Archive pour juin, 2016

COMMENTAIRES DE MARIE-NOËLLE THABUT – Premier Livre des Rois 17, 17-24

3 juin, 2016

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COMMENTAIRES DE MARIE-NOËLLE THABUT, DIMANCHE 5 JUIN 2016

PREMIERE LECTURE – Livre du Premier Livre des Rois 17, 17-24

En ces jours-là, 17 le fils de la femme chez qui habitait le prophète Élie tomba malade ; le mal fut si violent que l’enfant expira. 18 Alors la femme dit à Élie : « Que me veux-tu, homme de Dieu ? Tu es venu chez moi pour rappeler mes fautes et faire mourir mon fils ! » 19 Élie répondit : « Donne-moi ton fils ! » Il le prit des bras de sa mère, le porta dans sa chambre en haut de la maison et l’étendit sur son lit. 20 Puis il invoqua le SEIGNEUR : « SEIGNEUR, mon Dieu, cette veuve chez qui je loge, lui veux-tu du mal jusqu’à faire mourir son fils ? » 21 Par trois fois, il s’étendit sur l’enfant en invoquant le SEIGNEUR : « SEIGNEUR, mon Dieu, je t’en supplie, rends la vie à cet enfant ! » 22 Le SEIGNEUR entendit la prière d’Élie ; le souffle de l’enfant revint en lui : il était vivant ! 23 Élie prit alors l’enfant, de sa chambre il le descendit dans la maison, le remit à sa mère et dit : « Regarde, ton fils est vivant ! » 24 La femme lui répondit : « Maintenant je sais que tu es un homme de Dieu, et que, dans ta bouche, la parole du SEIGNEUR est véridique. »

Ceci se passe à Sarepta, sur la côte méditerranéenne, là où à l’occasion d’une grande sécheresse qui sévissait en Israël, Elie a trouvé refuge auprès d’une veuve pauvre ; il avait déjà, rappelez-vous, accompli pour elle et son fils un premier miracle : tout au long de la période de famine, les maigres réserves de farine et d’huile de la famille n’avaient pas baissé et la femme avait pu se nourrir ainsi que son fils et le prophète étranger qu’elle avait accepté d’accueillir sous son toit. Mais à quoi bon multiplier la nourriture si c’est pour mourir tout de même ? Pendant que le prophète habitait chez la veuve de Sarepta, voici que son fils tombe malade et meurt. Or, dans la mentalité de l’époque, une mort prématurée était forcément considérée comme un châtiment. Si la veuve avait perdu son mari, déjà, sans nul doute, elle était coupable, même sans le savoir ; la mort de son fils venait confirmer le verdict. C’est donc tout naturellement qu’elle dit à Elie : « Tu es venu chez moi pour rappeler mes fautes et faire mourir mon fils ! » Dans sa douleur, elle emploie même une formule particulièrement dure : littéralement « Qu’y a-t-il entre toi et moi ? » Petite phrase que nous connaissons bien, puisque Jésus lui-même l’a adressée à sa mère lors des noces de Cana. La traduction donnée dans notre lecture « Que me veux-tu, homme de Dieu ? » rend assez bien la révolte de la femme qui attribue à la présence d’Elie la mort de l’enfant. Cette idée que Dieu pourrait en vouloir à notre vie nous effleure parfois, peut-être ; la suite du texte prouve au contraire, que l’oeuvre de Dieu est une oeuvre de vie et de guérison. Aussi, en rendant la vie au fils de la veuve, Elie accomplit-il beaucoup plus qu’une guérison physique : il ouvre la femme à la vérité. Désormais elle saura que la mort n’est pas un châtiment ; elle saura aussi que Dieu est le Dieu de la vie. Cette païenne vient d’être libérée de ses fausses idées sur Dieu ! L’auteur du livre des Rois, quant à lui, poursuit un projet bien précis quand, des siècles après les événements, il donne cette histoire à méditer à ses contemporains : car la veuve de Sarepta est une païenne, par hypothèse ; or elle sait reconnaître l’envoyé de Dieu et elle sait reconnaître Dieu à l’oeuvre à travers lui. Pendant ce temps, le peuple élu, bénéficiaire de tant de prédication prophétique depuis si longtemps, oublie son Dieu et méconnaît Elie, son prophète. Car ceci se passe, rappelez-vous, sur fond d’idolâtrie : la reine Jézabel a entraîné le peuple dans le culte des Baals ; c’est bien le monde à l’envers : le peuple élu abandonnant l’Alliance et des païens devenus capables de reconnaître le vrai Dieu. A bon entendeur salut, semble nous dire l’auteur. Il en profite pour délivrer également un autre message qui devient de plus en plus insistant au fur et à mesure que progresse la découverte des hommes de la Bible : Dieu ne réserve pas ses bienfaits au seul peuple d’Israël, toute l’humanité est appelée à en bénéficier. « En toi seront bénies toutes les familles de la terre » avait dit Dieu à Abraham (Gn 12, 3). Et depuis la révélation du buisson ardent, on sait que, partout sur toute la terre, Dieu entend les cris, Dieu voit les larmes des veuves et des orphelins ; et il envoie ses prophètes pour les soulager. Quelques siècles plus tard, Jésus aura encore besoin de rappeler cette leçon à ses contemporains : un matin de shabbat à la synagogue de Nazareth, ils l’ont entendu affirmer : « Oui, je vous le déclare, aucun prophète ne trouve accueil dans sa patrie. En toute vérité, je vous le déclare, il y avait beaucoup de veuves en Israël aux jours d’Elie, quand le ciel fut fermé (il ne plut pas) trois ans et six mois et que survint une grande famine sur tout le pays ; pourtant ce ne fut à aucune d’entre elles qu’Elie fut envoyé, mais bien dans le pays de Sidon, à une veuve de Sarepta. » Les lecteurs du livre des Rois, les auditeurs de Jésus avaient, il faut le croire, du mal à l’admettre ! Ils ont peut-être d’autant plus de mal que cette pauvre veuve, bien humble, qui n’a bénéficié d’aucun catéchisme, se permet de leur donner la véritable définition du prophète : « Maintenant je sais que tu es un homme de Dieu, et que, dans ta bouche, la parole du Seigneur est véridique. » A un moment, précisément, où les prophètes n’avaient guère d’audience, le livre du Deutéronome avait justement insisté sur la gravité de ce refus d’écouter : « C’est un prophète comme toi (Moïse) que je leur susciterai du milieu de leurs frères ; je mettrai mes paroles dans sa bouche, et il leur dira tout ce que je lui ordonnerai. Et si quelqu’un n’écoute pas mes paroles, celles que le prophète aura dites en mon nom, alors moi-même je lui en demanderai compte. » (Dt 18, 18-19). La méconnaissance des contemporains d’Elie, celle des contemporains de Jésus n’en apparaissent que plus clairement : Dieu parle par ses prophètes et personne ne les écoute. Refrain connu : Elie lui-même, dans un de ses moments de découragement, s’en plaignait à Dieu : « Je suis passionné pour le Seigneur, le Dieu des puissances : les fils d’Israël ont abandonné ton alliance, ils ont démoli tes autels et tué tes prophètes par l’épée ; je suis resté moi seul et l’on cherche à m’enlever la vie. » (1 R 19, 10). Mais n’oublions pas qu’à cette plainte d’Elie, Dieu a répondu en lui faisant remarquer une présence qu’il avait peut-être tendance à sous-estimer : celle d’une multitude de croyants anonymes dont la foi n’avait pas chancelé. Réponse valable en tous temps : à plusieurs reprises, Jésus s’est émerveillé de la foi de ses interlocuteurs : à notre tour, il nous suffit peut-être d’ouvrir les yeux, nous ne sommes pas seuls, des croyants nous entourent.

HOMÉLIE DU 10E DIMANCHE ORDINAIRE C

3 juin, 2016

http://parolesdudimanche.blogs.lalibre.be/

HOMÉLIE DU 10E DIMANCHE ORDINAIRE C

1 R, 17, 17-24 ; Ga 1, 11-19 ; Lc 7, 11-17

Dans la vie quotidienne et sous tous les climats, il est des aveux et des confidences qui constituent de véritables clichés tant ils évoquent à la fois les mêmes angoisses, des interrogations et des révoltes identiques. « Depuis la mort de mon mari, ma foi ne cesse de faiblir. Elle aussi va mourir… ». « J’ai vu à la TV des corps d’enfants déchiquetés par les bombes. Pourquoi Dieu permet-il ces massacres d’innocents ? ». Il y a aussi l’angoisse viscérale qui éclate et envahit tout l’être quand on a frôlé la mort ou quand celle des autres nous rappelle sans ménagement que notre tour viendra. Chose étrange et finalement révélatrice, la peur de la mort et son « non sens » augmente au même rythme que celui des moyens trouvés pour la retarder, l’adoucir ou la faire oublier. Au siècle des assurances tous risques, il en est un que rien ni personne ne peut couvrir… Et nous cherchons fébrilement des coupables. Dieu lui-même n’échappe pas à nos soupçons, reproches et accusations. Lui qui est qualifié de bon et qui peut tout, pourquoi laisse-t-il partir tant de jeunes pleins d’espérance, tant d’hommes et de femmes encore indispensables ? Et pourquoi prolonge-t-il l’existence de tant d’autres dont « la vie ne vaut plus la peine d’être vécue » ? C’est peut-être pour avoir perdu le vrai sens de la vie que le sens de la mort nous échappe. La « Bonne Nouvelle » de Jésus Christ contient tous les éléments de réponse à nos craintes et à nos ignorances, à nos erreurs et nos illusions. Mais ils ne s’emboîtent pas selon nos plans et nos critères. La mort ne relève pas d’une notion de justice, si ce n’est la garantie pour tout être humain de connaître un jour l’arrêt définitif d’un mode « biologique » d’existence. Le Christ lui-même n’a pas échappé à la mort corporelle, ni même à l’angoisse dans l’ultime solitude. Les deux récits de réanimation que la liturgie nous invite à méditer ce jour ne sont pas simplement deux miracles offerts à notre admiration, mais des signes qu’il faut lire, des messages à comprendre pour éclairer et nourrir notre foi. Jésus n’est pas venu modifier ni bouleverser les lois de la nature. Il n’a pas parcouru villes et villages pour arrêter les convois funèbres et rendre les défunts à leurs familles… Par contre, il a vu et regardé les souffrances humaines avec les yeux du cœur, la sollicitude et la tendresse du Père. Il s’est laissé bouleverser. Il a pris part aux peines, aux tristesses et aux deuils. A ces contemporains qui croyaient que la mort des innocents était châtiment pour des péchés, Jésus est venu révéler un Dieu d’amour, de miséricorde et de vie. Un Dieu infiniment et éternellement créateur, nous offrant même la mort comme un « accouchement de la vie ». La valeur suprême de la vie étant celle de la communion au Christ, qui est victoire de l’amour sur le péché. « Ne pleure pas… Lève-toi ». Ces invitations ne cessent d’être offertes à tous les accablés, les écrasés, les angoissés, les éprouvés. La mort n’est pas le dernier mot de la vie, mais un passage obligé pour un surcroît de vie et même la vie en plénitude. C’est la tête haute et l’espérance au cœur qu’il nous faut comprendre et accepter le détachement purificateur des morts quotidiennes, ces passages qui préparent au grand passage. Merveilleux don que l’existence terrestre, souffle immortel de Dieu dans une enveloppe périssable. Existence éternelle greffée dans le tissu du temps. Aucune vie n’a de valeur marchande, car toute vie vaut toujours la peine d’être vécue. Elle ne relève pas de l’avoir ou de la jouissance mais de la qualité d’être. La mort dès lors s’accueille comme la vie. Des créations nouvelles. Dans la marche vers la vie, l’horizon n’est pas bouché par un cercueil ouvrant sur le vide, mais bien ouvert sur un tombeau vide, signe de la résurrection du Christ. C’est elle qui peut nous donner « une spiritualité de transcendance à notre vie quotidienne »… « Seigneur, tu m’a fait remonter de l’abîme et revivre quand je descendais à la fosse » (Ps 29).

P. Fabien Deleclos, franciscain (T) 1925 – 2008

Saint Justin martyr

1 juin, 2016

Saint Justin martyr dans images sacrée StJustinMartyr

http://christchurchwindsor.ca/2013/06/01/justin-martyr-2/

BENOÎT XVI – SAINT JUSTIN – 1 juin

1 juin, 2016

http://w2.vatican.va/content/benedict-xvi/fr/audiences/2007/documents/hf_ben-xvi_aud_20070321.html

BENOÎT XVI – SAINT JUSTIN

AUDIENCE GÉNÉRALE

Mercredi 21 mars 2007

Chers frères et sœurs,

Au cours de ces catéchèses, nous réfléchissons sur les grandes figures de l’Eglise naissante. Aujourd’hui, nous parlons de saint Justin, philosophe et martyr, le plus important des Pères apologistes du II siècle. Le terme « apologiste » désigne les antiques écrivains chrétiens qui se proposaient de défendre la nouvelle religion des lourdes accusations des païens et des Juifs, et de diffuser la doctrine chrétienne dans des termes adaptés à la culture de leur époque. Ainsi, chez les apologistes est présente une double sollicitude:  celle, plus proprement apologétique, de défendre le christianisme naissant (apologhía  en  grec  signifie précisément « défense »), et celle qui propose une sollicitude « missionnaire » qui a pour but d’exposer les contenus de la foi à travers  un  langage  et  des catégories de pensée compréhensibles par leurs contemporains. Justin était né aux environs de l’an 100 près de l’antique Sichem, en Samarie, en Terre Sainte; il chercha longuement la vérité, se rendant en pèlerinage dans les diverses écoles de la tradition philosophique grecque. Finalement, – comme lui-même le raconte dans les premiers chapitres de son Dialogue avec Tryphon – un mystérieux personnage, un vieillard rencontré sur la plage de la mer, provoqua d’abord en lui une crise, en lui démontrant l’incapacité de l’homme à satisfaire par ses seules forces l’aspiration au divin. Puis il lui indiqua dans les anciens prophètes les personnes vers lesquelles se tourner pour trouver la voie de Dieu et la « véritable philosophie ». En le quittant, le vieillard l’exhorta à la prière, afin que lui soient ouvertes les portes de la lumière. Le récit reflète l’épisode crucial de la vie de Justin:  au terme d’un long itinéraire philosophique de recherche de la vérité, il parvint à la foi chrétienne. Il fonda une école à Rome, où il initiait gratuitement les élèves à la nouvelle religion, considérée comme la véritable philosophie. En celle-ci, en effet, il avait trouvé la vérité et donc l’art de vivre de façon droite. Il fut dénoncé pour cette raison et fut décapité vers 165, sous le règne de Marc Aurèle, l’empereur philosophe auquel Justin lui-même avait adressé l’une de ses Apologies. Ces deux œuvres – les deux Apologies et le Dialogue avec le Juif Tryphon – sont les seules qui nous restent de lui. Dans celles-ci, Justin entend illustrer avant tout le projet divin de la création et du salut qui s’accomplit en Jésus Christ, le Logos, c’est-à-dire le Verbe éternel, la raison éternelle, la Raison créatrice. Chaque homme, en tant que créature rationnelle, participe au Logos, porte en lui le « germe » et peut accueillir les lumières de la vérité. Ainsi, le même Logos, qui s’est révélé comme dans une figure prophétique aux juifs dans la Loi antique, s’est manifesté partiellement, comme dans des « germes de vérité », également dans la philosophie grecque. A présent, conclut Justin, étant donné que le christianisme est la manifestation historique et personnelle du Logos dans sa totalité, il en découle que « tout ce qui a été exprimé de beau par quiconque, nous appartient à nous chrétiens » (2 Apol. 13, 4). De cette façon, Justin, tout en contestant les contradictions de la philosophie grecque, oriente de façon décidée vers le Logos toute vérité philosophique, en justifiant d’un point de vue rationnel la « prétention » de vérité et d’universalité de la religion chrétienne. Si l’Ancien Testament tend au Christ comme la figure oriente vers la réalité signifiée,  la  philosophie  grecque vise elle aussi au Christ et à l’Evangile, comme la partie tend à s’unir au tout. Et il dit que ces deux réalités, l’Ancien Testament et la philosophie grecque, sont comme les deux voies qui mènent au Christ, au Logos. Voilà pourquoi la philosophie grecque ne peut s’opposer à la vérité évangélique, et les chrétiens peuvent  y  puiser  avec  confiance, comme à un bien propre. C’est pourquoi mon vénéré prédécesseur, le Pape Jean-Paul II, définit Justin comme « pionnier d’une rencontre fructueuse avec la pensée philosophique, même marquée par un discernement prudent », car Justin, « tout en conservant même après sa conversion, une grande estime pour la philosophie grecque, [...] affirmait avec force et clarté qu’il avait trouvé dans le christianisme « la seule philosophie sûre et profitable » (Dialogue, 8, 1) » (Fides et ratio, n. 38). Dans l’ensemble, la figure et l’œuvre de Justin marquent le choix décidé de l’Eglise antique pour la philosophie, la raison, plutôt que pour la religion des païens. Avec la religion païenne en effet, les premiers chrétiens refusèrent absolument tout compromis. Ils estimaient qu’elle était une idolâtrie, au risque d’être taxés d’ »impiété » et d’ »athéisme ». Justin en particulier, notamment dans sa première Apologie, conduisit une critique implacable à l’égard de la religion païenne et de ses mythes, qu’il considérait comme des « fausses routes » diaboliques sur le chemin de la vérité. La philosophie représenta en revanche le domaine privilégié de la rencontre entre paganisme, judaïsme et christianisme précisément sur le plan de la critique contre la religion païenne et ses faux mythes. « Notre philosophie… »:  c’est ainsi, de la manière la plus explicite, qu’un autre apologiste contemporain de Justin, l’Evêque Méliton de Sardes en vint à définir la nouvelle religion (ap. Hist. Eccl. 4, 26, 7). De fait, la religion païenne ne parcourait pas les voies du Logos mais s’obstinait sur celles du mythe, même si celui-ci était reconnu par la philosophie grecque comme privé de consistance dans la vérité. C’est pourquoi le crépuscule de la religion païenne était inéluctable:  il découlait comme une conséquence logique du détachement de la religion – réduite à un ensemble artificiel de cérémonies, de conventions et de coutumes – de la vérité de l’être. Justin, et avec lui les autres apologistes, marquèrent la prise de position nette de la foi chrétienne pour le Dieu des philosophes contre les faux dieux de la religion païenne. C’était le choix pour la vérité de l’être, contre le mythe de la coutume. Quelques décennies après Justin, Tertullien définit le même choix des chrétiens avec la sentence lapidaire et toujours valable:  « Dominus noster Christus veritatem se, non con-suetudinem, cognominavit – le Christ a affirmé être la vérité, non la coutume » (De virgin. vle. 1, 1). On notera à ce propos que le terme consuetudo, ici employé par Tertullien en référence à la religion païenne, peut être traduit dans les langues modernes par les expressions « habitude culturelle », « mode du temps ». A une époque comme la nôtre, marquée par le relativisme dans le débat sur les valeurs et sur la religion – tout comme dans le dialogue interreligieux -, il s’agit là d’une leçon à ne pas oublier. Dans ce but, je vous repropose – et je conclus ainsi – les dernières paroles du mystérieux vieillard rencontré par le philosophe Justin au bord de la mer:  « Prie avant tout pour que les portes de la lumière te soient ouvertes, parce que personne ne peut voir et comprendre, si Dieu et son Christ ne lui accordent pas de comprendre » (Dial.  7, 3).

 

L’ICONE DE LA TRINITE

1 juin, 2016

http://www.spiritains.org/pub/esprit/archives/art1956.htm

L’ICONE DE LA TRINITE

chemin d’unification

Vie spirituelle

Thérèse Maillard

Thérèse et Philippe Maillard vivent en fraternité. Ils sont entourés par un noyau de personnes qui viennent prier chez eux. Depuis 17 ans, ils ont eu le bonheur d’avoir été initiés à l’icône par Henry Corta, artisan d’icônes, qui a mis au point une pédagogie catéchétique de l’icône. Animatrice en Pastorale scolaire, en collège, depuis 18 ans dans le Nord de la France, je suis de plus en plus sensible à la pauvreté, voire la détresse humaine et spirituelle de certains jeunes. Elles me semblent liées à un manque de repères, à des blessures intérieures profondes qui se manifestent souvent par une violence plus destructrice que libératrice. Comment accompagner ces jeunes, pour que chacun puisse trouver son unité intérieure, si ce n’est d’abord en me laissant façonner par l’amour divin. J’ai très vite été interpellée par l’enseignement spirituel des icônes et par le chemin de conversion auquel je me sens appelée chaque jour, en les regardant. L’opportunité de cette année jubilaire, la demande de la revue Esprit Saint, mon vécu personnel et professionnel, m’invitent aujourd’hui à vous partager ce que j’ai moi-même reçu des icônes et en particulier de l’icône de la Sainte Trinité comme chemin d’unification. A travers quelques clefs de lecture, je vous invite à regarder : – comment cette icône de la Trinité nous révèle la Parole de Dieu et la met en lumière; – comment cette Parole traduite en image nous invite à entrer en relation avec Dieu trinitaire pour y puiser notre identité – comment, dans l’Eglise, nous sommes appelés, chacun et ensemble, à être des témoins de cette communion trinitaire. »La volonté de Dieu, c’est notre sanctification, c’est à dire notre entrée dans la vie trinitaire » L’icône nous révèle le Dieu Trinité. « En celui qui garde fidèlement sa Parole, l’amour de Dieu atteint sa perfection » (1 Jn 2, 5 ) Toute icône est une profession de foi et se contemple dans la foi. Elle est traduction visuelle de la Parole de Dieu, et de la Tradition de l’Eglise. C’est l’Eglise en effet qui, par les conciles et sa liturgie, se porte garante de cette fidélité à la Parole. C’est donc par le regard de la foi que je peux comprendre intérieurement une icône. Le fond or de l’icône, expression de la Lumière divine, révélée en plénitude par la mort et la résurrection de Jésus-Christ, nous plonge dans ce regard de la foi. Appelée aussi Lumière incréée, elle est d’un éclat tout autre que celui des lumières créées: « le quatrième jour, Dieu fit les luminaires majeurs… » (Gn 1, 16.) Elle traverse toute la Bible, à partir de Genèse 1, 3: « Que la Lumière soit » jusqu’à Apocalypse 22, 3: « La nuit ne sera plus… Car le Seigneur répandra sur eux sa Lumière ». C’est cette Lumière, qui nous fait quitter le regard naturel pour entrer dans une vision de foi. Cette réalité est aussi manifestée sur l’icône par l’absence d’ombre. En effet, en iconographie, la technique de la superposition des couleurs fait que la lumière vient de l’intérieur. C’est de l’intérieur aussi que nous sommes invités à entrer dans l’icône . Mais comment est-il possible de représenter la Trinité alors qu’elle n’est pas nommée explicitement dans la Bible ? En effet, la première alliance nous révèle un Dieu d’amour. Et Jésus, par son incarnation, nous laisse entrevoir que cet amour est le fruit d’une communion intense qu’il vit avec son Père par l’Esprit qui les unit et qu’il nous promet. Ce n’est qu’en 325, que l’Eglise, après trois siècles de prière et de maturation, fixe le Credo qui proclame officiellement la Sainte Trinité. En 787, au concile de Nicée II, elle reconnaît le culte de icônes et en indique les conditions. SIZE=2> Les Pères grecs ont toujours interprété le texte de Genèse 18, 1-15 – l’hospitalité d’Abraham – comme une visite de la Sainte Trinité à Abraham. Du IVe au XVIe siècle, de nombreux peintres d’icônes ont traduit visuellement ce thème, en montrant cet épisode avec un certain nombre de détails historiques tel que Abraham et Sara, les objets posés sur la table, le serviteur tuant le veau gras, la tente d’Abraham et Sara, le chêne de Mambré, la montagne du sacrifice d’Isaac. Le génie d’André Roublev (1360-1430) est d’avoir réussi, à partir de la valeur historique de la scène, à nous faire entrer dans une contemplation du mystère de la Trinité par un dépouillement des détails. Il ne reste que trois personnes inscrites dans un mouvement circulaire invisible. La table devient autel et ne porte que la coupe. La montagne, le chêne et la demeure se transforment en symboles. Il a réussi, à partir de la traduction visuelle de l’événement à nous en donner toute son interprétation théologique que nous détaillerons plus loin. Abraham en accueillant ces personnes, s’adresse à eux au singulier et au pluriel. Ils sont un et trois. Il commence, par saluer les trois voyageurs comme s’il ne parlait qu’à une seule personne, au singulier! : « Monseigneur, je t’en prie » (Gn 18, 3). Puis il reprend le pluriel pour s’adresser aux trois: « Vous vous réconforterez. » (Gn 18, 5). Peinte entre 1422 et 1427 par ce moine André Roublev, du monastère de la Trinité, l’icône de la Trinité était destinée à l’iconostase de l’église. Haute de 142 cm et large de 112 cm, elle est actuellement à la galerie Tretiakov à Moscou. Il est étonnant de voir sur l’icône la douceur et la paix des visages des anges, alors que le peuple russe est déchiré par la guerre. Cette icône annonce un Dieu plein de tendresse et de compassion, tel que la Bible le révèle, proche des hommes et de leur souffrance. Assis autour d’une table, les trois anges nous invitent par cette place ouverte devant nous, à entrer, par la foi, dans le mystère de cette communion trinitaire, où « l’amour divin atteint sa Perfection ». L’icône est invitation à entrer dans l’amour du Dieu trinitaire « Si quelqu’un m’aime, mon Père l’aimera; nous viendrons chez lui et nous ferons chez lui notre demeure » (Jn 14, 23). Cette icône nous appelle, selon l’intensité de notre désir, à entrer en relation avec Dieu. En regardant la paix, la douceur, la communion d’amour entre les anges, nous pressentons que c’est cette réalité que nous sommes invités à recevoir de Dieu. Cela est traduit visuellement par la perspective inversée qui, abolissant la distance, montre que Dieu est là, tout proche. Concrètement cette proximité se traduit par les lignes qui, en suivant le mouvement de l’ange de gauche et de droite, sur leur estrade, se rencontrent en notre coeur. Et le coeur, au sens biblique, est le lieu de la présence de Dieu. Les anges, par leur position, sont intégrés dans un mouvement circulaire qui part du pied gauche de l’ange de droite et continue dans l’inclinaison de sa tête. Il passe à l’ange du milieu et se prolonge tout au long de l’ange de gauche jusqu’aux pieds. Le cercle, dans le langage iconographique, représente le monde divin infini et donc sans limite. En son centre se trouve une coupe sur une table ouverte à nous. C’est dans ce monde divin, dans ce cercle, que nous sommes invités à entrer en buvant à la coupe qui nous est offerte. Cette coupe se trouve aussi au coeur d’une coupe plus vaste que forment les deux anges latéraux depuis leur tête jusqu’à leurs pieds. Toute la tradition est d’accord pour voir en cette coupe, la coupe eucharistique. Au cours de la restauration de l’icône, on découvrit différentes couches de peinture sur la coupe : une grappe de raisin, prémices du vin qui renvoie au sang du Christ, et un agneau qui fait allusion à Jésus: « l’Agneau sans défaut et sans tache, prédestiné avant la fondation du monde et manifesté à la fin des temps » (1 P. 1, 19) . Ce mystère transcende le temps. Cette coupe est posée au centre d’une table rectangulaire. La forme carrée ou rectangulaire est le signe de notre terre limitée par quatre cotés. Ces quatre coins nous renvoient aux points cardinaux qui chez les pères de l’Eglise sont symboliques des quatre Evangiles. Cette parole s’est faite chair, et Jésus s’offre à nous dans la coupe. L’autel représente aussi le tombeau du Christ, puis celui des martyrs. L’ouverture rectangulaire sur le devant est typique de l’autel romain. C’est « la fenestrella confessionis », petite cavité par laquelle on pouvait accéder au corps du Saint que l’on vénérait. Il est vrai que très vite en occident on éprouva le désir de célébrer l’eucharistie sur la tombe des martyrs, alors que l’Eglise d’Orient la célébrait sur une table de modeste dimension.D’après Nicolas Greschny, il est sûr que André Roublev connaissait l’occident et qu’il voulait, sur son icône, unir la pensée latine et grecque. L’icône fait allusion deux fois à la croix. D’abord par le chêne de Mambré, qui a ici un sens symbolique. Il fait référence à l’Arbre de vie de qui, selon la tradition, on a tiré le bois de la croix. La deuxième allusion à la croix est dans la composition de l’icône : Son axe vertical part de l’auréole de l’ange du milieu pour descendre sur l’autel, passer par la coupe et traverser le petit rectangle, symbole de notre humanité. Cet axe partage l’icône en deux et se croise avec la ligne horizontale qui unit les cercles lumineux des anges des côtés. La croix est au coeur de la vie divine. Si nous voulons laisser Dieu faire sa demeure en nous, il me semble que cette icône nous oriente par son enseignement. Désirer entrer dans la communion trinitaire et boire à la coupe eucharistique, coeur du mystère du salut, demande un passage, un lâcher prise. L’icône l’exprime visuellement par la croix, symbole de la mort du Christ et de la mort à soi-même pour vivre dans le Christ ressuscité. Par ce chemin d’incarnation, nous pourrons laisser notre être recevoir son identité, unifiée par la présence vivante du Père uni au Fils dans l’Esprit. « La révélation du nom de Dieu et de son visage le plus profond, c’est à dire le secret trinitaire est lié au renoncement. » L’icône appelle à être témoins d’unité « Que tous soient un. Comme toi, Père, tu es en moi et moi en toi » (Jn 17, 21) Notre être, s’il est à l’image de la communion trinitaire ne peut être que relationnel. La communion entre les personnes est soulignée par le cercle divin dans lequel ils sont intégrés. Leurs corps sont élancés: quatorze fois la hauteur de la tête au lieu de sept normalement. Avec leurs ailes et la transparence de leurs vêtements, ils semblent ne pas être soumis à la pesanteur. Cela confirme que la rencontre se vit sur le plan spirituel. Cette communion trinitaire est réelle parce que chaque ange a sa place, signifiée par la couleur des vêtements, les regards, les attitudes, les objets. Il n’y a ni fusion, ni exclusion, mais intégration de ce que l’autre est. Si la couleur bleue sur le vêtement de chacun représente la divinité qui fait leur unité, chacun a une couleur qui l’identifie. Il existe différentes interprétations sur la place des anges. Et cette diversité a le mérite de ne pas enfermer l’infini de Dieu. Aujourd’hui, je suis très interpellée par celle-ci, qui n’en exclut aucune autre. L’intensité du colloque qui relie les anges va nous guider. Ce dialogue semble naître d’un souffle lancé par l’ange de droite vers l’ange du milieu qui suit le mouvement. Ce dernier s’adresse à l’ange de gauche, en le regardant au coeur. De nombreuses interprétations disent que l’ange central représente le Père dont la robe pourpre est l’attribut. Il s’entretient du mystère du salut avec l’ange de gauche qui reçoit ce mystère au niveau du coeur dans le silence. Ce dernier donne sa réponse au Père par le geste de bénédiction de sa main droite : en effet, l’index et le majeur de sa main (légèrement visible sur l’icône) posés sur la table représente son humanité et sa divinité qu’il a assumé par son incarnation. Les couleurs de son vêtement bleu (expression de la divinité) et ocre marron (expression de son humanité), confirment l’incarnation de Jésus jusqu’à sa mort sur une croix. Le blanc de la table est la couleur de la Résurrection. Jésus regarde l’ange de droite au front, lieu de la pensée commune du Père et du Fils. Ce salut, est destiné à toute l’humanité que l’ange de droite désigne par sa main tombante vers l’ouverture de la table. C’est l’Esprit qui donne son souffle et qui nous est promis. Le vert de son vêtement traduit sa fécondité. Les anges ont une coiffe identique. Dans l’art byzantin, les anges sont reconnaissables parce que même s’ils ont les cheveux courts, ils portent un bandeau noué autour de la tête. Les pans des noeuds voltigeant autour de l’oreille prennent une signification : celle de l’écoute, de l’obéissance. Les anges sont des messagers parce qu’ils écoutent les ordres du Seigneur. On perçoit les pans des noeuds de façon très légère dans le nimbe. Les trois anges tiennent un bâton à la main, comme des pèlerins. Ils s’arrêtent dans la demeure d’Abraham et Sara. Chaque bâton désigne un objet ou un lieu. Le bâton porté par l’ange central désigne le chêne de Mambré qui renvoie à l’Arbre de Vie dont parle le livre de la Genèse (2, 9). Cet arbre de vie fait référence à la Parole de Dieu créatrice et donc au Père « créateur du ciel et de la terre ». Le bâton porté par l’ange de gauche désigne la demeure d’Abraham et Sara qui, ici, devient l’Eglise, Corps du Christ, et dont le mystère ne peut se comprendre que dans la lumière de la communion trinitaire. Le bâton porté par l’ange de droite désigne la montagne, qui bibliquement est le lieu de la révélation de Dieu, le lieu de l’expérience spirituelle où nous conduit l’Esprit. L’icône nous oriente sur la visibilité de cette communion trinitaire par la représentation de l’Eglise. Dieu trinitaire se manifeste dans l’Eglise, appelée à cette unité. Pour cela, chaque membre est aussi appelé à vivre pleinement sa vocation de service, nourri par une vie de prière (montagne), centré sur la Parole de Dieu (l’arbre). « Soyez unis, comme le Père et moi sommes un ». Le dialogue entre les trois anges nous montre que la véritable unité se vit en Dieu, vient de Dieu et nous est donnée par l’écoute de l’Esprit, le dialogue du coeur à coeur, le silence, l’acceptation du réel, l’incarnation dans un lâcher prise, l’expérience du salut, le don de soi, l’ouverture. En méditant et en travaillant cette icône de la Trinité d’André Roublev, j’ai été nourrie par son enseignement théologique et spirituel pour ma vie quotidienne et professionnelle. J’y ai trouvé trois clefs de compréhension pour répondre à la question de mon introduction : comment accompagner ces jeunes blessés et sans repères? – Accompagner les jeunes dans leurs blessures, leurs souffrances, c’est d’abord les regarder avec le même regard d’amour que Dieu pour que mes paroles soient ajustées. La douceur et la paix qui émane du regard des trois anges révèle ce Dieu, plein de tendresse et de pitié pour chacun. – Accompagner les jeunes, c’est apprendre à entrer dans mon être profond, dans ce mouvement d’amour divin auquel je suis invitée, pour vivre un coeur à coeur avec les jeunes, au sens biblique. Si mes actions sont ajustées à mes paroles, parce que purifiées par la Parole de Dieu, une vie priante et fraternelle, je leur permets de faire un pas de plus, sur leur chemin d’humanisation et d’unification. Accompagner les jeunes,c’est un travail de conversion de tout mon être qui me relie aux autres. Si j’accepte ce chemin, je peux alors, soutenu par la communauté ecclésiale, prier pour eux. Car le salut est pour tous, comme la coupe est offerte à tous dans la foi.

 

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