HOMÉLIE DU 12E DIMANCHE ORDINAIRE A
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(Thème des lectures)
HOMÉLIE DU 12E DIMANCHE ORDINAIRE A
Jr 20, 10-13 ; Rm 5, 12-15 ; Mt 10, 26-33
Faut-il avoir peur du contenu de nos assiettes et de l’air qu’on respire ? Peut-on manger du poulet « chloré » venu d’Amérique et des légumes transgéniques ? Nous avons certes bien des motifs de nous inquiéter. Mais tous n’ont pas la même gravité. De toute manière, il n’y a pas d’existence humaine sans peur ni angoisse.
La peur est d’ailleurs au menu du repas biblique de ce dimanche. Ainsi, le Père Jérémie vit dans la crainte. Pourquoi ? C’est un prédicateur bien connu, qui ne transige pas avec les exigences d’une foi incarnée. Observateur attentif de l’actualité quotidienne, il a mis en garde ses concitoyens, et en premier lieu les autorités civiles et religieuses, contre leur insouciance face à une situation sociale, politique et religieuse qui se dégrade. Il crie casse-cou à des gens devenus aveugles et insouciants, qui vont droit à la catastrophe. Réaction du public ? Jérémie est chahuté, traité de prophète de malheur, accablé de critiques et même de menaces. Il va se retrouver seul. Il risque la dépression. Il est tellement accablé et découragé qu’il va même déclarer son regret d’être né : « Maudit le jour où je fus enfanté ! ».
Les chrétiens de Syrie, très minoritaires, auxquels s’adresse Matthieu, connaissent eux aussi la peur. Exactement comme beaucoup d’autres, affrontés aux persécutions aujourd’hui. Songez aux chrétiens du Soudan, d’Irak, d’Indonésie, et d’Algérie… où des convertis au christianisme sont condamnés pour « pratique illégale d’un culte non-musulman » (1). A l’époque de Matthieu, les chrétiens de Syrie, qui vivaient au sein du judaïsme, se sentaient isolés, exclus de la société, et donc marginalisés.
Confrontés à ces tensions et à ces risques, certains ont laissé tomber les bras, peut-être même abandonné la foi. D’autres, catéchistes et prédicateurs, ont mis une sourdine aux exigences de l’Evangile pour éviter les défections et ne pas trop heurter les non chrétiens.
Il y a une autre raison qui a pu nourrir l’angoisse de ces premiers chrétiens. Ils sont, en effet, étonnés et déçus, comme nous pourrions encore l’être aujourd’hui, de constater que la mort et la résurrection de Jésus, la proclamation d’un évangile de justice et de paix, n’ont pas vraiment amené la paix ni suscité un monde heureux. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour laquelle ces chrétiens se sont mis à attendre avec impatience et beaucoup de naïveté une seconde et rapide venue du Christ. Dans l’immédiat. Or, la vérité c’est que le Christ demande à chacun de ses disciples d’utiliser sa tête et son cœur, ses mains et ses pieds, ses yeux et tout son être, pour annoncer et incarner l’Evangile dans l’ordinaire de la vie quotidienne. Le Royaume de Dieu commence bien ici-bas. Il grandit et se développe ici-bas. Mais c’est très modestement, par leur vie selon le Christ et conformément à l’Evangile, que les chrétiens hâtent la venue du règne de Dieu, « règne de justice, de vérité et de paix ». Un Royaume d’abord spirituel, intérieur, dont l’accomplissement totalement réalisé n’est pas pour ici-bas.
Il n’empêche que Garaudy, qui n’est pas un « Père » de l’Eglise, avait raison quand il affirmait : « Dieu ne parlera jamais si tu ne lui prêtes pas ta bouche. Dieu n’agira jamais si tu ne lui prêtes pas tes mains ». « Prêtez-moi votre langue, dit le Christ. Et vous verrez le grain mûr entrer dans les greniers du roi.. », prêchait S. Jean Chrysostome dans son homélie sur la moisson abondante. Ce qui signifie que se déclarer en paroles et en actes pour le Christ devant les hommes, c’est évidemment se mouiller. Parfois aussi se compromettre, au risque de heurter de front les intérêts, l’égoïsme, les fausses certitudes des uns et les habitudes des autres, le pouvoir, les privilèges, l’aveuglement ou l’étroitesse d’esprit. Nous sommes très loin d’une religion confortable. Ce qui peut tout naturellement engendrer des inquiétudes, des peurs, et même des angoisses. Ne fût-ce que la peur engendrée par le respect humain, la peur de se compromettre, la peur de s’engager, de perdre de l’argent. Il y a aussi la peur du changement, de la nouveauté, la peur de déplaire. La question est de savoir si nous restons paralysés par nos peurs, ou bien si nous mettons notre confiance en Jésus Christ, vainqueur de toute peur. Même les grands peureux du vendredi saint, ces proches disciples de Jésus, inquiets, terrorisés, prêts à trahir, sont finalement devenus de véritables remueurs de foules, d’intrépides missionnaires, des géants de la foi.
Jésus invite ses disciples à ne pas craindre ceux qui tuent le corps mais ne peuvent pas tuer l’âme, tant il est vrai que nos cheveux sont tous comptés. Mais certains n’en ont plus beaucoup. Ce qui faisait dire avec humour à Michel Quoist en conclusion d’une prière : « C’est vrai, Seigneur, tu penses sans cesse à nous… Donne-moi la grâce de découvrir et de vivre ce que tu as rêvé pour moi… Fais que j’épouse un peu, dans mon attention aux autres, l’attention que tu as pour nous… Seigneur, toi qui fais des crânes chauves, tu fais surtout les vies belles ! ».
P. Fabien Deleclos, franciscain
(1) LLB 04.06.08.
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