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COMMENTAIRES DE MARIE-NOËLLE THABUT, HABACUC 1, 2-3 ; 2, 2-4
30 septembre, 2016COMMENTAIRES DE MARIE-NOËLLE THABUT, DIMANCHE 2 OCTOBRE 2016
PREMIERE LECTURE – LIVRE DU PROPHÈTE HABACUC 1, 2-3 ; 2, 2-4
1,2 Combien de temps, Seigneur, vais-je appeler, sans que tu entendes ? crier vers toi : « Violence ! », sans que tu sauves ? 1,3 Pourquoi me fais-tu voir le mal et regarder la misère ? Devant moi, pillage et violence ; dispute et discorde se déchaînent. 2,2 Alors le Seigneur me répondit : Tu vas mettre par écrit une vision, clairement, sur des tablettes, pour qu’on puisse la lire couramment. 2,3 Car c’est encore une vision pour le temps fixé ; elle tendra vers son accomplissement, et ne décevra pas. Si elle paraît tarder, attends-la : elle viendra certainement, sans retard. 2,4 Celui qui est insolent n’a pas l’âme droite, mais le juste vivra par sa fidélité.
Le prophète Habacuc n’est plus très à la mode aujourd’hui, mais il l’était certainement à l’époque du Nouveau Testament, puisqu’il y est cité plusieurs fois. Par exemple, la phrase de la Vierge Marie dans le Magnificat : « Je bondis de joie dans le Seigneur, j’exulte en Dieu, mon Sauveur » se trouvait déjà, des siècles auparavant, dans le livre d’Habacuc (Ha 3, 18) ; c’est de lui également que Saint Paul a retenu et cité à plusieurs reprises une phrase si importante pour lui, qui fait partie de notre lecture d’aujourd’hui : « Le juste vivra par sa fidélité » (Rm 1, 17 ; Ga 3, 11) ; ce petit livre vaut donc la peine d’être ouvert ; ce n’est qu’un tout petit livre en effet, trois chapitres seulement, d’environ vingt versets chacun, mais quelle palette de sentiments ! De la complainte à la violence, de l’appel au secours à l’exultation pure ; ses cris de détresse font penser à Job : « Combien de temps, SEIGNEUR, vais-je t’appeler au secours, et tu n’entends pas, crier contre la violence et tu ne délivres pas ! » Mais l’espérance ne le quitte jamais : quand Saint Pierre invite ses lecteurs à la patience, lui aussi reprend une expression inspirée d’Habaquq : « Non, le Seigneur ne tarde pas à tenir sa promesse… » (2 P 3, 9). Les premiers versets ressemblent au livre de Job : « Combien de temps, SEIGNEUR, vais-je appeler sans que tu entendes ? crier vers toi : Violence ! sans que tu sauves ! » C’est un cri de détresse, d’appel au secours, devant le déchaînement de la violence ; mais aussi et surtout le cri de la détresse suprême, celle du silence de Dieu. Ce cri-là est toujours d’actualité. Et ici, comme dans le livre de Job, comme dans beaucoup de psaumes, la Bible ose dire des phrases presque impertinentes, où l’homme se permet de demander des comptes à Dieu. « Combien de temps, SEIGNEUR, vais-je t’appeler au secours, et tu n’entends pas, crier contre la violence, et tu ne délivres pas ! » La violence dont parle Habacuc ici, c’est celle de l’ennemi du moment, Babylone. Il l’appelle « Les Chaldéens », traduisez les armées de Nabuchodonosor. Nous sommes vers 600 avant Jésus-Christ : l’ennemi numéro un, il n’y a pas longtemps encore, c’étaient les Assyriens de Ninive. Mais ils ont été écrasés à leur tour par Babylone qui est désormais la puissance montante au Moyen-Orient. Depuis que le monde est monde, les mêmes horreurs de la guerre se répètent ; on les devine ici : « Pourquoi me fais-tu voir le mal et regarder la misère ? Devant moi, pillage et violence ; dispute et discorde se déchaînent. » Mais Habacuc ne perd pas la foi pour autant. Dans un autre verset, il ajoute : « Je guetterai ce que dira le SEIGNEUR Dieu » ; dans cette expression, il y a au moins deux choses : d’abord c’est le guet du veilleur, assuré que l’aube viendra ; c’est le thème du psaume 129/130 : « Mon âme attend le Seigneur, plus sûrement qu’un veilleur n’attend l’aurore ». Et ce verbe « attendre » veut dire attendre tout de Lui. Dans la phrase « Je guetterai ce que dira le SEIGNEUR Dieu », la première chose, c’est donc la confiance ; la deuxième chose, c’est la conscience que son interpellation est un peu osée : le prophète Habacuc a demandé des comptes à Dieu et il s’attend à être rappelé à l’ordre : « Je guetterai ce que dira le SEIGNEUR Dieu ». Or, chose intéressante, Habacuc ne se fait pas rappeler à l’ordre. La réponse de Dieu ne lui fait aucun reproche ; il l’invite seulement à la patience et à la confiance ; les heures de victoire de l’ennemi ne dureront pas toujours : « Le SEIGNEUR me répondit : Tu vas mettre par écrit une vision, clairement sur des tablettes, pour qu’on puisse la lire couramment. C’est encore une vision pour le temps fixé ; elle tendra vers son accomplissement, et ne décevra pas. Si elle paraît tarder, attends-la : elle viendra certainement, sans retard. » Pour l’instant, Habacuc ne décrit pas la vision elle-même, ce sera l’objet du chapitre suivant ; mais, on s’en doute déjà, il s’agit de la libération de ceux qui, actuellement, sont opprimés. Pour autant, Dieu n’a pas vraiment répondu à la question ; il n’a pas dit pourquoi, à certains moments, il semble devenu sourd à nos prières. Il a seulement réaffirmé une fois de plus qu’il ne nous abandonne jamais… Si bien que le message d’Habacuc semble bien être : dans les épreuves, même les plus terribles, la seule voie possible pour le croyant c’est de garder confiance en Dieu : accepter de ne pas comprendre, mais ne pas accuser Dieu. Toute autre attitude nous détruit : la méfiance à l’égard de Dieu ne nous fait que du mal. C’est probablement l’un des sens de la formule finale de ce texte : « Le juste vivra par sa fidélité » ou, pour le dire autrement, c’est la confiance en Dieu qui nous fait vivre ; le soupçon ou la révolte nous détruit. En revanche, il est permis de crier notre souffrance : si la Bible (dans le livre de Job, comme dans les psaumes), nous fait lire les cris de détresse et même les reproches faits à Dieu, c’est qu’un croyant a le droit de crier sa détresse, son impatience de voir cesser la violence qui l’écrase. Reprenons la dernière phrase : « Celui qui est insolent n’a pas l’âme droite, mais le juste vivra par sa fidélité ». L’insolent, c’est Babylone qui s’enorgueillit de ses conquêtes et qui croit fonder sur elles une prospérité durable ; le juste, lui, sait que Dieu seul fait vivre. A ce sujet, l’exemple le plus célèbre dans l’histoire d’Israël, c’est Abraham : quand il a quitté son pays, sa famille, sur un simple appel de Dieu, il ne savait pas bien où Dieu le conduisait, vers quelle destinée. Quand, encore sur un appel de Dieu, Abraham s’apprêtait à offrir son fils unique, il ne comprenait pas, mais il a continué de faire confiance à celui qui lui a donné ce fils… Et, là encore, sa foi les a fait vivre, lui et son fils (Gn 22). Le texte biblique dit de lui « Abraham eut foi dans le SEIGNEUR et cela lui fut compté comme justice » (Gn 15, 6). Dernière remarque : quand Habacuc parle de Babylone, il dit « les Chaldéens » (entre parenthèses, c’est l’Irak d’aujourd’hui) mais, souvenons-nous, Abraham lui-même était un Chaldéen… or Abraham est qualifié de « juste » par la confiance qu’il a manifestée envers Dieu alors que les Chaldéens, ses compatriotes, quelques siècles plus tard, sont traités d’insolents qui n’ont pas l’âme droite. On peut en déduire que la justice n’est pas une affaire d’origine, de race, ou de circoncision, donc de religion, mais seulement d’attitude du coeur. Nous ferions peut-être bien de nous en souvenir quand nous rencontrons des croyants d’autres religions … ? ——————————-
Compléments – « Tu vas mettre par écrit la vision, bien clairement sur des tablettes » : on écrivait sur des tablettes les textes que l’on souhaitait conserver ; on peut comprendre ici comme une insistance de Dieu : « Mes petits enfants, n’oubliez jamais ». Dieu est silencieux, mais il n’est pas absent, il reste à nos côtés – « Je guetterai ce que dira le SEIGNEUR » : Le rôle du prophète est d’être un guetteur. Ezéchiel emploie le même mot pour dire sa vocation : « Fils d’homme, je t’établis guetteur pour la maison d’Israël ; quand tu entendras une parole venant de ma bouche, tu les avertiras de ma part. » (Ez 3,17 // 33, 7).
HOMÉLIE DU 27E DIMANCHE ORDINAIRE C
30 septembre, 2016http://parolesdudimanche.blogs.lalibre.be/
HOMÉLIE DU 27E DIMANCHE ORDINAIRE C
Ha, 2-3 ; 2,2-4 ; 2 Tm 6-8, 13-14 ; c 17, 5-10
(Prononcée en 1995 en la cathédrale des SS. Michel et Gudule (Bruxelles), pour la reprise des messes festives, dites des Artistes. Thème : « Dans les parvis de la maison du Père ». Les événements cités sont de cette époque)
Hier soir, sur toutes les chaînes de télévision, des présentateurs-vedettes ont annoncé les dernières nouvelles, parmi lesquelles, comme très souvent, de mauvaises nouvelles. « Le bonheur se vend mal », disait le commissaire Navarro. Ouvrons la Bible, ce n’est pas mieux. N’avez-vous pas remarqué que Monsieur Habacuc, « menthe aquatique » pour les intimes, et présentateur-vedette de l’émission biblique dans la liturgie de ce jour, est exactement du même tonneau. Son journal parlé, daté de six siècles avant Jésus-Christ est resté parfaitement actuel : « Pillages et violences, disputes et discordes se déchaînent ». C’est l’abomination. Et Dieu semble sourd et impuissant. Il en est même qui le soupçonnent de complicité, puisqu’il semble rester insensible aux cris et aux prières de ceux qui l’appellent au secours. Ouvrons le « Journal intime » de Jérémie, le prophète. Il n’est guère plus optimiste : « Si je sors dans la campagne, voici les victimes du glaive. Si j’entre dans la ville, voici les souffrances de la faim. Même le prophète, même le prêtre, qui parcourent le pays, ne comprennent pas. Nous espérions la paix et il n’arrive rien de bon. Nous attendions le temps du remède, et voici l’épouvante » (Jr 14). Nos journaux écrits, parlés ou télévisés reproduisent aujourd’hui une version identique, dans un autre cadre et avec de nouveaux acteurs. Un véritable remake. En ex-Yougoslavie et en d’autres lieux, voyez l’immense cortège des victimes de la haine et des violences, de la famine et des injustices. Avouez que ce tableau est bien triste pour ouvrir et célébrer la nouvelle année des messes festives. Une année à marquer d’un caillou blanc, puisqu’elle nous permettra de fêter le 25e anniversaire de la messe annuelle des artistes, en la fête du Christ, Roi de l’Univers. Mais tout cela serait-il incompatible ? « Comment en effet parler de la Beauté, disait l’abbé Michiels, dans un monde en proie à la laideur qui est une forme de révolte et de destruction ». Et l’on pourrait en dire autant pour le bon et pour le vrai. Et bien oui, tout cela est compatible, et même inséparable. Il faut d’abord apprendre à mieux regarder. Si le monde nous apparaît comme un océan de misère, il est aussi le royaume de toutes les merveilles. Même au milieu des charniers il y a des parterres de lys et des bouquets de roses. Les uns démolissent, d’autres construisent. Certains détruisent la vie, d’autres la donnent et la protègent. Et le mal au quotidien croise sans cesse le dévouement et la sainteté ordinaires d’un grand nombre. C’est pourquoi chaque église, et la première d’entre elles, la cathédrale, sont précisément, comme l’a écrit Marcel Lobet, « le carrefour des rencontres du visible et de l’Invisible, de l’inquiétude humaine et de la paix divine ». Le rendez-vous aussi du péché et de la grâce, pourrait-on ajouter. Nous sommes ici dans les parvis de notre Dieu. Non pour oublier les soucis et les drames de l’existence, mais pour nous permettre de regarder au-delà. Passer du désarroi et de l’étonnement douloureux, à l’espérance et jusqu’à l’admiration, pour aboutir à la louange et à l’action de grâce. La liturgie, voyez-vous, « prend le monde à pleines mains » (1). Elle rassemble un peuple avec ses peines et son espérance, sa foi et ses doutes. Elle le conduit par la parole et la prière jusqu’au Christ. Elle est « un temps de rencontre transformante ». Un événement de transfiguration dans le vrai, le bon et le beau. Et puisque la liturgie est de connivence avec la beauté, elle « a besoin de l’Art » et des artistes, qui expriment et suscitent l’émerveillement « pour tout ce qui est beau et précieux dans la vie ». Il ne s’agit pas pour autant de la beauté fascinante qui charme, qui flatte et qui emprisonne. Mais bien d’une beauté séduisante, qui fait sortir de soi. Une beauté qui invite, qui appelle, qui entraîne vers « Celui qui est la Beauté suprême parce qu’il est l’icône du Père ». D’ailleurs, « chaque fois que l’homme cherche à se surpasser, rappelait récemment l’évêque de Gand, il se tourne aussi bien vers la foi que vers l’art ». Il ne faut donc pas s’y tromper. Si Habacuc, le prophète, a fait défiler devant nous des images d’horreur, des cris de révolte et de reproche, il nous offre en même temps des raisons et des semences d’espérance : « Je guetterai ce que dira le Seigneur ». La patience s’impose, renforcée par la confiance. Une confiance que l’on cultive. Car « le facile et la pente est de désespérer et c’est la grande tentation », disait Péguy. Cependant, la confiance doit être purifiée de toute méfiance et de tout soupçon envers Dieu et envers le monde. Ne cherchons pas des boucs émissaires. Dieu est innocent du malheur des hommes. Des hommes qui, trop souvent, emploient très mal leur précieuse liberté. Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que la frontière entre le bien et le mal passe d’abord dans nos jardins intérieurs. Elle traverse nos cœurs et nos pensées. Nous sommes tous et chacun capables du meilleur et du pire. Toutes les mauvaises nouvelles du mal et toutes ses formes de violence, les égoïsmes fratricides et les injustices assassines, sont déjà en nous, et pas seulement autour de nous. Le bien et le mal sont des cohabitants, et dans le monde et dans nos cœurs. Et cependant, notre terre éprouvée, notre monde déchiré et souffrant, le cosmos tout entier, constituent eux aussi les parvis de la maison du Père. C’est bien dans toutes les réalités de notre vie terrestre, et donc les meilleures et les pires, que Dieu se laisse chercher, que Dieu se laisse rencontrer et aimer. C’est notre monde, notre Cosmos qui est pour Dieu le lieu de sa révélation, de sa manifestation, de son incarnation. Et si nous avons souvent à nous réconcilier avec Dieu, nous avons également à nous réconcilier avec la Terre, notre sœur, disait saint François. Seul celui « qui aime Dieu et la terre à la fois, peut croire au Royaume de Dieu », écrivait Dietrich Bonhoeffer, l’une des grandes figures spirituelles de notre siècle. Il ajoutait : « Nous ne pouvons prier pour la venue du royaume qu’en étant entièrement de la terre ». C’est pourquoi, celui : « Qui fuit la terre pour trouver Dieu ne trouvera que lui-même. Qui aime vraiment Dieu l’aime en tant que Seigneur de la terre, telle qu’elle est. Et qui aime la terre, l’aime en tant que terre de Dieu ». Nous sommes intimement liés à la terre, pour le meilleur et pour le pire. Ne rêvons pas d’un paradis terrestre offert gratuitement clé sur la porte. Nous sommes et nous serons toujours confrontés au problème du mal et des mauvaises nouvelles. A nous de les affronter, comme l’a fait le Christ lui-même, « corps à corps, cœur à cœur ». Il n’a pas attendu pieusement ni impatiemment que Dieu décrète la paix et la justice et nous les impose. Il s’est trouvé lui-même face à l’injustice et à l’indifférence, à la violence et à la trahison. Il a répondu par l’amour et la justice, le pardon et la main tendue pour la réconciliation. Il s’est rangé du côté des victimes, leur proposant la Bonne Nouvelle et l’espérance d’un royaume de justice et de paix à construire avec lui au prix d’une permanente conversion. Et les fondations de ce monde nouveau se creusent dans nos territoires intérieurs. Car l’espérance est vaine si elle ne nous pousse pas à oser et à entreprendre. Baptisés et confirmés, nous sommes dépositaires de cette Bonne Nouvelle, avec mission de défendre la vérité de l’Evangile contre tout ce qui peut l’altérer et la trahir. Il nous faut toujours revenir à l’Evangile. C’est lui qui est à la source, à la racine de tout enseignement, de toute doctrine, de toute tradition, de tout engagement, de tout comportement chrétiens. Il est invitation pressante à lutter en nous et autour de nous contre les assauts du mal. Tout en courant au secours des victimes. Car c’est à chacun de nous de porter ou de rendre l’espérance aux écrasés et aux désespérés. Que vient de nous conseiller saint Paul ? De réveiller en nous le don de Dieu déjà reçu. Et ce n’est pas un esprit de crainte que Dieu nous a donné ! Mais un esprit de force, d’amour et de raison. N’ayons pas peur de proclamer en parole et en actes cette nouvelle toujours bonne qui est celle de l’Evangile. En nous rappelant que « le seul Evangile que pourront lire beaucoup de nos sœurs et de nos frères, c’est notre vie ». Seigneur, augmente en nous la foi. Nous en avons grand besoin pour déraciner les grands arbres de l’égoïsme et de la peur. Et merci, mille fois merci, pour la confiance que tu nous accordes d’être tes serviteurs et même tes amis, si nous accomplissons ce que tu commandes avec tant d’amour.
« Art et liturgie », Albert Rouet, actuellement évêque de Poitiers, DDB 1992, 147 pp. P. Fabien Deleclos, franciscain (T)
1925 – 2008