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COMMENTAIRES DE MARIE-NOËLLE THABUT – LIVRE DE LA GENÈSE 18, 20-32
23 juillet, 2016COMMENTAIRES DE MARIE-NOËLLE THABUT, DIMANCHE 24 JUILLET 2016
PREMIERE LECTURE – LIVRE DE LA GENÈSE 18, 20-32
En ces jours-là, les trois visiteurs d’Abraham allaient partir pour Sodome. 20 Alors le SEIGNEUR dit : « Comme elle est grande, la clameur au sujet de Sodome et de Gomorrhe ! Et leur faute, comme elle est lourde ! 21 Je veux descendre pour voir si leur conduite correspond à la clameur venue jusqu’à moi. Si c’est faux, je le reconnaîtrai. » 22 Les hommes se dirigèrent vers Sodome, tandis qu’Abraham demeurait devant le SEIGNEUR. 23 Abraham s’approcha et dit : « Vas-tu vraiment faire périr le juste avec le coupable ? 24 Peut-être y a-t-il cinquante justes dans la ville. Vas-tu vraiment les faire périr ? Ne pardonneras-tu pas à toute la ville à cause des cinquante justes qui s’y trouvent ? 25 Loin de toi de faire une chose pareille ! Faire mourir le juste avec le coupable, traiter le juste de la même manière que le coupable, loin de toi d’agir ainsi ! Celui qui juge toute la terre n’agirait-il pas selon le droit ? » 26 Le SEIGNEUR déclara : « Si je trouve cinquante justes dans Sodome, à cause d’eux je pardonnerai à toute la ville. » 27 Abraham répondit : « J’ose encore parler à mon Seigneur, moi qui suis poussière et cendre. 28 Peut-être, sur les cinquante justes, en manquera-t-il cinq : pour ces cinq-là, vas-tu détruire toute la ville ? » Il déclara : « Non, je ne la détruirai pas, si j’en trouve quarante-cinq. » 29 Abraham insista : « Peut-être s’en trouvera-t-il seulement quarante ? » Le SEIGNEUR déclara : « Pour quarante, je ne le ferai pas. » 30 Abraham dit : « Que mon Seigneur ne se mette pas en colère, si j’ose parler encore. Peut-être s’en trouvera-t-il seulement trente ? » Il déclara : « Si j’en trouve trente, je ne le ferai pas. » 31 Abraham dit alors : « J’ose encore parler à mon Seigneur. Peut-être s’en trouvera-t-il seulement vingt ? » Il déclara : « Pour vingt, je ne détruirai pas. » 32 Il dit : « Que mon Seigneur ne se mette pas en colère : je ne parlerai plus qu’une fois. Peut-être s’en trouvera-t-il seulement dix ? » Et le SEIGNEUR déclara : « Pour dix, je ne détruirai pas. »
Ce texte marque un grand pas en avant dans l’idée que les hommes se font de leur relation à Dieu : c’est la première fois que l’on ose imaginer qu’un homme puisse intervenir dans les projets de Dieu. Malheureusement, la lecture liturgique ne nous fait pas entendre les versets précédents, là où l’on voit Dieu, parlant tout seul, se dire à lui-même : « Maintenant que j’ai fait alliance avec Abraham, il est mon ami, je ne vais pas lui cacher mes projets. » Manière de nous dire que Dieu prend très au sérieux cette alliance ! Voici ce passage : « Les hommes se levèrent de là et portèrent leur regard sur Sodome ; Abraham marchait avec eux pour prendre congé. Le SEIGNEUR dit : Vais-je cacher à Abraham ce que je fais ? Abraham doit devenir une nation grande et puissante en qui seront bénies toutes les nations de la terre, car j’ai voulu le connaître… » Et c’est là que commence ce que l’on pourrait appeler « le plus beau marchandage de l’histoire ». Abraham armé de tout son courage intercédant auprès de ses visiteurs pour tenter de sauver Sodome et Gomorrhe d’un châtiment pourtant bien mérité : « SEIGNEUR, si tu trouvais seulement cinquante justes dans cette ville, tu ne la détruirais pas quand même ? Sinon, que dirait-on de toi ? Ce n’est pas moi qui vais t’apprendre la justice ! Et si tu n’en trouvais que quarante-cinq, que quarante, que trente, que vingt, que dix ?… » Quelle audace ! Et pourtant, apparemment, Dieu accepte que l’homme se pose en interlocuteur : pas un instant, le Seigneur ne semble s’impatienter ; au contraire, il répond à chaque fois ce qu’Abraham attendait de lui. Peut-être même apprécie-t-il qu’Abraham ait une si haute idée de sa justice ; au passage, d’ailleurs, on peut noter que ce texte a été rédigé à une époque où l’on a le sens de la responsabilité individuelle : puisque Abraham serait scandalisé que des justes soient punis en même temps que les pécheurs et à cause d’eux ; nous sommes loin de l’époque où une famille entière était supprimée à cause de la faute d’un seul. Or, la grande découverte de la responsabilité individuelle date du prophète Ezéchiel et de l’Exil à Babylone, donc au sixième siècle. On peut en déduire une hypothèse concernant la composition du chapitre que nous lisons ici : comme pour la lecture de dimanche dernier, nous sommes certainement en présence d’un texte rédigé assez tardivement, à partir de récits beaucoup plus anciens peut-être, mais dont la mise en forme orale ou écrite n’était pas définitive. Dieu aime plus encore probablement que l’homme se pose en intercesseur pour ses frères ; nous l’avons déjà vu un autre dimanche à propos de Moïse (Ex 32) : après l’infidélité du peuple au pied du Sinaï, se fabriquant un « veau d’or » pour l’adorer, aussitôt après avoir juré de ne plus jamais suivre des idoles, Moïse était intervenu pour supplier Dieu de pardonner ; et, bien sûr, Dieu qui n’attendait que cela, si l’on ose dire, s’était empressé de pardonner. Moïse intervenait pour le peuple dont il était responsable ; Abraham, lui, intercède pour des païens, ce qui est logique, après tout, puisqu’il est porteur d’une bénédiction au profit de « toutes les familles de la terre ». Belle leçon sur la prière, là encore ; et il est intéressant qu’elle nous soit proposée le jour où l’évangile de Luc nous rapporte l’enseignement de Jésus sur la prière, à commencer par le Notre Père, la prière « plurielle » par excellence : puisque nous ne disons pas « Mon Père », mais « Notre Père ».. Nous sommes invités, visiblement, à élargir notre prière à la dimension de l’humanité tout entière. « Peut-être en trouvera-t-on seulement dix ? » (Ce fut la dernière tentative d’Abraham.) « Et le SEIGNEUR répondit : Pour dix, je ne détruirai pas la ville de Sodome. » Ce texte est un grand pas en avant, disais-je, une étape importante dans la découverte de Dieu, mais ce n’est qu’une étape, car il se situe encore dans une logique de comptabilité : sur le thème combien faudra-t-il de justes pour gagner le pardon des pécheurs ? Il restera à franchir le dernier pas théologique : découvrir qu’avec Dieu, il n’est jamais question d’un quelconque paiement ! Sa justice n’a rien à voir avec une balance dont les deux plateaux doivent être rigoureusement équilibrés ! C’est très exactement ce que Saint Paul essaiera de nous faire comprendre dans le passage de la lettre aux Colossiens que nous lisons ce dimanche. —————————– Compléments – « Quelle horreur, si tu faisais une chose pareille ! » (verset 25). La traduction ne nous livre pas la richesse du terme hébreu. Le mot véritable est « profanation » : imaginer une seule seconde Dieu injuste est une profanation du nom de Dieu, un blasphème pur et simple aux yeux d’Abraham. – Petit rappel sur l’évolution de la notion de justice de Dieu : au début de l’histoire biblique on trouvait normal et juste que le groupe entier paie pour la faute d’un seul : c’est l’histoire d’Akân au temps de Josué (Jos 7, 16-25) ; dans une deuxième étape, on imagine que chacun paie pour soi ; ici, nouvelle étape de la pensée, il est toujours question de paiement d’une certaine manière, dix justes obtiendront le pardon d’une ville entière ; et Jérémie osera imaginer qu’un seul homme paiera pour tout le peuple : « Parcourez les rues de Jérusalem, regardez donc et enquêtez, cherchez sur ses places : Y trouvez-vous un homme? Y en a-t-il un seul qui défende le droit, qui cherche à être vrai? Alors je pardonnerai à la ville. » (Jr 5, 1) ; Ezéchiel tient le même genre de raisonnement : « J’ai cherché parmi eux un homme qui relève la muraille, qui se tienne devant moi, sur la brèche, pour le bien du pays, afin que je ne le détruise pas : je ne l’ai pas trouvé. » (Ez 22, 30). C’est avec le livre de Job, entre autres, que le dernier pas sera franchi, lorsque l’on comprendra enfin que la justice de Dieu est synonyme de salut. – Cependant, Jérémie lui-même avait envisagé un pardon sans condition aucune au nom même de la grandeur de Dieu. A ce sujet il faut relire ce plaidoyer admirable : « Si nos péchés témoignent contre nous, agis, SEIGNEUR, pour l’honneur de ton nom ! » (Jr 14, 7-9). Face à Dieu, tout comme Jérémie, Abraham l’a compris, les pécheurs n’ont pas d’autre argument que Dieu lui-même ! – On notera au passage l’optimisme d’Abraham : et pour cela il mérite bien d’être appelé « père » ! Il persiste à croire que tout n’est pas perdu, que tous ne sont pas perdus. Dans cette affreuse ville de Sodome, il y a certainement au moins dix hommes bons !
HOMÉLIE DU 17E DIMANCHE ORDINAIRE C
23 juillet, 2016http://parolesdudimanche.blogs.lalibre.be/
HOMÉLIE DU 17E DIMANCHE ORDINAIRE C
Gn 18, 20-32 ; ( Col 2, 12-14) ; Lc 11, 1-13
Pour faire mieux comprendre les réalités spirituelles, rien de tel que d’utiliser des exemples concrets de la vie courante. C’est ce que fait l’auteur de la Genèse en utilisant une vieille légende et les habitudes du marchandage oriental de l’époque. Une époque qui n’est plus la nôtre. Jésus, lui aussi, pour donner son enseignement sur la prière, utilise deux faits divers qui faisaient partie de la vie ordinaire du village. C’est beaucoup plus clair qu’une simple théorie. Après avoir consulté le premier et le deuxième Testament, rappelons deux faits divers : 1) Au cours d’une fancy fair fluviale, un membre éminent du Parlement britannique tombe dans la Tamise. Rapidement repêché, sous les yeux gourmands des caméras de la télévision, la victime commente : « Tout va bien, mais une seule chose m’inquiète. Au départ, nous avions reçu la bénédiction de l’archevêque de Cantorbery. Manifestement, sa prière n’a guère été exaucée. » 2) En Inde, un ministre des communications qui déclare : » Les chemins de fer indiens sont de la responsabilité du Seigneur (Dieu), Vishwakarma ; il en va ainsi de la sécurité des passagers. C’est son devoir, pas le mien ». Deux exemples de la vie ordinaire, qui reflètent une certaine conception de la prière, que l’on retrouve parmi les croyants dans toutes les religions. Il y a évidemment ceux qui doutent de l’utilité et de l’efficacité de la prière. Ils ont tort. D’autres la trouvent ennuyeuse et difficile. Elle ne l’est pas. Un certain nombre lui attribue des vertus magiques, et même l’efficacité d’un chantage. Ce qui est une erreur. Nous prions avec conviction pour la guérison d’un malade. Nous n’aurons peut-être que sa mort comme réponse. On prie et l’on fait prier pour conserver son travail, et l’on se retrouve au chômage. Il y a des prières qui se terminent par des déceptions, voire même des révoltes. Jésus cependant, et tous les prophètes avant lui et après lui, ont répété : « Demandez et vous obtiendrez. Qui demande, reçoit ». Alors ? Très souvent, nous supplions Dieu de nous épargner échecs et souffrances. Et nous pensons un peu légèrement que sa toute puissance doit se traduire par la satisfaction de nos désirs immédiats, y compris réussir un examen, obtenir du beau temps pour « mes » vacances. « Père, dites une bonne prière pour moi. Je joue au Lotto. Si je gagne le gros lot, je n’oublierai pas vos œuvres » ! Quand Jésus parle de la prière, c’est autre chose. Ce qu’il a appris à ses disciples, ce ne sont pas des formules de prière, mais un art de prier, qui est en même temps un art de vivre. Prier, c’est d’abord établir une relation de confiance. Ouvrir notre porte, permettre à Dieu en quelque sorte de venir habiter en nous et nous laisser transformer par lui. La meilleure école de prière est évidemment celle que Jésus nous offre, par son exemple et son enseignement. Une prière filiale. Papa. Comme on dit « Maman ». Matthieu dira « Notre Père ». Nous ne sommes pas des enfants uniques. Nous avons des frères et des sœurs de la grande famille humaine, dont nous sommes solidaires, et nous sommes aussi un peu leur porte parole. Jésus se situe dans la perspective d’une société à bâtir, un royaume d’amour, de justice et de paix. Et c’est à la lumière de l’aboutissement de ce projet qu’il regardait et jugeait toute chose, y compris les risques d’une opposition et d’une condamnation. Dès lors, la véritable prière oriente nos démarches, et donc aussi nos demandes, vers l’essentiel. Dans la logique d’un monde renouvelé. Ainsi, la prière nous met à l’écoute du Verbe de Dieu, pour que nous puissions laisser modeler notre vie par la sienne. Ecouter la Parole, disait Jean Paul II, c’est la chose la plus importante au monde. D’ailleurs, la prière que Jésus nous a laissée est moins une formule à réciter qu’un programme de vie à réaliser. C’est moins obtenir ce que nous demandons que de devenir autre et d’apprendre à voir les personnes, le monde, les événements, autrement. L’écouter, c’est se laisser transformer. Communier à son amour, c’est prendre le risque d’aimer comme lui. Participer à ses projets, c’est bouleverser nos ambitions trop humaines. Oui, quand on demande, on reçoit, quand on frappe, la porte s’ouvre, et LA réponse c’est de recevoir l’Esprit Saint, pour que dans les situations que nous lui avons présentées, nous puissions agir et réagir selon le même Esprit. Ainsi, en découvrant le pardon de Dieu à mon égard, je devrais comprendre que je dois moi aussi pardonner. « Remets-nous nos dettes comme nous les avons remises nous-mêmes à ceux qui nous devaient. » Tout comme en apprenant à mieux le connaître, j’en viendrai à lui exprimer mon admiration et ma reconnaissance. Dans cette perspective, l’eucharistie est un modèle de prière, puisqu’elle nous met à l’écoute du Verbe, Parole de Dieu, qui nous apprend ce qu’il attend de nous. Accueillir son Esprit d’amour, de pardon et de paix. Notre prière alors peut s’étaler en demandes et en remerciements, en cris d’angoisse et en cris de joie. Elle peut s’exprimer en admiration et en interrogation, en termes de tendresse ou de repentir. Elle nous conduit à la pleine communion. Ainsi la prière, et donc l’eucharistie, peut transformer le découragement en espérance, réveiller les endormis, en faire des acteurs et des bâtisseurs. La contemplation provoque l’action et la nourrit. Pour apprendre à prier et pour prier il n’y a ni truc ni recette ni ficelle. Mais il y a l’école du Christ et le témoignage de nombreux priants. Aujourd’hui, nous disposons de moyens considérables, pour apprendre à prier, à méditer, à contempler. Sur Internet, il y a un choix étonnant, pour toutes les sensibilités. Mais, pas facile de bien choisir. Il existe même de petits ouvrages qui permettent de passer quelques minutes, durant 15 jours, en compagnie d’un maître spirituel, homme ou femme. A domicile. Une collection, riche de plus de 100 volumes… Que ce soit le curé d’Ars ou Thérèse d’Avila, François d’Assise ou sainte Claire, Teilhard de Chardin ou Don Helder Camara, Mère Teresa ou Colomba Marmion. (Ed. Nouvelle Cité)
Nous n’avons que l’embarras du choix.
P. Fabien Deleclos, franciscain (T)
1925 – 2008