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BENOÎT XVI – [L'intercession d'Abraham pour Sodome (Genèse 18: 16-33)]

14 septembre, 2017

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Corner prayer

BENOÎT XVI – [L'intercession d'Abraham pour Sodome (Genèse 18: 16-33)]

AUDIENCE GÉNÉRALE

Place Saint-Pierre

Mercredi 18 mai 2011

Chers frères et sœurs,

Dans les deux dernières catéchèses, nous avons réfléchi sur la prière comme phénomène universel qui — bien que sous des formes diverses — est présente dans les cultures de tous les temps. Aujourd’hui, au contraire, je voudrais commencer un parcours biblique sur ce thème, qui nous aidera à approfondir le dialogue d’alliance entre Dieu et l’homme qui anime l’histoire du salut, jusqu’au sommet, à la parole définitive qui est Jésus Christ. Ce chemin nous conduira à nous arrêter sur certains textes importants et sur des figures exemplaires de l’Ancien et du Nouveau Testament. Ce sera Abraham, le grand patriarche, père de tous les croyants (cf. Rm 4, 11-12.16-17) qui nous offrira un premier exemple de prière, dans l’épisode de l’intercession pour les villes de Sodome et Gomorrhe. Et je voudrais également vous inviter à profiter du parcours que nous entreprendrons au cours des prochaines catéchèses pour apprendre à connaître davantage la Bible, que, j’espère, vous avez chez vous, et au cours de la semaine, à vous arrêter pour la lire et la méditer dans la prière, pour connaître la merveilleuse histoire du rapport entre Dieu et l’homme, entre Dieu qui se communique à nous et l’homme qui répond, qui prie.

Le premier texte sur lequel nous voulons réfléchir se trouve dans le chapitre 18 du Livre de la Genèse; on raconte que la cruauté des habitants de Sodome et Gomorrhe avait atteint son comble, au point qu’une intervention de Dieu était nécessaire pour arrêter le mal qui détruisait ces villes. C’est là qu’intervient Abraham avec sa prière d’intercession. Dieu décide de lui révéler ce qui est sur le point de se produire et lui fait connaître la gravité du mal et ses terribles conséquences, car Abraham est son élu, choisi pour devenir un grand peuple et faire parvenir la bénédiction divine à tout le monde. Sa mission est une mission de salut, qui doit répondre au péché qui a envahi la réalité de l’homme: à travers lui, le Seigneur veut ramener l’humanité à la foi, à l’obéissance, à la justice. Et à présent, cet ami de Dieu s’ouvre à la réalité et au besoin du monde, prie pour ceux qui s’apprêtent à être punis et demande qu’ils soient sauvés.

Abraham présente immédiatement le problème dans toute sa gravité, et dit au Seigneur: «Vas-tu vraiment supprimer le juste avec le pécheur? Peut-être y a-t-il cinquante justes dans la ville. Vas-tu vraiment les supprimer et ne pardonneras-tu pas à la cité pour les cinquante justes qui sont dans son sein? Loin de toi de faire cette chose-là! De faire mourir le juste avec le pécheur, en sorte que le juste soit traité comme le pécheur. Loin de toi! Est-ce que le juge de toute la terre ne rendra pas justice?» (vv. 23-25). A travers ces paroles, avec un grand courage, Abraham place devant Dieu la nécessité d’éviter une justice sommaire: si la ville est coupable, il est juste de condamner son crime et d’infliger la peine mais — affirme le grand patriarche — il serait injuste de punir indifféremment tous les habitants. S’il y a des innocents dans la ville, ceux-ci ne peuvent être traités comme des coupables. Dieu, qui est un juge juste, ne peut agir ainsi, dit à raison Abraham à Dieu.

Cependant, si nous lisons le texte plus attentivement, nous nous rendons compte que la requête d’Abraham est encore plus sérieuse et plus profonde, car il ne se limite pas à demander le salut pour les innocents. Abraham demande le salut pour toute la ville et il le fait en en appelant à la justice de Dieu. En effet, il dit au Seigneur: «Et ne pardonneras-tu pas à la cité pour les cinquante justes qui sont dans son sein?» (v. 24b). En agissant ainsi, il met en jeu une nouvelle idée de justice: non pas celle qui se limite à punir les coupables, comme le font les hommes, mais une justice différente, divine, qui cherche le bien et qui le crée à travers le pardon qui transforme le pécheur, le convertit et le sauve. Avec sa prière, Abraham n’invoque donc pas une justice purement rétributive, mais une intervention de salut qui, tenant compte des innocents, libère de la faute également les impies, en leur pardonnant. La pensée d’Abraham, qui semble presque paradoxale, peut ainsi être synthétisée: on ne peut pas, bien évidemment, traiter les innocents comme les coupables, cela serait injuste, il faut en revanche traiter les coupables comme les innocents, en mettant en œuvre une justice «supérieure», en leur offrant une possibilité de salut, car si les malfaiteurs acceptent le pardon de Dieu et confessent leur faute en se laissant sauver, ils ne continueront plus à faire le mal, ils deviendront eux aussi justes, sans qu’il ne soit plus nécessaire de les punir.

Telle est la requête de justice qu’Abraham exprime dans son intercession, une requête qui se fonde sur la certitude que le Seigneur est miséricordieux. Abraham ne demande pas à Dieu une chose contraire à son essence. Il frappe à la porte du cœur de Dieu en connaissant sa véritable volonté. Assurément, Sodome est une grande ville, cinquante justes semblent peu de chose, mais la justice de Dieu et son pardon ne sont-ils peut-être pas la manifestation de la force du bien, même s’il semble plus petit et plus faible que le mal? La destruction de Sodome devait arrêter le mal présent dans la ville, mais Abraham sait que Dieu a d’autres manières et moyens pour mettre un frein à la diffusion du mal. C’est le pardon qui interrompt la spirale du péché, et c’est exactement ce à quoi Abraham fait appel, dans son dialogue avec Dieu. Et lorsque le Seigneur accepte de pardonner à la ville s’il y trouve cinquante justes, sa prière d’intercession commence à descendre vers les abîmes de la miséricorde divine. Abraham — comme nous nous en rappelons — fait progressivement diminuer le nombre des innocents nécessaires pour le salut: s’ils ne sont pas cinquante, quarante cinq pourraient suffire, et ensuite toujours moins, jusqu’à dix, en continuant avec sa supplication, qui devient presque hardie dans son insistance: «Peut-être n’y en aura-t-il que quarante… trente… vingt… dix…» (cf. vv. 29.30.31.32). Et plus le nombre devient petit, plus grande se révèle et se manifeste la miséricorde de Dieu, qui écoute avec patience la prière, l’accueille et répète à chaque supplication: «je pardonnerai… je ne détruirai pas… je ne ferai» (cf. vv. 26.28.29.30.31.32).

Ainsi, par l’intercession d’Abraham, Sodome pourra être sauve, si on n’y trouve ne serait-ce que dix innocents. Telle est la puissance de la prière. Car à travers l’intercession, la prière à Dieu pour le salut des autres, se manifeste et s’exprime le désir de salut que Dieu nourrit toujours envers l’homme pécheur. En effet, le mal ne peut être accepté, il doit être signalé et détruit à travers la punition: la destruction de Sodome avait précisément cette fonction. Mais le Seigneur ne veut pas la mort du méchant, mais qu’il se convertisse et vive (cf. Ez 18, 23; 33, 11); son désir est toujours celui de pardonner, de sauver, de donner vie, de transformer le mal en bien. Eh bien, c’est précisément ce désir divin qui, dans la prière, devient le désir de l’homme et s’exprime à travers les paroles de l’intercession. Avec sa supplication, Abraham prête sa voix, mais aussi son cœur, à la volonté divine: le désir de Dieu est miséricorde, amour et volonté de salut, et ce désir de Dieu a trouvé en Abraham et dans sa prière la possibilité de se manifester de manière concrète à l’intérieur de l’histoire des hommes, pour être présent là où la grâce est nécessaire. A travers la voix de sa prière, Abraham donne voix au désir de Dieu, qui n’est pas celui de détruire, mais de sauver Sodome, de donner vie au pécheur converti.

C’est ce que veut le Seigneur, et son dialogue avec Abraham est une manifestation prolongée et sans équivoque de son amour miséricordieux. La nécessité de trouver des hommes justes à l’intérieur de la ville devient de moins en moins exigeante et à la fin dix suffiront pour sauver la totalité de la population. Pour quelle raison Abraham s’arrête-t-il à dix, le texte ne le dit pas. Peut-être est-ce un nombre qui indique un noyau communautaire minimum (encore aujourd’hui, dix personnes sont le quorum nécessaire pour la prière publique juive). Quoi qu’il en soit, il s’agit d’un petit nombre, une petite parcelle de bien à partir de laquelle sauver un grand mal. Mais on ne put pas même trouver dix justes à Sodome et Gomorrhe, et la ville fut détruite. Une destruction dont la nécessité est paradoxalement témoignée précisément par la prière d’intercession d’Abraham. Parce que c’est précisément cette prière qui a révélé la volonté salvifique de Dieu: le Seigneur était disposé à pardonner, il souhaitait le faire, mais les villes étaient enfermées dans un mal totalisant et paralysant, sans même un petit nombre d’innocents desquels partir pour transformer le mal en bien. Parce que c’est précisément ce chemin du salut que demandait lui aussi Abraham: être sauvés ne signifie pas simplement échapper à la punition, mais être libérés du mal qui nous habite. Ce n’est pas le châtiment qu’il faut éliminer, mais le péché, ce refus de Dieu et de l’amour qui porte déjà en lui-même le châtiment. Le prophète Jérémie dira au peuple rebelle: «Que ta méchanceté te châtie et que tes infidélités te punissent! Comprends et vois comme il est mauvais et amer d’abandonner Yahvé ton Dieu» (Jr 2, 19). C’est de cette tristesse et de cette amertume que le Seigneur veut sauver l’homme en le libérant du péché. Mais il faut alors une transformation de l’intérieur, quelque point d’appui de bien, un commencement d’où partir pour transformer le mal en bien, la haine en amour, la vengeance en pardon. C’est pourquoi les justes doivent être à l’intérieur de la ville, et Abraham répète sans cesse: «peut-être s’en trouvera-t-il là…». «Là», c’est à l’intérieur de la réalité malade que doit se trouver ce germe de bien qui peut guérir et redonner la vie. C’est une parole qui s’adresse aussi à nous: que dans nos villes se trouve le germe de bien et que nous fassions tout pour qu’il n’y ait pas seulement dix justes pour faire réellement vivre et survivre nos villes et pour nous sauver de cette amertume autour de laquelle il y a l’absence de Dieu. Et dans la réalité malade de Sodome et Gomorrhe ce germe de bien n’existait pas.
Mais la miséricorde de Dieu dans l’histoire de son peuple s’élargit encore davantage. Si pour sauver Sodome il fallait dix justes, le prophète Jérémie dira, au nom du Tout-Puissant, qu’il suffit d’un seul juste pour sauver Jérusalem: «Parcourez les rues de Jérusalem, regardez donc, renseignez-vous, cherchez sur ses places si vous découvrez un homme, un qui pratique le droit, qui recherche la vérité alors je pardonnerai à cette ville» (5, 1). Le nombre a encore diminué, la bonté de Dieu se montre encore plus grande. Et pourtant, cela ne suffit pas encore, la miséricorde surabondante de Dieu ne trouve pas la réponse de bien qu’elle cherche, et Jérusalem tombe sous l’assaut de l’ennemi. Il faudra que Dieu lui-même devienne ce juste. C’est le mystère de l’Incarnation: pour garantir un juste, il se fait homme. Le juste sera toujours là puisque c’est Lui: mais il faut que Dieu lui-même devienne ce juste. L’infini et surprenant amour divin sera pleinement manifesté lorsque le Fils de Dieu se fera homme, le Juste définitif, le parfait Innocent, qui apportera le salut au monde entier en mourant sur la croix, en pardonnant et en intercédant pour ceux qui «ne savent pas ce qu’ils font» (Lc 23, 34). Alors la prière de chaque homme trouvera sa réponse, chacune de nos intercessions sera alors pleinement exaucée.
Chers frères et sœurs, que la supplique d’Abraham, notre père dans la foi, nous enseigne à ouvrir toujours davantage notre cœur à la miséricorde surabondante de Dieu, pour que, dans la prière quotidienne, nous sachions désirer le salut de l’humanité et le demander avec persévérance et avec confiance au Seigneur qui est grand dans l’amour. Merci.