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COMMENTAIRES DE MARIE-NOËLLE THABUT, DIMANCHE 10 JUILLET 2016
7 juillet, 2016COMMENTAIRES DE MARIE-NOËLLE THABUT, DIMANCHE 10 JUILLET 2016
PREMIERE LECTURE – Livre du Deutéronome 30, 10 – 14
Moïse disait au peuple : 10 « Écoute la voix du SEIGNEUR ton Dieu, en observant ses commandements et ses décrets inscrits dans ce livre de la Loi, et reviens au SEIGNEUR ton Dieu de tout ton cœur et de toute ton âme. 11 Car cette loi que je te prescris aujourd’hui n’est pas au-dessus de tes forces ni hors de ton atteinte. 12 Elle n’est pas dans les cieux, pour que tu dises : ‘Qui montera aux cieux nous la chercher ? Qui nous la fera entendre, afin que nous la mettions en pratique ?’ 13 Elle n’est pas au-delà des mers, pour que tu dises : ‘Qui se rendra au-delà des mers nous la chercher ? Qui nous la fera entendre, fin que nous la mettions en pratique ?’ 14 Elle est tout près de toi, cette Parole, elle est dans ta bouche et dans ton cœur, afin que tu la mettes en pratique. »
Le livre du Deutéronome se présente comme le dernier discours de Moïse, son testament spirituel en quelque sorte : mais il n’a certainement pas été écrit par Moïse lui-même puisqu’il répète à de nombreuses reprises : Moïse a dit, Moïse a fait… Et l’auteur use de beaucoup de solennité pour rappeler ce qui lui semble être l’apport majeur de Moïse : celui qui a fait sortir d’Egypte le peuple d’Israël et a conclu l’Alliance avec Dieu au Sinaï. Par cette Alliance, Dieu s’engageait à protéger son peuple tout au long de son histoire, mais réciproquement, le peuple s’engageait à toujours respecter la Loi de Dieu car il y reconnaissait le meilleur garant de sa liberté retrouvée. Mais une chose est de s’engager, une autre de respecter l’engagement. Or le peuple y a trop souvent manqué ; le royaume du Nord a fait lui-même son propre malheur, et depuis la victoire des Assyriens, il est rayé de la carte. Les habitants du royaume du Sud feraient bien d’en tirer les leçons et c’est à eux que l’auteur s’adresse ici : « Écoute la voix du SEIGNEUR ton Dieu, en observant ses commandements et ses décrets inscrits dans ce livre de la Loi ». Et pourtant il a l’air de dire que ce ne serait pas bien difficile d’observer cette Loi : elle n’est ni difficile à comprendre ni difficile à appliquer : « Cette loi que je te prescris aujourd’hui n’est pas au-dessus de tes forces ni hors de ton atteinte. » Alors pourquoi les hommes, du temps de Moïse, comme du temps de l’auteur du Deutéronome, comme aujourd’hui sont-ils si rétifs à des commandements pourtant bien simples : tu ne tueras pas, tu ne mentiras pas, tu ne voleras pas, tu ne convoiteras pas le bien d’autrui ? A cette question, Moïse répondait : le peuple a « la nuque raide » ; à la fin de sa vie, quand il réfléchissait sur le passé, il pouvait dire : « Ce n’est pas parce que tu es juste que le SEIGNEUR te donne ce bon pays en possession, car tu es un peuple à la nuque raide. Souviens-toi, n’oublie pas que tu as irrité le SEIGNEUR ton Dieu dans le désert. Depuis le jour où tu es sorti du pays d’Egypte jusqu’à votre arrivée ici, vous avez été en révolte contre le SEIGNEUR. » (Dt 9, 6-7). Je m’arrête sur cette expression « nuque raide » : il y a une superbe image qui se cache derrière cette formule que nous disons malheureusement toujours trop vite ; il faut avoir devant les yeux un joug, cette pièce de bois qui unit deux bœufs pour labourer. L’expression « nuque raide » évoque donc un attelage, ou plus exactement une bête qui refuse de courber son cou sous l’attelage ; si une bête est rétive, on se doute bien que l’attelage est moins performant : or, justement, l’Alliance entre Dieu et son peuple était comparée à une attache, un joug d’attelage. Pour recommander l’obéissance à la Loi, Ben Sirac, par exemple, disait : « Soumettez votre nuque à son joug et que votre âme reçoive l’instruction ! » (Si 51, 26-27). Jérémie reprochant au peuple d’Israël ses manquements à la Loi disait dans le même sens : « Tu as brisé ton joug » (Jr 2, 20 ; Jr 5, 5). On comprend mieux du coup la phrase célèbre de Jésus : « Prenez sur vous mon joug et mettez-vous à mon école… Oui, mon joug est facile à porter et mon fardeau léger. » (Mt 11, 29-30). Cette phrase de Jésus a peut-être bien ses racines justement dans notre texte du Deutéronome : « Cette Loi que je te prescris aujourd’hui n’est pas au-dessus de tes forces ni hors de ton atteinte. » Autrement dit, Dieu ne demande pas à son peuple des choses impossibles. Peut-être ce passage s’adresse-t-il à des croyants découragés, à l’instar des disciples qui se plaignirent un jour à Jésus en lui demandant « Qui donc peut être sauvé ? » (Mt 19, 25). On retrouve bien là, dans le Deutéronome d’abord, chez Jésus ensuite, le grand message très positif de la Bible : la Loi est à notre portée, le mal n’est pas irrémédiable ; l’humanité va vers son salut : un salut qui consiste à vivre dans l’amour de Dieu et des autres, pour le plus grand bonheur de tous. Mais, l’expérience aidant, on a appris aussi que la pratique d’une vie juste, c’est-à-dire en conformité avec ce projet de Dieu est quasi-impossible aux hommes s’ils comptent sur leurs seules forces. Et la leçon est toujours la même : Jésus répond à ses disciples : « Aux hommes c’est impossible, mais à Dieu, tout est possible. » (Mt 19, 26). Oui, à Dieu tout est possible, y compris de transformer nos nuques raides. Puisque son peuple est désespérément incapable de fidélité, c’est Dieu lui-même qui transformera son coeur : « Le SEIGNEUR ton Dieu te circoncira le coeur, pour que tu aimes le SEIGNEUR et que tu vives. » (Dt 30, 6). Par « circoncision du coeur », on entend l’adhésion de l’être tout entier à la volonté de Dieu. On a longtemps espéré que le peuple lui-même atteindrait cette qualité d’adhésion à l’Alliance « de tout son coeur, de toute son âme, de toutes ses forces » (comme dit la fameuse phrase du « Shema Israël », la grande profession de foi, Dt 6, 4) ; mais il a bien fallu se rendre à l’évidence ; et des prophètes comme Jérémie, Ezéchiel prennent acte de ce qu’il y faudra une intervention de Dieu : « Je déposerai mes directives au fond d’eux-mêmes, les inscrivant dans leur être ; je deviendrai Dieu pour eux, et eux, ils deviendront un peuple pour moi. » (Jr 31, 33).
HOMÉLIE 15E DIMANCHE ORDINAIRE C
7 juillet, 2016http://parolesdudimanche.blogs.lalibre.be/
HOMÉLIE 15E DIMANCHE ORDINAIRE C
Dt 30, 10-14 ; (Col 1, 15-20) ; Lc 10, 25-37
Il n’y a pas que de mauvaises nouvelles ! Ainsi, il m’arrive régulièrement, comme à vous, probablement, d’être heureusement surpris, parfois même émerveillé, en découvrant dans la vie courante des actes de courage et de générosité, des initiatives de solidarité ou de pardon, là où je ne m’y attendais pas du tout. Ce qui me rappelle un témoignage d’André Chouraqui, déclarant : Moi qui suis juif, « je n’ai pas besoin de recevoir un baptême chrétien pour agir en frère avec les chrétiens ». Ce qui est exact. La Bible nous offre bien des exemples comparables. Des siècles avant Jésus Christ, par exemple, l’armée des Samaritains, écrase la troupe des juifs de Juda, leurs frères ennemis. Surprenant pour l’époque, les prisonniers seront soignés, nourris, habillés par les vainqueurs, puis reconduits parmi leurs frères, à Jéricho (2 Chr 28, 15). Et là, les juifs orthodoxes ont pu constater que leurs ennemis héréditaires pouvaient, en pratique, se comporter d’une manière exemplaire, malgré leurs doctrines et leurs cultes schismatiques. Juifs et Samaritains étaient, de fait, séparés par une véritable haine congénitale. Tout en se réclamant chacun de la même Loi de Moïse, de la même Parole prophétique, dite Parole de Dieu. Ce qui n’a rien d’extraordinaire ou d’exceptionnel, car une loi peut être bien ou mal comprise, bien ou mal interprétée, selon la lettre ou selon l’esprit, avec une mentalité ouverte ou, au contraire, étroite et craintive. Or, dans la Bible, le Dieu de la Loi est moins un Dieu autoritaire qu’un Dieu du dialogue, qui aime parler pour se faire entendre et qui attend qu’on lui réponde. C’est ainsi qu’on a pu dire qu’il y a dans le premier Testament une histoire du détournement du vrai sens de la Loi, malgré les appels répétés des prophètes. Tandis que l’Evangile, se présente comme une invitation pressante et constante à retrouver le vrai sens de la Loi, tel qu’il se manifeste en Jésus, dans sa parole et dans ses actes. Retrouver le vrai sens de la Loi, ce n’est évidemment pas la supprimer. C’est lui rendre toute sa vérité, son idéal, pour pouvoir l’accomplir plus fidèlement. Or, la source de la Loi, c’est le dynamisme même de la vie qui jaillit de l’amour parfait. Et cet amour parfait, c’est l’être même de Dieu. Dieu est amour. Dieu est l’Amour. Il n’empêche qu’une loi d’amour peut être détournée, et même tuée par le légalisme, par exemple, c’est-à-dire l’obsession de la lettre, qui peut en trahir l’esprit. Comme on le voit encore aujourd’hui chez les fanatiques de tout poil. D’ailleurs, l’apôtre Paul a très souvent polémiqué contre la Loi telle qu’elle était interprétée et incarnée par certains tenants d’un judaïsme rigide, formaliste et intransigeant. Ce qui vaut tout autant pour le christianisme. C’est ce que démontre la parabole du Samaritain. D’abord, il ne s’agit pas d’ »un bon Samaritain », ni d’un Samaritain exceptionnel, mais bien d’un Samaritain ordinaire. Un sans loi. Un homme, écrit Luc. Avant lui, nous trouvons deux fonctionnaires du sacré, excellents connaisseurs des lois, rites et règlements. La célébration liturgique terminée, ils sortent du Temple et retournent chez eux… Sur la même route, dans le fossé, un anonyme, victime d’un « car jacking », battu, blessé, couvert de sang, dépouillé de son portefeuille, de ses cartes de crédit et de son portable, dirions-nous aujourd’hui. Voilà les fonctionnaires du Temple confrontés à un cas de conscience. En effet, ils sont de service pour le sacrifice du soir. D’où, obligation de rester purs de tout contact avec du sang ou un cadavre, précise la loi de pureté. Un règlement sacré. Pas question de prendre des risques. Ils vont donc interpréter la loi de pureté à la lettre… Ils changent de trottoir. Priorité absolue à la loi religieuse et à la validité du culte. En réalité, ils dissocient arbitrairement l’amour de Dieu et l’amour du prochain, comme s’il n’y avait pas une relation étroite et indissoluble entre les deux. L’unique commandement d’amour, en effet, a deux dimensions inséparables : une verticale et une horizontale. Le troisième passant, c’est le Samaritain. Ce mal pensant, ce pelé, ce galeux, qui, lui est saisi de compassion, pris aux tripes. Comme on le verra dans une autre page de l’évangile, avec Jésus, saisi de compassion à la vue de la veuve de Naïn. Il ne pense pas d’abord à lui, mais à l’autre. De même, le Samaritain, qui réagit en prenant des initiatives interdites, selon les interprétations rigoristes et ritualistes de la Loi. De plus, il ne va pas se contenter du minimum d’assistance à personne en danger. Il songe même à la suite, jusqu’à y consacrer du temps et de l’argent. Or, Jésus va prendre l’hérétique-Samaritain comme un modèle d’application concrète du grand précepte de la Loi. Car aimer son prochain, c’est aussi se débarrasser de préjugés de races, de castes, de nationalités, de religions. C’est donc zéro à l’examen pour les spécialistes du culte, pourtant parfaitement compétents en la matière. Mais qui, en définitive, est le prochain ? En réalité, la Loi ne le précise pas. D’où, la question du disciple. Pour Jésus, et contrairement à l’opinion courante, le prochain est celui qui manifeste de la miséricorde et non pas l’homme en détresse, laissé sur la route et bénéficiaire du geste de compassion. Le prochain, ce n’est donc pas l’autre à aimer et à secourir, mais bien celui qui s’est fait proche de lui. Celui qui ne consulte pas d’abord et scrupuleusement le règlement, mais qui s’approche au lieu de changer de trottoir ou de rester à distance. Et plutôt que de discuter, il met la main à la pâte. C’est ce que nous sommes invités à faire.
P. Fabien Deleclos, franciscain (T)
1925 – 2008