Archive pour octobre, 2017

HOMÉLIE DE LA TOUSSAINT

31 octobre, 2017

http://parolesdudimanche.blogs.lalibre.be/archive/2008/10/28/homelie-de-la-toussaint.html

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HOMÉLIE DE LA TOUSSAINT

Ap 7, 2-4, 9-14 ; 1 Jn 3, 1-3 ; Mt 5, 1-12

Dans l’immense vitrine qui donne sur les grandes artères du monde, l’Eglise expose ses meilleurs produits, d’authentiques réussites, portant label de qualité. Ce sont les bienheureux, saints et saintes, officiellement et publiquement béatifiés ou canonisés pour comportement héroïque. Mais l’entrée de l’établissement est libre et l’intérieur vous offre un choix considérable et très varié d’articles de même qualité, mais démarqués et mêlés aux produits ordinaires. Ce sont les bienheureux, saints et saintes sans étiquettes. Des exemplaires de la sainteté commune. Des produits blancs, sans auréole et qui n’ont pas de place au calendrier des saints. Ils sont hors catalogue.
Il est bon de conserver à l’esprit cette image comparative pour mieux comprendre le sens évangélique et donc exact de la sainteté. Le sujet est de circonstance puisque, en célébrant la Toussaint, l’Eglise nous redit que nous sommes tous appelés à la sainteté. D’où l’extrême importance de comprendre aussi bien que possible ce qu’est un saint ou en quoi consiste la sainteté.
Qu’est-ce qu’un saint ? Réponse spontanée d’un adulte : un personnage exceptionnel, canonisé, qui fait l’objet d’un culte. Réponse délicieuse d’un enfant à cette même question : les saints sont de grandes statues en plâtre, debout, sur un piédestal.
Si vous considérez la littérature pieuse et de pure dévotion particulièrement peu crédible, on dira que les saints révèlent leur vocation exceptionnelle dès leur plus tendre enfance et même parfois avant leur naissance. Mais la sainteté officiellement reconnue débute au IVe siècle. Au commencement étaient les martyrs… Tout au long de l’histoire, les critères ont évolué selon les papes et selon les périodes. La reconnaissance de la sainteté fut d’abord populaire, vox populi, vox Dei. Elle fut ensuite épiscopale, puis enfin papale. Et le terme « canonisé » n’apparaît qu’au début du XIe siècle (1016).
Il y a aussi une géographie de la sainteté canonisée et des politiques de canonisation. Depuis quelques années, par exemple, dans la ligne de la promotion du laïcat suscitée par Vatican II, Rome se préoccupe davantage de la canonisation de saints laïcs.
Cette histoire ne manque pas de surprises. Ainsi, Jeanne d’Arc, jugée d’abord par une centaine de prélats et de théologiens, qui l’ont condamnée à être brûlée vive, après avoir théologiquement établi qu’elle était – selon les termes mêmes de l’époque – : « menteresse, abuseresse du peuple, blasphémeresse de Dieu, idolâtre, cruelle, dissolue, invocateresse de diables, hérétique et schismatique ». Elle fut cependant béatifiée en 1909 et canonisée en 1920. Comme l’écrivait un historien : « Portée au bûcher au nom de l’orthodoxie, elle a été ensuite portée sur les autels au nom de l’orthodoxie ».
Tout cela n’est pas sans intérêt. Mais ce qui doit surtout nous intéresser aujourd’hui c’est la sainteté ordinaire. Il y a les héros, il y a aussi les fantassins. C’est cette sainteté qui nous concerne tous et directement, parce qu’il s’agit d’abord et avant tout d’une vocation commune.
Strictement, Dieu seul est saint. La Bible le proclame et le répète. Mais elle proclame et répète aussi au nom du Seigneur : « Vous serez saints, parce que je suis saint ». Ou encore : « Soyez saints, car je suis saint », « Sanctifiez-vous et soyez saints », « Soyez parfaits, comme votre Père céleste est parfait », dira Jésus. Et S. Paul : « Dieu nous éduque pour nous communiquer sa sainteté ».
Si par la foi, qui est un amour, nous entrons en communication avec Dieu qui est sainteté parfaite, celle-ci se communiquera à nous dans la mesure même où grandira notre communion avec lui. « Dis-moi qui tu hantes, et je te dirai qui tu es ». Plus nous nous laissons envahir par l’Esprit de Dieu, et donc du Christ, plus nous lui sommes fidèles, plus nous lui ressemblons, plus nous progressons en sainteté.
La vocation normale du chrétien n’est pas de se contenter de ce qui est strictement nécessaire ou prescrit. La foi est un dynamisme d’amour. Sa qualité se juge à la qualité de la communion et de ce qui en découle dans le comportement personnel et social.
Tout combat et toute initiative qui nous font sortir de la médiocrité est croissance de la sainteté. Elle est une union toujours plus grande à Dieu dans le Christ, et donc une participation de plus en plus consciente à la vie de Jésus.
Ce qui veut dire aussi que nous ne sommes pas tous appelés à la même sainteté, c’est-à-dire au même type d’union au Christ, ni à la même plénitude de vie chrétienne, ou à la même perfection de la charité. Est saint ou sainte, celui ou celle qui, dans les limites de ses caractéristiques propres, de ses qualités et des circonstances personnelles, s’ouvre à la Bonne Nouvelle et se conforme au Christ.
Il est donc totalement faux de croire que les saints canonisés par l’Eglise le sont à cause de grâces extraordinaires, comme le don de miracles et de prophétie, ou des faveurs mystiques spéciales. Les saints ne sont pas non plus des totalement « parfaits ». En fait, il n’y a pas de différence essentielle entre la sainteté héroïque et la sainteté commune. Ce sont des hommes et des femmes qui s’efforcent au jour le jour et en tout d’être fidèles à l’amour de Dieu et du prochain. « Il y eut des saints, même canonisés, de tempérament un peu rude pour eux et pour les autres », faisait remarquer le cardinal Salliège. Et un Abbé trappiste ajoutait : « Parfois, ce ne sont pas les saints que l’on devrait canoniser, mais ceux qui vivent avec eux »… Avouez que c’est très réconfortant pour nous.
Mgr Fulton Sheen, un grand spirituel qui fut archevêque de New York, affirmait tout simplement : « L’homme de Dieu ne dépense pas plus d’énergie pour vivre en saint que n’en dépensent le directeur d’une agence de publicité, un athlète ou une femme qui veut à tout prix rester jeune et mince. La différence réside seulement dans le sens des valeurs ». C’est donc à la portée de tous.
C’est en partageant la Parole et le Pain dans la célébration eucharistique que nous constituons par excellence le peuple saint, celui qui est rassemblé par l’amour et qui le rayonne dans la vie quotidienne.

P. Fabien Deleclos, franciscain (T)

 

LA CRÉATION

30 octobre, 2017

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LA CRÉATION

Publié le 19 juillet 2017 par Pierre-Yves

La création
Dès la première ligne de la Genèse, nous lisons ceci : « Au commencement Dieu créa les cieux et la terre ».
Dieu est le commencement de toutes choses. Pour créer le monde et tout ce qui nous entoure, il fallait que Dieu existe déjà. La bible ne nous parle pas de sa naissance, car chose incroyable, Dieu existe de toute éternité. Lorsque tout était néant, et qu’il n’y avait pas d’autres formes de vie, Dieu était déjà là. C’est une réalité qui nous dépasse, mais sur laquelle nous allons revenir dans un prochain article.

Par le pouvoir de sa parole, Dieu a créé le ciel, la terre, et tout ce qu’ils renferment, et chose étonnante, il a caché des indices partout dans la création pour nous aider à remonter jusqu’à lui.
Ainsi, de même qu’il est possible d’authentifier une œuvre d’art grâce à certaines techniques d’analyse, de même nous pouvons aujourd’hui identifier le Dieu créateur en contemplant l’ensemble de sa création. Il a marqué de son empreinte l’œuvre de ses mains.
D’après le psalmiste, « Les cieux racontent la gloire de Dieu, Et l’étendue manifeste l’œuvre de ses mains ». Psaumes 19 v. 2
L’immensité du ciel qui s’étend à perte de vue, est un langage qui nous parle, et nous révèle la gloire de Dieu, et son infini grandeur.
Au crépuscule, l’horizon se teinte de rouge, de mauve, et de rose, comme une fête de feux d’artifices, avant de retomber finalement dans la nuance.
La voûte céleste est comme un écran géant sur lequel est projeté le spectacle époustouflant des boules nuageuses bleu-gris qui s’étendent parfois sur plusieurs kilomètres.
La nuit, le ciel change de robe, et s’illumine de milliers d’étoiles pour nous offrir un spectacle hors du commun.
Ces différentes mises en scènes de l’étendue céleste, manifestent la gloire d’un Dieu, artiste créateur, qui sait mélanger les styles avec goût, et avec élégance.
En effet, les perfections invisibles de Dieu, sa puissance éternelle et sa divinité, se voient comme à l’œil, depuis la création du monde, quand on les considère dans ses ouvrages. Romains 1 v. 20
Dieu a laissé suffisamment d’indices dans l’ensemble de sa création pour nous permettre de voir à l’œil nu sa gloire qui s’étend à perte de vue.
Il y a une parfaite coordination des cycles, des époques, et des saisons. Le soleil sait à quelle heure se lever, et se coucher, les oiseaux savent à quel moment migrer. Chaque chose arrive en son temps, la faune et la flore obéissent à des lois invisibles, et cette harmonie dans l’univers rend possible la vie sur terre. Ecclésiaste 3 v. 11
Il fait toute chose bonne en son temps.
La beauté de la flore sauvage avec son assortiment de couleurs, la diversité des espèces animales, et la variété du monde végétal. Dieu a dessiné les contours, composé les couleurs, et intégré la multiplicité pour réaliser cette toile vivante, et de grandeur nature que nous pouvons admirer partout autour de nous.
L’abondance du sol et les ressources inépuisables de notre planète nous renseignent sur la richesse d’un Dieu qui donne avec largesse. Aggée 2 v. 8
L’argent est à moi, et l’or est à moi, dit l’Éternel des armées
Malgré pourtant, l’usure du temps, ainsi que les dérèglements et les perturbations climatiques, malgré le déséquilibre de l’écosystème, qui sont les conséquences du péché de l’homme, la terre n’a rien perdu de sa beauté.
Vue de l’espace, notre planète apparaît toute bleue, avec ses continents entourés d’eau. En effet, les océans, les mers, les lacs, les fleuves, et les rivières recouvrent environ 75 % de la surface totale du globe.
Malgré sa taille infime par rapport au reste de l’univers, la planète bleue est l’objet d’une attention particulière de la part du Dieu de la création.
L’immensité de l’univers et les milliards d’étoiles de notre galaxie, révèlent un Dieu créateur, dont l’infini sagesse ne font aucun doute.
D’un bout à l’autre de la bible, Dieu se révèle comme le créateur de toutes choses.
Apocalypse 4 v. 11 : Tu es digne, notre Seigneur et notre Dieu, de recevoir la gloire et l’honneur et la puissance ; car tu as créé toutes choses, et c’est par ta volonté qu’elles existent et qu’elles ont été créées.
Colossiens 1 v. 16 : Car en lui ont été créées toutes les choses qui sont dans les cieux et sur la terre, les visibles et les invisibles, trônes, dignités, dominations, autorités. Tout a été créé par lui et pour lui.

HOMÉLIE DU 30E DIMANCHE ORDINAIRE A

27 octobre, 2017

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Mt. 22, 34-40

HOMÉLIE DU 30E DIMANCHE ORDINAIRE A

Ex 22, 20-26 ; 1 Th 1, 5c-10 ; Mt 22, 34-40

Une question peut paraître simple, mais la réponse ne l’est pas nécessairement. Rappelez-vous celle posée à Jésus par un jeune homme riche : « Maître, que dois-je faire de bon pour avoir la vie éternelle ? ». – Et bien, garde les commandements. – Mais lesquels ?, réplique le jeune homme. Et Jésus lui en cite six, en commençant par l’interdit du meurtre et en terminant par : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même »
Pour les experts de la Loi qui veulent piéger Jésus, la question est différente. Il s’agit de savoir quel est l’essentiel de la vie, le plus grand des commandements de la Loi. Ce qui, à l’époque, faisait l’objet de nombreuses discussions qui s’envenimaient en querelles d’écoles et d’interprétation. Pourquoi ? Parce que dans la Bible, les dix commandements ne se présentent pas en dix lignes, comme jadis dans notre petit catéchisme. Ils ont été détaillés, précisés, et donc gonflés par des prescriptions légales, sociales, rituelles et dévotionnelles.
Chez les Hébreux, les dix commandements, ou plus exactement les dix paroles, ont finalement été fixées à 613 commandements, dont 248 positifs et 365 négatifs. Au risque de noyer les commandements les plus essentiels sous un déluge d’obligations secondaires, ou même tout à fait marginales.
Par exemple, le premier des 248 commandements positifs, c’est de croire en l’existence de Dieu. Et le deuxième : d’affirmer son unité. D’où, négativement : 1. L’interdiction de croire en d’autres dieux ; 2. De faire une idole sculptée. Mais interdiction aussi, au numéro 4 de sculpter la statue d’un être humain. Même dans un but esthétique, pas d’images, pas de représentations de Dieu.
C’est un commandement positif, au numéro 80, de payer une offrande pour un garçon premier né. Et le numéro 81 lui est semblable, mais contrairement à ce que vous pouvez penser, ce n’est pas une offrande pour la première fille, mais pour le premier né de l’âne. Cet animal étant, faut-il le préciser, le plus précieux et le plus utile à l’époque.
Aimer son prochain, aimer l’étranger, sont les commandements positifs situés en 206e et 207e position. Au numéro 39, la Loi interdit à une femme de porter des vêtements d’hommes. Et la 40e prescription interdit à un homme de porter des vêtements de femmes. Comme dans toutes les religions, on mêle aisément les habitudes, et même les modes d’ordre culturel, avec des exigences religieuses.
Jésus, lui, ne va pas s’enliser dans les discussions habituelles où l’on coupe les cheveux en quatre. Il va tout simplement rappeler à ce docteur de la Loi le texte primitif du premier grand commandement. D’ailleurs, ils le connaissent très bien, puisqu’il fait partie de la prière que tout juif adulte et de sexe masculin est tenu de réciter deux fois par jour, « en se couchant et en se levant ». Aujourd’hui encore. « Ecoute Israël, l’Eternel est notre Dieu. L’Eternel est Un… Sh’ma Israël… « .
Ce que Jésus y ajoute aussitôt, c’est le précepte de l’amour du prochain, qu’il présente comme « semblable au premier ». Deux inséparables. Ce qui est une innovation et une surprise. Dans l’Ancien Testament, en effet, le deuxième est énoncé séparément et noyé dans un ensemble très complexe. Bien que déjà certains grands maîtres pharisiens enseignaient comme Règle d’or : « Ce que tu n’aimes pas qu’on te fasse, ne le fais pas à ton prochain. Telle est toute la Tora, la Loi. Le reste n’est que commentaire. »
Jésus va encore plus loin. Depuis lors, le test absolu de nos relations avec Dieu, c’est notre comportement envers nos frères et sœurs humains. Il n’y en a pas d’autre. L’apôtre Jean traduira : « Comment dire que j’aime Dieu que je ne vois pas, alors que je n’aime pas mon frère que je vois » (1 Jn 4, 20).
Il suffit donc d’aimer, dira-t-on. Mais qu’est-ce que cela signifie concrètement face à tous les défis contemporains : Emigration, chômage, famine, violence, injustice. Il ne suffit pas de proclamer de beaux principes ni d’utiliser des formules émouvantes. La pratique, inséparable du double commandement, vise la conversion du coeur, parce que c’est là que naissent et s’enracinent la plupart des maux, tels que l’exploitation des faibles, l’abus de pouvoir, les taux usuraires, les chantages. Et tant de formes de violences physiques, verbales, psychologiques, et les violences économiques, si nombreuses et dévastatrices aujourd’hui.
C’est le cœur converti qui inspire les initiatives et les actions humaines pour en développer la fécondité, l’efficacité et le rayonnement. C’est ainsi que l’amour de Dieu et du prochain rejoint la justice, en même temps que l’action sociale et politique dans laquelle il s’incarne et leur fait porter du fruit. Voyez ces vieux textes de la première lecture. Ils nous plongent d’emblée dans notre propre actualité en évoquant le problème de l’émigration et ses tragiques conséquences :  » Tu ne maltraiteras point l’immigré qui vit chez toi. Tu ne l’opprimeras pas. Car vous avez été vous-mêmes en Egypte. Ne l’oubliez pas « . Et qui oserait jurer aujourd’hui que nous ne seront pas les immigrés de demain ?

P. Fabien Deleclos, franciscain (T)
1925 – 2008

LETTRE DU PAPE JEAN-PAUL II AUX ARTISTES – 1999

26 octobre, 2017

http://w2.vatican.va/content/john-paul-ii/fr/letters/1999/documents/hf_jp-ii_let_23041999_artists.html

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création du monde

LETTRE DU PAPE JEAN-PAUL II AUX ARTISTES – 1999

À tous ceux qui, avec un dévouement passionné,
cherchent de nouvelles «épiphanies» de la beauté
pour en faire don au monde
dans la création artistique.

«Dieu vit tout ce qu’il avait fait : cela était très bon» (Gn 1, 31).

L’artiste, image de Dieu Créateur
1. Personne mieux que vous artistes, géniaux constructeurs de beauté, ne peut avoir l’intuition de quelque chose du pathos avec lequel Dieu, à l’aube de la création, a regardé l’œuvre de ses mains. Un nombre infini de fois, une vibration de ce sentiment s’est réfléchie dans les regards avec lesquels, comme les artistes de tous les temps, fascinés et pleins d’admiration devant le pouvoir mystérieux des sons et des paroles, des couleurs et des formes, vous avez contemplé l’œuvre de votre inspiration, y percevant comme l’écho du mystère de la création, auquel Dieu, seul créateur de toutes choses, a voulu en quelque sorte vous associer.
Pour cette raison, il m’a semblé qu’il n’y avait pas de paroles plus appropriées que celles de la Genèse pour commencer la lettre que je vous adresse, à vous auxquels je me sens lié par des expériences qui remontent très loin dans le temps et qui ont marqué ma vie de façon indélébile. Par cet écrit, j’entends emprunter le chemin du dialogue fécond de l’Église avec les artistes qui, en deux mille ans d’histoire, ne s’est jamais interrompu et qui s’annonce encore riche d’avenir au seuil du troisième millénaire.
En réalité, il s’agit d’un dialogue qui non seulement est dû aux circonstances historiques ou à des motifs fonctionnels, mais qui s’enracine aussi bien dans l’essence même de l’expérience religieuse que dans celle de la création artistique. La première page de la Bible nous présente Dieu quasiment comme le modèle exemplaire de toute personne qui crée une œuvre : dans l’homme artisan se reflète son image de Créateur. Cette relation est évoquée avec une évidence particulière dans la langue polonaise, grâce à la proximité lexicale entre les mots stwórca (créateur) et twórca (artisan).
Quelle est la différence entre «créateur» et «artisan» ? Celui qui crée donne l’être même, il tire quelque chose de rien – ex nihilo sui et subiecti, dit- on en latin -, et cela, au sens strict, est une façon de procéder propre au seul Tout-Puissant. À l’inverse, l’artisan utilise quelque chose qui existe déjà et il lui donne forme et signification. Cette façon d’agir est propre à l’homme en tant qu’image de Dieu. Après avoir dit, en effet, que Dieu créa l’homme et la femme «à son image» (cf. Gn 1, 27), la Bible ajoute qu’il leur confia la charge de dominer la terre (cf. Gn 1, 28). Ce fut le dernier jour de la création (cf. Gn 1, 28-31). Les jours précédents, scandant presque le rythme de l’évolution cosmique, le Seigneur avait créé l’univers. À la fin, il créa l’homme, résultat le plus noble de son projet, auquel il soumit le monde visible, comme un immense champ où il pourra exprimer sa capacité inventive.
Dieu a donc appelé l’homme à l’existence en lui transmettant la tâche d’être artisan. Dans la «création artistique», l’homme se révèle plus que jamais «image de Dieu», et il réalise cette tâche avant tout en modelant la merveilleuse «matière» de son humanité, et aussi en exerçant une domination créatrice sur l’univers qui l’entoure. L’Artiste divin, avec une complaisance affectueuse, transmet une étincelle de sa sagesse transcendante à l’artiste humain, l’appelant à partager sa puissance créatrice. Il s’agit évidemment d’une participation qui laisse intacte la distance infinie entre le Créateur et la créature, comme le soulignait le Cardinal Nicolas de Cues : «L’art de créer qu’atteindra une âme bienheureuse n’est point cet art par essence qui est Dieu, mais bien de cet art une communication et une participation(1).
C’est pourquoi plus l’artiste est conscient du «don» qu’il possède, plus il est incité à se regarder lui-même, ainsi que tout le créé, avec des yeux capables de contempler et de remercier, en élevant vers Dieu son hymne de louange. C’est seulement ainsi qu’il peut se comprendre lui-même en profondeur, et comprendre sa vocation et sa mission.
La vocation spéciale de l’artiste
2. Tous ne sont pas appelés à être artistes au sens spécifique du terme. Toutefois, selon l’expression de la Genèse, la tâche d’être artisan de sa propre vie est confiée à tout homme : en un certain sens, il doit en faire une œuvre d’art, un chef-d’œuvre.
Il est important de saisir la distinction, mais aussi le lien, entre ces deux versants de l’activité humaine. La distinction est évidente. Une chose, en effet, est la disposition grâce à laquelle l’être humain est l’auteur de ses propres actes et est responsable de leur valeur morale; autre chose est la disposition par laquelle il est artiste, c’est-à-dire qu’il sait agir selon les exigences de l’art, en accueillant avec fidélité ses principes spécifiques(2). C’est pourquoi l’artiste est capable de produire des objets, mais cela, en soi, ne dit encore rien de ses dispositions morales. Ici, en effet, il ne s’agit pas de se modeler soi-même, de former sa propre personnalité, mais seulement de faire fructifier ses capacités créatives, donnant une forme esthétique aux idées conçues par la pensée.
Mais si la distinction est fondamentale, la relation entre ces deux dispositions, morale et artistique, n’est pas moins importante. Elles se condi tionnent profondément l’une l’autre. En modelant une œuvre, l’artiste s’ex prime de fait lui-même à tel point que sa production constitue un reflet particulier de son être, de ce qu’il est et du comment il est. On en trouve d’innombrables confirmations dans l’histoire de l’humanité. En effet, quand l’artiste façonne un chef-d’œuvre, non seulement il donne vie à son œuvre, mais à travers elle, en un certain sens, il dévoile aussi sa propre personnalité. Dans l’art, il trouve une dimension nouvelle et un extraordinaire moyen d’expression pour sa croissance spirituelle. À travers les œuvres qu’il réalise, l’artiste parle et communique avec les autres. L’histoire de l’art n’est donc pas seulement une histoire des œuvres, elle est aussi une histoire des hommes. Les œuvres d’art parlent de leurs auteurs, elles introduisent à la connaissance du plus profond de leur être et elles révèlent la contribution originale qu’ils ont apportée à l’histoire de la culture.
La vocation artistique au service de la beauté
3. Un poète polonais connu, Cyprian Norwid, écrit : «La beauté est pour susciter l’enthousiasme dans le travail, / le travail est pour renaître(3).
Le thème de la beauté est particulièrement approprié pour un discours sur l’art. Il a déjà affleuré quand j’ai souligné le regard satisfait de Dieu devant la création. En remarquant que ce qu’il avait créé était bon, Dieu vit aussi que c’était beau(4). Le rapport entre bon et beau suscite des réflexions stimulantes. La beauté est en un certain sens l’expression visible du bien, de même que le bien est la condition métaphysique du beau. Les Grecs l’avaient bien compris, eux qui, en fusionnant ensemble les deux concepts, forgèrent une locution qui les comprend toutes les deux : «kalokagathía», c’est-à-dire «beauté-bonté». Platon écrit à ce sujet : «La vertu propre du Bien est venue se réfugier dans la nature du Beau(5).
C’est en vivant et en agissant que l’homme établit ses relations avec l’être, avec la vérité et avec le bien. L’artiste vit une relation particulière avec la beauté. En un sens très juste, on peut dire que la beauté est la vocation à laquelle le Créateur l’a appelé par le don du «talent artistique». Et ce talent aussi est assurément à faire fructifier, dans la logique de la parabole évangélique des talents (cf. Mt 25, 14-30).
Nous touchons ici un point essentiel. Celui qui perçoit en lui-même cette sorte d’étincelle divine qu’est la vocation artistique – de poète, d’écrivain, de peintre, de sculpteur, d’architecte, de musicien, d’acteur… – perçoit en même temps le devoir de ne pas gaspiller ce talent, mais de le développer pour le mettre au service du prochain et de toute l’humanité.
L’artiste et le bien commun
4. La société, en effet, a besoin d’artistes, comme elle a besoin de scienti fiques, de techniciens, d’ouvriers, de personnes de toutes professions, de témoins de la foi, de maîtres, de pères et de mères, qui garantissent la croissance de la personne et le développement de la communauté à travers cette très haute forme de l’art qu’est «l’art de l’éducation». Dans le vaste panorama culturel de chaque nation, les artistes ont leur place spécifique. Lorsque précisément, dans la réalisation d’œuvres vraiment valables et belles, ils obéissent à leur inspiration, non seulement ils enrichissent le patrimoine culturel de chaque nation et de l’humanité entière, mais ils rendent aussi un service social qualifié au profit du bien commun.
Tout en déterminant le cadre de son service, la vocation différente de chaque artiste fait apparaître les devoirs qu’il doit assumer, le dur travail auquel il doit se soumettre, la responsabilité qu’il doit affronter. Un artiste conscient de tout cela sait aussi qu’il doit travailler sans se laisser dominer par la recherche d’une vaine gloire ou par la frénésie d’une popularité facile, et encore moins par le calcul d’un possible profit personnel. Il y a donc une éthique, et même une «spiritualité», du service artistique, qui, à sa manière, contribue à la vie et à la renaissance d’un peuple. C’est justement à cela que semble vouloir faire allusion Cyprian Norwid quand il affirme : «La beauté est pour susciter l’enthousiasme dans le travail, / le travail est pour renaître».
L’art face au mystère du Verbe incarné
5. La Loi de l’Ancien Testament interdit explicitement de représenter Dieu invisible et inexprimable à l’aide d’«une image taillée ou fondue» (Dt 27, 15), car Dieu transcende toute représentation matérielle : «Je suis celui qui est» (Ex 3, 14). Toutefois, le Fils de Dieu en personne s’est rendu visible dans le mystère de l’Incarnation : «Quand vint la plénitude des temps, Dieu envoya son Fils, né d’une femme» (Ga 4, 4). Dieu s’est fait homme en Jésus Christ, qui est devenu ainsi «le centre par rapport auquel il faut se situer pour pouvoir comprendre l’énigme de l’existence humaine, du monde créé et de Dieu lui- même(6).
Cette manifestation fondamentale du «Dieu-Mystère» constitue un encouragement et un défi pour les chrétiens, entre autres dans le domaine de la création artistique. Il en est sorti une floraison de beauté qui a tiré sa sève précisément de là, du mystère de l’Incarnation. En se faisant homme, en effet, le Fils de Dieu a introduit dans l’histoire de l’humanité toute la richesse évangélique de la vérité et du bien, et, en elle, a révélé aussi une nouvelle dimension de la beauté : le message évangélique en est totalement rempli.
La Sainte Écriture est devenue ainsi une sorte d’«immense vocabulaire» (P. Claudel) et d’«atlas iconographique» (M. Chagall), où la culture et l’art chrétien ont puisé. L’Ancien Testament lui-même, interprété à la lumière du Nouveau, s’est avéré source inépuisable d’inspiration. À partir des récits de la création, du péché, du déluge, du cycle des Patriarches, des événements de l’Exode, jusqu’à tant d’autres épisodes et personnages de l’histoire du salut, le texte biblique a enflammé l’imagination de peintres, de poètes, de musiciens, d’auteurs de théâtre et de cinéma. Une figure comme celle de Job, pour prendre un exemple, avec sa problématique brûlante et toujours actuelle de la souffrance, continue à susciter à la fois l’intérêt philosophique et l’intérêt littéraire et artistique. Et que dire du Nouveau Testament ? De la Nativité au Golgotha, de la Transfiguration à la Résurrection, des miracles aux enseignements du Christ, jusqu’aux événements rapportés par les Actes des Apôtres ou entrevus par l’Apocalypse dans une perspective eschatologique, d’innombrables fois la parole biblique s’est faite image, musique, poésie, évoquant par le langage de l’art le mystère du «Verbe fait chair».
Dans l’histoire de la culture, tout cela constitue un vaste chapitre de foi et de beauté. Ce sont surtout les croyants qui en ont bénéficié pour leur expérience de prière et de vie. Pour beaucoup d’entre eux, en des époques de faible alphabétisation, les expressions imagées de la Bible constituèrent même des moyens catéchétiques concrets(7). Mais pour tous, croyants et non-croyants, les réalisations artistiques inspirées par l’Écriture demeurent un reflet du mystère insondable qui enveloppe et habite le monde.
Entre l’Évangile et l’art, une alliance féconde
6. En effet, chaque intuition artistique authentique va au-delà de ce que perçoivent les sens et, en pénétrant la réalité, elle s’efforce d’en interpréter le mystère caché. Elle jaillit du plus profond de l’âme humaine, là où l’aspiration à donner un sens à sa vie s’accompagne de la perception fugace de la beauté et de la mystérieuse unité des choses. C’est une expérience partagée par tous les artistes que celle de l’écart irrémédiable qui existe entre l’œuvre de leurs mains, quelque réussie qu’elle soit, et la perfection fulgurante de la beauté perçue dans la ferveur du moment créateur : ce qu’ils réussissent à exprimer dans ce qu’ils peignent, ce qu’ils sculptent, ce qu’ils créent, n’est qu’une lueur de la splendeur qui leur a traversé l’esprit pendant quelques instants.
Le croyant ne s’en étonne pas : il sait que s’est ouvert devant lui pour un instant cet abîme de lumière qui a en Dieu sa source originaire. Faut-il s’étonner si l’esprit en reste comme écrasé au point de ne savoir s’exprimer que par des balbutiements ? Nul n’est plus prêt que le véritable artiste à reconnaître ses limites et à faire siennes les paroles de l’Apôtre Paul, selon lequel Dieu «n’habite pas dans des temples faits de mains d’homme», de même que «nous ne devons pas penser que la divinité soit semblable à de l’or, de l’argent ou de la pierre, travaillés par l’art et le génie de l’homme» (Ac 17, 24. 29). Si déjà la réalité profonde des choses se tient toujours «au-delà» des capacités de pénétration humaine, combien plus Dieu dans les profondeurs de son mystère insondable !
La connaissance de foi est d’une tout autre nature : elle suppose une rencontre personnelle avec Dieu en Jésus Christ. Toutefois, cette connaissance peut, elle aussi, tirer avantage de l’intuition artistique. Les œuvres de Fra Angelico, par exemple, sont un modèle éloquent d’une contemplation esthétique qui est sublimée dans la foi. Non moins significative est à ce sujet la lauda extatique, que saint François d’Assise reprend deux fois dans la chartula rédigée après avoir reçu sur le mont de l’Alverne les stigmates du Christ : «Tu es beauté… Tu es beauté !(8). Saint Bonaventure commente : «Il contemplait dans les belles choses le Très Beau et, en suivant les traces imprimées dans les créatures, il poursuivait partout le Bien-Aim(9).
Une approche semblable se rencontre dans la spiritualité orientale, où le Christ est qualifié de «Très Beau en beauté plus que tous les mortels(10). Macaire le Grand commente ainsi la beauté transfigurante et libératrice du Ressuscité : «L’âme qui a été pleinement illuminée par la beauté indicible de la gloire lumineuse du visage du Christ, est remplie du Saint Esprit,… n’est qu’œil, que lumière, que visage(11).
Toute forme authentique d’art est, à sa manière, une voie d’accès à la réalité la plus profonde de l’homme et du monde. Comme telle, elle constitue une approche très valable de l’horizon de la foi, dans laquelle l’existence humaine trouve sa pleine interprétation. Voilà pourquoi la plénitude évangélique de la vérité ne pouvait pas ne pas susciter dès le commencement l’intérêt des artistes, sensibles par nature à toutes les manifestations de la beauté intime de la réalité.
Les origines
7. L’art que le christianisme rencontra à ses origines était le fruit mûr du monde classique, il en exprimait les canons esthétiques et en même temps il en véhiculait les valeurs. La foi imposait aux chrétiens, dans le domaine de l’art comme dans celui de la vie et de la pensée, un discernement qui ne permettait pas la réception automatique de ce patrimoine. L’art d’inspiration chrétienne commença ainsi en sourdine, étroitement lié au besoin qu’avaient les croyants d’élaborer des signes pour exprimer, à partir de l’Écriture, les mystères de la foi, et en même temps un «code symbolique», à travers lequel ils pourraient se reconnaître et s’identifier, spécialement dans les temps difficiles des persécutions. Qui ne se souvient de ces symboles qui furent aussi les premières esquisses d’un art pictural et plastique ? Le poisson, les pains, le pasteur, évoquaient le mystère en devenant, presque insensiblement, les ébauches d’un art nouveau.
Quand, par l’édit de Constantin, il fut accordé aux chrétiens de s’exprimer en pleine liberté, l’art devint un canal privilégié de manifestation de la foi. En divers lieux commencèrent à fleurir des basiliques majestueuses dans lesquelles les canons architectoniques du paganisme ancien étaient repris et en même temps soumis aux exigences du nouveau culte. Comment ne pas rappeler au moins l’ancienne Basilique Saint-Pierre et celle de Saint Jean de Latran, construites aux frais de Constantin lui-même ? Ou, pour les splendeurs de l’art byzantin, la Haghia Sophía de Constantinople, voulue par Justinien ?
Alors que l’architecture dessinait l’espace sacré, le besoin de contempler le mystère et de le proposer de façon immédiate aux gens simples conduisit progressivement aux premières expressions de l’art pictural et sculptural. En même temps apparurent les premières esquisses d’un art de la parole et du son; et si Augustin, parmi les nombreux thèmes de ses œuvres, incluait un De musica, Hilaire, Ambroise, Prudence, Éphrem le Syrien, Grégoire de Nazianze, Paulin de Nole, pour ne citer que quelques noms, se faisaient les promoteurs d’une poésie chrétienne qui atteint souvent une haute valeur non seulement théologique mais aussi littéraire. Leur programme poétique mettait en relief des formes héritées des classiques, mais il puisait à la pure sève de l’Évangile, comme le déclarait à juste titre le saint poète de Nole : «Notre unique art est la foi et le Christ est notre chant(12). Quelque temps plus tard, Grégoire le Grand, pour sa part, avec la compilation de l’Antiphonarium, posait les prémisses du développement organique de la musique sacrée si originale qui a pris son nom. Par ses modulations inspirées, le chant grégorien deviendra au cours des siècles l’expression mélodique typique de la foi de l’Église durant la célébration liturgique des Mystères sacrés. Le «beau» se conjuguait ainsi avec le «vrai», afin qu’à travers les chemins de l’art les esprits soient transportés de ce qui est sensible à l’éternel.
Les moments difficiles ne manquèrent pas tout au long de ce chemin. Précisément à propos de la représentation du mystère chrétien, la période antique connut une controverse très dure, qui passa dans l’histoire sous le nom de «querelle iconoclaste». Les images sacrées, qui s’étaient largement répandues dans la dévotion populaire, furent l’objet d’une violente contestation. Le Concile célébré à Nicée en 787 fut un événement historique, non seulement du point de vue de la foi mais aussi pour la culture, en décidant la licéité des images et du culte qui les entourent. Pour régler la controverse, les Évêques firent appel à un argument décisif : le mystère de l’Incarnation. Si le Fils de Dieu est entré dans le monde des réalités visibles, en jetant par son humanité un pont entre le visible et l’invisible, il est loisible de penser, de manière analogue, qu’une représentation du mystère peut être employée, dans la logique des signes, comme une évocation sensible du mystère. L’icône n’est pas vénérée pour elle-même, mais elle renvoie au sujet qu’elle représente(13).
Le Moyen Âge
8. On fut témoin, au cours des siècles suivants, d’un grand développement de l’art chrétien. En Orient, l’art de l’icône continua à fleurir. Cet art reste lié à des canons théologiques et esthétiques précis, et il est sous-tendu par la conviction que, en un certain sens, l’icône est un sacrement: en effet, d’une manière analogue à ce qui se réalise dans les sacrements, elle rend présent le mystère de l’Incarnation dans l’un ou l’autre de ses aspects. C’est précisément pour cela que la beauté de l’icône peut surtout être appréciée à l’intérieur d’une église avec les lampes qui brûlent et jettent dans la pénombre d’infinis reflets de lumière. Pavel Florenski écrit à ce propos: «L’or, barbare, lourd, futile dans l’éclat du plein jour, se ravive sous la lueur vacillante d’une lampe ou d’une bougie, car il brille alors de myriades d’étincelles qui jettent leurs feux ici ou là et font pressentir d’autres lumières, non terrestres, qui remplissent l’espace céleste» (14).
En Occident, les artistes partent de points de vue extrêmement variés, en fonction des convictions de fond présentes dans le milieu culturel de leur temps. Le patrimoine artistique s’est enrichi au cours des siècles et compte une abondante éclosion d’œuvres d’art sacré qui témoignent d’une haute inspiration et remplissent d’admiration même l’observateur d’aujourd’hui. Les grands édifices du culte demeurent au premier plan; leur caractère fonctionnel se marie toujours au génie, et celui-ci se laisse inspirer par le sens de la beauté et l’intuition du mystère. Il en est résulté des styles bien connus dans l’histoire de l’art. La force et la simplicité de l’art roman, exprimées dans les cathédrales et les abbayes, se développeront graduellement, donnant les formes élancées et les splendeurs du gothique. Derrière ces formes, il n’y a pas seulement le génie d’un artiste, mais l’âme d’un peuple. Dans les jeux d’ombre et de lumière, dans les formes tour à tour puissantes et élancées, interviennent, certes, des considérations de technique structurale, mais aussi des tensions propres à l’expérience de Dieu, mystère qui suscite «crainte» et «fascination». Comment résumer en quelques traits, et pour les diverses formes de l’art, la puissance créatrice des longs siècles du Moyen Âge chrétien ? Une culture entière, tout en restant dans les limites toujours présentes de l’humain, s’était imprégnée de l’Évangile et, là où la pensée théologique aboutissait à la Somme de saint Thomas, l’art des églises poussait la matière à se plier à une attitude d’adoration du mystère, tandis qu’un poète admirable comme Dante Alighieri pouvait composer «le poème sacré, / où le ciel et la terre ont mis la main(15), ainsi qu’il qualifiait lui-même la Divine Comédie.
Humanisme et Renaissance
9. L’heureux climat culturel d’où a germé l’extraordinaire floraison artistique de l’Humanisme et de la Renaissance a eu également une influence significative sur la manière dont les artistes de cette période ont abordé les thèmes religieux. Bien évidemment, leur inspiration est tout aussi variée que leurs styles, du moins en ce qui concerne les plus grands d’entre eux. Mais il n’est pas dans mes intentions de vous rappeler ces choses que vous, artistes, connaissez bien. Je voudrais plutôt, vous écrivant du Palais apostolique, véritable écrin de chefs-d’œuvre peut-être unique au monde, me faire l’interprète des grands artistes qui ont déployé ici les richesses de leur génie, souvent pétri d’une grande profondeur spirituelle. D’ici, parle Michel-Ange, qui, dans la Chapelle Sixtine, a pour ainsi dire recueilli tout le drame et le mystère du monde, depuis la Création jusqu’au Jugement dernier, donnant un visage à Dieu le Père, au Christ Juge, à l’homme qui chemine péniblement depuis les origines jusqu’au terme de l’histoire. D’ici, parle le génie délicat et profond de Raphaël, montrant, à travers la variété de ses peintures, et spécialement dans la «Controverse» qui se trouve dans la salle de la Signature, le mystère de la révélation du Dieu Trinitaire, qui, dans l’Eucharistie, se fait le compagnon de l’homme et projette sa lumière sur les questions et les attentes de l’intelligence humaine. D’ici, de la majestueuse Basilique consacrée au Prince des Apôtres, de la colonnade qui se détache d’elle comme deux bras ouverts pour accueillir l’humanité, parlent encore un Bramante, un Bernin, un Borromini, un Maderno, pour ne citer que les plus grands; ils donnent, à travers les formes plastiques, le sens du mystère qui fait de l’Église une communauté universelle, accueillante, une mère et une compagne de voyage pour tout homme qui cherche Dieu.
Dans cet ensemble extraordinaire, l’art sacré a trouvé une expression d’une exceptionnelle puissance, atteignant des sommets d’une impérissable valeur tout autant esthétique que religieuse. Ce qui le caractérise toujours davantage, sous l’impulsion de l’Humanisme et la Renaissance, puis des tendances de la culture et de la science qui ont suivi, c’est un intérêt croissant pour l’homme, pour le monde, pour la réalité de l’histoire. En elle-même, cette attention n’est en aucune manière un danger pour la foi chrétienne, centrée sur le mystère de l’Incarnation et donc sur la valorisation de l’homme par Dieu. Les grands artistes que je viens de citer nous le montrent bien. Qu’il suffise de penser comment Michel-Ange, dans ses peintures et ses sculptures, exprime la beauté du corps humain(16).
En outre, même dans le nouveau climat de ces derniers siècles, où une partie de la société semble devenue indifférente à la foi, l’art religieux n’a jamais interrompu son élan. Cette constatation se confirme si, des arts figuratifs, nous en venons à considérer le grand développement qu’a connu, dans le même laps de temps, la musique sacrée, composée pour répondre aux exigences de la liturgie ou liée seulement à des thèmes religieux. En dehors de tant d’artistes qui se sont très largement consacrés à la musique sacrée – comment ne pas mentionner au moins un Pier Luigi da Palestrina, un Roland de Lassus, un Tomás Luis de Victoria ? -, on sait que beaucoup de grands compositeurs – de Händel à Bach, de Mozart à Schubert, de Beethoven à Berlioz, de Listz à Verdi – nous ont donné des œuvres d’une très grande inspiration dans ce domaine.
Vers un renouveau du dialogue
10. Il est vrai cependant que, dans la période des temps modernes, parallè lement à cet humanisme chrétien qui a continué à être porteur d’expressions culturelles et artistiques de valeur, s’est progressivement développée une forme d’humanisme caractérisée par l’absence de Dieu et souvent par une opposition à Lui. Ce climat a entraîné parfois une certaine séparation entre le monde de l’art et celui de la foi, tout au moins en ce sens que de nombreux artistes n’ont plus eu le même intérêt pour les thèmes religieux.
Vous savez toutefois que l’Église n’a jamais cessé de nourrir une grande estime pour l’art en tant que tel. En effet, même au-delà de ses expressions les plus typiquement religieuses, l’art, quand il est authentique, a une profonde affinité avec le monde de la foi, à tel point que, même lorsque la culture s’éloigne considérablement de l’Église, il continue à constituer une sorte de pont jeté vers l’expérience religieuse. Parce qu’il est recherche de la beauté, fruit d’une imagination qui va au-delà du quotidien, l’art est, par nature, une sorte d’appel au Mystère. Même lorsqu’il scrute les plus obscures profondeurs de l’âme ou les plus bouleversants aspects du mal, l’artiste se fait en quelque sorte la voix de l’attente universelle d’une rédemption.
On comprend donc pourquoi l’Église tient particulièrement au dialogue avec l’art et pourquoi elle désire que s’accomplisse, à notre époque, une nouvelle alliance avec les artistes, comme le souhaitait mon vénéré prédéces seur Paul VI dans le vibrant discours qu’il adressait aux artistes lors de la rencontre spéciale du 7 mai 1964 dans la Chapelle Sixtine(17). L’Église souhaite qu’une telle collaboration suscite une nouvelle «épiphanie» de la beauté en notre temps et apporte des réponses appropriées aux exigences de la commu nauté chrétienne.
Dans l’esprit du Concile Vatican II
11. Le Concile Vatican II a jeté les bases de relations renouvelées entre l’Église et la culture, avec des conséquences immédiates pour le monde de l’art. Il s’agit de relations marquées par l’amitié, l’ouverture et le dialogue. Dans la constitution pastorale Gaudium et spes, les Pères conciliaires ont souligné «la grande importance» de la littérature et des arts dans la vie de l’homme: «Ils s’efforcent en effet de comprendre le caractère propre de l’homme, ses problèmes, son expérience dans ses tentatives pour se connaître et se perfectionner lui-même, pour connaître et perfectionner le monde; ils s’appliquent à mieux saisir sa place dans l’histoire et dans l’univers, à mettre en lumière les misères et les joies, les besoins et les forces de l’homme, et à présenter l’esquisse d’une destinée humaine meilleure(18).
En partant de ces bases, les Pères conciliaires ont, à la clôture des travaux, salué les artistes en leur lançant un appel en ces termes : «Ce monde dans lequel nous vivons a besoin de beauté pour ne pas sombrer dans la désespérance. La beauté, comme la vérité, c’est ce qui met la joie au cœur des hommes, c’est ce fruit précieux qui résiste à l’usure du temps, qui unit les générations et les fait communiquer dans l’admiration(19). C’est précisément dans cet esprit de profonde estime pour la beauté que la constitution Sacrosanctum Concilium sur la liturgie avait rappelé la longue amitié de l’Église pour l’art. Et, en parlant plus spécifiquement de l’art sacré, «sommet» de l’art religieux, ce document n’avait pas hésité à considérer comme un «noble ministère» le travail des artistes quand leurs œuvres sont capables de refléter, en quelque sorte, l’infinie beauté de Dieu et d’orienter l’esprit de tous vers Lui(20). Grâce aussi à leur apport, «la connaissance de Dieu se manifeste mieux, et la prédication de l’Évangile devient plus facile à saisir par l’intelligence des hommes(21). À la lumière de ce qui vient d’être dit, l’affirmation du P. Marie-Dominique Chenu ne nous surprend pas, lui qui considère que l’historien de la théologie ferait œuvre incomplète s’il n’accordait pas l’attention qui leur est due aux réalisations artistiques – qu’elles soient littéraires ou plastiques -, qui constituent, à leur manière, «non seulement des illustrations esthétiques, mais de véritables “lieux” théologiques(22).
L’Église a besoin de l’art
12. Pour transmettre le message que le Christ lui a confié, l’Église a besoin de l’art. Elle doit en effet rendre perceptible et même, autant que possible, fascinant le monde de l’esprit, de l’invisible, de Dieu. Elle doit donc traduire en formules significatives ce qui, en soi, est ineffable. Or, l’art a une capacité qui lui est tout à fait propre de saisir l’un ou l’autre aspect du message et de le traduire en couleurs, en formes ou en sons qui renforcent l’intuition de celui qui regarde ou qui écoute. Et cela, sans priver le message lui-même de sa valeur transcendantale ni de son auréole de mystère.
L’Église a besoin, en particulier, de ceux qui sont en mesure de réaliser tout cela sur le plan littéraire et figuratif, en utilisant les infinies possibilités des images et de leur valeur symbolique. Dans sa prédication, le Christ lui- même a fait largement appel aux images, en pleine harmonie avec le choix de devenir lui-même, par l’Incarnation, icône du Dieu invisible.
Mais l’Église a également besoin des musiciens. Combien de compositions sacrées ont été élaborées, au cours des siècles, par des personnes profondément imprégnées du sens du mystère! D’innombrables croyants ont alimenté leur foi grâce aux mélodies qui ont jailli du cœur d’autres croyants et sont devenues partie intégrante de la liturgie, ou du moins concourent de manière remarquable à sa digne célébration. Par le chant, la foi est expérimentée comme un cri éclatant de joie et d’amour, une attente confiante de l’intervention salvifique de Dieu.
L’Église a besoin d’architectes, parce qu’il lui faut des espaces pour rassembler le peuple chrétien et pour célébrer les mystères du salut. Après les terribles destructions de la dernière guerre mondiale et avec la croissance des métropoles, une nouvelle génération d’architectes s’est formée autour des nécessités du culte chrétien, prouvant ainsi la puissance d’inspiration du thème religieux même au regard des canons architecturaux de notre temps. Souvent, en effet, on a construit des églises qui sont des lieux de prière et, en même temps, d’authentiques œuvres d’art.
L’art a-t-il besoin de l’Église ?
13. Ainsi donc, l’Église a besoin de l’art. Mais peut-on dire que l’art a besoin de l’Église ? La question peut paraître provocante. En réalité, si on l’entend dans son juste sens, elle est légitime et profonde. L’artiste est toujours à la recherche du sens profond des choses, son ardent désir est de parvenir à exprimer le monde de l’ineffable. Comment ne pas voir alors quelle grande source d’inspiration peut être pour lui cette sorte de patrie de l’âme qu’est la religion ? N’est ce pas dans le cadre religieux que se posent les questions personnelles les plus importantes et que se cherchent les réponses existentielles définitives ?
De fait, le religieux est l’un des sujets les plus traités par les artistes de toutes les époques. L’Église a toujours fait appel à leur capacité créatrice pour interpréter le message évangélique et son application concrète dans la vie de la communauté chrétienne. Cette collaboration a été source d’enrichissement spirituel réciproque. En définitive, elle en a retiré comme profit la compréhension de l’homme, de son image authentique, de sa vérité. Cela fait apparaître aussi le lien particulier qui existe entre l’art et la révélation chrétienne. Ce qui ne veut pas dire que le génie humain n’a pas trouvé également des inspirations stimulantes dans d’autres contextes religieux. Il suffit de rappeler l’art antique, spécialement grec et romain; et celui encore florissant des plus anciennes civilisations de l’Orient. Cependant, il reste vrai que le christianisme, en vertu du dogme central de l’incarnation du Verbe de Dieu, offre à l’artiste un univers particulièrement riche de motifs d’inspiration. Quel appauvrissement serait pour l’art l’abandon de la source inépuisable de l’Évangile !
Appel aux artistes
14. Par cette lettre, je m’adresse à vous, artistes du monde entier, pour vous confirmer mon estime et pour contribuer à développer à nouveau une coopé ration plus profitable entre l’art et l’Église. Je vous invite à redécouvrir la profondeur de la dimension spirituelle et religieuse qui en tout temps a caractérisé l’art dans ses plus nobles expressions. C’est dans cette perspective que je fais appel à vous, artistes de la parole écrite et orale, du théâtre et de la musique, des arts plastiques et des technologies de communication les plus modernes. Je fais spécialement appel à vous, artistes chrétiens : à chacun, je voudrais rappeler que l’alliance établie depuis toujours entre l’Évangile et l’art implique, au-delà des nécessités fonctionnelles, l’invitation à pénétrer avec une intuition créatrice dans le mystère du Dieu incarné, et en même temps dans le mystère de l’homme.
Aucun être humain, en un sens, ne se connaît lui-même. Non seulement Jésus Christ révèle Dieu, mais il «manifeste pleinement l’homme à lui- même(23). Dans le Christ, Dieu s’est réconcilié le monde. Tous les croyants sont appelés à rendre ce témoignage; mais il vous appartient, à vous hommes et femmes qui avez consacré votre vie à l’art, de dire avec la richesse de votre génie que, dans le Christ, le monde est racheté : l’homme est racheté, le corps humain est racheté, la création entière est rachetée, elle dont saint Paul a écrit qu’elle «attend avec impatience la révélation des fils de Dieu» (Rm 8, 19). Elle attend la révélation des fils de Dieu même à travers l’art et dans l’art. Telle est votre tâche. Au contact des œuvres d’art, l’humanité de tous les temps – celle d’aujourd’hui également – attend d’être éclairée sur son chemin et sur son destin.
Esprit créateur et inspiration artistique
15. Dans l’Église retentit souvent l’invocation à l’Esprit Saint : Veni, Creator Spiritus… – «Viens, Esprit Créateur, / visite l’âme de tes fidèles / emplis de la grâce d’en haut / les cœurs que tu as créés(24).
L’Esprit Saint, «le Souffle» (ruah), est Celui auquel fait déjà allusion le Livre de la Genèse : «La terre était vide et vague, les ténèbres couvraient l’abîme et le souffle de Dieu agitait la surface des eaux» (Gn 1, 2). Et il existe une telle affinité entre les mots «souffle – expiration» et «inspiration» ! L’Esprit est le mystérieux artiste de l’univers. Dans la perspective du troisième millénaire, je voudrais souhaiter à tous les artistes de pouvoir recevoir en abondance le don des inspirations créatrices dans lesquelles s’enracine toute œuvre d’art authentique.
Chers artistes, vous le savez bien, nombreuses sont les stimulations, intérieures et extérieures, qui peuvent inspirer votre talent. Cependant, toute inspiration authentique renferme en elle-même quelque frémissement de ce «souffle» dont l’Esprit créateur remplissait dès les origines l’œuvre de la création. En présidant aux mystérieuses lois qui régissent l’univers, le souffle divin de l’Esprit créateur vient à la rencontre du génie de l’homme et stimule sa capacité créatrice. Il le rejoint par une sorte d’illumination intérieure, qui unit l’orientation vers le bien et vers le beau, et qui réveille en lui les énergies de l’esprit et du cœur, le rendant apte à concevoir l’idée et à la mettre en forme dans une œuvre d’art. On parle alors à juste titre, même si c’est de manière analogique, de «moments de grâce», car l’être humain a la possibilité de faire une certaine expérience de l’Absolu qui le transcende.
La «Beauté» qui sauve
16. Au seuil du troisième millénaire, je vous souhaite à tous, chers artistes, d’être touchés par ces inspirations créatrices avec une intensité particulière. Puisse la beauté que vous transmettrez aux générations de demain être telle qu’elle suscite en elles l’émerveillement ! Devant le caractère sacré de la vie et de l’être humain, devant les merveilles de l’univers, l’unique attitude adéquate est celle de l’émerveillement.
De cet émerveillement pourra surgir l’enthousiasme dont parle Norwid dans la poésie à laquelle je me référais au début. Les hommes d’aujourd’hui et de demain ont besoin de cet enthousiasme pour affronter et dépasser les défis cruciaux qui pointent à l’horizon. Grâce à lui, l’humanité, après chaque défaillance, pourra encore se relever et reprendre son chemin. C’est en ce sens que l’on a dit avec une intuition profonde que «la beauté sauvera le monde(25).
La beauté est la clé du mystère et elle renvoie à la transcendance. Elle est une invitation à savourer la vie et à rêver de l’avenir. C’est pourquoi la beauté des choses créées ne peut satisfaire, et elle suscite cette secrète nostalgie de Dieu qu’un amoureux du beau comme saint Augustin a su interpréter par des mots sans pareil : «Bien tard, je t’ai aimée, ô Beauté si ancienne et si neuve, bien tard, je t’ai aimée !(26).
Puissent vos multiples chemins, artistes du monde, vous conduire tous à l’Océan infini de beauté où l’émerveillement devient admiration, ivresse, joie indicible !
Puissiez-vous être orientés et inspirés par le mystère du Christ ressuscité, que l’Église contemple joyeusement ces jours-ci !
Et que la Vierge Sainte, la «toute belle», vous accompagne, elle que d’innombrables artistes ont représentée et que le célèbre Dante contemple dans les splendeurs du Paradis comme «beauté, qui réjouissait les yeux de tous les autres saints(27) !
«Du chaos surgit le monde de l’esprit». Partant des mots qu’Adam Mickiewicz écrivait dans une période particulièrement tourmentée pour la patrie polonaise(28), je formule un souhait pour vous : que votre art contribue à l’affermissement d’une beauté authentique qui, comme un reflet de l’Esprit de Dieu, transfigure la matière, ouvrant les esprits au sens de l’éternité !

Avec mes vœux les plus cordiaux !
Du Vatican, le 4 avril 1999, en la Résurrection du Seigneur.

PAPE FRANÇOIS (l’espérance chrétienne avec la réalité de la mort)

25 octobre, 2017

http://w2.vatican.va/content/francesco/fr/audiences/2017/documents/papa-francesco_20171018_udienza-generale.html

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(La pietà, Van Gogh)

PAPE FRANÇOIS (l’espérance chrétienne avec la réalité de la mort)

AUDIENCE GÉNÉRALE

Mercredi 18 octobre 2017

Chers frères et sœurs, bonjour!

Je voudrais aujourd’hui comparer l’espérance chrétienne avec la réalité de la mort, une réalité que notre civilisation moderne tend toujours davantage à effacer. Ainsi, quand la mort arrive, pour ceux qui sont proches de nous ou pour nous-mêmes, nous nous trouvons impréparés, également privés d’un «alphabet» adapté pour trouver des paroles ayant du sens autour de son mystère, qui demeure cependant. Pourtant, les premiers signes de civilisation humaine sont passés précisément à travers cette énigme. Nous pourrions dire que l’homme est né avec le culte des morts.
D’autres civilisations, avant la nôtre, ont eu le courage de la regarder en face. C’était un événement raconté par les personnes âgées aux nouvelles générations, comme une réalité inéluctable qui obligeait l’homme à vivre pour quelque chose d’absolu. Il est dit dans le psaume 90: «Fais-nous savoir comment compter nos jours, que nous venions de cœur à la sagesse!» (v. 12). Compter ses propres jours a pour effet que le cœur devienne sage! Des mots qui nous ramènent à un sain réalisme, en chassant le délire de toute-puissance. Que sommes-nous? Nous ne sommes «presque rien», dit un autre psaume (cf. 88, 48); nos jours s’écoulent rapidement: même si nous devions vivre cent ans, à la fin il nous semblerait que tout n’ait duré que le temps d’un souffle. Très souvent, j’ai entendu des personnes âgées dire: «Ma vie a passé comme un souffle…».
Ainsi, la mort met notre vie à nue. Elle nous fait découvrir que nos actes d’orgueil, de colère et de haine étaient de la vanité: pure vanité. Nous nous apercevons avec regret de ne pas avoir assez aimé et de ne pas avoir cherché ce qui était essentiel. Et, au contraire, nous voyons ce que nous avons semé de vraiment bon: les liens d’affection pour lesquels nous nous sommes sacrifiés, et qui à présent nous tiennent la main.
Jésus a éclairé le mystère de notre mort. Par son comportement, il nous autorise à nous sentir tristes quand une personne chère s’en va. Lui-même fut «profondément» troublé devant la tombe de son ami Lazare, et «il pleura» (Jn 11, 35). Dans cette attitude, nous sentons Jésus très proche, notre frère. Il pleura pour son ami Lazare.
Et alors Jésus prie le Père, source de vie, et il ordonne à Lazare de sortir du sépulcre. Et il advient ainsi. L’espérance chrétienne puise à cette attitude que Jésus prend contre la mort humaine: mais si celle-ci est présente dans la création, elle est cependant une balafre qui défigure le dessein d’amour de Dieu, et le Sauveur veut nous en guérir.
Ailleurs, les Evangiles racontent l’histoire d’un père dont la fille est très malade et qui s’adresse à Jésus avec foi pour qu’il la sauve (cf. Mc 5, 21-24.35-43). Et il n’y a pas de figure plus émouvante que celle d’un père ou d’une mère avec un enfant malade. Et Jésus se met immédiatement en marche avec cet homme, qui s’appelait Jaïre. A un certain moment, quelqu’un arrive de la maison de Jaïre pour dire que la petite fille est morte et qu’il n’y a plus besoin de déranger le Maître. Mais Jésus dit à Jaïre: «Sois sans crainte, aie seulement la foi» (Mc 5, 36). Jésus sait que cet homme est tenté de réagir par la colère et le désespoir, parce que sa petite fille est morte, et il lui recommande de conserver la petite flamme qui est allumée dans son cœur: la foi. «Sois sans crainte, aie seulement la foi». «Sois sans crainte, continue seulement à garder cette flamme allumée!». Et ensuite, arrivés à la maison, il réveillera la petite fille de la mort et la rendra vivante à sa famille.
Jésus nous place sur cette «crête» de la foi. A Marthe, qui pleure pour la disparition de son frère Lazare, il oppose la lumière d’un dogme: «Je suis la résurrection. Qui croit en moi, même s’il meurt, vivra; et quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais. Le crois-tu?» (Jn 11, 25-26). C’est ce que Jésus répète à chacun de nous, à chaque fois que la mort vient déchirer le tissu de la vie et des liens d’affection. Toute notre existence se joue là, entre le versant de la foi et le précipice de la peur. Jésus dit: «Je ne suis pas la mort, je suis la résurrection et la vie, le crois-tu? Crois-tu cela?”. Nous, qui sommes aujourd’hui ici sur la place, le croyons-nous?
Nous sommes tous petits et sans défense devant le mystère de la mort. Mais quelle grâce si, à ce moment-là, nous conservons dans notre cœur la flamme de la foi! Jésus nous prendra par la main, comme il prit par la main la fille de Jaïre, et il répétera encore une fois: «Talitha koum», «Fillette, je te le dis, lève-toi!» (Mc 5, 41). Il nous le dira, à chacun de nous: «Lève-toi, ressuscite!». Je vous invite à présent à fermer les yeux et à penser à ce moment-là: celui de notre mort. Que chacun de nous pense à sa propre mort, et s’imagine ce moment qui viendra, quand Jésus nous prendra par la main et nous dira: «Viens, viens avec moi, lève-toi». L’espérance finira là et ce sera la réalité, la réalité de la vie. Pensez-y bien: Jésus lui-même viendra auprès de chacun de nous et nous prendra par la main, avec sa tendresse, sa douceur, son amour. Et que chacun répète dans son cœur la parole de Jésus: «Lève-toi, viens. Lève-toi, viens. Lève-toi, ressuscite!».
Telle est notre espérance devant la mort. Pour celui qui croit, c’est une porte qui s’ouvre en grand; pour celui qui doute, c’est une raie de lumière qui filtre d’une porte qui ne s’est pas entièrement fermée. Mais pour nous tous ce sera une grâce, quand cette lumière, de la rencontre avec Jésus, nous illuminera.

JEAN PAUL II – AUDIENCE GÉNÉRALE – Ps 92, 1.3-4

23 octobre, 2017

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Dieu créateur, icône russe

JEAN PAUL II – AUDIENCE GÉNÉRALE – Ps 92, 1.3-4

Mercredi 3 juillet 2002

L’exaltation de la puissance de Dieu créateur
Lecture: Ps 92, 1.3-4

1. Le contenu essentiel du Psaume 92, sur lequel nous nous arrêtons aujourd’hui, est exprimé de façon suggestive par plusieurs versets de l’Hymne que la Liturgie des Heures propose pour les Vêpres du lundi: « O immense créateur, / qui as donné un cours et des limites / à l’impétuosité des flots / dans l’harmonie du cosmos, / aux âpres solitudes / de la terre assoiffée / tu as donné la fraîcheur / des torrents et des mers ».
Avant d’entrer dans le coeur du Psaume, qui est dominé par l’image des eaux, nous désirons en saisir la tonalité de base, le genre littéraire qui le détermine. Ce Psaume, en effet, comme les Psaumes 95-98 qui suivent, est défini par les chercheurs de la Bible comme « le chant du Dieu de majesté ». Il exalte le Royaume de Dieu, source de paix, de vérité et d’amour, que nous invoquons dans le « Notre Père » lorsque nous implorons: « Que ton Règne vienne! ».
En effet, le Psaume 92 s’ouvre précisément par une exclamation de joie qui retentit ainsi: « Yahvé règne » (v. 1). Le Psalmiste célèbre la royauté active de Dieu, c’est-à-dire son action efficace et salvifique, créatrice du monde et rédemptrice de l’homme. Le Seigneur n’est pas un empereur impassible, relégué dans un ciel lointain, mais il est présent parmi son peuple comme Sauveur puissant et grand dans l’amour.
2. Dans la première partie de l’hymne de louange trône le Seigneur roi. En tant que souverain, il siège sur un trône de gloire, un trône inébranlable et éternel (cf. v. 2). Son manteau est la splendeur de la transcendance, la ceinture de sa robe est la toute-puissance (cf. v. 1). C’est précisément la souveraineté toute-puissante de Dieu qui se révèle au coeur du Psaume, caractérisé par une image impressionnante, celle des eaux tumultueuses.
Le Psalmiste mentionne plus particulièrement la « voix » des fleuves, c’est-à-dire le fracas de leurs eaux. En effet, le fracas des grandes cascades produit, chez celui qui s’en trouve assourdi et dont tout le corps est saisi d’un frémissement, une sensation de force terrible. Le Psaume 41 évoque cette sensation lorsqu’il dit: « L’abîme appelant l’abîme au bruit de tes écluses, la masse de tes flots et de tes vagues a passé sur moi » (v. 8). Face à cette force de la nature, l’être humain se sent tout petit. Cependant, le Psalmiste l’utilise comme un tremplin pour exalter la puissance, d’autant plus grande, du Seigneur. A la triple répétition de l’expression « les fleuves déchaînent » (cf. Ps 92, 3) leur voix, répond la triple affirmation de la puissance supérieure de Dieu.
3. Les Pères de l’Eglise aiment commenter ce Psaume en l’appliquant au Christ « Seigneur et Sauveur ». Origène, traduit en latin par saint Jérôme, affirme: « Le Seigneur a régné, il s’est revêtu de beauté. C’est-à-dire que celui qui avait tout d’abord tremblé dans la misère de la chair, resplendit à présent dans la majesté de la divinité ». Pour Origène, les fleuves et les eaux qui déchaînent leurs voix représentent les « figures imposantes des prophètes et des apôtres », qui « proclament la louange et la gloire du Seigneur, en annonçant ses jugements pour le monde entier » (cf. 74 homélies sur le livre des Psaumes, Milan 1993, pp. 666.669).
Saint Augustin développe de façon encore plus ample le symbole des torrents et des mers. Comme des fleuves dont les eaux abondantes s’écoulent, c’est-à-dire remplis de l’Esprit Saint et rendus forts, les Apôtres n’ont plus peur et élèvent finalement leur voix. Mais « lorsque le Christ commença à être annoncé par tant de voix, la mer commença à s’agiter ». Dans le bouleversement de la mer du monde,- remarque Augustin – le vaisseau de l’Eglise semblait tanguer de façon effrayante, freiné par des menaces et des persécutions, mais « le Seigneur est admirable en haut »: il « a marché sur la mer et a calmé les flots » (Commentaires sur les psaumes, III, Rome 1976, p. 231).
4. Le Dieu souverain de toute chose, tout-puissant et invincible est, cependant, toujours proche de son peuple, auquel il donne ses enseignements. Telle est l’idée que le Psaume 92 offre dans son dernier verset: au trône très haut des cieux succède le trône de l’arche du temple de Jérusalem, la puissance de sa voix cosmique fait place à la douceur de sa parole sainte et infaillible: « Ton témoignage est véridique entièrement; la sainteté est l’ornement de ta maison, Yahvé, en la longueur des jours » (v. 5).
C’est ainsi que se termine une hymne brève, mais qui possède un grand souffle de prière. Il s’agit d’une prière qui engendre la confiance et l’espérance chez les fidèles qui se sentent souvent agités, craignant d’être renversés par les tempêtes de l’histoire et frappés par des forces obscures qui menacent.
Un écho de ce Psaume peut être reconnu dans l’Apocalypse de Jean, lors-que l’Auteur inspiré, décrivant la grande assemblée céleste qui célèbre la chute de Babylone qui représente l’oppresseur, affirme: « Alors j’entendis comme le bruit d’une foule immense, comme le mugissement des grandes eaux, comme le grondement de violents tonnerres; on clamait: « Alleluia! Car il a pris possession de son règne, le Seigneur, le Dieu Maître-de-tout »" (19, 6).
5. Nous concluons notre réflexion sur le Psaume 92 en laissant la parole à saint Grégoire de Nazianze, le « théologien » par excellence parmi les Pères. Nous le faisons à travers l’un de ses poèmes, dans lequel la louange à Dieu, souverain et créateur, prend un aspect trinitaire: « Toi, [Père] tu as créé l’univers, donnant à chaque chose la place qui lui revient et la conservant en vertu de ta providence…. Ton Verbe est Dieu-Fils: en effet, il est consubstantiel au Père, égal à lui en honneur. Il a accordé l’univers de façon harmonieuse, pour régner sur tout. Et, embrassant tout, l’Esprit Saint, Dieu, a soin de toute chose et les protège. Je te proclamerai, Trinité vivante, seul et unique monarque,… force inébranlable qui règne dans les cieux, regard inaccessible à la vue mais qui contemple tout l’univers et qui connaît chaque anfractuosité secrète de la terre jusqu’aux abysses. Dieu, sois pour moi plein de tendresse. Aide-moi à reconnaître ta miséricorde et ta grâce, car à Toi sont la gloire et la grâce pour les siècles sans fin! » (Carme 31, in: Poésies/1, Rome 1994, pp. 65-66).

HOMÉLIE DU 29E DIMANCHE ORDINAIRE A

20 octobre, 2017

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HOMÉLIE DU 29E DIMANCHE ORDINAIRE A

Is 45, 1, 4-6a ; Ps 95 ; 1 Thess 1, 1-5b ; Mt 22, 15-21

(Prononcée en 2002 en la cathédrale des SS. Michel et Gudule (Bruxelles), les événements cités sont de cette époque)

Thème : « Rien de ce qui est humain ne peut nous être étranger »

En ce dimanche d’octobre qui est, nous a dit très joliment le poète, « le moment de naviguer vers l’âme » (1), nous voici rassemblés pour faire corps dans un temple de beauté, « un lieu d’enchantement », où s’expriment tous les arts, de l’architecture et du vitrail, de la sculpture et de la peinture, de la musique, du chant et de la poésie. Un vrai festival des « arts en fête », où chacun donne couleur et forme à la vie et au message des autres. Et si vous parcourez ici même l’exposition des œuvres d’Arcabas, vous comprendrez pourquoi elle est présentée comme une grâce pour les yeux, l’intelligence et le cœur. D’ailleurs, même l’art dit profane, est un lieu de révélation, enseigne Régine de Charlat. Nous avons de la chance d’être ici. Une occasion privilégiée de réaliser que « le monde a besoin d’artistes (c’est-à-dire d’inspirés), car il a besoin du beau pour comprendre ce qui est bien et pour chercher ce qui est vrai », confesse Jean-Marc Aveline.
Voilà bien une véritable évocation de la Trinité, non pas chrétiennement théologique, mais pleinement cosmique.
Alors, que vient faire ici César ?, cet empereur païen, ses pouvoirs et ses impôts ? D’une certaine manière, il donne l’occasion à Jésus de nous apprendre que rien de ce qui est humain ne peut être étranger à ceux et celles qui se réclament de lui. Rien. Y compris le politique. Car la foi n’est pas seulement une lumière sur le candélabre, elle est tout autant un levain dans la pâte de la société des humains.
Posée à Jésus en son temps, la question de l’impôt était d’une actualité brûlante. Un piège redoutable pour le prophète, confronté à des partis religieux dont les uns courtisaient l’occupant pour en tirer profit, d’autres s’y opposaient au nom d’un nationalisme militant. Ici, leur objectif commun était de se débarrasser du prophète dérangeant.
Aujourd’hui, la situation n’est pas comparable. Par contre, la réponse donnée par Jésus est toujours d’actualité, quel que soit le contexte politique et religieux du moment. Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu… Et à chacun aussi ce qui lui revient, peut-on ajouter. Nous ne sommes pas cependant confronté à un problème purement fiscal. Plus essentiellement, il s’agit des relations entre le Royaume de Dieu et la cité terrestre. Donc, entre foi et politique. Des relations nécessaires, puisque le Royaume de Dieu est semé, vit, germe et se développe dans la société terrestre et non pas au-dessus ni à côté. Il s’y incarne comme une force d’amour, de justice et de paix. Un ferment spirituel.
Jésus n’a jamais pour autant, contrairement parfois à son Eglise, invoqué ni réclamé le moindre pouvoir politique. L’Evangile ne propose pas de programme ni de technique, encore moins de recettes, pour organiser la vie en société. Le Christ ne canonise ni ne satanise aucun régime, aucun parti politique. Il n’est ni monarchiste ni républicain, ni de droite, ni de gauche. Même pas du centre. Par contre, la mission des chrétiens, c’est d’être dans tous les secteurs de la cité terrestre, et donc dans le parti politique de leur choix réfléchi, des témoins et des défenseurs de valeurs qui soient capables de réaliser pleinement « une société digne de la personne humaine », et donc digne de Dieu. Encore faut-il chercher avec d’autres, ensemble, comment les respecter et les vivre dans la mouvance de situations nouvelles, souvent inédites. Ce qui rejoint l’objectif le plus noble de toute « politique » digne de ce nom, qui est l’art d’assurer la vie harmonieuse d’une société.
Mission incontestablement difficile, qui rencontre de nombreuses tentations. Elle est propice à des amalgames et à des confusions, comme nous le révèlent l’histoire du passé comme celle du présent.
Tentation pour le pouvoir politique d’annexer la religion, et de l’utiliser comme une arme de pression, de persuasion et de conquête. Tentation pour les croyants de sous-estimer les enjeux politiques, et donc aussi économiques et culturels. Au risque de négliger, de fuir ou même de mépriser, leurs responsabilités citoyennes, autrement dit politiques, pour se réfugier dans le cocon de la bonne conscience ou d’une piété désincarnée. Or, une spiritualité n’est pas pure intériorité, elle se traduit dans un engagement au niveau de la cité.
Tentation pour le pouvoir séculier de reléguer la foi dans le domaine privé, pour désincarner les religions, les marginaliser, les empêcher de participer au débat démocratique de tous les citoyens.
Tentation des religions et des Eglises, d’utiliser le pouvoir politique pour imposer leurs vues et leurs exigences, alors qu’elles doivent d’abord en témoigner, les exposer, les expliquer, les proposer à la liberté de ceux et celles qui pèlerinent dans l’aventure humaine. On ne dira jamais assez que l’Eglise, c’est-à-dire la communauté des chrétiens, est totalement solidaire de la société de son temps. C’est ce qu’ils prouvent notamment quand ils exercent leurs droits et leurs devoirs de citoyens en attirant l’attention sur les valeurs évangéliques, et donc intensément humaines, à respecter et à défendre, quels que soient leurs choix politiques particuliers. Tous concernés par la vie de la cité, nous avons tous à prendre parti pour le bien commun. Il n’y a pas de cité terrestre digne de ce nom si elle n’est pas constamment préoccupée du respect des droits et devoirs fondamentaux de la personne humaine. Ce n’est pas pour autant le monopole des croyants.
Tout à l’heure, le livre d’Isaïe a évoqué le païen Cyrus, roi des Mèdes et des Perses. Doté d’une grande intelligence politique, il s’est révélé un véritable libérateur, dont celui du peuple juif opprimé par Babylone. Dans toutes ses conquêtes, ce chef de guerre semble s’être révélé comme un modèle de tolérance, soucieux de progrès économique et social. Ce qui a fait dire aux auteurs bibliques que des dirigeants politiques peuvent devenir des instruments providentiels. Le doigt de Dieu. Les signes des temps, traduira Vatican II, sont aussi des signes de Dieu.
La foi n’est certes pas compatible avec n’importe quelle politique. Mais elle peut se vivre et s’affirmer avec différentes opinions politiques. Si « Aucune politique ne peut lier Dieu », toutes ont cependant « des comptes à lui rendre ». A l’époque de Jésus, tous les partis pratiquaient l’amalgame entre le politique et le religieux. Le prophète de Nazareth est venu, au contraire, désacraliser la Terre Sainte et dépolitiser la fidélité de Dieu à son peuple. Il rendait ainsi à la vie politique une légitime autonomie. Ce qui faisait dire récemment au cardinal Danneels que « la sécularisation en tant que telle est irréversible. Ce qui n’est pas tout à fait négatif, car elle vient un peu du christianisme lui-même :  » Rendez à César… « .
Au cours de l’histoire, il est certes arrivé aux chrétiens de négliger, mépriser, combattre, surestimer ou sacraliser le politique. C’est vrai. Il s’agit aujourd’hui de lui reconnaître la place que Jésus lui assigne. Or, aujourd’hui plus que jamais, l’action politique exerce une influence considérable, à tous les niveaux : local, régional, national, continental et mondial, dans tous les domaines où se jouent la vie et la survie de l’humanité. C’est sur ce terrain de la politique que se mesurent aussi, l’authenticité et la qualité de notre foi, notre souci et notre volonté d’incarnation. Car le respect et l’amour du prochain constituent la pierre de touche de l’amour de Dieu. C’est dire la grandeur de la tâche politique.
Bienheureux donc les hommes et les femmes qui, à cause de leur foi, prennent au sérieux leurs responsabilités citoyennes et même s’engagent dans la politique pour y rendre plus effectives et plus vivantes les formes essentielles de l’amour, qui sont le respect, la justice et la paix, inséparables du Bon, du Bien et du Beau. C’est une noble mission que de contribuer, tant soit peu, à bâtir une société digne de l’être humain et par le fait même digne de Dieu.

(1) Roger Foulon, « Cosmogonie », Ed. « Maison de la Poésie d’Amay », 2002.

P. Fabien Deleclos, franciscain (T)

Basilique Saint-Clément, Rome, crypte – Descente aux enfers…

19 octobre, 2017

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 j’ai une carte postale dans mon bréviaire, mais cette image que j’ai prise du web, le Seigneur nous rencontre dans toutes les situations de douleur, d’angoisse, de maladie, de mort, j’ai cette carte postale avec moi, je pense à 2000, me rappelle l’amour de Dieu qui est plus grand que toutes nos douleurs et nos échecs, 

PAPE FRANÇOIS (l’espérance qui est l’attente vigilante) (11 octobre 2017)

18 octobre, 2017

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Jésus notre espoir

PAPE FRANÇOIS (l’espérance qui est l’attente vigilante) (11 octobre 2017)

AUDIENCE GÉNÉRALE

Place Saint-Pierre

Mercredi 11 octobre 2017

Chers frères et sœurs, bonjour!

Aujourd’hui je voudrais m’arrêter sur cette dimension de l’espérance qui est l’attente vigilante. Le thème de la vigilance est l’un des fils conducteurs du Nouveau Testament. Jésus prêche à ses disciples: «Que vos reins soient ceints et vos lampes allumées. Soyez semblables, vous, à des gens qui attendent leur maître à son retour de noces, pour lui ouvrir dès qu’il viendra et frappera» (Lc 12, 35-36). Pendant la période qui suit la résurrection de Jésus, au cours de laquelle s’alternent sans cesse des moments de sérénité et d’autres d’angoisse, les chrétiens ne se reposent jamais. L’Evangile recommande d’être comme des serviteurs qui ne vont jamais dormir, tant que leur maître n’est pas rentré. Ce monde exige notre responsabilité, et nous l’assumons entièrement avec amour. Jésus veut que notre existence soit laborieuse, que nous ne baissions jamais la garde, pour accueillir avec gratitude et étonnement chaque nouveau jour que Dieu nous a donné. Chaque matin est une page blanche que le chrétien commence à écrire avec les œuvres de bien. Nous avons déjà été sauvés par la rédemption de Jésus, mais à présent, nous attendons la pleine manifestation de sa souveraineté: quand finalement Dieu sera tout en tous (cf. 1 Co 15, 28). Rien n’est plus certain, dans la foi des chrétiens, que ce «rendez-vous», ce rendez-vous avec le Seigneur, quand Il viendra. Et quand ce jour arrivera, nous chrétiens, voulons être comme ces serviteurs qui ont passé la nuit avec les flancs ceints et les lampes allumées: il faut être prêts pour le salut qui vient, prêts à la rencontre. Vous-mêmes, avez-vous pensé à comment sera la rencontre avec Jésus quand Il viendra? Mais ce sera une étreinte, une joie immense, une grande joie! Nous devons vivre dans l’attente de cette rencontre!

Le chrétien n’est pas fait pour l’ennui; plutôt pour la patience. Il sait que, même dans la monotonie de certains jours toujours pareils, se cache un mystère de grâce. Il y a des personnes qui, par la persévérance de leur amour, deviennent comme des puits qui irriguent le désert. Rien n’arrive en vain, aucune situation dans laquelle un chrétien se trouve plongé n’est complètement réfractaire à l’amour. Aucune nuit n’est longue au point de faire oublier la joie de l’aurore. Et plus la nuit est obscure, plus l’aurore est proche. Si nous restons unis à Jésus, le froid des moments difficiles ne nous paralyse pas; et même si le monde entier prêchait contre l’espérance, s’il disait que l’avenir n’apportera que de sombres nuées, le chrétien sait que, dans ce même avenir, se trouve le retour du Christ. Quand cela arrivera-t-il? Personne ne le sait, mais la pensée qu’au terme de notre histoire il y a Jésus miséricordieux, suffit pour avoir confiance et ne pas maudire la vie. Tout sera sauvé. Tout. Nous souffrirons, il y aura des moments qui susciteront la colère et l’indignation, mais la douce et puissante mémoire du Christ chassera la tentation de penser que cette vie est une erreur.

Après avoir connu Jésus, nous ne pouvons faire autre chose que scruter l’histoire avec confiance et espérance. Jésus est comme une maison et nous sommes à l’intérieur, et des fenêtres de cette maison, nous regardons le monde. C’est pourquoi nous ne nous refermons pas sur nous-mêmes, nous ne regrettons pas avec mélancolie un passé que l’on présume doré, mais nous regardons toujours de l’avant, vers un avenir qui n’est pas seulement l’œuvre de nos mains, mais qui est tout d’abord une préoccupation constante de la providence de Dieu. Un jour, tout ce qui est opaque deviendra lumière.

Et pensons que Dieu ne se dément pas lui-même. Jamais. Dieu ne déçoit jamais. Sa volonté à notre égard n’est pas nébuleuse, mais elle est un projet de salut bien tracé: «Dieu veut que tous les hommes soient sauvés et accèdent à la connaissance de la vérité» (1 Tm 2, 4). C’est pourquoi nous ne nous abandonnons pas au cours des événements avec pessimisme, comme si l’histoire était un train dont on a perdu le contrôle. La résignation n’est pas une vertu chrétienne. Comme il n’est pas chrétien de hausser les épaules ou de baisser la tête devant un destin qui nous semble inéluctable.

Celui qui apporte l’espérance au monde n’est jamais une personne soumise. Jésus nous recommande de l’attendre en ne restant pas les bras croisés: «Heureux ces serviteurs que le maître en arrivant trouvera en train de veiller!» (Lc 12, 37). Il n’y a pas de constructeur de paix qui, en fin de compte, n’ait compromis sa paix personnelle, en assumant les problèmes des autres. La personne soumise n’est pas un constructeur de paix, mais elle est paresseuse, quelqu’un qui veut être tranquille. Alors que le chrétien est un constructeur de paix quand il prend des risques, quand il a le courage de prendre des risques pour apporter le bien, le bien que Jésus nous a donné, qu’il nous a donné comme un trésor.
Chaque jour de notre vie, répétons cette invocation que les premiers disciples, dans leur langue araméenne, exprimaient par les paroles Marana tha, et que nous retrouvons dans le dernier verset de la Bible: «Viens Seigneur Jésus!» (Ap 22, 20). C’est le refrain de chaque existence chrétienne: dans notre monde, nous n’avons besoin de rien, si ce n’est d’une caresse du Christ. Quelle grâce si, dans la prière, dans les jours difficiles de notre vie, nous entendons sa voix qui répond et qui nous rassure: «Voici, je viens sans tarder» (Ap 22, 7)!
Je suis heureux de saluer les pèlerins venus de France, de Suisse, du Canada et de République Centrafricaine. Que le doux et puissant souvenir du Christ nous aide à rester vigilants dans l’espérance, attentifs à sa parole. Que Dieu vous bénisse !

MESSAGE DU SAINT PÈRE JEAN PAUL II … À L’OCCASION DE LA FÊTE DE SAINT LUC (18.10)

17 octobre, 2017

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MESSAGE DU SAINT PÈRE JEAN PAUL II … À L’OCCASION DE LA FÊTE DE SAINT LUC

A L’ARCHEVÊQUE-ÉVÊQUE DE PADOUE

A mon Vénéré Frère
Antonio MATTIAZZO
Archevêque-Evêque de Padoue

1. Parmi les titres de gloire de cette Eglise, une grande signification doit être attribuée au rapport particulier qui la lie à la mémoire de l’évangéliste Luc, dont – selon la tradition – elle conserve les reliques dans la splendide basilique Sainte-Justine: trésor précieux et don véritablement singulier, parvenu à travers un chemin providentiel. En effet, saint Luc – selon d’antiques témoignages – mourut en Béotie et fut enterré à Thèbes. De là, comme le rapporte saint Jérôme (cf. De viris ill., VI, I), ses restes furent transportés à Constantinople, dans la basilique des Saints-Apôtres. Par la suite, selon des sources que les recherches historiques mettent à jour actuellement, ils furent transférés à Padoue.
Une occasion propice pour raviver l’attention et la vénération pour cette « présence », qui s’enracine dans l’histoire chrétienne de cette ville, est à présent offerte par la reconnaissance du corps du saint Evangéliste, ainsi que par le Congrès international qui lui est consacré. On a voulu donner à celui-ci une inspiration oecuménique significative, soulignée également par le fait que l’Archevêque orthodoxe de Thèbes, Hieronymos, a demandé de pouvoir recevoir un fragment des reliques, pour le déposer là où, aujourd’hui encore, est vénéré le premier sépulcre de l’Evangéliste.
Les célébrations qui se déroulent à l’occasion du Congrès susmentionné offrent un nouvel élan, afin que cette Eglise bien-aimée qui est à Padoue redécouvre le véritable trésor que saint Luc nous a laissé: l’Evangile et les Actes des Apôtres.
En me réjouissant pour l’engagement pris dans ce sens, je désire m’arrêter brièvement sur certains aspects du message de Luc, afin que cette communauté puisse en tirer des orientations et un encouragement pour son chemin spirituel et pastoral.
2. Ministre de la Parole de Dieu (cf. Lc 1, 2), Luc nous introduit à la connaissance de la lumière discrète, et en même temps pénétrante, qui s’en dégage, en illuminant la réalité et les événements de l’histoire. Le thème de la Parole de Dieu, fil conducteur qui traverse les deux écrits qui composent l’oeuvre de Luc, unifie également les deux époques considérées, le temps de Jésus et le temps de l’Eglise. Racontant presque l’ »histoire de la Parole de Dieu », le récit de Luc en suit la diffusion, de la Terre Sainte jusqu’aux extrémités du monde. Le chemin proposé par le troisième Evangile est profondément marqué par l’écoute de cette parole qui, comme une semence, doit être accueillie avec bonté et ouverture de coeur, en surmontant les obstacles qui l’empêchent de prendre racine et de porter du fruit (cf. Lc 8, 4-15).
Un aspect important souligné par Luc est le fait que la parole de Dieu croît mystérieusement et s’affirme également à travers la souffrance et dans un contexte d’oppositions et de persécutions (cf. Ac 4, 1-31; 5, 17-42; passim.). La parole présentée par saint Luc est appelée à devenir, pour chaque génération, un événement spirituel capable de renouveler l’existence. La vie chrétienne, suscitée et soutenue par l’Esprit, est un dialogue interpersonnel qui se fonde précisément sur la parole que le Dieu vivant nous adresse, en nous demandant de l’accueillir sans réserve dans notre esprit et notre coeur. Il s’agit en définitive de devenir des disciples disposés à écouter avec sincérité et disponibilité le Seigneur, à l’exemple de Marie de Béthanie, qui « a choisi la meilleure part » car « assise aux pieds du Seigneur [elle] écoutait sa parole » (cf. Lc 10, 38-42).
Dans cette perspective, je désire encourager, dans le programme pastoral de cette Eglise bien-aimée, la proposition des « Semaines bibliques », l’apostolat biblique et les pèlerinages en Terre Sainte, le lieu où la Parole s’est faite chair (cf. Jn 1, 14). Je voudrais également encourager chacun – les prêtres, les religieux, les religieuses, les laïcs – à pratiquer et à promouvoir la lectio divina, jusqu’à ce que la méditation de l’Ecriture Sainte devienne une partie essentielle de sa propre vie.
3. « Si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il se renie lui-même, qu’il se charge de sa croix chaque jour, et qu’il me suive » (Lc 9, 23).
Pour Luc, être chrétien signifie suivre Jésus sur la voie qu’il parcourt (Lc 19, 57; 10, 38; 13, 22; 14, 25). C’est Jésus lui-même qui prend l’initiative et qui appelle à le suivre, et il le fait de façon décidée, incomparable, en révélant ainsi son identité hors du commun, son mystère de Fils, qui connaît le Père et le révèle (cf. Lc 10, 22). A l’origine de la décision de suivre Jésus se trouve l’option fondamentale en faveur de sa Personne. Si l’on n’a pas été fasciné par le visage du Christ, il est impossible de le suivre avec fidélité et constance, également parce que Jésus marche sur une voie difficile, qu’il pose des conditions extrêmement exigeantes et qu’il se dirige vers un destin paradoxal, celui de la Croix. Luc souligne que Jésus n’aime pas les compromis et demande l’engagement de toute la personne, un détachement ferme de toute nostalgie du passé, des conditionnements familiaux et de la possession des biens matériels (cf. Lc 9, 57-62; 14, 26-33).
L’homme sera toujours tenté d’atténuer ces exigences radicales et de les adapter à ses propres faiblesses, où bien d’abandonner le chemin qu’il a entrepris. Mais c’est précisément sur ce point que se décide l’authenticité et la qualité de la vie de la communauté chrétienne. Une Eglise qui vit dans le compromis serait comme le sel qui perd sa saveur (cf. Lc 14, 34-35).
Il faut s’abandonner à la puissance de l’Esprit, capable de communiquer la lumière, et surtout l’amour pour le Christ; il faut s’ouvrir à la fascination intérieure que Jésus exerce sur les coeurs qui aspirent à l’authenticité, en fuyant les demi-mesures. Cela est certes difficile pour l’homme, mais devient possible avec la grâce de Dieu (cf. Lc 18, 27). D’autre part, si suivre le Christ implique que l’on porte chaque jour la Croix, celle-ci devient à son tour un arbre de vie qui conduit à la résurrection. Luc, qui accentue les exigences radicales liées au fait de suivre le Christ, est également l’Evangéliste qui décrit la joie de ceux qui deviennent des disciples du Christ (cf. Lc 10, 20; 13, 17; 19, 6.37; Ac 5, 41; 8, 39; 13, 48).
4. On connaît l’importance que Luc accorde, dans ses récits, à la présence et à l’action de l’Esprit, à partir de l’Annonciation, lorsque le Paraclet descend sur Marie (cf. Lc 1, 35), jusqu’à la Pentecôte, lorsque les Apôtres, inspirés par le don de l’Esprit, reçoivent la force nécessaire pour annoncer dans le monde entier la grâce de l’Evangile (cf. Ac 1, 8; 2, 1-4). C’est l’Esprit Saint qui modèle l’Eglise. Saint Luc a décrit sous les traits de la première communauté chrétienne le modèle que l’Eglise de tous les temps doit refléter: il s’agit d’une communauté unie « en un seul coeur et une seule âme », assidue dans l’écoute de la Parole de Dieu; une communauté qui vit de prière, qui rompt avec joie le pain eucharistique, qui ouvre son coeur aux nécessités des indigents, jusqu’à partager avec eux ses bien matériels (Ac 2, 42-47; 4, 32-37). Chaque renouveau ecclésial devra puiser à cette source inspiratrice le secret de son authenticité et de sa fraîcheur.
A partir de l’Eglise mère de Jérusalem, l’Esprit ouvre les horizons et pousse les Apôtres et les Témoins à atteindre Rome. En arrière-plan de ces deux villes se déroule l’histoire de l’Eglise primitive, une Eglise qui croît et se développe malgré les oppositions qui la menacent de l’extérieur et les crises qui, de l’intérieur, en ralentissent le chemin. Mais, dans tout ce parcours, ce qui importe réellement à Luc est de présenter l’Eglise dans l’essence de son mystère: celui-ci est constitué par la présence éternelle du Seigneur Jésus qui, agissant en celle-ci à travers la force de son Esprit, lui communique réconfort et courage face aux épreuves du chemin au cours de l’histoire.
5. Selon une pieuse tradition, Luc est considéré comme le peintre de l’image de Marie, la Vierge Mère. Mais le véritable portrait que Luc trace de la Mère de Jésus est celui qui ressort des pages de son oeuvre: dans des scènes devenues familières au Peuple de Dieu, il trace une image éloquente de la Vierge. L’Annonciation, la Visitation, la Nativité, la Présentation au Temple, la vie dans la maison de Nazareth, la dispute avec les docteurs et la disparition de Jésus, ainsi que la Pentecôte, ont fourni une vaste matière, au cours des siècles, à la création incessante des peintres, des sculpteurs, des poètes et des musiciens.
Il a donc été prévu, de façon opportune, d’effectuer au cours du Congrès international une réflexion sur le thème de l’art et, dans le même temps, une exposition riche d’oeuvres précieuses a été organisée.
Ce qu’il est toutefois le plus important de saisir est que, à travers des scènes de vie mariale, Luc nous introduit dans l’intériorité de Marie, en nous faisant découvrir, dans le même temps, sa fonction unique dans l’histoire du salut.
Marie est celle qui prononce le « fiat », un « oui » personnel et total à la proposition de Dieu, se définissant la « Servante du Seigneur » (Lc 1, 38). Cette attitude de totale adhésion à Dieu et de disponibilité inconditionnée à sa Parole constitue le modèle le plus élevé de la foi, l’anticipation de l’Eglise comme communauté de croyants.
La vie de foi croît et se développe en Marie dans la méditation sapientielle des paroles et des événements de la vie du Christ (cf. Lc 2, 19.51). Elle « médite dans son coeur » pour comprendre le sens profond des paroles et des faits, l’assimiler et ensuite le communiquer aux autres.
Le Chant du Magnificat (cf. Lc 1, 46-55) manifeste une autre caractéristique importante de la « spiritualité » de Marie: Elle incarne la figure du pauvre, capable de placer totalement sa confiance en Dieu, qui abat les trônes des puissants et élève les humbles.
Luc nous décrit également la figure de Marie dans l’Eglise des premiers temps, en nous la montrant présente au Cénacle dans l’attente de l’Esprit Saint: « Tous [les onze Apôtres] d’un même coeur étaient assidus à la prière avec quelques femmes, dont Marie mère de Jésus, et avec ses frères » (Ac 1, 14).
Le groupe rassemblé dans le Cénacle constitue comme la cellule souche de l’Eglise. En son sein, Marie joue un double rôle; d’une part, elle intercède pour la naissance de l’Eglise à travers l’oeuvre de l’Esprit Saint; de l’autre, elle communique à l’Eglise naissante son expérience de Jésus.
L’oeuvre de Luc propose ainsi à l’Eglise qui est à Padoue un encouragement efficace pour valoriser la « dimen-sion mariale » de la vie chrétienne sur le chemin à la suite du Christ.
6. Une autre dimension essentielle de la vie chrétienne et de l’Eglise, sur laquelle le récit de Luc projette une vive lumière, est celle de la mission évangélisatrice. Luc indique le fondement éternel de cette mission, c’est-à-dire l’unicité et l’universalité du salut opéré par le Christ (cf. Ac 4, 12). L’événement salvifique de la mort-résurrection du Christ ne conclut pas l’histoire du salut, mais marque le début d’une nouvelle phase, caractérisée par la mission de l’Eglise, appelée à communiquer les fruits du salut opéré par le Christ à toutes les nations. C’est pour cette raison que Luc ajoute à l’Evangile, comme une conséquence logique, l’histoire de la mission. C’est le Ressuscité lui-même qui donne aux Apôtres le « mandat » missionnaire: « Alors il leur ouvrit l’esprit à l’intelligence des Ecritures, et il leur dit: « Ainsi est-il écrit que le Christ souffrirait et ressusciterait d’entre les morts le troisième jour, et qu’en son Nom le repentir en vue de la rémission des péchés serait proclamé à toutes les nations, à commencer par Jérusalem. De cela vous êtes témoins. Et voici que moi je vais envoyer sur vous ce que mon Père a promis. Vous donc demeurez dans la ville jusqu’à ce que vous soyez revêtus de la force d’en-haut »" (Lc 24, 45-48).
La mission de l’Eglise commence lors de la Pentecôte « à Jérusalem », pour s’étendre « jusqu’aux extrémités de la terre ». Jérusalem n’indique pas seulement un lieu géographique. Elle a plutôt pour signification le point central de l’histoire du salut. L’Eglise ne part pas de Jérusalem pour l’abandonner mais pour greffer sur l’olivier d’Israël les nations païennes (cf. Rm 11, 17).
La tâche de l’Eglise est d’apporter dans l’histoire le levain du Royaume de Dieu (cf. Lc 13, 20-21). Une tâche exigeante qui est décrite dans les Actes des Apôtres comme un itinéraire difficile et mouvementé, mais confié à des « témoins » plein d’enthousiasme, d’esprit d’entreprise et de joie, disposés à souffrir et à donner leur vie pour le Christ. Cette énergie intérieure leur est communiquée par la communion de vie avec le Ressuscité et par la force de l’Esprit que donne celui-ci.
Quelle grande ressource peut constituer pour l’Eglise qui est à Padoue la confrontation incessante avec le message de l’Evangéliste, dont elle conserve la dépouille mortelle!
7. A la lumière de cette vision de Luc, je souhaite que cette communauté diocésaine, totalement docile au souffle de l’Esprit, sache témoigner avec une audace créative de Jésus-Christ, que ce soit sur son propre territoire, ou, selon sa belle tradition, dans la coopération missionnaire avec les Eglises d’Afrique, d’Amérique latine et d’Asie.
Que cet engagement missionnaire puisse trouver un élan supplémentaire au cours de cette Année jubilaire, qui célèbre les deux mille ans de la naissance du Christ et appelle l’Eglise à un profond renouveau de vie. C’est précisément l’Evangile de Luc qui rapporte le discours avec lequel Jésus, dans la Synagogue de Nazareth, proclame « l’année de grâce du Seigneur », en annonçant le salut comme libération, guérison, bonne nouvelle aux pauvres (cf. Lc 4, 14-20). L’Evangéliste lui-même présentera ensuite la force salvatrice de l’amour miséricordieux du Sauveur dans des pages touchantes, comme celle de la brebis égarée et du fils prodigue (cf. Lc 15).
Notre époque a plus que jamais besoin de cette annonce. J’exprime donc mon fervent encouragement à cette communauté, pour que l’engagement pour la nouvelle évangélisation soit toujours plus fort et incisif. J’exhorte également à poursuivre et à développer les initiatives oecuméniques qui ont été entreprises avec plusieurs Eglises orthodoxes en termes de collaboration au niveau des oeuvres de charité, de la culture théologique, de la pastorale. Que le Congrès international sur saint Luc constitue une étape significative sur le chemin de cette Eglise, en l’aidant à s’enraciner toujours davantage dans le terrain de la Parole de Dieu et à s’ouvrir, avec un élan renouvelé, à la communion et à la mission.
Avec ces voeux, je vous donne de tout coeur, Vénéré Frère, ainsi qu’à ceux qui sont confiés à vos soins pastoraux, une Bénédiction apostolique spéciale.

Du Vatican, le 15 octobre 2000

 

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