VA ET MANGE LE LIVRE (APOCALYPSE 10, EZECHIEL 3)

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VA ET MANGE LE LIVRE (APOCALYPSE 10, EZECHIEL 3)

L’idée qu’il faille manger la Bible, se nourrir de la parole de Dieu, est extrêmement fréquente dans l’Ecriture. Elle est même l’un des fondements de notre pratique chrétienne, puisque le Christ, qui est, d’après l’Evangile de Jean, l’incarnation humaine de la Parole de Dieu, nous a dit : Je suis le pain vivant descendu du Ciel, et aussi : celui qui me mange vivra éternellement. C’est encore ce qu’il dira d’une manière plus imagée, lorsque, lors de son dernier repas, il a invité les disciples à se nourrir d’un pain en disant : prenez et mangez, ceci est mon corps. De même, chaque fois que nous participons à une Sainte Cène, nous répétons devant tous et pour nous-mêmes que le Christ, la Parole de Dieu, est la nourriture essentielle de notre vie.
Or, affirmer que la Bible est comme une nourriture, c’est affirmer beaucoup de choses très justes à son égard.
D’abord qu’elle est source de vie, de force, et de tout ce dont nous avons besoin pour vivre. Il est certain que nous ne sommes pas que des corps, et un être humain digne de ce nom ne peut se contenter de se nourrir physiquement. Nous devons donc manger la Bible, comme l’on dit que l’on dévore un roman, ou que l’on boit les paroles d’un discours qui nous passionne.
Or manger cette Parole, ce n’est pas la regarder de loin, ce n’est pas la lire d’un oeil distrait et rapide, mais vraiment s’en imprégner, la mettre en soi, au plus profond de son âme pour qu’elle devienne en nous une source interne de vie. La grande tradition mystique chrétienne parlait de la manducation de la Parole, c’est-à-dire de l’art de manger, de mâcher la Parole pour en extraire tout le suc nourrissant. Autant que possible, pour être bien nourri, cette Parole de la Bible ne doit pas être mangée comme un sandwich sur le coin d’un bar. Il faut prendre son temps, lire doucement, par petites bouchées, en dégustant chaque phrase, chaque mot et en mâchant bien, tournant et retournant les mots dans notre tête, laissant à chaque affirmation le temps d’exhaler en nous tout son parfum.
De plus, pour être bien nourris, l’idéal n’est pas de ne rien manger pendant un mois puis de tenter de tout rattraper en une fois. Il est bien plus profitable de manger un peu tous les jours. Le même conseil pourrait être donné d’ailleurs à tous ceux qui veulent apprendre à faire de la musique, ou faire du sport, la régularité, et la fréquence sont les seuls moyens de vraiment progresser. Hors de cela, la pratique est difficile, pénible, décevante et peu profitable.
De toute façon, l’action de la lecture de la Bible sur notre vie ne peut (en général) que se voir sur le long terme. On ne devient pas un sportif accompli en courant tout d’un coup un marathon sans avoir rien fait avant. De même, quand on lit la Bible, l’on n’est pas forcément transformé immédiatement. Il ne faut pas croire que l’on y trouve immédiatement ou à chaque fois le texte extraordinaire qui nous peut nous bouleverser, ce n’est que petit à petit que la Bible nous construit, nous transforme, sans qu’il y ait nécessairement de choc, et sans que l’on ait l’impression qu’à vue immédiate cela nous apporte grand chose.
De même, quand nous mangeons, tout n’est pas immédiatement utile. Nous ne pouvons pas dire que telle bouchée, tel repas a constitué telle partie de notre corps, tel muscle, ou telle zone de notre cerveau. Pourtant, physiquement nous ne sommes constitués que de ce que nous avons mangé un jour ou l’autre. Chacune des molécules de notre corps a été un jour ou l’autre dans notre assiette, et est passée par notre bouche. Mais comment et quand ? Nous ne pouvons le dire. Cette parole que nous mangeons agit de même en nous, c’est elle qui nous donne les éléments essentiels à notre construction humaine et spirituelle. C’est elle qui, finalement, nous constitue, nous fait, nous modèle et nous transforme, et cela petit à petit, sans choc, et sans que nous soyons nécessairement bouleversé par tel ou tel passage ou verset.
La comparaison peut d’ailleurs être prolongée utilement par l’idée que quand nous mangeons, en fait, une grande part est rejetée dans quelque lieu secret pour parler comme l’Evangile (Matt 15 :17), ce qui n’est effectivement utile n’est qu’une très infime part que nous ne pouvons discerner à l’avance. Or, celui qui lit la Bible régulièrement sait que souvent le texte ne lui dit rien, qu’il l’ennuie (voire l’agace s’il est un peu indigeste). Mais ce n’est pas grave, il faut le savoir et persévérer, lire beaucoup sans chercher la rentabilité totale pour qu’il reste l’infime part qui, sans que nous nous en rendions compte, va construire et constituer petit à petit en nous une vie nouvelle.
Le lecteur de la Bible est un peu comme l’orpailleur qui doit traiter une immense quantité de gravier pour trouver finalement les quelques infimes paillettes d’un grand prix… mais pour nous c’est encore plus difficile parce que nous ne pouvons même pas toujours désigner où se trouvent les paillettes pour les séparer du reste. Le travail se fait en nous, et il est certain qu’il se fait. Celui qui lit et relit la Bible est petit à petit transformé par elle et trouve dans ce compagnon de son existence une vraie source de force, de joie, de paix et de vie.
Pourquoi pesez-vous de l’argent pour ce qui ne nourrit pas? Pourquoi travaillez-vous pour ce qui ne rassasie pas? Écoutez-moi donc, et vous mangerez ce qui est bon, votre âme se délectera de mets succulents. Prêtez l’oreille, et venez à moi, Écoutez, et votre âme vivra. (Esaïe 55)

Luis Pernot

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