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HOMÉLIE DU 29E DIMANCHE ORDINAIRE A

20 octobre, 2017

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HOMÉLIE DU 29E DIMANCHE ORDINAIRE A

Is 45, 1, 4-6a ; Ps 95 ; 1 Thess 1, 1-5b ; Mt 22, 15-21

(Prononcée en 2002 en la cathédrale des SS. Michel et Gudule (Bruxelles), les événements cités sont de cette époque)

Thème : « Rien de ce qui est humain ne peut nous être étranger »

En ce dimanche d’octobre qui est, nous a dit très joliment le poète, « le moment de naviguer vers l’âme » (1), nous voici rassemblés pour faire corps dans un temple de beauté, « un lieu d’enchantement », où s’expriment tous les arts, de l’architecture et du vitrail, de la sculpture et de la peinture, de la musique, du chant et de la poésie. Un vrai festival des « arts en fête », où chacun donne couleur et forme à la vie et au message des autres. Et si vous parcourez ici même l’exposition des œuvres d’Arcabas, vous comprendrez pourquoi elle est présentée comme une grâce pour les yeux, l’intelligence et le cœur. D’ailleurs, même l’art dit profane, est un lieu de révélation, enseigne Régine de Charlat. Nous avons de la chance d’être ici. Une occasion privilégiée de réaliser que « le monde a besoin d’artistes (c’est-à-dire d’inspirés), car il a besoin du beau pour comprendre ce qui est bien et pour chercher ce qui est vrai », confesse Jean-Marc Aveline.
Voilà bien une véritable évocation de la Trinité, non pas chrétiennement théologique, mais pleinement cosmique.
Alors, que vient faire ici César ?, cet empereur païen, ses pouvoirs et ses impôts ? D’une certaine manière, il donne l’occasion à Jésus de nous apprendre que rien de ce qui est humain ne peut être étranger à ceux et celles qui se réclament de lui. Rien. Y compris le politique. Car la foi n’est pas seulement une lumière sur le candélabre, elle est tout autant un levain dans la pâte de la société des humains.
Posée à Jésus en son temps, la question de l’impôt était d’une actualité brûlante. Un piège redoutable pour le prophète, confronté à des partis religieux dont les uns courtisaient l’occupant pour en tirer profit, d’autres s’y opposaient au nom d’un nationalisme militant. Ici, leur objectif commun était de se débarrasser du prophète dérangeant.
Aujourd’hui, la situation n’est pas comparable. Par contre, la réponse donnée par Jésus est toujours d’actualité, quel que soit le contexte politique et religieux du moment. Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu… Et à chacun aussi ce qui lui revient, peut-on ajouter. Nous ne sommes pas cependant confronté à un problème purement fiscal. Plus essentiellement, il s’agit des relations entre le Royaume de Dieu et la cité terrestre. Donc, entre foi et politique. Des relations nécessaires, puisque le Royaume de Dieu est semé, vit, germe et se développe dans la société terrestre et non pas au-dessus ni à côté. Il s’y incarne comme une force d’amour, de justice et de paix. Un ferment spirituel.
Jésus n’a jamais pour autant, contrairement parfois à son Eglise, invoqué ni réclamé le moindre pouvoir politique. L’Evangile ne propose pas de programme ni de technique, encore moins de recettes, pour organiser la vie en société. Le Christ ne canonise ni ne satanise aucun régime, aucun parti politique. Il n’est ni monarchiste ni républicain, ni de droite, ni de gauche. Même pas du centre. Par contre, la mission des chrétiens, c’est d’être dans tous les secteurs de la cité terrestre, et donc dans le parti politique de leur choix réfléchi, des témoins et des défenseurs de valeurs qui soient capables de réaliser pleinement « une société digne de la personne humaine », et donc digne de Dieu. Encore faut-il chercher avec d’autres, ensemble, comment les respecter et les vivre dans la mouvance de situations nouvelles, souvent inédites. Ce qui rejoint l’objectif le plus noble de toute « politique » digne de ce nom, qui est l’art d’assurer la vie harmonieuse d’une société.
Mission incontestablement difficile, qui rencontre de nombreuses tentations. Elle est propice à des amalgames et à des confusions, comme nous le révèlent l’histoire du passé comme celle du présent.
Tentation pour le pouvoir politique d’annexer la religion, et de l’utiliser comme une arme de pression, de persuasion et de conquête. Tentation pour les croyants de sous-estimer les enjeux politiques, et donc aussi économiques et culturels. Au risque de négliger, de fuir ou même de mépriser, leurs responsabilités citoyennes, autrement dit politiques, pour se réfugier dans le cocon de la bonne conscience ou d’une piété désincarnée. Or, une spiritualité n’est pas pure intériorité, elle se traduit dans un engagement au niveau de la cité.
Tentation pour le pouvoir séculier de reléguer la foi dans le domaine privé, pour désincarner les religions, les marginaliser, les empêcher de participer au débat démocratique de tous les citoyens.
Tentation des religions et des Eglises, d’utiliser le pouvoir politique pour imposer leurs vues et leurs exigences, alors qu’elles doivent d’abord en témoigner, les exposer, les expliquer, les proposer à la liberté de ceux et celles qui pèlerinent dans l’aventure humaine. On ne dira jamais assez que l’Eglise, c’est-à-dire la communauté des chrétiens, est totalement solidaire de la société de son temps. C’est ce qu’ils prouvent notamment quand ils exercent leurs droits et leurs devoirs de citoyens en attirant l’attention sur les valeurs évangéliques, et donc intensément humaines, à respecter et à défendre, quels que soient leurs choix politiques particuliers. Tous concernés par la vie de la cité, nous avons tous à prendre parti pour le bien commun. Il n’y a pas de cité terrestre digne de ce nom si elle n’est pas constamment préoccupée du respect des droits et devoirs fondamentaux de la personne humaine. Ce n’est pas pour autant le monopole des croyants.
Tout à l’heure, le livre d’Isaïe a évoqué le païen Cyrus, roi des Mèdes et des Perses. Doté d’une grande intelligence politique, il s’est révélé un véritable libérateur, dont celui du peuple juif opprimé par Babylone. Dans toutes ses conquêtes, ce chef de guerre semble s’être révélé comme un modèle de tolérance, soucieux de progrès économique et social. Ce qui a fait dire aux auteurs bibliques que des dirigeants politiques peuvent devenir des instruments providentiels. Le doigt de Dieu. Les signes des temps, traduira Vatican II, sont aussi des signes de Dieu.
La foi n’est certes pas compatible avec n’importe quelle politique. Mais elle peut se vivre et s’affirmer avec différentes opinions politiques. Si « Aucune politique ne peut lier Dieu », toutes ont cependant « des comptes à lui rendre ». A l’époque de Jésus, tous les partis pratiquaient l’amalgame entre le politique et le religieux. Le prophète de Nazareth est venu, au contraire, désacraliser la Terre Sainte et dépolitiser la fidélité de Dieu à son peuple. Il rendait ainsi à la vie politique une légitime autonomie. Ce qui faisait dire récemment au cardinal Danneels que « la sécularisation en tant que telle est irréversible. Ce qui n’est pas tout à fait négatif, car elle vient un peu du christianisme lui-même :  » Rendez à César… « .
Au cours de l’histoire, il est certes arrivé aux chrétiens de négliger, mépriser, combattre, surestimer ou sacraliser le politique. C’est vrai. Il s’agit aujourd’hui de lui reconnaître la place que Jésus lui assigne. Or, aujourd’hui plus que jamais, l’action politique exerce une influence considérable, à tous les niveaux : local, régional, national, continental et mondial, dans tous les domaines où se jouent la vie et la survie de l’humanité. C’est sur ce terrain de la politique que se mesurent aussi, l’authenticité et la qualité de notre foi, notre souci et notre volonté d’incarnation. Car le respect et l’amour du prochain constituent la pierre de touche de l’amour de Dieu. C’est dire la grandeur de la tâche politique.
Bienheureux donc les hommes et les femmes qui, à cause de leur foi, prennent au sérieux leurs responsabilités citoyennes et même s’engagent dans la politique pour y rendre plus effectives et plus vivantes les formes essentielles de l’amour, qui sont le respect, la justice et la paix, inséparables du Bon, du Bien et du Beau. C’est une noble mission que de contribuer, tant soit peu, à bâtir une société digne de l’être humain et par le fait même digne de Dieu.

(1) Roger Foulon, « Cosmogonie », Ed. « Maison de la Poésie d’Amay », 2002.

P. Fabien Deleclos, franciscain (T)