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COMMENTAIRES DE MARIE-NOËLLE THABUT, HABACUC 1, 2-3 ; 2, 2-4
30 septembre, 2016COMMENTAIRES DE MARIE-NOËLLE THABUT, DIMANCHE 2 OCTOBRE 2016
PREMIERE LECTURE – LIVRE DU PROPHÈTE HABACUC 1, 2-3 ; 2, 2-4
1,2 Combien de temps, Seigneur, vais-je appeler, sans que tu entendes ? crier vers toi : « Violence ! », sans que tu sauves ? 1,3 Pourquoi me fais-tu voir le mal et regarder la misère ? Devant moi, pillage et violence ; dispute et discorde se déchaînent. 2,2 Alors le Seigneur me répondit : Tu vas mettre par écrit une vision, clairement, sur des tablettes, pour qu’on puisse la lire couramment. 2,3 Car c’est encore une vision pour le temps fixé ; elle tendra vers son accomplissement, et ne décevra pas. Si elle paraît tarder, attends-la : elle viendra certainement, sans retard. 2,4 Celui qui est insolent n’a pas l’âme droite, mais le juste vivra par sa fidélité.
Le prophète Habacuc n’est plus très à la mode aujourd’hui, mais il l’était certainement à l’époque du Nouveau Testament, puisqu’il y est cité plusieurs fois. Par exemple, la phrase de la Vierge Marie dans le Magnificat : « Je bondis de joie dans le Seigneur, j’exulte en Dieu, mon Sauveur » se trouvait déjà, des siècles auparavant, dans le livre d’Habacuc (Ha 3, 18) ; c’est de lui également que Saint Paul a retenu et cité à plusieurs reprises une phrase si importante pour lui, qui fait partie de notre lecture d’aujourd’hui : « Le juste vivra par sa fidélité » (Rm 1, 17 ; Ga 3, 11) ; ce petit livre vaut donc la peine d’être ouvert ; ce n’est qu’un tout petit livre en effet, trois chapitres seulement, d’environ vingt versets chacun, mais quelle palette de sentiments ! De la complainte à la violence, de l’appel au secours à l’exultation pure ; ses cris de détresse font penser à Job : « Combien de temps, SEIGNEUR, vais-je t’appeler au secours, et tu n’entends pas, crier contre la violence et tu ne délivres pas ! » Mais l’espérance ne le quitte jamais : quand Saint Pierre invite ses lecteurs à la patience, lui aussi reprend une expression inspirée d’Habaquq : « Non, le Seigneur ne tarde pas à tenir sa promesse… » (2 P 3, 9). Les premiers versets ressemblent au livre de Job : « Combien de temps, SEIGNEUR, vais-je appeler sans que tu entendes ? crier vers toi : Violence ! sans que tu sauves ! » C’est un cri de détresse, d’appel au secours, devant le déchaînement de la violence ; mais aussi et surtout le cri de la détresse suprême, celle du silence de Dieu. Ce cri-là est toujours d’actualité. Et ici, comme dans le livre de Job, comme dans beaucoup de psaumes, la Bible ose dire des phrases presque impertinentes, où l’homme se permet de demander des comptes à Dieu. « Combien de temps, SEIGNEUR, vais-je t’appeler au secours, et tu n’entends pas, crier contre la violence, et tu ne délivres pas ! » La violence dont parle Habacuc ici, c’est celle de l’ennemi du moment, Babylone. Il l’appelle « Les Chaldéens », traduisez les armées de Nabuchodonosor. Nous sommes vers 600 avant Jésus-Christ : l’ennemi numéro un, il n’y a pas longtemps encore, c’étaient les Assyriens de Ninive. Mais ils ont été écrasés à leur tour par Babylone qui est désormais la puissance montante au Moyen-Orient. Depuis que le monde est monde, les mêmes horreurs de la guerre se répètent ; on les devine ici : « Pourquoi me fais-tu voir le mal et regarder la misère ? Devant moi, pillage et violence ; dispute et discorde se déchaînent. » Mais Habacuc ne perd pas la foi pour autant. Dans un autre verset, il ajoute : « Je guetterai ce que dira le SEIGNEUR Dieu » ; dans cette expression, il y a au moins deux choses : d’abord c’est le guet du veilleur, assuré que l’aube viendra ; c’est le thème du psaume 129/130 : « Mon âme attend le Seigneur, plus sûrement qu’un veilleur n’attend l’aurore ». Et ce verbe « attendre » veut dire attendre tout de Lui. Dans la phrase « Je guetterai ce que dira le SEIGNEUR Dieu », la première chose, c’est donc la confiance ; la deuxième chose, c’est la conscience que son interpellation est un peu osée : le prophète Habacuc a demandé des comptes à Dieu et il s’attend à être rappelé à l’ordre : « Je guetterai ce que dira le SEIGNEUR Dieu ». Or, chose intéressante, Habacuc ne se fait pas rappeler à l’ordre. La réponse de Dieu ne lui fait aucun reproche ; il l’invite seulement à la patience et à la confiance ; les heures de victoire de l’ennemi ne dureront pas toujours : « Le SEIGNEUR me répondit : Tu vas mettre par écrit une vision, clairement sur des tablettes, pour qu’on puisse la lire couramment. C’est encore une vision pour le temps fixé ; elle tendra vers son accomplissement, et ne décevra pas. Si elle paraît tarder, attends-la : elle viendra certainement, sans retard. » Pour l’instant, Habacuc ne décrit pas la vision elle-même, ce sera l’objet du chapitre suivant ; mais, on s’en doute déjà, il s’agit de la libération de ceux qui, actuellement, sont opprimés. Pour autant, Dieu n’a pas vraiment répondu à la question ; il n’a pas dit pourquoi, à certains moments, il semble devenu sourd à nos prières. Il a seulement réaffirmé une fois de plus qu’il ne nous abandonne jamais… Si bien que le message d’Habacuc semble bien être : dans les épreuves, même les plus terribles, la seule voie possible pour le croyant c’est de garder confiance en Dieu : accepter de ne pas comprendre, mais ne pas accuser Dieu. Toute autre attitude nous détruit : la méfiance à l’égard de Dieu ne nous fait que du mal. C’est probablement l’un des sens de la formule finale de ce texte : « Le juste vivra par sa fidélité » ou, pour le dire autrement, c’est la confiance en Dieu qui nous fait vivre ; le soupçon ou la révolte nous détruit. En revanche, il est permis de crier notre souffrance : si la Bible (dans le livre de Job, comme dans les psaumes), nous fait lire les cris de détresse et même les reproches faits à Dieu, c’est qu’un croyant a le droit de crier sa détresse, son impatience de voir cesser la violence qui l’écrase. Reprenons la dernière phrase : « Celui qui est insolent n’a pas l’âme droite, mais le juste vivra par sa fidélité ». L’insolent, c’est Babylone qui s’enorgueillit de ses conquêtes et qui croit fonder sur elles une prospérité durable ; le juste, lui, sait que Dieu seul fait vivre. A ce sujet, l’exemple le plus célèbre dans l’histoire d’Israël, c’est Abraham : quand il a quitté son pays, sa famille, sur un simple appel de Dieu, il ne savait pas bien où Dieu le conduisait, vers quelle destinée. Quand, encore sur un appel de Dieu, Abraham s’apprêtait à offrir son fils unique, il ne comprenait pas, mais il a continué de faire confiance à celui qui lui a donné ce fils… Et, là encore, sa foi les a fait vivre, lui et son fils (Gn 22). Le texte biblique dit de lui « Abraham eut foi dans le SEIGNEUR et cela lui fut compté comme justice » (Gn 15, 6). Dernière remarque : quand Habacuc parle de Babylone, il dit « les Chaldéens » (entre parenthèses, c’est l’Irak d’aujourd’hui) mais, souvenons-nous, Abraham lui-même était un Chaldéen… or Abraham est qualifié de « juste » par la confiance qu’il a manifestée envers Dieu alors que les Chaldéens, ses compatriotes, quelques siècles plus tard, sont traités d’insolents qui n’ont pas l’âme droite. On peut en déduire que la justice n’est pas une affaire d’origine, de race, ou de circoncision, donc de religion, mais seulement d’attitude du coeur. Nous ferions peut-être bien de nous en souvenir quand nous rencontrons des croyants d’autres religions … ? ——————————-
Compléments – « Tu vas mettre par écrit la vision, bien clairement sur des tablettes » : on écrivait sur des tablettes les textes que l’on souhaitait conserver ; on peut comprendre ici comme une insistance de Dieu : « Mes petits enfants, n’oubliez jamais ». Dieu est silencieux, mais il n’est pas absent, il reste à nos côtés – « Je guetterai ce que dira le SEIGNEUR » : Le rôle du prophète est d’être un guetteur. Ezéchiel emploie le même mot pour dire sa vocation : « Fils d’homme, je t’établis guetteur pour la maison d’Israël ; quand tu entendras une parole venant de ma bouche, tu les avertiras de ma part. » (Ez 3,17 // 33, 7).
HOMÉLIE DU 27E DIMANCHE ORDINAIRE C
30 septembre, 2016http://parolesdudimanche.blogs.lalibre.be/
HOMÉLIE DU 27E DIMANCHE ORDINAIRE C
Ha, 2-3 ; 2,2-4 ; 2 Tm 6-8, 13-14 ; c 17, 5-10
(Prononcée en 1995 en la cathédrale des SS. Michel et Gudule (Bruxelles), pour la reprise des messes festives, dites des Artistes. Thème : « Dans les parvis de la maison du Père ». Les événements cités sont de cette époque)
Hier soir, sur toutes les chaînes de télévision, des présentateurs-vedettes ont annoncé les dernières nouvelles, parmi lesquelles, comme très souvent, de mauvaises nouvelles. « Le bonheur se vend mal », disait le commissaire Navarro. Ouvrons la Bible, ce n’est pas mieux. N’avez-vous pas remarqué que Monsieur Habacuc, « menthe aquatique » pour les intimes, et présentateur-vedette de l’émission biblique dans la liturgie de ce jour, est exactement du même tonneau. Son journal parlé, daté de six siècles avant Jésus-Christ est resté parfaitement actuel : « Pillages et violences, disputes et discordes se déchaînent ». C’est l’abomination. Et Dieu semble sourd et impuissant. Il en est même qui le soupçonnent de complicité, puisqu’il semble rester insensible aux cris et aux prières de ceux qui l’appellent au secours. Ouvrons le « Journal intime » de Jérémie, le prophète. Il n’est guère plus optimiste : « Si je sors dans la campagne, voici les victimes du glaive. Si j’entre dans la ville, voici les souffrances de la faim. Même le prophète, même le prêtre, qui parcourent le pays, ne comprennent pas. Nous espérions la paix et il n’arrive rien de bon. Nous attendions le temps du remède, et voici l’épouvante » (Jr 14). Nos journaux écrits, parlés ou télévisés reproduisent aujourd’hui une version identique, dans un autre cadre et avec de nouveaux acteurs. Un véritable remake. En ex-Yougoslavie et en d’autres lieux, voyez l’immense cortège des victimes de la haine et des violences, de la famine et des injustices. Avouez que ce tableau est bien triste pour ouvrir et célébrer la nouvelle année des messes festives. Une année à marquer d’un caillou blanc, puisqu’elle nous permettra de fêter le 25e anniversaire de la messe annuelle des artistes, en la fête du Christ, Roi de l’Univers. Mais tout cela serait-il incompatible ? « Comment en effet parler de la Beauté, disait l’abbé Michiels, dans un monde en proie à la laideur qui est une forme de révolte et de destruction ». Et l’on pourrait en dire autant pour le bon et pour le vrai. Et bien oui, tout cela est compatible, et même inséparable. Il faut d’abord apprendre à mieux regarder. Si le monde nous apparaît comme un océan de misère, il est aussi le royaume de toutes les merveilles. Même au milieu des charniers il y a des parterres de lys et des bouquets de roses. Les uns démolissent, d’autres construisent. Certains détruisent la vie, d’autres la donnent et la protègent. Et le mal au quotidien croise sans cesse le dévouement et la sainteté ordinaires d’un grand nombre. C’est pourquoi chaque église, et la première d’entre elles, la cathédrale, sont précisément, comme l’a écrit Marcel Lobet, « le carrefour des rencontres du visible et de l’Invisible, de l’inquiétude humaine et de la paix divine ». Le rendez-vous aussi du péché et de la grâce, pourrait-on ajouter. Nous sommes ici dans les parvis de notre Dieu. Non pour oublier les soucis et les drames de l’existence, mais pour nous permettre de regarder au-delà. Passer du désarroi et de l’étonnement douloureux, à l’espérance et jusqu’à l’admiration, pour aboutir à la louange et à l’action de grâce. La liturgie, voyez-vous, « prend le monde à pleines mains » (1). Elle rassemble un peuple avec ses peines et son espérance, sa foi et ses doutes. Elle le conduit par la parole et la prière jusqu’au Christ. Elle est « un temps de rencontre transformante ». Un événement de transfiguration dans le vrai, le bon et le beau. Et puisque la liturgie est de connivence avec la beauté, elle « a besoin de l’Art » et des artistes, qui expriment et suscitent l’émerveillement « pour tout ce qui est beau et précieux dans la vie ». Il ne s’agit pas pour autant de la beauté fascinante qui charme, qui flatte et qui emprisonne. Mais bien d’une beauté séduisante, qui fait sortir de soi. Une beauté qui invite, qui appelle, qui entraîne vers « Celui qui est la Beauté suprême parce qu’il est l’icône du Père ». D’ailleurs, « chaque fois que l’homme cherche à se surpasser, rappelait récemment l’évêque de Gand, il se tourne aussi bien vers la foi que vers l’art ». Il ne faut donc pas s’y tromper. Si Habacuc, le prophète, a fait défiler devant nous des images d’horreur, des cris de révolte et de reproche, il nous offre en même temps des raisons et des semences d’espérance : « Je guetterai ce que dira le Seigneur ». La patience s’impose, renforcée par la confiance. Une confiance que l’on cultive. Car « le facile et la pente est de désespérer et c’est la grande tentation », disait Péguy. Cependant, la confiance doit être purifiée de toute méfiance et de tout soupçon envers Dieu et envers le monde. Ne cherchons pas des boucs émissaires. Dieu est innocent du malheur des hommes. Des hommes qui, trop souvent, emploient très mal leur précieuse liberté. Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que la frontière entre le bien et le mal passe d’abord dans nos jardins intérieurs. Elle traverse nos cœurs et nos pensées. Nous sommes tous et chacun capables du meilleur et du pire. Toutes les mauvaises nouvelles du mal et toutes ses formes de violence, les égoïsmes fratricides et les injustices assassines, sont déjà en nous, et pas seulement autour de nous. Le bien et le mal sont des cohabitants, et dans le monde et dans nos cœurs. Et cependant, notre terre éprouvée, notre monde déchiré et souffrant, le cosmos tout entier, constituent eux aussi les parvis de la maison du Père. C’est bien dans toutes les réalités de notre vie terrestre, et donc les meilleures et les pires, que Dieu se laisse chercher, que Dieu se laisse rencontrer et aimer. C’est notre monde, notre Cosmos qui est pour Dieu le lieu de sa révélation, de sa manifestation, de son incarnation. Et si nous avons souvent à nous réconcilier avec Dieu, nous avons également à nous réconcilier avec la Terre, notre sœur, disait saint François. Seul celui « qui aime Dieu et la terre à la fois, peut croire au Royaume de Dieu », écrivait Dietrich Bonhoeffer, l’une des grandes figures spirituelles de notre siècle. Il ajoutait : « Nous ne pouvons prier pour la venue du royaume qu’en étant entièrement de la terre ». C’est pourquoi, celui : « Qui fuit la terre pour trouver Dieu ne trouvera que lui-même. Qui aime vraiment Dieu l’aime en tant que Seigneur de la terre, telle qu’elle est. Et qui aime la terre, l’aime en tant que terre de Dieu ». Nous sommes intimement liés à la terre, pour le meilleur et pour le pire. Ne rêvons pas d’un paradis terrestre offert gratuitement clé sur la porte. Nous sommes et nous serons toujours confrontés au problème du mal et des mauvaises nouvelles. A nous de les affronter, comme l’a fait le Christ lui-même, « corps à corps, cœur à cœur ». Il n’a pas attendu pieusement ni impatiemment que Dieu décrète la paix et la justice et nous les impose. Il s’est trouvé lui-même face à l’injustice et à l’indifférence, à la violence et à la trahison. Il a répondu par l’amour et la justice, le pardon et la main tendue pour la réconciliation. Il s’est rangé du côté des victimes, leur proposant la Bonne Nouvelle et l’espérance d’un royaume de justice et de paix à construire avec lui au prix d’une permanente conversion. Et les fondations de ce monde nouveau se creusent dans nos territoires intérieurs. Car l’espérance est vaine si elle ne nous pousse pas à oser et à entreprendre. Baptisés et confirmés, nous sommes dépositaires de cette Bonne Nouvelle, avec mission de défendre la vérité de l’Evangile contre tout ce qui peut l’altérer et la trahir. Il nous faut toujours revenir à l’Evangile. C’est lui qui est à la source, à la racine de tout enseignement, de toute doctrine, de toute tradition, de tout engagement, de tout comportement chrétiens. Il est invitation pressante à lutter en nous et autour de nous contre les assauts du mal. Tout en courant au secours des victimes. Car c’est à chacun de nous de porter ou de rendre l’espérance aux écrasés et aux désespérés. Que vient de nous conseiller saint Paul ? De réveiller en nous le don de Dieu déjà reçu. Et ce n’est pas un esprit de crainte que Dieu nous a donné ! Mais un esprit de force, d’amour et de raison. N’ayons pas peur de proclamer en parole et en actes cette nouvelle toujours bonne qui est celle de l’Evangile. En nous rappelant que « le seul Evangile que pourront lire beaucoup de nos sœurs et de nos frères, c’est notre vie ». Seigneur, augmente en nous la foi. Nous en avons grand besoin pour déraciner les grands arbres de l’égoïsme et de la peur. Et merci, mille fois merci, pour la confiance que tu nous accordes d’être tes serviteurs et même tes amis, si nous accomplissons ce que tu commandes avec tant d’amour.
« Art et liturgie », Albert Rouet, actuellement évêque de Poitiers, DDB 1992, 147 pp. P. Fabien Deleclos, franciscain (T)
1925 – 2008
The Three Archangels
29 septembre, 2016CHAPELLE PAPALE POUR L’ORDINATION ÉPISCOPALE DE SIX NOUVEAUX ÉVÊQUES ET FÊTE DES TROIS ARCHANGES
29 septembre, 2016CHAPELLE PAPALE POUR L’ORDINATION ÉPISCOPALE DE SIX NOUVEAUX ÉVÊQUES ET FÊTE DES TROIS ARCHANGES
HOMÉLIE DU PAPE BENOÎT XVI
Basilique Vaticane
Samedi 29 septembre 2007
Chers frères et sœurs,
Nous sommes rassemblés autour de l’autel du Seigneur en une circonstance dans le même temps solennelle et heureuse: l’ordination épiscopale de six nouveaux Evêques, appelés à exercer différentes tâches au service de l’unique Eglise du Christ. Il s’agit de Mgr Mieckzyslaw Mokrzycki, Mgr Francesco Brugnaro, Mgr Gianfranco Ravasi, Mgr Tommaso Caputo, Mgr Sergio Pagano, Mgr Vincenzo Di Mauro. J’adresse à tous mon salut cordial avec un baiser fraternel. Un salut particulier va à Mgr Mokrzycki qui, avec l’actuel Cardinal Stanislaw Dziwisz, a servi pendant de nombreuses années le Saint-Père Jean-Paul II comme secrétaire et qui ensuite, après mon élection comme Successeur de Pierre, a également été mon secrétaire avec une grande humilité, compétence et dévouement. Avec lui, je salue l’ami du Pape Jean-Paul II, le Cardinal Marian Jaworski, à qui Mgr Mokrzycki apportera son aide en tant que Coadjuteur. Je salue en outre les Evêques latins d’Ukraine, qui sont ici à Rome pour leur visite « ad limina Apostolorum ». Ma pensée va également aux Evêques grecs-catholiques – j’ai rencontré certains d’eux lundi dernier -, et à l’Eglise orthodoxe d’Ukraine. Je souhaite à tous les bénédictions du Ciel pour leurs efforts qui visent à garder active dans leur terre la force guérissante et corroborante de l’Evangile du Christ et à la transmettre aux futures générations.
Nous célébrons cette ordination épiscopale en la fête des trois Archanges qui sont mentionnés par leur nom dans l’Ecriture: Michel, Gabriel et Raphaël. Cela nous rappelle à l’esprit que dans l’antique Eglise – déjà dans l’Apocalypse – les Evêques étaient qualifiés d’ »anges » de leur Eglise, exprimant de cette façon un lien intime entre le ministère de l’Evêque et la mission de l’Ange. A partir de la tâche de l’Ange, on peut comprendre le service de l’Evêque. Mais qu’est-ce qu’un Ange? L’Ecriture Sainte et la Tradition de l’Eglise nous laissent entrevoir deux aspects. D’une part, l’Ange est une créature qui se trouve devant Dieu, orientée de tout son être vers Dieu. Les trois noms des Archanges finissent par le mot « El », qui signifie Dieu. Dieu est inscrit dans leurs noms, dans leur nature. Leur véritable nature est l’existence en vue de Lui et pour Lui. C’est précisément ainsi que s’explique également le deuxième aspect qui caractérise les Anges: ils sont les messagers de Dieu. Ils apportent Dieu aux hommes, ils ouvrent le ciel et ouvrent ainsi la terre. C’est précisément parce qu’ils sont auprès de Dieu, qu’ils peuvent être également très près de l’homme. En effet, Dieu est plus intime à chacun de nous que nous ne le sommes à nous-mêmes. Les Anges parlent à l’homme de ce qui constitue son être véritable, de ce qui dans sa vie est si souvent couvert et enseveli. Ils l’appellent à rentrer en lui-même, en le touchant de la part de Dieu. Dans ce sens également, nous qui sommes des êtres humains devrions toujours à nouveau devenir des anges les uns pour les autres – des anges qui nous détournent des voies de l’erreur et qui nous orientent toujours à nouveau vers Dieu. Si l’Eglise antique appelle les Evêques « anges » de leur Eglise, elle entend dire précisément cela: les Evêques eux-mêmes doivent être des hommes de Dieu, ils doivent vivre orientés vers Dieu. « Multum orat pro populo » – « Prie beaucoup pour le peuple », dit le Bréviaire de l’Eglise à propos des saints Evêques. L’Evêque doit être un orant, quelqu’un qui intercède pour les hommes auprès de Dieu. Plus il le fait, plus il comprend également les personnes qui lui sont confiées et il peut devenir un ange pour eux – un messager de Dieu, qui les aide à trouver leur véritable nature, elles-mêmes, et à vivre l’idée que Dieu a d’elles.
Tout cela devient encore plus clair si nous regardons à présent les figures des trois Archanges dont l’Eglise célèbre la fête aujourd’hui. Il y a tout d’abord Michel. Nous le rencontrons dans l’Ecriture Sainte, en particulier dans le Livre de Daniel, dans la Lettre de l’Apôtre saint Jude Thaddée et dans l’Apocalypse. Dans ces textes, on souligne deux fonctions de cet Archange. Il défend la cause de l’unicité de Dieu contre la présomption du dragon, du « serpent antique », comme le dit Jean. C’est la tentative incessante du serpent de faire croire aux hommes que Dieu doit disparaître, afin qu’ils puissent devenir grands; que Dieu fait obstacle à notre liberté et que nous devons donc nous débarrasser de Lui. Mais le dragon n’accuse pas seulement Dieu. L’Apocalypse l’appelle également « l’accusateur de nos frères, lui qui les accusait jour et nuit devant notre Dieu » (12, 10). Celui qui met Dieu de côté, ne rend pas l’homme plus grand, mais lui ôte sa dignité. L’homme devient alors un produit mal réussi de l’évolution. Celui qui accuse Dieu, accuse également l’homme. La foi en Dieu défend l’homme dans toutes ses faiblesses et ses manquements: la splendeur de Dieu resplendit sur chaque individu. La tâche de l’Evêque, en tant qu’homme de Dieu, est de faire place à Dieu dans le monde contre les négations et de défendre ainsi la grandeur de l’homme. Et que pourrait-on dire et penser de plus grand sur l’homme que le fait que Dieu lui-même s’est fait homme? L’autre fonction de Michel, selon l’Ecriture, est celle de protecteur du Peuple de Dieu (cf. Dn 10, 21; 12, 1). Chers amis, vous êtes vraiment les « anges gardiens » des Eglises qui vous seront confiées! Aidez le Peuple de Dieu, que vous devez précéder dans son pèlerinage, à trouver la joie dans la foi et à apprendre le discernement des esprits: à accueillir le bien et à refuser le mal, à rester et à devenir toujours plus, en vertu de l’espérance de la foi, des personnes qui aiment en communion avec le Dieu-Amour.
Nous rencontrons l’Archange Gabriel, en particulier dans le précieux récit de l’annonce à Marie de l’incarnation de Dieu, comme nous le rapporte saint Luc (1, 26-39). Gabriel est le messager de l’incarnation de Dieu. Il frappe à la porte de Marie et, par son intermédiaire, Dieu demande à Marie son « oui » à la proposition de devenir la Mère du Rédempteur: de donner sa chair humaine au Verbe éternel de Dieu, au Fils de Dieu. Le Seigneur frappe à plusieurs reprises à la porte du cœur humain. Dans l’Apocalypse, il dit à l’ »ange » de l’Eglise de Laodicée et, à travers lui, aux hommes de tous les temps: « Voici que je me tiens à la porte, et je frappe. Si quelqu’un entend ma voix et ouvre la porte, j’entrerai chez lui; je prendrai mon repas avec lui, et lui avec moi » (3, 20). Le Seigneur se trouve à la porte – à la porte du monde et à la porte de chaque cœur en particulier. Il frappe pour qu’on le laisse entrer: l’incarnation de Dieu, son devenir chair doit continuer jusqu’à la fin des temps. Tous doivent être réunis dans le Christ en un seul corps: c’est ce que nous disent les grands hymnes sur le Christ dans la Lettre aux Ephésiens et dans celle aux Colossiens. Le Christ frappe. Aujourd’hui aussi, Il a besoin de personnes qui, pour ainsi dire, mettent à sa disposition leur propre chair, qui lui donnent la matière du monde et de leur vie, servant ainsi à l’unification entre Dieu et le monde, à la réconciliation de l’univers. Chers amis, votre tâche est de frapper au nom du Christ aux cœurs des hommes. En entrant vous-mêmes en union avec le Christ, vous pourrez également assumer la fonction de Gabriel: apporter l’appel du Christ aux hommes.
Saint Raphaël nous est présenté, en particulier dans le livre de Tobie, comme l’Ange auquel est confiée la tâche de guérir. Lorsque Jésus envoie ses disciples en mission, la tâche de l’annonce de l’Evangile s’accompagne également toujours de celle de guérir. Le Bon Samaritain, en accueillant et en guérissant la personne blessée qui gît au bord de la route, devient sans paroles un témoin de l’amour de Dieu. Cet homme blessé, qui a besoin d’être guéri, c’est chacun de nous. Annoncer l’Evangile signifie déjà en soi guérir, car l’homme a surtout besoin de la vérité et de l’amour. Dans le Livre de Tobie, on rapporte deux tâches emblématiques de guérison de l’Archange Raphaël. Il guérit la communion perturbée entre l’homme et la femme. Il guérit leur amour. Il chasse les démons qui, toujours à nouveau, déchirent et détruisent leur amour. Il purifie l’atmosphère entre les deux et leur donne la capacité de s’accueillir mutuellement pour toujours. Dans le récit de Tobie, cette guérison est rapportée à travers des images légendaires. Dans le Nouveau Testament, l’ordre du mariage, établi dans la création et menacé de multiples manières par le péché, est guéri par le fait que le Christ l’accueille dans son amour rédempteur. Il fait du mariage un sacrement: son amour, qui est monté pour nous sur la croix, est la force qui guérit et qui, au sein de toutes les confusions, donne la capacité de la réconciliation, purifie l’atmosphère et guérit les blessures. La tâche de conduire les hommes toujours à nouveau vers la force réconciliatrice de l’amour du Christ est confiée au prêtre. Il doit être « l’ange » qui guérit et qui les aide à ancrer leur amour au sacrement et à le vivre avec un engagement toujours renouvelé à partir de celui-ci. En deuxième lieu, le Livre de Tobie parle de la guérison des yeux aveugles. Nous savons tous combien nous sommes aujourd’hui menacés par la cécité à l’égard de Dieu. Comme le danger est grand que, face à tout ce que nous savons sur les choses matérielles et que nous sommes en mesure de faire avec celles-ci, nous devenions aveugles à la lumière de Dieu! Guérir cette cécité à travers le message de la foi et le témoignage de l’amour, est le service de Raphaël confié jour après jour au prêtre et, de manière particulière, à l’Evêque. Ainsi, nous sommes spontanément portés à penser également au sacrement de la Réconciliation, au Sacrement de la Pénitence qui, au sens le plus profond du terme, est un sacrement de guérison. En effet, la véritable blessure de l’âme, le motif de toutes nos autres blessures, est le péché. Et ce n’est que s’il existe un pardon en vertu de la puissance de Dieu, en vertu de la puissance de l’amour du Christ, que nous pouvons être guéris, que nous pouvons être rachetés.
« Demeurez dans mon amour », nous dit aujourd’hui le Seigneur dans l’Evangile (Jn 15, 9). A l’heure de l’ordination épiscopale, il vous le dit à vous de manière particulière, chers amis! Demeurez dans cette amitié avec Lui, pleine de l’amour qu’en cette heure, Il vous donne à nouveau! Alors, votre vie portera du fruit – un fruit qui demeure (Jn 15, 16). Chers frères, afin que cela vous soit donné, prions tous pour vous en cette heure. Amen.
PAPE FRANÇOIS – L’HOMME RICHE ET DU PAUVRE LAZARE.
24 septembre, 2016PAPE FRANÇOIS – L’HOMME RICHE ET DU PAUVRE LAZARE.
AUDIENCE GÉNÉRALE
Mercredi 18 mai 2016
Chers frères et sœurs, bonjour !
Je désire m’arrêter aujourd’hui avec vous sur la parabole de l’homme riche et du pauvre Lazare. La vie de ces deux personnes semble se dérouler sur des rails parallèles: leurs conditions de vie sont opposées et ne sont pas entièrement communicantes. Le portail de la maison du riche est toujours fermé au pauvre, qui gît dehors, en cherchant à manger quelques restes de la table du riche. Celui-ci porte des vêtements de luxe, alors que Lazare est couvert de plaies ; le riche fait chaque jour de somptueux banquets, alors que Lazare meurt de faim. Seuls les chiens prennent soin de lui et viennent lécher ses plaies. Cette scène rappelle le dur reproche du Fils de l’homme lors du Jugement dernier : « Car j’ai eu faim et vous ne m’avez pas donné à manger, j’ai eu soif et vous ne m’avez pas donné à boire, j’étais [...] nu et vous ne m’avez pas vêtu (Mt 25, 42-43). Lazare représente bien le cri silencieux des pauvres de tous les temps et la contradiction d’un monde dans lequel d’immenses richesses et ressources sont entre les mains de quelques personnes. Jésus dit qu’un jour, cet homme riche mourut : les pauvres et les riches meurent, ils ont le même destin, comme nous tous, il n’y a pas d’exception à cela. Et alors cet homme s’adressa à Abraham en le suppliant avec le nom de « père » (vv. 24.27). Il revendique donc d’être son fils, appartenant au peuple de Dieu. Pourtant, pendant sa vie, il n’a montré aucune considération envers Dieu, il a au contraire fait de lui-même le centre de tout, enfermé dans son monde de luxe et de gaspillage. Excluant Lazare, il n’a aucunement tenu compte ni du Seigneur, ni de sa loi. Ignorer le pauvre est mépriser Dieu ! Nous devons bien nous rappeler de cela : ignorer le pauvre est mépriser Dieu. On doit remarquer un détail dans la parabole : le riche n’a pas de nom, mais ils est seulement appelé par un adjectif : « le riche » ; alors que celui du pauvre est répété cinq fois et « Lazare » signifie « Dieu aide ». Lazare, qui gît devant la porte, est un rappel vivant fait au riche, pour se souvenir de Dieu, mais le riche n’écoute pas ce rappel. Il sera donc condamné, non pour ses richesses, mais pour avoir été incapable de sentir de la compassion à l’égard de Lazare et de le secourir. Dans la deuxième partie de la parabole, nous retrouvons Lazare et le riche après leur mort (vv. 22-31). dans l’au-delà, la situation s’est retournée : le pauvre Lazare est emporté par les anges au ciel auprès d’Abraham, le riche est en revanche précipité dans les tourments. Alors le riche « lève les yeux et voit de loin Abraham, et Lazare en son sein ». Il lui semble voir Lazare pour la première fois, mais ses paroles le trahissent : « Père Abaraham — dit-il — aie pitié de moi et envoie Lazare tremper dans l’eau le bout de son doigt pour me rafraîchir la langue, car je suis tourmenté dans cette flamme ». À présent, le riche reconnaît Lazare et lui demande de l’aide, alors que lorsqu’il était en vie, il faisait semblant de ne pas le voir. — Combien de fois de nombreuses personnes font semblant de ne pas voir les pauvres! Pour eux, les pauvres n’existent pas —. Auparavant, il lui refusait jusqu’aux restes de sa table, et à présent, il voudrait qu’il lui apporte à boire! Il croit pouvoir encore s’arroger des droits en raison de sa précédente condition sociale. Déclarant qu’il est impossible d’exaucer sa requête, Abraham en personne offre la clé de tout le récit : il explique que les biens et les maux ont été distribués de manière à compenser l’injustice terrestre, et la porte qui séparait le riche du pauvre pendant leur vie s’est transformée en un « grand abîme ». Tant que Lazare gisait devant sa maison, il existait la possibilité du salut pour le riche, ouvrir la porte, aider Lazare, mais à présent que tous les deux sont morts, la situation est devenue irréparable. Dieu n’est jamais appelé directement en cause, mais la parabole met clairement en garde: la miséricorde de Dieu envers nous est liée à notre miséricorde envers notre prochain: quand celle-ci manque, l’autre non plus ne trouve pas de place dans notre cœur fermé, elle ne peut pas entrer. Si je n’ouvre pas tout grand la porte de mon cœur au pauvre, cette porte reste fermée. À Dieu aussi. Et cela est terrible. À ce moment-là, le riche pense à ses frères, qui risquent de finir de la même façon, et il demande que Lazare puisse retourner dans le monde pour les admonester. Mais Abraham réplique : « Ils ont Moïse et les prophètes, qu’ils les écoutent ». Pour nous convertir, nous ne devons pas attendre des événements prodigieux; mais ouvrir notre cœur à la parole de Dieu, qui nous appelle à aimer Dieu et notre prochain. La Parole de Dieu peut faire revivre un cœur desséché et le guérir de sa cécité. Le riche connaissait la Parole de Dieu, mais il ne l’a pas laissée entrer dans son cœur, il ne l’a pas écoutée, il a donc été incapable d’ouvrir les yeux et d’avoir de la compassion pour le pauvre. Aucun messager et aucun message ne pourront remplacer les pauvres que nous rencontrons sur notre chemin, car en eux, c’est Jésus lui-même qui vient à notre rencontre : « Dans la mesure où vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait » (Mt 25, 40), dit Jésus. Ainsi, dans le retournement des destins que la parabole décrit est caché le mystère de notre salut, dans lequel Jésus unit la pauvreté à la miséricorde. Chers frères et sœurs, en écoutant cet Évangile, nous tous, avec les pauvres de la terre, nous pouvons chanter avec Marie : « Il a renversé les potentats de leurs trônes et élevé les humbles, il a comblé de biens les affamés et renvoyé les riches les mains vides » (Lc 1, 52-53).
Rich man and Lazarus
24 septembre, 2016HOMÉLIE DU 26E DIMANCHE ORDINAIRE C
24 septembre, 2016http://parolesdudimanche.blogs.lalibre.be/
HOMÉLIE DU 26E DIMANCHE ORDINAIRE C
Am 6, 1-7 ; 1 Tm 6, 11-16 ; Lc 16, 19-31
Il est intéressant de constater que les actualités fournies par la presse sont souvent aussi des actualités de l’Evangile. Ainsi, dimanche dernier la première lecture nous racontait que, huit siècles avant Jésus Christ, Monsieur Amos, prophète indépendant, dénonçait le très prospère royaume d’Israël. Pourquoi ? Parce que, derrière une façade brillante et des fêtes religieuses imposantes, il avait découvert un monde d’injustice et d’exploitation des plus pauvres. Ce qui restait d’actualité au temps de Jésus. D’où, cet avertissement évangélique : « Vous ne pouvez pas servir à la fois Dieu et l’Argent ». Il y a quelques années, dans un quotidien, un compositeur de chanson titrait son article : » L’argent n’a pas d’odeur… « . Et quelques pages plus loin, le programme TV annonçait une émission consacrée à une nation « pourrie par le fric » et affirmait que « la misère et la faim sont une prison où plus d’un milliard de femmes, d’hommes et d’enfants consument leur existence ». Ce dimanche, Monsieur Amos, gardien de gros bétail, un personnage aisé, et le Docteur Luc, évangéliste de surcroît, viennent nous secouer et nous interpeller pour les mêmes raisons. Ne serions-nous pas plus ou moins esclaves de l’argent ? ou tout simplement trop peu attentifs ou trop peu soucieux de bien le gérer selon l’esprit de l’évangile ? D’où, une parabole, c’est-à-dire une histoire inventée, mais à partir de faits réels tirés de l’actualité. Une actualité qui est de toutes les époques. D’un côté, un riche, qui peut aussi être un pays tout entier, et qui n’est pas qualifié de mauvais riche. Tout simplement un riche anonyme. Il vit dans un certain luxe. Ce qui n’est pas interdit. Il appartient à une famille qui « possède des biens », et il a cinq frères bien dans leurs papiers. Cet homme, sans doute élégant et fin gourmet, était même un croyant, pratiquant fidèle et fier de l’être. Un homme comblé, parmi beaucoup d’autres. Jésus ne vise donc personne en particulier. L’autre personnage, autre nation : Lazare. On sort de l’anonymat. Mais c’est un personnage fictif qui signifie « Dieu a aidé ». Tout un symbole ! Mais Lazare est d’un autre monde, là où l’on manque de tout, y compris du nécessaire et même de l’indispensable. Tout comme cette femme indienne, de la catégorie des intouchables, qui a vendu son bébé pour 130 dollars après avoir vu son autre fils de deux ans mourir de malnutrition. L’argent de la vente a servi à éponger les dettes de la famille et à acheter de la nourriture. Le riche n’a rien refusé à Lazare, il ne l’a pas chassé. Ce qui n’est pas toujours le cas. Mais il ne l’a même pas vu, dirait-on, comme s’il était aveugle et inconscient. Il y a comme un mur entre les deux, ou un grand abîme apparemment infranchissable. Pourtant, l’homme comblé, croyant, pratiquant, qui plus loin interpelle son père Abraham et qui se préoccupe avec beaucoup de cœur de ses cinq frères, aurait dû savoir que la loi de l’Alliance, dont il se réclame, et même aujourd’hui celle des droits et devoirs de la personne humaine, demande précisément de « rompre les chaînes injustes…, de partager le pain avec l’affamé, d’héberger les pauvres sans abri, de vêtir celui qui est nu ». Ce que les prophètes n’ont cessé de répéter au cours des siècles. Or, cet habitué du Temple est resté sourd à la Parole. Tout comme ses frères qui multipliaient sans doute les pratiques religieuses, se passionnaient pour les visions et espéraient des miracles, mais délaissaient la parole prophétique des Ecritures qui aurait pu les éclairer et les convertir. Bien sûr, à l’époque, les croyants étaient persuadés que les richesses étaient signes de la bienveillance de Dieu à leur égard. Une sorte de récompense pour bonne conduite dans l’observance de la Loi de Moïse… Mais la Loi de Moïse précisait déjà : « S’il y a chez toi un indigent… tu ne raidiras pas ton cœur et tu ne fermeras pas ta main devant ton frère indigent… Je te le commande : tu devras ouvrir ta main pour ton frère, pour ton pauvre, pour ton indigent dans ton pays » (Dt 15, 7-11). Or, aujourd’hui, tout a pris des dimensions planétaires, y compris la pauvreté, la misère, l’exclusion, le chômage. Les Lazare sont légion. Et ils doivent se contenter des miettes de nos sociétés dites d’abondance. Il en est même accroupis le long de notre table, comme le disait déjà le Père Lebret il y a plus de cinquante ans. Aujourd’hui, ajoutait-il, Lazare, c’est la majorité de l’humanité, et il a beaucoup d’enfants. Il va bientôt devenir 80 ou 90 % de la population du monde. Une menace pour notre paix et notre sécurité. Or, ce qu’il attend, c’est « de la compréhension et de l’amour ». Il nous appartient donc de faire, à tous les niveaux, un usage biblique, évangélique, de toutes nos richesses, y compris celles du cœur, de l’intelligence et de l’imagination. Elles nous pousseront à l’initiative, si modeste soit-elle, de manière à pouvoir « inviter des pauvres à notre table ». C’est-à-dire la table de la connaissance, la table de la culture, celle du progrès et du développement, celle des soins de santé et de la dignité respectée, tout comme la table des échanges commerciaux.
N’attendons pas demain pour mieux servir Dieu en nos frères et sœurs éprouvés comme Lazare.
P. Fabien Deleclos, franciscain (T)
1925 – 2008
Heaven and Earth in The Icon
19 septembre, 2016« S’ÉMERVEILLER, UN PONT ENTRE ART ET SPIRITUALITÉ »
19 septembre, 2016http://darbois.francois.free.fr/publications-fd/du_spirituel_dans_lart.htm
« S’ÉMERVEILLER, UN PONT ENTRE ART ET SPIRITUALITÉ »
François Darbois
Je partirai du témoignage du poète Rainer Maria Rilke. Dans Les Carnets de Malte,. Rilke décrit la source de son inspiration poétique.: « Les vers ne sont pas faits, comme les gens le croient, avec des sentiments (ceux-là, on ne les a que trop tôt) – ils sont faits d’expériences vécues. Pour écrire un seul vers, il faut avoir vu beaucoup de villes, beaucoup d’hommes et de choses, il faut connaître les bêtes, il faut sentir comment volent les oiseaux et savoir le mouvement qui fait s’ouvrir les petites fleurs au matin. Il faut pouvoir se remémorer des routes dans des contrées inconnues, des rencontres inattendues et des adieux de longtemps prévus [...] Et il n’est pas encore suffisant d’avoir des souvenirs. Il faut pouvoir les oublier, quand ils sont nombreux, et il faut avoir la grande patience d’attendre qu’ils reviennent. Car les souvenirs ne sont pas encore ce qu’il faut. Il faut d’abord qu’ils se confondent avec notre sang, avec notre regard, avec notre geste, il faut qu’ils perdent leurs noms et qu’ils ne puissent plus être discernés de nous-mêmes ; il peut alors se produire qu’au cours d’une heure très rare, le premier mot d’un vers surgisse au milieu d’eux et émane d’entre eux[1] ». En effet, ce texte peut s’appliquer à tous les arts, mais également à l’expérience mystique, qu’elle soit chrétienne, juive, soufie ou taoïste. Dès lors que nos expériences se confondent avec notre sang, que nous les avons digérées, méditées et oubliées, elles deviennent profondes, inoubliables et véritablement spirituelles et transcendantes. Un véritable artiste peint ou écrit avec son sang, écrivait Nietzsche, c’est-à-dire avec sa vie. Henri Maldiney écrivait: «Le destin de l’art est celui de l’étonnement où s’éveille les transcendances[2] » ! … ? Raccourci saisissant et audacieux comme le titre de cet exposé. L’émerveillement certes est un pont entre art et transcendance, entre la terre et le ciel, oui, mais un pont sur quoi ? Sur la distance infinie entre l’art et le spirituel, et sur l’abîme qu’il ouvre sous nos pieds, celui de nos peurs et de nos angoisses face à la mort, face au scandale de la souffrance et du mal. Depuis l’homme de Cromagnon, comme nous le montrent les peintures rupestres d’Altamira, de Chauvet ou de Lascaut, l’image a permis aux hommes d’exprimer ce sentiment qui est à la fois stupeur et étonnement, effroi et émerveillement, mélange d’angoisses et de joies face au mystère. Les rites et les images funéraires de toutes les religions depuis 30000 ans en sont les traces. En libérant une forme, l’artiste tente d’apprivoiser la mort et de percer le mur de silence qui l’entoure. Dans ce combat entre l’absence et la présence, l’artiste puise à la source du mystère et est épuisé par elle. Et son oeuvre surgit là où il s’anéantit et s’efface, mystérieux dévoilement où se voile celui ou celle qui en est le témoin. « Qu’est-ce que dessiner ? demande Van Gogh : C’est l’action de se frayer un passage à travers un mur de fer invisible qui se trouve entre ce qu’on sent et ce que l’on peut ». Mais « la peinture n’est-elle pas faite pour démolir le mur » comme le confiait Fernand Léger au père Couturier. Nicolas de Stael écrit : « L’espace pictural est un mur, mais tous les oiseaux du monde y volent librement, à toutes profondeurs. » Dans cette semaine sainte du regard, nous avons distingué quatre étapes, le choc de l’étonnement, l’exode du regard, la leçon des ténèbres et l’être-là dans le surgissement, pour reprendre des termes de la tradition chrétienne. Exode qui permet de passer de l’esclavage des choses et des représentations à la liberté de l’esprit, quatre étapes qui se retrouvent dans la tradition chinoise : « Voir, ne plus voir, s’abîmer dans le non voir, revoir intérieurement », comme l’écrit François Cheng dans le Dit de Tianyi reprenant les propos d’un certain Maître Tchang.
I – La stupéfaction du « voir » Pour Abraham Heschel, l’art et la mystique se définissent comme une même expérience de « stupéfaction radicale. » Le mystique et l’artiste sont littéralement bouche bée devant la beauté et l’aspect formidable des choses. «L’émerveillement est le début de la sagesse et précède la foi.»[3] Einstein définit la mystique comme «la capacité de s’abîmer dans le respect et de rester interdit d’admiration… Celui qui ne sait plus s’émerveiller, c’est comme s’il était mort, son esprit s’est éteint ». Bachelard écrivait : « Entre les mystiques, les musiciens et les poètes, il y a une secrète parenté : c’est dans l’amitié que les poètes ont pour les choses, que nous pourrons connaître ces gerbes d’instants qui donnent valeur humaine à des actes éphémères. » De l’émerveillement de l’artiste naît son désir de création. Dans le silence de l’émerveillement, les formes artistiques sont des tentatives pour nous faire passer du dehors au dedans puis du dedans au transcendant, comme le disait déjà saint Bonaventure au XIIIè. Mais quelle est cette réalité que l’on nomme transcendance? » Est-ce le Dieu transcendant des religions, celui des philosophes ou l’Autre des psychanalystes ou simplement le Dieu intérieur des mystiques? Depuis Socrate, Platon, Spinoza, Nietzsche et Heidegger, l’émerveillement occupe plus l’histoire de la philosophie que celle de la théologie. Simone Weil nous rappelle justement que » le christianisme a oublié que le salut est essentiellement une question de regard … La beauté est la seule fin à rechercher ici bas … Elle est l’éternité sur terre ». Jean Paul II rappelait en 1999 ces paroles de Vatican II: « La beauté, comme la vérité, c’est ce qui met la joie au coeur des hommes, c’est ce fruit précieux qui résiste à l’usage du temps, qui unit les générations et les fait communier dans l’admiration.[4] » « Puisse la beauté que vous transmettez aux générations de demain être telle qu’elle suscite en elle l’émerveillement ! Devant le caractère sacré de la vie et de l’être humain, devant les merveilles de l’univers, l’unique attitude adéquate est celle de l’émerveillement… La beauté est la clé du mystère et elle renvoie à la transcendance.[5] » Que reste-t-il aujourd’hui des civilisations et des religions anciennes sinon leurs oeuvres d’art ? Qu’allons nous chercher sur les rives du Nil, à Constantinople, Florence ou Rome et dans les églises romanes ou les musées du monde ? Et n’est-ce pas aussi le secret des écritures et des paraboles particulièrement, comme celui de bien des grands textes mystiques hindous, taoïstes ou soufis d’être des écoles d’émerveillement ? De soi l’art ne prie pas mais il peut nous y conduire en nous plongeant muet…, silencieux et émerveillé dans cet autre coté du réel. « L’art ne rend pas le visible, il rend visible»[6] cet invisible autre coté, l’arrière pays de ce que nous prenons pour le réel. André Malraux écrit que « le seul domaine où le divin soit visible est l’art, quelque nom qu’on lui donne. » C’est le regard de l’artiste qui rend visible ou pas la transcendance au cœur de l’immanence du monde. L’art nous invite à passer du donné visible au don invisible des choses. A la fin seul le regard de celui qui contemple une oeuvre peut laisser jaillir la transcendance. Mystère de liberté et de don ! L’attente silencieuse des oeuvres d’art n’est-elle pas le signe d’un appel à traverser le pont entre ce donné et ce don ? L’art ne cherche pas simplement à représenter mais à nous rendre présent. C’est nous qui n’en sommes pas encore là, dans ce présent de la présence. Nous ne vivions pas toujours dans cet univers du don.
II La peur du vide ou le non-voir : Notre regard est limité par l’horizon de nos montagnes intérieures, celles de nos peurs ou de nos égoïsmes et même de nos croyances. « Ce qu’on sait de quelqu’un, écrit Bobin, nous empêche de le connaître. Ce qu’on dit, en croyant savoir ce qu’on dit, rend difficile de le voir. » On croit voir plus que l’on ne voit. » Comme l’écrivait un rabbin Abraham Heschel : « Les communautés humaines meurent de leurs certitudes. » Quitter ses certitudes, c’est le plus difficile, c’est un saut dans ce vide au delà des croyances et des incroyances. » Art et transcendance se rencontrent quand un homme surmonte ses peurs et se rend disponible dans un lâcher prise de toutes représentations, qu’elles soient religieuses, culturelles ou artistiques. L’art n’est pas spirituel en lui-même, comme le spirituel n’est pas nécessairement artistique. Nos images pieuses ne sont pas toujours des oeuvres d’art. Mais pour atteindre l’autre coté du pont qui mène à la transcendance, il faut traverser parfois bien des précipices ; seul l’émerveillement permet de franchir ce pont. Pourquoi est-ce si rare et si fragile? Pourquoi cette sagesse, qui est une folie pour le plus grand nombre, est cachée aux sages et aux savants, et réservée aux petits et aux enfants, aux artistes et aux mystiques ? Si comme nous l’enseigne les trois monothéismes : Dieu est créateur et qu’il nous a créé à son image, nous avons à devenir des créateurs de beauté. Le spirituel n’est la propriété d’aucune religion, pas même de celle de l’art. Le spirituel est ce qui relie des personnes à la transcendance, sans confusions ni mélanges. Le spirituel, c’est ce qui nous libère de nous-mêmes et nous universalise en nous reliant les uns avec les autres. Artiste est celui qui crée des liens et des harmonies, entre les couleurs, entre les sons, les mots et les personnes. Si l’art bien souvent nous déroute, c’est bien qu’il nous invite à changer de route, à passer de l’autre coté, du figuratif à l’abstrait, et derrière ces querelles de représentations, l’invitation secrète n’est-elle pas toujours de passer du visible à l’invisible et donc de l’absence à la présence. Avant de nous faire le don de l’émerveillement, l’art ne conduit-il pas aussi au questionnement et à l’angoisse devant ce qui est radicalement autre? Avant de nous faire le don d’une transcendance que certains nommeront « le Très Beau », Dieu, ou l’un des attributs d’Adonaï, Christ, ou Allah, l’art contemporain ne nous donne-t-il pas plus souvent le vertige ?
III – La leçon des ténèbres : s’abîmer dans le non voir Sur ce pont qu’est l’émerveillement, l’artiste oscille bien souvent entre l’idolâtrie et l’extase, l’angoisse et la joie et le plus souvent il est plongé dans la nuit, cet « inconnu nocturne » dont parle Rimbaud, triple nuit des sens, du sens et de l’esprit[7]. Avant d’enfanter la lumière, il est plongé dans la ténèbre. Delacroix parle de « lumière, que te voilà menacé ! Tu n’es déjà plus que le milieu où lancer ce pont jeté entre les âmes. » On comprend alors pourquoi Braque nous rappelle que « la beauté est une blessure devenue lumière » et qu’Aragon nous dit que « tous ceux qui parlent des merveilles, leur fable cache bien des sanglots. Les gens prennent pour des roses, la douleur dont ils sont brisés. » L’icône d’un visage en larmes est aussi celle d’un Dieu voilé » et » nos larmes ne sont-elles pas aussi calligraphie de l’âme », dévoilement de sa présence ? Un maître soufi écrit : »La Vérité n’est pas voilée, ce sont tes yeux qui portent un voile. » C’est quand nous pleurons vraiment, des larmes de sang et de vie que l’invisible se dévoile sous nos yeux émerveillés. Quand l’éloquence de nos pleurs s’inscrit sur nos visages en incarnant le mystère, l’icône d’un visage en larmes devient celle d’un dieu voilé. L’histoire de l’art ne serait-elle pas d’abord une histoire des larmes et d’une joie qui fait parfois pleurer de joie ? Rappelons nous les « Requiem » de Mozart, les « lamentations de Jérémie », les « Leçons de ténèbres » de Couperin, Victoria, Haydn et de combien d’autres grands musiciens…. Mais, pour bien voir dans l’abîme qui là se dévoile, il faut bien discerner l’idole de l’icône. Tension entre les « dits » des images et leurs inter-dits, l’art est cet ultime lectio divina d’un réel qui reste la source inépuisable de la contemplation et de l’inspiration des artistes. L’art se situe sur la limite, il tente l’impossible de vouloir dire ce qui est indicible. Et tous nos interdits de la représentation ne font que traduire nos peurs face à cette ambiguïté de l’art. Nos querelles iconoclastes sur le figuratif et le non figuratif n’en sont-elles pas la trace ? Accepter ce jeu, c’est entrer dans le mystère de toute création. Jeu de relation et de hasard, jeu des images, des couleurs, des notes ou des mots, mais jeu divin, ou plutôt, comme Dante nous le suggère, divine comédie du visible qui en nous plongeant dans l’enfer de l’Hadès qui signifie a-deis ou non-voir, où Dieu nous initie au mystère de la lumière invisible.
IV Voir autrement : de l’idole à l’icône « Art et religion ne puisent-ils pas ici à la même source ? Et l’expérience esthétique n’est elle pas la trace d’une obscure rencontre entre l’homme et le divin. « Les chinois comparent un artiste à une abeille aveugle. Elle devine la présence de la fleur; elle tourne désespérément autour. Elle le sait : il y a là quelque chose d’essentiel qui s’offre et se retire. C’est un besoin analogue qui inspire l’artiste et exaspère parfois son impatience. » [8] Quelque chose ou quelqu’un nous fait signe et nous appelle ? Renoncer à répondre, n’est ce pas renoncer à être et rester dans l’avoir, celui de nos certitudes et de nos façons de voir ? L’art est subversif. Il nous éveille et nous invite à lâcher prise, à passer du sensible au spirituel, de l’immanence à la transcendance. Le spirituel dans l’art n’est ni dans le comment, ni dans le pourquoi des choses, mais dans leur surgissement. Le seul mystère de l’art c’est qu’il soit là. Mais c’est nous qui en général n’en sommes pas là, enfermés dans nos habitudes de voir et de penser. L’art est appel ; appel à être là, ensemble présent à son mystère. Le spirituel dans l’art est dans cette mystérieuse présence où il nous donne de communier ensemble à la même intuition de la transcendance du monde. L’art ainsi est invitation à traverser le pont, entre le fini et l’infini, entre le présent et la présence, il nous invite à passer de l’autre bord, sur le versant de la transcendance. Si comme l’écrivait Dostoïevsky, « la beauté sauvera le monde », et que l’art est un des instruments de ce salut, l’émerveillement en ouvre le chemin qui nous conduit vers la transcendance. L’art est bien un lieu de salut car il nous guérit de nos peurs et nous réconcilie avec la création. L’art est libération et transformation, non seulement de l’objet mais du sujet, passage de la matière à l’esprit, du dehors au-dedans et du dedans au transcendant. Il « rend visible l’invisible transcendance des choses et des couleurs. Un tableau ne cherche pas simplement à rappeler un paysage ou un visage, mais il est essentiellement appel à y entrer. On ne regarde pas un tableau, on y pénètre. « Jamais devant, toujours dedans » nous répète Tal Coat. L’art alors n’est plus une simple imitation de la nature, il est révélation et apprivoisement de son mystère, il change notre regard sur elle et éveille la communion entre l’homme et la transcendance. L’art devient alors un lieu de transfiguration, ultime passage de l’idole en icône. Conclusion Kandinsky dans son livre Du spirituel dans l’art conclut, que « l’artiste est le Prêtre du Beau[9] », il en est le prophète et le serviteur, et l’artiste est bien le « pontife » qui nous initie au mystère de la transcendance du beau et nous invite à passer, émerveillé, sur ce pont qui sépare et relie la terre et le ciel. « C’est pourquoi l’Eglise, comme l’écrivait Paul VI puis Jean Paul II dans sa lettre aux artistes, a besoin des saints, mais aussi des artistes, les uns et les autres sont les témoins de l’Esprit vivant (du Christ). Le monde a besoin de beauté pour ne pas sombrer dans la désespérance. Vous êtes les gardiens de la beauté du monde. »