LA NUIT, A QUOI VOS NUITS RESSEMBLENT-ELLES ?

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« jour e nuit » (biblique)

LA NUIT, A QUOI VOS NUITS RESSEMBLENT-ELLES ?

(de l’Eglise Protestante)

La question est indiscrète !
La nuit est mystérieuse, la nuit est confidentielle, la nuit est réservée, la nuit est privée… de la lumière, des regards, de la course du soleil qui dit que le temps passe, la nuit est privée de repères auxquels on ne pense pas, tellement on y est habitué.
La nuit est un autre monde, la nuit est un autre temps ; un temps variant, les nuits sont plus ou moins longues sous nos latitudes selon les saisons, entre huit et seize heures tout de même, c’est finalement beaucoup de temps dans une année, dans une vie, et bien plus de mille et une nuits !
On n’est jamais très loin de la nuit, celle qui est passée ou celle à venir, quelques heures tout au plus, à peine.
Attendue ou redoutée, la nuit qui vient vient sûrement, un jour – une nuit, un jour – une nuit, tic tac d’une lente pendule immuable et indifférente à toute autre considération.

Un mot de la Bible, le mot ‘nuit’ …
par Dominique HERNANDEZ
Mais pourtant, tout à la fin, tout à la fin de la Bible, le livre de la Révélation, l’Apocalypse, offre dans sa vision finale au chapitre 21 une nouvelle terre sans mer et au chapitre 22 une ville sans nuit :
“Il n’y aura plus de nuit
et ils n’auront plus besoin de la lumière d’une lampe,
ni de celle du soleil
car le Seigneur Dieu répandra sur eux sa lumière.”
Plus de nuit, place à la lumière qui repousse la nuit, la chasse, l’élimine, mais alors plus d’alternance, plus de rythme, plus de temps qui passe, peut-être plus de temps du tout, inimaginable vision que celle de l’Apocalypse quand l’existence humaine est toute inscrite dans ce rythme du temps.
A l’autre bout de la Bible, au début, la Genèse décrit le temps, jour et nuit, lumière et obscurité, comme effet de la première parole créatrice (Genèse 1,3-5). La nuit est le nom de l’obscurité, nom donné une fois que la lumière est créée et appelée “jour”. Mais au commencement, était l’obscurité, qui couvrait les eaux, obscurité totale, ténèbres, obscurité sans limite, sans rien à discerner, obscurité sans mouvement, sans contenu, donc obscurité où tout peut commencer. Définie entre les marges de la lumière du jour et en contraste par rapport à elle, l’obscurité ainsi maîtrisée peut recevoir son nom : nuit.
Cette nuit n’est ni mauvaise, ni effrayante ni redoutable en elle-même. Ainsi le prophète Jérémie rappelle l’alliance du Seigneur avec la nuit et le jour (Jérémie 33,20), le psalmiste affirme que la nuit connaît et célèbre la gloire de Dieu :
“Les cieux racontent la gloire de Dieu,
le firmament proclame l’œuvre de ses mains.
Le jour en prodigue au jour le récit,
la nuit en donne connaissance à la nuit.”
(Psaume 19,1-3)
Le jour, la nuit, le temps, ceci est bon n’est-ce pas ?
L’obscurité et la nuit sont aussi bien autre chose que cet espace de temps compris entre apparition et disparition de la lumière du soleil. Poètes et mystiques, amoureux et prédicateurs évoquent des nuits sans rapport avec l’astre diurne, les nuits du doute, de l’absence, du deuil, les nuits de l’aveuglement, de la souffrance.
Mais dans la Bible, la plupart des nuits sont des nuits naturelles, des unités de temps prenant place dans un récit comme suite d’un jour ; la métaphore est peu employée, dans l’écriture du moins, car à la lecture, ce peut être différent…
L’intérêt de la nuit réside particulièrement dans deux aspects : l’obscurité et le sommeil car pour les êtres diurnes que sont les humains, le repos et le sommeil viennent avec l’obscurité.
La nuit, c’est le temps du secret, de la clandestinité, se cacher, s’enfuir, se dissimuler, trahir, renier.
Le Livre des Actes raconte que l’apôtre Paul se fait beaucoup d’ennemis à cause de la prédication de l’Evangile et qu’il doit souvent fuir. La nuit se prête mieux que le jour à ces départs précipités. Ainsi à Damas, Saul, qui n’est pas encore appelé Paul, est descendu par ses disciples dans une corbeille, la nuit, le long de la muraille afin d’échapper à un complot visant à le faire périr (Actes 9,25). Paul et Silas quittent aussi nuitamment et rapidement Thessalonique où l’agitation de la foule et des autorités de la ville les met en péril (Actes 17,10).
C’est également la nuit raconte l’évangéliste Matthieu que Joseph part pour l’Egypte avec son épouse Marie et l’enfant nouveau-né, Jésus que le roi Hérode veut faire tuer (Matthieu 2,14).
L’ombre cache ceux qui fuient, l’agitation et la circulation des jours s’apaisent la nuit.
L’obscurité dissimule les entreprises inavouables, comme celle de Saül qui va consulter la nécromancienne d’Ein-Dor, allant par là même à l’encontre de l’interdiction qu’il a lui-même promulguée, mais il cherche l’avis d’un mort, le prophète Samuel, que la nécromancienne lui fera voir et entendre (1 Samuel 28).
De même, les évasions sont plus certaines la nuit, même quand un ange, ou un tremblement de terre tout à fait providentiel, permet à Pierre (Actes 17,6 et suivants), ou à Paul et Silas (Actes 16,25), de rejoindre leurs amis hors de leur geôle.
Mais la nuit, quand on ne voit plus très bien, quand on n’est plus certain de ce qui est autour, de ce qui arrive, alors se dissolvent des assurances, des décisions, des fidélités, la force de les maintenir et la force qu’elles procuraient. L’obscurité devient ténèbre, sans fond, sans discernement, totale.
Pierre renie trois fois Jésus dans la nuit où il fut livré, celle qui avait commencé avec le repas, le pain et la coupe partagés. Pierre ne veut pas être reconnu pour qui il est, mais même la nuit se dérobe devant certaines perspicacités ou certaines obstinations (Marc 14,66 et suivants).
Paradoxalement, l’obscurité de la nuit révèle des réalités cachées le jour quand elles étaient maîtrisées par la lumière, le cours du temps et des choses. Mais la nuit, on ne voit pas, on ne sent pas le temps passer et ce qui était recouvert par l’entrain du jour apparaît, ombre plus sombre dans l’obscurité, honte dévoilée hors de la lumière.
La nuit c’est le temps de la trahison, la trahison entraîne toujours la nuit, baiser de Judas, fuite des disciples, tromperie, dispersion, abandon se conjuguent mieux dans l’obscurité, illusoire cachette des lâchetés… et des remords.
La nuit, c’est le temps des secrets, à faire, à recevoir : c’est la nuit que Nicodème va trouver Jésus (Jean 3,2), c’est la nuit qu’il se met en quête de ce qui lui a échappé le jour, nuit favorable à la concentration, à la discrétion nécessaires au dévoilement ou à la révélation de l’intime.
Mais il se peut aussi que l’intime déborde, que ce qui est dans le cœur emporte la pudeur, le courage, la maîtrise des émotions,
et le psaume 6 ne cache rien de ces nuits agitées de peurs et de pleurs :
«Je suis épuisé à force de gémir.
Chaque nuit les larmes baignent mon lit,
mes pleurs inondent ma couche.»

La plainte est reprise par Job :
«La nuit perce mes os et m’écartèle ;
et mes nerfs n’ont pas de répit.»
(Job 30,17)

Job assailli de malheurs n’a d’abord plus d’espoir et attend “le pays de ténèbre et d’ombre de mort, où l’aurore est nuit noire, où l’ombre de mort couvre le désordre et la clarté y est nuit noire.” (Job 10,22). La nuit est ici chargée des symboles de mort, mais sur cet aspect de la nuit, la Bible n’est pas univoque.
Lourde est ainsi la nuit de Gethsémanée (Marc 14,32 et suivants) où le sommeil de ses disciples laisse Jésus affronter seul dans la prière l’angoisse de la mort approchant, nuit noire, car les lumières de la nuit ne sont pas seulement la lune et les étoiles, mais les présences aimantes et aimées qui l’habitent avec vous.
Trop de sommeil sur les disciples qui ne peuvent veiller. Pourtant la nuit est le temps de la veille, comme les bergers veillent sur leurs troupeaux dans les champs, comme les gardes veillent sur les murs et aux portes de la ville, tous ceux qui attendent le jour et l’heure où tous les chats ne seront plus gris. Le veilleur accompagne la nuit, il s’y plonge pour mieux la connaître, il l’apprivoise pour ne pas y être englouti, il s’y tient prêt, à quoi ?
Il ne sait pas forcément et quand il le sait, il ne veut pas le manquer, voleur dans la maison ou… ou Seigneur de la maison (Matthieu 24,43) !
Vigilance, attente, la veille est exigeante, elle requiert une présence complète. La première nuit de veille dans la Bible est celle de la première Pâque, le repas pris debout, sandales aux pieds, la ceinture autour des reins et bâton à la main, juste avant de partir, avant de sortir de la servitude en Egypte :
”Ce fut là une nuit de veille pour le Seigneur
quand il les fit sortir du pays d’Egypte.
Cette nuit-là appartient au Seigneur,
c’est une veille pour tous les fils d’Israël, d’âge en âge.”
(Exode 12,42)
Une nuit pour une mémoire sans fin, un mémorial transmis sans rupture, mais repris dans une autre nuit pour une nouvelle mémoire qui transforme en veilleurs de chaque instant ceux qui la gardent.
Ce n’est pourtant pas le veilleur aux yeux écarquillés -car les humains ne sont pas nyctalopes comme les animaux nocturnes- qui verra ce qui est souvent donné à voir dans les nuits de la Bible. C’est celui qui dort, c’est celui qui a sombré dans le sommeil qui bénéficiera d’une vision. La nuit, c’est le temps des songes.
L’apôtre Paul, Joseph, le prophète Zacharie, le roi Salomon et Samuel, Laban le beau-père de Jacob et Jacob lui-même, Abimélek roi des Philistins reçoivent en rêve, la nuit, un message, une visite de Dieu. Abram est saisi d’une étrange torpeur au coucher du soleil au cours de laquelle le Seigneur conclut une alliance avec lui (Genèse 15,12). C’était déjà au cours d’une nuit, une nuit claire et remplie d’étoiles que le Seigneur avait promis à Abram une descendance aussi nombreuse que les étoiles du ciel (Genèse 15,5).
La nuit, dans l’obscurité, les couleurs s’effacent, les formes s’estompent, les différences sont moins évidentes, moins visibles. La nuit, dans le sommeil, les rigidités s’assouplissent, les frontières s’abolissent. Celui qui dort devient disponible à autre chose, une autre parole, un autre geste, une nouvelle compréhension, une nouvelle décision. C’est dans la nuit que le songe éclaire une situation, une promesse, un avenir.
Alors est-ce seulement la nuit qui porte conseil ?
Entre deux jours, entre coucher et lever du soleil, la nuit pose un passage ni plus ni moins délicat que tout autre passage ; elle n’est ni plus ni moins ambiguë que le jour, différente seulement. Entre jour et nuit, entre nuit et jour, ni jour ni nuit, il y a ces temps un peu imprécis, l’aube et le crépuscule, où la nuit avance et se retire doucement comme la marée du temps donné aux activités et aux rêves. Puisse votre prochaine nuit être bonne.

Dominique HERNANDEZ

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