa souffrance pour entrer dans sa gloire. Il en va de notre salut. Jésus insiste donc : il nous demande de lui faire confiance et de prendre et de reprendre en mémoire de lui ce qu’il a dit et fait pour nous : comme je vous ai lavés les pieds, vous devez vous aussi vous laver les pieds les uns aux autres ; comme je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres. Heureux serez-vous si vous le faites en mémoire de moi. Peut-être avons-nous comme l’apôtre Pierre quelques fierté ou réticences exprimées ou rentrées, toi Seigneur me laver les pieds à moi, jamais ! Mais il faut en passer par là.
Laissons-nous faire, laissons-nous laver les pieds et buvons à la coupe. Enterrons le vieil homme et mourrons au péché. Si nous parcourons avec le Christ le chemin de la Passion, de la vie, si nous devenons frères, sœurs, au service les uns des autres dans un véritable amour mutuel, alors nous pourrons percevoir la lueur de l’aube et commencer à comprendre : qui veut sauver sa vie la perdra, mais qui perdra sa vie à cause de moi la sauvera. Amen
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