SAINT BONAVENTURE (1217-1274)

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(Dieu dit: « Que la lumière soit » et la lumière fut)

SAINT BONAVENTURE (1217-1274) -

Conférence par Brigitte Boudon

Bonaventure et Thomas d’Aquin, l’un franciscain et l’autre dominicain, sont nommés ensemble maîtres de l’Université de Paris en 1257, lorsque est créé le Collège de la Sorbonne. En dépit d’une complémentarité de leurs perspectives, leurs visées demeurent cependant profondément divergentes en raison d’intuitions fondatrices différentes : saint François et saint Dominique.

I – la Vie de Bonaventure
1217 : naissance de Jean Fidanza en Italie centrale.
1226 : guérison miraculeuse (légende du 0 Buona Ventura !)
1235 – 1242 : Etudes à la Faculté des arts à Paris ( trivium et quadrivium ; trivium (méthode) : grammaire, dialectique, rhétorique ; quadrivium ( contenus ) : arithmétique, géométrie, astronomie, musique)
1243 : entrée de Bonaventure à l’âge de 26 ans chez les Frères Mineurs à Paris
1243 – 1248 : Bonaventure est étudiant en théologie à Paris, sous la régence du maître augustinien Alexandre de Halès
1248 – 1252 : Bonaventure devient bachelier et obtient sa licence de professeur
1252 – 1257 : Bonaventure est maître de théologie à l’Ecole des Frères mineurs. Il écrit le Breviloquium et d’autres traités théologiques.
Le 12 août 1257 : Bonaventure (40 ans) est nommé Maître de la Faculté de théologie de Paris.
1257 : Bonaventure est élu Ministre général de l’ordre des Franciscains. Activité pastorale intense (visites, sermons …) jusqu’à sa mort en 1274. Pendant deux années, 1259 et 1260, retour aux sources et expérience mystique. Il écrit l’Itinerarium mentis in Deum, ou Itinéraire de l’esprit vers Dieu.
1267 – 1273 : deux séjours de Bonaventure à Paris et querelles doctrinales entre Franciscains et Dominicains sur l’entrée d’Aristote à l’Université et le problème du statut de la théologie face à la philosophie.
1273 : Bonaventure cardinal, évêque d’Albano
15 juillet 1274 : mort de Bonaventure au concile de Lyon
1482 : canonisation de Bonaventure
1588 : Saint Bonaventure, Docteur de l’Eglise

Ses œuvres :
. le Breviloquium (traités de théologie) , L’itinerarium ou Itinéraire de l’esprit vers Dieu, Conférences sur les dix commandements, Conférences sur les sept dons de l’Esprit saint, Conférences sur les 6 jours de la création, l’Hexaëmeron.
II – Ce qui le distingue de Saint Thomas
A partir des visions de Bonaventure et de Thomas d’Aquin, deux voies distinctes peuvent se dégager : la voie mystique et la voie spéculative.
. Le Christ comme figure de l’intériorité
Il s’oppose à la théologie positive afin de préserver l’irréductibilité de Dieu et de ce fait, la théologie de Bonaventure débouche sur l’intériorité. La connaissance de Dieu que l’on peut avoir est fonction de l’homme que l’on est. Ce lien mystique entre l’homme et Dieu met en évidence pourquoi le Christ apparaît comme le « prince des philosophes » et le maître par excellence.
Correspondance entre Dieu fait homme de la révélation chrétienne et le fait de devoir passer par l’homme intérieur pour accéder à Dieu. La médiation par le Christ n’est pas l’expression d’une contrainte empêchant de se relier immédiatement et directement à Dieu, mais elle est en réalité l’expression du fait que rien ne peut se faire sans la médiation de l’homme intérieur. Sans le Christ donc, pas d’homme intérieur réalisé.
Bonaventure s’oppose à la théologie rationnelle de Thomas, à laquelle il reproche d’être un intermédiaire superflu entre l’homme et Dieu.
Il opère une refonte complète de la problématique théologique en situant comme enjeu majeur de celle-ci non plus de savoir si Dieu existe ou pas, mais de faire exister l’homme intérieur à travers la figure du Christ. A l’opposition croyance – incroyance, saint Bonaventure substitue le couple intérieur-extérieur, en ayant l’audace de rabattre une certaine forme de théologie spéculative sur le plan de l’extériorité.
. Il s’oriente vers Saint Augustin et le néoplatonisme.
Selon lui, Aristote aurait manqué l’essentiel parce qu’il n’a pas reconnu la théorie des Idées platoniciennes et, de ce fait, a ignoré l’existence d’archétypes de tous les êtres dans l’esprit de Dieu. Il développe une métaphysique de la lumière.
C’est la multiplicité des créatures qui permet de louer Dieu. Le monde sensible est une trace ou un vestige de Dieu. Dieu se reflète dans le monde sensible. Le corps humain est le lieu de la manifestation de l’amour de Dieu. Il est l’expression de Dieu. Saint François reçoit les stigmates de Dieu : l’amour de Dieu imprègne tellement l’âme de Saint François qu’il l’imprime sur son corps.
L’ontologie de la pauvreté : devenir soi-même pauvre et pas seulement aider les pauvres. La classe des pauvres est une 4ème classe, en plus des guerriers, des prêtres et des marchands. La pauvreté constitue l’être franciscain. Elle est le don de soi et l’imitation du Christ. C’est le sens de l’abandon, le don du don. Etre pauvre, c’est être comme Dieu, qui, toujours s’abandonne.
Pour Bonaventure, la pauvreté est l’être de Dieu et pas seulement un idéal mystique.
L’étude n’a qu’un seul but : la mise en pratique de la foi. L’étude confirme et conforte la foi.
Pour Bonaventure, la théologie est une sagesse, une sapience (sapientia, vient de sapor, c’est ce qui donne goût, piment à la vie). Alors que pour Thomas, la théologie est une science.
III – Les deux voies ascendante et descendante de l’Itinerarium
Bonaventure se rend en 1259 au Mont Alverne, là où Saint François reçut les stigmates, grande expérience mystique. Il écrit l’Itinerarium, ouvrage mystique et théologique : la vie chrétienne est un itinéraire ou une voie ; le texte va expliquer la structure du chemin, de l’itinéraire de l’Amour et de la charité.
L’auteur souhaite décrire les chemins de la sagesse chrétienne et montrer comment l’esprit peut s’élever à Dieu, se préparer à l’union mystique. La création est une échelle pour s’élever vers Dieu. Les trois principaux moyens d’élévation à Dieu sont :
. la méditation sur le monde sensible
. la réflexion de l’âme sur elle-même
. la contemplation du Transcendant.
Ces trois degrés se dédoublent en six manières de rejoindre Dieu : par le monde sensible, dans le monde sensible, par notre âme, dans notre âme, par l’idée de l’Etre, dans les processions du Bien.
Exemple de la 1ère étape :
l’homme s’élève à Dieu par lui-même (mouvement ascendant appelé « par ») : il utilise alors les sens extérieurs. Mais les cinq sens ne suffisent pas pour voir Dieu dans le monde, car ils sont trompeurs. Il faut donc un second mouvement qui est descendant, appelé « dans ».
Dieu descend jusqu’à l’homme : ce sont les sens intérieurs et notamment l’imagination. Ce sont les sens charnels convertis par la lumière de Dieu. Quand, par les sens, l’homme s’élève vers Dieu, alors Dieu intervient pour convertir les sens.
L’Itinerarium est composé de sept chapitres :
. les deux premiers parlent de Dieu en fonction du monde sensible, vestige du Créateur ; en dehors de nous : sens extérieurs et sens intérieurs ; corps ou substance corporelle.
. le troisième et le quatrième parlent de Dieu en fonction de l’âme, image de la Trinité ; en nous ; conscience : raison et intellect.
. le cinquième et le sixième parlent de Dieu en fonction de la ressemblance ; au dessus de nous ; substance divine ; intelligence et esprit ; double nom divin : l’Etre et le Bien.
Le dernier en parle comme du terme de l’ascension mystique, dans la ferveur de l’extase

Titres des 7 chapitres de l’Itinerarium :
I. Degrés d’élévation à Dieu et contemplation de Dieu par ses vestiges dans l’univers.
II. Contemplation de Dieu dans ses vestiges à travers le monde sensible.
III. Contemplation de Dieu par son image gravée dans nos facultés naturelles.
IV. Contemplation de Dieu dans son image réformée par les dons de la grâce.
V. Contemplation de l’unité divine par son premier nom : l’Etre
VI. Contemplation de la bienheureuse Trinité dans son nom : le Bien
VII. De l’extase mystique, où notre intelligence se tient en repos, tandis que notre ferveur passe tout entière en Dieu.
Le but ultime de l’Itinéraire est que la volonté humaine s’unisse à la Volonté de Dieu.
La pensée de l’Itinerarium est d’inspiration multiple. Cette pensée est toute franciscaine, puisqu’elle est une mystique d’amour et de paix. Elle est augustinienne, voire platonicienne, puisqu’elle admet un primat du bien, qu’elle adhère aux Idées éternelles, qu’elle n’admet comme vraie philosophie que celle des causes exemplaires. Elle est néo-platonicienne par sa théorie de l’image ou du vestige qui tient lieu de participation.
On peut dire que Bonaventure réinvente le platonisme à partir de son expérience franciscaine. Il s’agit d’une reconstruction personnelle. L’Itinerarium est cette réussite : l’œuvre d’un franciscain qui, fort librement, réécrirait le Banquet, de Platon, l’œuvre d’un mystique qui philosophe.
Saint Bonaventure distingue trois modes de théologie :
. la théologie symbolique ou du bon usage du sensible
. la théologie spéculative ou science.
. la théologie mystique ou sagesse,
d’où les trois étapes : purification (symbolique), méditation (spéculatif),) et contemplation (mystique).

Conclusion
Les différences d’intention et la complémentarité des philosophies de Saint Bonaventure et de Saint Thomas d’Aquin
Ce sont deux philosophies chrétiennes et chaque menace contre la foi les trouve unies pour faire front contre elle.
L’une et l’autre enseignent la création ex nihilo et maintiennent une distance entre l’être en soi et l’être participé. Elles nient formellement que Dieu puisse être vu par la pensée humaine dès cette vie. L’une et l’autre coordonnent l’effort de l’intelligence à l’acte de foi.
Mais elles n’en restent pas moins deux philosophies, l’une se présentant comme une sagesse à la manière augustinienne (platonicienne) et l’autre comme une science (à la manière aristotélicienne). Et c’est sans doute pourquoi dès 1588 Sixte V proclamait, et en 1879 Léon XIII rappelait, qu’ils furent deux à construire la synthèse de la pensée scolastique au Moyen Age et qu’aujourd’hui encore, ils restent deux à la représenter. Deux nourritures et deux lumières. Elles se complètent comme les deux interprétations les plus universelles du christianisme, et c’est parce qu’elles se complètent qu’elles ne peuvent ni s’exclure, ni coïncider.

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