HOMÉLIE DU 23E DIMANCHE ORDINAIRE C

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HOMÉLIE DU 23E DIMANCHE ORDINAIRE C

Sg 9, 13-18 ; Phm 9b-10, 12-17 ; Lc 14, 25-33

« Que votre travail à tous deux soit béni sans que les soucis vous accablent, sans que le bonheur vous égare loin de Dieu ». Un souhait adressé bien souvent aux jeunes époux dans la bénédiction qui clôture la célébration du mariage. Ce n’est pas une raison pour se méfier du bonheur tellement désirable et légitime. Mais il est vrai que la félicité enivre. Elle peut aveugler, faire perdre la tête et embrouiller singulièrement la hiérarchie des valeurs. Qui nage dans le bien-être se croit aisément au paradis. Le ciel sur la terre ! Au risque d’oublier le véritable sens de la vie et de miser sur des choses passagères au lieu d’investir dans l’impérissable. Un manque de sagesse. La solution n’est pas de craindre ou de fuir le bonheur, mais bien de ne pas se tromper de béatitudes. Celles que nous offre et nous garantit Jésus de Nazareth sont incontestablement les plus surprenantes mais aussi les plus parfaites et les plus sûres. L’expérience ici contredit la raison. Il est vrai que la maladie, la menace d’un cataclysme, la proximité de la mort, peuvent nous rendre brusquement plus lucides. L’existence alors s’éclaire d’une lumière nouvelle. Les vanités du monde paraissent bien dérisoires. Les fortunes amassées désormais inutiles. C’est déjà l’heure de présenter le bilan et de rendre compte de sa gérance. De tous temps, des mouvements religieux ont brandi la menace de la proximité de la fin des temps pour sortir de l’indifférence, secouer la torpeur des croyants, et les inviter à une salutaire conversion. C’est un chemin pour trouver ou retrouver la sagesse qui est l’intelligence de la foi. On imagine aisément les premiers prédicateurs de l’Evangile, semant la Bonne Nouvelle de Jésus, chargés des riches promesses de libération et de justice, de bonheur et de paix… « Qui croira et sera baptisé sera sauvé » ! Mais le temps presse, car le Ressuscité va revenir. Il est proche. Tout proche… Cela vaut-il encore la peine de travailler et de se marier, d’acheter et de vendre, de bâtir et d’engendrer ? C’est l’heure du radicalisme évangélique. Tout « mépriser », tout quitter, père, mère, femme et enfant, et même rechercher le martyre pour être digne d’être reconnu comme disciple par celui qui vient. Aujourd’hui, pour exorciser nos peurs et remettre toujours à demain d’indispensables conversions, nous sourions de la simplicité naïve des premiers chrétiens, et nous laissons aux « moines et moniales » le monopole du renoncement à tous les biens et le soin de préférer le Christ à leurs familles et même à leur propre vie. Ne sommes-nous pas les vrais naïfs ? Si la fin du monde n’est pas nécessairement pour cette année, et si le Christ n’a pas révélé son retour pour l’an prochain, notre rendez-vous avec la mort, c’est-à-dire aussi avec Lui, n’est pas nécessairement très éloigné. Et la mort n’est-elle pas pour chacun la fin d’un monde ? Naïveté encore, dangereuse et aveugle, d’imaginer que les renoncements et préférences évoqués par Luc ne s’adressent qu’à quelques rares volontaires. C’est à la foule que Jésus les propose. Et ce ne sont pas de simples conseils qu’il lui a offerts. Il s’agit bien de conditions nécessaires et indispensables pour être son disciple et se réclamer de lui. Ces exigences peuvent paraître sévères et même inhumaines. C’est en réalité le prix de tout amour véritable. Quels que soient les termes utilisés, préférer, sacrifier, renoncer… Il s’agit toujours et en toute circonstance de chercher et de respecter les priorités de la route que Dieu nous propose pour bâtir et atteindre le royaume. C’est se détourner des chemins sans issue, même s’ils paraissent bordés de roses sans épines. C’est purifier constamment notre cœur et notre regard. C’est investir ses talents et ses énergies dans l’entreprise du prophète de Nazareth et vivre de son esprit dans le monde ou dans le cloître, la ville ou le désert, la pauvreté ou la richesse, la santé ou la maladie, la famille selon la chair ou celle selon l’esprit. Une sagesse qui contredit celle du monde, mais suscite d’inébranlables bienheureux. Chaque eucharistie nous donne l’occasion de nous asseoir pour bien vérifier si nous voulons prendre les moyens nécessaires pour être vraiment les disciples du Christ, et pas seulement une foule qui admire, qui prie, qui chante et qui applaudit.

P. Fabien Deleclos, franciscain (T)

1925 – 2008

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