HOMÉLIE DU 19E DIMANCHE ORDINAIRE A
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HOMÉLIE DU 19E DIMANCHE ORDINAIRE A
1 R 19, 9a, 11-13a ; Rm 9, 1-5 ; Mt 14, 22-33
Désespéré ! Le mot n’est pas trop fort quand on lit les douloureuses aventures du prophète Elie. Consacré à Dieu, prédicateur inlassable, il sème le bien et récolte les échecs. Porteur d’un message de miséricorde, c’est l’opposition qu’il rencontre à tous les niveaux. Dieu lui-même semble l’abandonner. La foi du prophète est ébranlée et son espérance à l’agonie. Le doute et la déception le torturent. L’homme sûr et fort est comme anéanti. Des idées de mort peuplent ses rêves. Ce lutteur de Dieu fuit la terre des combats, le peuple qui le délaisse, la haine des grands qui le traque.
L’exode cependant devient pèlerinage et retour aux sources mystérieuses où Dieu se révèle chaque fois et toujours comme le tout autre. Réfugié dans la splendide solitude du Sinaï, le prophète rumine son amertume et vide son cœur qui brûle encore « d’un zèle jaloux pour Yahwé le Dieu des armées ». Le Seigneur ne restera pas insensible à la détresse de son serviteur. Mais ce n’est pas dans la tempête, le tremblement de terre ou le feu, signes de puissance, de menaces et de vengeance, qu’Elie reconnaîtra son consolateur… Ce fut le murmure d’une brise légère. La douceur d’une présence invisible. La discrétion d’un ami. Le silence qui permet de discerner d’imperceptibles appels : « Va, retourne par le même chemin… ». Point n’est question de gémir sur le passé. Une œuvre a été commencée, elle doit être poursuivie. La peur fit place à la foi, et le prophète « partit de là ».
Paul, l’intrépide, a connu lui aussi l’épreuve du doute et la douleur des déceptions. Sa tristesse fut de se voir coupé des siens à cause même de Jésus Christ, de les voir refuser la Bonne Nouvelle, se s’accrocher farouchement à ce qui devait être purifié et transformé.
Paul, un géant du royaume de Dieu, déchiré entre deux fidélités. Non sans peine, il découvrira dans la tradition cet essentiel souvent caché par l’accessoire, et qui ne cesse de produire des choses nouvelles. L’apôtre sortira de la nuit de la foi en prenant appui sur la parole du Christ, comme nous y invite le psaume : « Notre espérance, c’est le Seigneur ! Prenez appui sur sa Parole » (Ps 129).
Le doute et la peur, déceptions et découragements, tentations et faiblesses, font partie intégrante des bagages spirituels du croyant : « Seigneur, sauve-moi ! ». Ce cri de Pierre n’est pas un cri unique. Dans l’évangile de ce jour, on retrouve les grandes lois des réalités de la présence de Dieu et de l’inquiétude des êtres. Jésus lui-même s’est souvent retiré dans le silence et la solitude. Un indispensable et florissant retour aux sources. Dieu est toujours à rencontrer et à découvrir.
C’est « dans la montagne » que Jésus a retrouvé lumière et force pour passer au crible de la fidélité à sa mission les revendications et les espoirs des foules, toujours prêtes à en faire le messie de leur combat nationaliste.
L’Eglise, barque de Pierre, et ceux qui s’y pressent, ne peuvent échapper à l’épreuve des tentations de la peur et du doute. Le Christ peut toujours apparaître comme « un fantôme », et même après l’avoir reconnu et entendu son invitation à venir à sa rencontre, la « certitude » peut subir le choc de l’inquiétude et de la crainte.
Le premier des apôtres, baptisé « le rocher », n’a rien du surhomme né de notre imagination. Choisi pour être fondation de l’Eglise, disciple formé par le Maître, témoin permanent de la Bonne Nouvelle annoncée, compagnon de route du « Fils de l’Homme », Pierre n’en reste pas moins de chair et de sang.
Avec les autres disciples, Simon-Pierre est surpris et bouleversé par la présence insolite de Jésus. Leur confiance sincère mais fragile se transforme en panique, et des cris d’épouvante tiennent lieu de paroles d’accueil. Le mot rassurant du Christ ne suffit pas à calmer leur esprit et leur cœur. Pierre réclame un signe, une preuve… Exaucé par le « Viens », l’apôtre ose, risque, mais en comptant trop sur ses propres forces, la seule crainte du vent fit renaître le doute et jaillir l’angoisse… « Seigneur, sauve-moi ! ». Un cri d’humilité et d’abandon. Une leçon de confiance.
Toute la Bible est appel à l’amour et à la confiance, la foi et l’espérance, mais aussi au réalisme de notre faiblesse et à l’indispensable modestie. Nos barques cherchent la terre ferme, mais elles doivent naviguer par tous les temps. Elles ne peuvent échapper aux assauts des forces aveugles et déchaînées, aux tempêtes et aux orages de tous genres.
Dans la nuit et l’épreuve, les doutes et les déceptions, Dieu souvent semble nous laisser à la solitude et au danger. Et cependant, jamais il ne s’éloigne. Sa voix reste discrète, ses appels résonnent en sourdine… Quand tout semble perdu, il est là, la main tendue, à l’écoute d’un cri d’humilité, d’un appel confiant.
L’invitation au rassemblement eucharistique nous atteint dans l’agitation et les préoccupations du monde, les déceptions de la vie, la nuit de la foi et les tempêtes du doute. La célébration peut être notre Sinaï, le retour aux sources, où Dieu se révèle avec une étonnante discrétion et d’humbles signes. L’eucharistie, c’est la main tendue. Elle est appel à une confiance renouvelée, à un acte de foi qui balaye les hésitations et exorcise la peur.
Le « Journal d’un désespéré » est aussi celui de l’espérance.
P. Fabien Deleclos, franciscain (T)
1925 – 2008
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