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QUELLE EST LA PLACE DE L’ÊTRE HUMAIN DANS L’UNIVERS ?
23 mai, 2016http://www.taize.fr/fr_article3646.html
QUELLE EST LA PLACE DE L’ÊTRE HUMAIN DANS L’UNIVERS ?
L’Antiquité voyait le monde comme une maison à trois étages : en haut le ciel, demeure de Dieu et de ses anges, sous la terre le royaume des morts, et au milieu la terre, peuplée par les plantes, les animaux et les hommes. Dans un tel univers, l’importance de l’être humain semblait aller de soi. Situé entre le monde divin et le monde créé, il était appelé à être le médiateur entre les deux. La science moderne a radicalement transformé cette façon de voir. Perdus sur une petite planète tournant autour d’une étoile parmi des milliards, dans une galaxie moyenne en un univers en continuelle expansion, la prétention à nous attribuer une place centrale dans l’ordre des choses semble avoir quelque chose de démesuré, voire d’aberrant. Mais voici que l’homme biblique pouvait faire la même expérience. Dans le psaume 8, quelqu’un regarde le vaste ciel nocturne, peuplé d’étoiles, et un cri vient spontanément à ses lèvres : « Qu’est donc le mortel pour que tu penses à lui, le fils d’Adam pour que tu t’en soucies ? » (v. 5). L’immensité de l’univers avait donc quelque chose d’écrasant pour lui aussi. Dans le verset suivant, cependant, le psalmiste retrouve son aplomb dans une conviction qui lui vient de la foi : « À peine le fis-tu moindre qu’un dieu. » La place de l’être humain dans l’univers provient en dernier lieu d’une relation avec la Source de toute vie. Dieu ne l’a pas choisi parce qu’il était le plus impressionnant des êtres ; en soi, fragile et petit, l’homme est effectivement peu de chose. Sa grandeur vient non de ses qualités mais de l’appel divin : Dieu l’a élu « pour qu’il domine sur l’œuvre de [s]es mains » (v. 7). Ici nous rencontrons un autre problème. Le mot « dominer » peut avoir des connotations négatives. Les humains ont-ils le droit, voire le devoir, d’imposer leur volonté sur l’ensemble de la création ? N’est-ce pas cette exploitation débridée de la terre par l’humanité qui a créé tant de dégâts, dont les conséquences sont évidentes aujourd’hui ? Le verbe traduit par « dominer » se réfère en premier lieu à l’activité d’un roi. Et en Israël, le roi n’avait pas comme tâche d’opprimer le peuple, mais d’assurer la justice et la paix dans la société. Il devait utiliser son pouvoir pour faire en sorte que les puissants n’écrasent pas les faibles, que l’harmonie règne entre les différents groupes. De même, le rôle des humains est présenté dans la Bible comme celui d’employer leurs dons d’intelligence et de créativité pour rendre l’univers plus habitable pour tous les êtres. Et dans cette recherche de la paix cosmique, ils doivent commencer par la paix intérieure qui vient de leur communion avec Dieu, Source de paix. Sinon, ils ne font que projeter leurs propres divisions sur le monde autour d’eux.
Comment lire aujourd’hui les récits bibliques de la création ? Il est évident que les récits de la création au commencement de nos bibles ne sont pas écrits selon l’optique de la science moderne. Dès lors, certains voudraient les rejeter sans appel. D’autres, par réaction, s’efforcent de prouver qu’ils décrivent mieux la réalité que les théories modernes. Peut-on dépasser ce qui semble souvent être un dialogue de sourds ? Tout d’abord, le prétendu conflit entre la foi et la science trouve peu d’appuis dans les textes eux-mêmes. Le premier chapitre du livre de la Genèse est « scientifique » à sa façon, parce qu’il témoigne de pouvoirs d’observation minutieux et d’une aptitude pour la classification. Par exemple, au verset 12, les différents genres de plantes sont soigneusement distingués les uns des autres, en toute vraisemblance selon le mode de reproduction : les herbes sans semence visible, les grains portant semence, les arbres avec la semence cachée dans le fruit. Seulement, ce n’est pas la science de nos jours, car les auteurs bibliques n’avaient ni la méthodologie ni les instruments dont nous disposons. Mais la véritable différence entre les récits bibliques et une étude scientifique des origines de l’univers ne consiste pas tant dans la méthode employée que dans les questions posées. Les physiciens et les biologistes de notre temps s’intéressent avant tout aux mécanismes par lesquels le monde et la vie ont été formés, et qui leur permettent de continuer à fonctionner. Les auteurs bibliques avaient une tout autre préoccupation : ils voulaient exprimer la continuité entre l’histoire d’Israël avec son Dieu, d’une part, et l’humanité et l’univers dans son ensemble, de l’autre. Ils voulaient faire comprendre que leur Dieu était vraiment universel, impliqué à fond dans l’existence et le sort de tout ce qui existe. De plus, ils voulaient montrer comment le monde tel que nous le connaissons découle de l’identité de ce Dieu. Qu’est-ce qui fait partie de ses traits essentiels en tant que créé par Dieu, et qu’est-ce qui, par contre, n’est pas en conformité avec son statut de création divine ? Comprendre nos origines de cette manière, c’est trouver les bases qui nous permettent de vivre comme il faut. Le souci des auteurs bibliques est tout sauf théorique. Leur recherche fait partie de ce que la Bible appelle la sagesse, la tentative de mener une existence en harmonie avec le réel. Voir dans les récits bibliques de la création une alternative aux théories scientifiques ou un film de « comment c’était réellement », c’est se vouer à la déception. Si nous cherchons par contre à comprendre la signification de notre existence, nous pourrons y trouver des intuitions qui vont loin. Si tout remonte en définitive à Dieu, la relation avec lui donne la clé pour nous situer dans une vie qui a vraiment un sens.
Dernière mise à jour : 23 juin 2006
J’AI PÉCHÉ CONTRE LE SEIGNEUR – L’HISTOIRE DE DAVID » – La parabole de Natan et la réaction de David (12, 1 – 6).
23 mai, 2016http://www.abouvet.org/ELOI/biblique162.html
Conférences bibliques 2003-2004
J’AI PÉCHÉ CONTRE LE SEIGNEUR – L’HISTOIRE DE DAVID «
La parabole de Natan et la réaction de David (12, 1 – 6).
Le roi David avait demandé au messager qui était venu lui rapporter l’engagement au cours duquel Urie avait trouvé la mort, de transmettre en retour à Joab des paroles rassurantes qui minimisaient son crime (v. 11,25 c) : »Que cette chose (dabar) ne paraisse pas mal à tes yeux. » Un peu plus loin (11,27 ), après la mention de la naissance du fils de Bethsabée, l’auteur emploie les mêmes mots pour dire que la chose que David avait faite parut mal aux yeux du Seigneur . Ces mots sont les derniers du chapitre 11 dans la ponctuation traditionnelle (massorétique) du texte mais ils auraient pu, mieux encore, figurer en tête du chapitre 12 car ils annoncent ce qui suit : Dieu va intervenir et punir la conduite inadmissible de David. Le Seigneur envoya Natan à David et le prophète lui raconte ce qu’on appelle la parabole de Natan mais il faut avoir conscience que l’histoire que raconte Natan n’est pas présentée par celui-ci comme une parabole mais comme une histoire vraie, un acte odieux qui mérite une intervention de la justice royale. Nous devons d’abord l’écouter ainsi, comme David l’a fait. L’histoire de Natan est un petit poème très bien construit en 4 versets.
1c Il y avait deux hommes dans une ville, 1d un riche et un pauvre. 2 Le riche avait du petit et du gros bétail, en très grand nombre. 3a Le pauvre n’avait rien si ce n’est une agnelle, une seule, petite, qu’il avait achetée. 3b Il la nourrissait et elle grandissait chez lui en même temps que ses enfants. 3c Elle mangeait de son pain, elle buvait de sa coupe, elle couchait sur son sein : 3d Elle était pour lui comme une fille. 4a Un hôte arriva chez l’homme riche, 4b et il n’eut pas le cœur de prendre sur son petit ou gros bétail pour préparer le repas du voyageur arrivé chez lui. 4c Il prit l’agnelle de l’homme pauvre et la prépara pour l’homme arrivé chez lui.
L’introduction présente les deux personnages, des voisins de la même ville : l’un est riche, l’autre pauvre. L’un a en grande quantité des brebis et des bovins, qui se reproduisent et s’accroissent, l’autre n’a qu’une petite brebis qu’il a pu se procurer après l’avoir choisie avec soin. La strophe du milieu décrit l’intimité qui règne au foyer du pauvre, nous passons de l’avoir à l’être (et le pauvre est alors le plus comblé). L’agnelle grandit en même temps que ses enfants, elle partage son pain et sa boisson, elle est comme sa fille. La brebis reçoit et le pauvre est donc celui qui donne. La scène répand une douce lumière d’amour. Nous repartons du côté du riche. Il reçoit une visite : un voyageur vient chez lui et cette arrivée de l’autre, possibilité de contact, d’intimité, de don, est répétée à trois reprises. Mais le riche se refuse à prendre sur ses biens pour partager avec son hôte. Le verbe hébreu traduit ci-dessus par »il n’eut pas le cœur » signifie exactement épargner, avoir de la pitié : le riche s’épargna de prendre sur ses biens, il eut, si l’on peut dire, pitié de ses biens et de lui-même. Il prend l’agnelle du pauvre et la prépare pour le repas de son hôte ! La pitié pour son bien est cruauté pour le voisin. (v.5) La colère de David s’enflamma contre cet homme, fortement, et il dit à Natan : « Par la vie du Seigneur, il mérite la mort l’homme qui a fait cela. (v.6) Et de l’agnelle, il donnera compensation au quadruple, en conséquence d’avoir fait cela et pour avoir manqué de cœur. » David réagit à ce récit, une histoire réelle et vraie à ses yeux, avec violence, comme si le remords de sa propre faute le poussait à une justice intransigeante. Il prononce une condamnation à mort et une peine de réparation au quadruple parce que, dit-il en reprenant les mots de Natan, l’homme riche a manqué de cœur ou littéralement »n’a pas épargné » le pauvre. Alors le prophète révèle à David que son récit était une parabole : « Cet homme c’est toi ! » Le riche comblé avec tout son harem de femmes, c’est lui David, lui qui pourtant enlève sans pitié au pauvre Urie son unique bien, sa petite brebis.
Le prophète prononce deux oracles de condamnation ( 12, 7 – 15) Après avoir dévoilé à David qu’il était le riche sans cœur de la parabole, le prophète Natan prononce contre lui deux oracles de condamnation correspondants à ses deux fautes : le premier concerne la mort d’Urie et va de 7b à 10a, le second vise son adultère avec Bethsabée et va de 10b à 12. Voici le premier oracle : (v.7b) Ainsi parle le Seigneur, le Dieu d’Israël : C’est moi qui t’ai oint comme roi d’Israël et c’est moi qui t’ai délivré de la main de Saül. (v.8) Je t’ai donné à toi la maison de ton seigneur et les femmes de ton seigneur sur ton sein, je t’ai donné la maison d’Israël et de Juda et, si c’était trop peu, j’ajouterais pour toi ceci et cela. (v.9) Pourquoi donc as-tu méprisé la parole du Seigneur, en faisant ce qui est mal à ses yeux ? Urie le Hittite tu l’as frappé de l’épée, tu as pris sa femme pour toi comme femme, et lui tu l’as tué par l’épée des fils d’Ammon. (v.10a) Et maintenant l’épée ne se détournera plus jamais de ta maison. L’oracle commence (7b) par la proclamation qui authentifie la parole du prophète : il parle au nom du Seigneur qui est aussi Dieu d’Israël, la précision est importante car l’oracle concerne David en tant que roi d’Israël. L’oracle commence par un rappel des dons du Seigneur en faveur de David. »C’est moi » précise deux fois le Seigneur, moi qui t’ai donné l’onction puis moi qui t’ai fait échapper au pouvoir de Saül, tu es roi par mon choix et ma force. Je t’ai comblé de dons (8) : je t’ai donné les biens de ton maître Saül et j’ai mis ses femmes sur ton sein (le mot est le même que dans la parabole -elle couchait sur son sein- et rappelle l’agnelle du pauvre) et je t’ai donné les deux royaumes de Juda et d’Israël. Et j’aurais fait encore plus si tu l’avais demandé. Ce rappel des dons du Seigneur s’oppose à David qui a pris, le prédateur contre le donateur. Le verset 9 énonce l’accusation : Tu as méprisé la parole du Seigneur, tu as méprisé mon enseignement interdisant de tuer , de recourir à la violence. En agissant ainsi tu as montré ton mépris pour moi! Tu as tué Urie par l’épée, et par l’épée des Ammonites, pour cacher ta faute avec sa femme. La fin en 10a prononce le verdict : le crime commis par l’épée sera puni par l’épée. Ainsi sont annoncés les drames qui vont ensanglanter la maison de David , les morts brutales de trois de ses fils, Amnon, Absalom et Adoniah.
Le second oracle suit : (10b) En conséquence du fait que tu m’as méprisé et que tu as pris la femme d’Urie le Hittite pour qu’elle devienne ta femme, (11) Ainsi parle le Seigneur : Voici que moi je vais susciter dans ta maison le malheur : Je prendrai tes femmes sous tes yeux et je les donnerai à ton prochain qui couchera avec tes femmes sous les yeux de ce soleil. (12) Car toi tu as agi en secret , mais moi, je ferai cette chose face à tout Israël et face au soleil ! Cet oracle commence par l’accusation qui est brève (10b) : tu as montré du mépris pour moi car tu as enfreint ma parole qui interdit de prendre la femme de ton prochain et, plus généralement, tu as méprisé mes dons en voulant prendre toujours davantage, tu as commis l’adultère puis tu as fait de la femme du Hittite ta propre femme. Le premier mot de l’accusation, traduit ici par »en conséquence », est en hébreu un mot peu fréquent (`éqèb) que David lui-même avait employé en 6b pour condamner le riche à verser une compensation pour le vol de l’agnelle. La reprise du même mot n’est pas fortuite mais relie la condamnation prononcée par David contre le riche à sa propre condamnation par le Seigneur. L’attestation que l’oracle est parole du Seigneur figure non pas en tête de l’oracle mais entre l’accusation et le verdict de condamnation (11a). Puis vient le verdict (11b-12) : tu as pris la femme d’un autre dans la nuit, je prendrai toutes tes femmes et je les donnerai à ton prochain en plein jour et tout Israël sera témoin de ton humiliation. Le découpage des versets dans la Bible hébraïque ne correspond pas à la distinction entre les deux oracles. En effet le découpage massorétique rattache à tort 10a à ce qui suit alors qu’il s’agit de la peine correspondant à la mort d’Urie rappelée précédemment. Un premier oracle concerne la faute la plus grave, l’assassinat d’Urie et la condamnation pour cette faute est prononcée en 10a : l’épée ne s’écartera plus jamais de ta maison. Le deuxième oracle commence en 10b avec le rappel de l’adultère puis il est suivi par l’énoncé de la condamnation qui est le don du harem de David à un autre. Celui qui a volé la femme de son prochain sera à son tour volé, son crime a été commis de nuit, son châtiment aura lieu à la face du soleil. Nous avons ainsi une distinction entre les deux crimes et chacun est puni d’une peine en relation avec la faute commise. Le jugement que David avait dans sa colère porté contre l’homme riche du récit de Natan comportait aussi deux peines pour les deux crimes, dans le même ordre, le crime le plus grave étant rappelé d’abord. (v.13) Alors David dit à Natan : » J’ai péché contre le Seigneur. » Pour comprendre ce retournement de David, Il faut revenir un peu en arrière. La parabole de Natan dénonçant clairement la conduite odieuse de l’homme riche avait vivement ému David et sa réaction indignée montrait bien que, dans le fond de sa conscience, il restait attaché au bien, à la justice. La révélation du prophète » Cet homme, c’est toi ! » a du le frapper au cœur et, pendant que Natan prononçait les deux oracles de condamnation, il gardait à l’esprit ces mots terribles. L’aveu a été préparé par sa réaction à l’histoire de la faute du riche et on comprend mieux alors qu’il ait eu le courage de reconnaître sans détours son péché. Natan répond à l’aveu de David en annonçant deux décisions du Seigneur (on remarque que tout ce passage est sous le signe binaire : deux fautes de David, deux hommes dans la parabole, deux condamnations prononcées par David, deux oracles de condamnation contre David…). La première : (v.14) « Le Seigneur de son côté fait passer ton péché, tu ne mourras pas. » Le Seigneur pardonne ton péché. Et la condamnation que David avait lui-même porté contre l’homme riche, c’est à dire contre lui-même, est annulée, il ne mourra pas. Et Natan poursuit : « Cependant parce que tu as gravement offensé le Seigneur par cette chose, le fils qui t’es né, lui, de mort mourra. » (v.15) Et Natan s’en alla chez lui. Le Seigneur frappa l’enfant que la femme d’Urie avait enfanté à David et il tomba malade. David est épargné mais il faut qu’il éprouve lui-même la perte d’un être cher. Et j’emprunte à Philippe Gruson ce commentaire (n1) : « Un innocent meurt à la place du coupable ! Le récit est écrit du point de vue de David : le bébé et sa mère ne sont pas ici des personnes mais seulement ce à quoi David tient le plus. L’auteur voit ainsi la justice de Dieu qui « venge » la victime : David avait pris à Urie sa femme et sa propre vie; Dieu lui prend ce qu’il a de plus cher, ce bébé »
Mort d’un enfant, naissance d’un enfant (12, 16 – 25) (v.16a) Et David recherche Dieu en faveur de l’enfant. David vient de confesser son péché, le Seigneur a effacé sa faute mais l’enfant né de son adultère avec Bethsabée est frappé d’une grave maladie. Plusieurs versets vont nous décrire la conduite de David qui ne se comporte pas selon l’usage mais, au préalable, l’auteur nous fournit une clé (qu’il complètera à la fin du passage en v.22) pour nous expliquer ce que fait David : il recherche Dieu. Dieu lui a pardonné et il ose donc s’adresser à lui dans sa détresse, il prie Dieu avec les mots des psaumes, peut-être devant l’Arche d’Alliance, il demande à Dieu, à Dieu qu’il nomme de son nom de Juge : Elohim, d’annuler la sentence de mort prononcée contre son enfant. < David jeûnait strictement, et quand il rentrait chez lui pour passer la nuit, il dormait sur le sol. (v.17) Les anciens de sa maison se tenaient debout autour de lui pour le relever de terre mais il refusait et ne prenait aucune nourriture avec eux. (v.18) Il advint que l’enfant mourut au septième jour. Les serviteurs de David eurent peur de lui annoncer que l’enfant était mort , car ils se disaient: « Voici que, lorsque l’enfant était vivant, nous lui avons parlé et il n’a pas écouté notre voix, et comment lui dirions-nous que l’enfant est mort ? Il ferait un malheur ! » (v.19) Mais David vit que ses serviteurs chuchotaient entre eux et David comprit que l’enfant était mort. David dit à ses serviteurs : » Est-ce que l’enfant est mort ? » Ils dirent : » Il est mort ! » (v.20) Alors David se leva de terre, se leva, se parfuma et changea ses vêtements; il entra dans la Maison du Seigneur et se prosterna, il rentra chez lui, demanda qu’on lui servit de la nourriture qu’il mangea. (v.21) Ses serviteurs lui dirent : » Qu’est-ce que tu fais là ? Quand l’enfant était vivant tu as jeûné et pleuré et maintenant que l’enfant est mort tu te lèves et tu prends de la nourriture ! » (v.22) Il dit : » Quand l’enfant était encore vivant , je jeûnais et pleurais, car je me disais : Qui sait ? Peut-être que le Seigneur fera grâce et l’enfant vivra ! (v.28) Mais maintenant qu’il est mort, pourquoi jeûnerais-je ? Pourrais-je le faire revenir ? C’est moi qui vais aller vers lui mais lui ne reviendra pas vers moi. » La conduite de David n’est pas conforme aux usages. Il jeûne et dort sur le sol, se conduit donc comme un père en deuil alors que son enfant est encore vivant . Ce deuil anticipé inquiète son entourage qui se demande à quelle extrémité il se livrera quand il apprendra que son fils est mort. Mais à leur grande surprise, il abandonne alors le jeûne et l’austérité. Et il explique à ses serviteurs le sens de son attitude. Il ne pratiquait pas les rites traditionnels du deuil mais il essayait de fléchir le Seigneur en le recherchant, comme nous l’a dit le verset 16a, en adoptant une conduite de conversion, comme les gens de Ninive tentant d’écarter le châtiment annoncé par Jonas au nom du Seigneur. Puis quand l’enfant est mort, la demande qu’il adressait au Seigneur devient sans objet, il va dans la Maison du Seigneur (non pas le Temple qui n’est pas encore construit mais la tente où est déposée l’Arche) et se prosterne devant le Seigneur en signe d’acceptation. La mort est passée, l’enfant ne peut retourner vers la vie. Les morts vont au shéol d’où rien ne les fera revenir, pense-t-on, et lui-même ira un jour le rejoindre. Pourquoi le récit souligne-t-il aussi fortement que la conduite de David est en dehors des normes et paraît incompréhensible, proche de la démence, à ses proches ? Notons d’abord que David ne se détourne pas de Dieu; au contraire, confiant dans la miséricorde divine, il tente d’apaiser la face de son Seigneur en modifiant son mode de vie, en se retournant vers Dieu. Puis quand, malgré ses prières, son fils meurt, il pense que rien ne le fera revenir et il accepte la décision du Seigneur en se prosternant devant lui. Son fils est allé au séjour du silence où lui, David, le rejoindra un jour. Il semble que ce récit veut nous montrer que David a changé depuis la dénonciation de Natan et l’aveu de ses fautes; il a non seulement retrouvé le chemin de la justice mais il essaie d’agir selon son moi profond, authentiquement, et non plus en conformité avec les rites sociaux et les pratiques mondaines; il cherche à vivre devant la face du Seigneur, il accepte la mort de son enfant et, tout roi qu’il est, il accepte sa condition mortelle. Nous retrouvons ici le caractère »spontané et non conformiste » (note BJ sur 12,21) de la religion du roi David que nous avions déjà relevé quand il dansait à perdre haleine au moment de l’entrée de l’Arche à Jérusalem. (v.24) Puis David consola Bethsabée, sa femme, et il vint vers elle , il coucha avec elle et elle enfanta un fils auquel elle donna le nom de Salomon. Le Seigneur l’aima (v.25) et le fit savoir par le prophète Natan. Celui-ci le nomma Yedidya à cause du Seigneur. David avait d’abord traité Bethsabée comme une proie à prendre, il se préoccupe maintenant de ses sentiments et la console pour la mort de son enfant. Elle n’est plus appelée »la femme d’Urie » mais a droit à son nom de Bethsabée. David n’envoie plus ses émissaires la prendre mais va lui-même vers elle. David et Bethsabée ont de nouveau un fils et sa mère lui donne le nom de Salomon : en hébreu Chelomo, un nom formé sur Chalom , la paix. Ce nom a évidemment un sens symbolique et exprime la venue de la paix et du bonheur dans le couple et dans les relations entre le couple et le Seigneur qui accepte leur union et la bénit par la naissance d’un fils. Et comme si ce n’était pas assez, Natan le prophète est envoyé au couple pour dire que leur enfant est aimé du Seigneur ce qu’il exprime en lui donnant le nom de Yedidya c’est à dire »L’aimé du Seigneur » , nom formé de Yadid, l’aimé en hébreu, et de Yah, la forme brève de YHVH.
Prise de Rabba, capitale des Ammonites (12, 26 – 31). Ainsi que le racontait le début du chapitre 11, au printemps David avait envoyé Joab reprendre le combat contre les fils d’Ammon et faire le siège de Rabba, leur capitale. David lui-même était resté à Jérusalem. La suite du ch. 11 et le ch.12 jusqu’au v.12,25 font le récit de l’adultère de David avec Bethsabée et de ses conséquences : la mort de Urie, l’intervention de Natan, la mort d’un premier enfant puis la naissance de Salomon. La guerre contre les Ammonites était cependant présente dans le récit puisque Urie, le mari de Bethsabée, participe aux combats, revient un moment à Jérusalem puis, comme on s’en souvient, meurt au cours du siège de Rabba à la suite d’un accrochage avec l’ennemi provoqué par Joab sur l’ordre de David. La paix est revenue à la cour, comme le laisse entendre le nom pacifique de Salomon, mais à l’extérieur la guerre menée par Joab au nom d’Israël n’est pas terminée. Joab s’empare de la ville du bas, sans doute un bastion qui protégeait les sources d’eau de la ville, et invite David à venir pour conduire l’assaut de la ville d’en haut, la capitale proprement dite. David rassembla tout le peuple, partit pour Rabba, l’attaqua et s’en empara. Il prit la couronne d’or du roi et emporta un énorme butin. Les vaincus furent astreints à des travaux forcés. Puis David et tout le peuple revinrent à Jérusalem. Le Seigneur avait déjà manifesté sa bienveillance par la naissance de Salomon, il confirme qu’il est de nouveau avec Israël en donnant à son peuple, et à David qui a repris sa place à la tête des siens, cette victoire sur les Ammonites, eux qui, en insultant les ambassadeurs, avait gravement outragé le roi, Israël et le Seigneur, Dieu d’Israël.
Psaume 51 Le Psaume 51 date, selon les exégètes, de la période de l’exil au 6e siècle avant J.C., bien des siècles après la mort de David. Nous pourrions donc le lire comme une supplication collective où le »Je » serait celui du peuple d’Israël en exil à Babylone; ou le mettre dans la bouche de Jésus priant pour ses frères pécheurs; ou revêtir nous-mêmes et dire en notre nom cette demande de pardon. Mais nous le lirons ici comme une prière de David car la tradition l’a attribué à David selon le v.1, et le v.2 ajoute qu’il fut composé quand le prophète Natan alla chez lui après que David fut allé chez Bethsabée. Comme le livre de Samuel nous dit peu de choses des sentiments de David, nous tenterons de les imaginer en lisant le Psaume 51 avec lui, comme une prière qu’il aurait adressée à Dieu après avoir reconnu ses fautes en présence de Natan. 3 Aie pitié de moi, ô Dieu, selon ta fidélité, Selon l’abondance de ta miséricorde, efface mes torts. David implore Dieu : Aie pitié de moi ! ou mieux Fais-moi grâce ! Nous connaissons bien le premier mot de la traduction latine : »Miserere ! » qui sert souvent à nommer ce psaume de pénitence et le début de la version grecque nous est également familier par la liturgie : »Eleison » (Kyrie, eleison !). Fais-moi grâce, dit David, conformément à ta hesed, la vertu de fidélité active que doivent mettre en œuvre les partenaires d’une alliance. Dans le second stique, David demande à Dieu d’effacer, d’annuler ses torts, ses forfaits, et se réfère cette fois à l’abondance de sa miséricorde ou compassion . Le mot hébreu ainsi traduit est rahamim, formé à partir de la racine »rehem », ventre maternel (ce qui explique la traduction de Chouraqui, toujours très proche de l’hébreu : »selon la multiplicité de tes matrices »), David demande donc à Dieu d’avoir pour lui les sentiments d’une mère pour ses enfants. Ce verset du psaume fait écho aux paroles que prononce Dieu quand il passe devant Moïse en proclamant son nom en Exode 34,6 : ce verset et Ps.51,3 ont en effet en commun les racines de la pitié ou de la grâce (hanan), de la fidélité (hesed), de la miséricorde (rehem) et encore le mot traduit ci-dessus par abondance (rab) : David en appelle au Seigneur en s’appuyant sur ce que Lui-même a dévoilé de Lui. 4 Lave-moi complètement de ma faute, De mon péché purifie-moi. Après la demande d’effacement (comme on efface un écrit) du v.3, deux stiques expriment ici la même supplication par de nouvelles images : celle de l’eau qui laverait la faute comme on lave un corps ou un vêtement souillé, celle de la purification (par un bain rituel par exemple) qui permettrait de rétablir le contact avec la sphère divine. Du premier stique qui évoque un lavage du corps au second qui demande une purification intérieure, il y a un approfondissement de la demande. Les paroles de David sont proches de celles que les prophètes prononcent au nom du Seigneur : ainsi Isaïe (43,25) C’est moi, moi, qui efface tes crimes ou Ézéchiel (36,25) Je répandrai sur vous une eau pure et vous serez purifiés, de toutes vos souillures et de toutes vos ordures je vous purifierai. 5 Car mes torts, je les reconnais, Et mon péché est devant moi sans cesse. David connaît son péché et en s’adressant à Dieu il le re-connaît , il le confesse. Le psaume exprime cette présence du péché »devant moi sans cesse » car le mot »péché » revient six fois dans les onze premiers versets du psaume et, de plus, six fois y figurent d’autres mots similaires (tort, faute, mal…). 6 Contre toi, et toi seul, j’ai péché, ce qui est mal à tes yeux, je l’ai fait. Ainsi tu seras juste quand tu parleras, irréprochable quand tu jugeras. David poursuit sa confession, il n’a pas respecté les Paroles du Seigneur « Tu ne commettras pas d’adultère » et « Tu ne commettras pas de meurtre », il a donc rompu les termes de l’alliance avec Dieu et, en ce sens, le mal qu’il a fait aux autres hommes est péché contre Dieu, il se présente en coupable devant lui. Ce que pourra décider Dieu sera juste. Et David accepte en effet sans la discuter la condamnation que lui transmet Natan (II Sam. 12,14) : Puisque dans cette affaire tu as gravement outragé le Seigneur, le fils qui t’est né, lui, mourra. 7 Voici, dans la faute j’ai été enfanté, et dans le péché ma mère m’a conçu. David n’a pas d’excuse à faire valoir et, cependant, il est vrai que l’homme naît vulnérable dans un monde contaminé par le péché. L’homme est porté au mal dès le début de sa vie. Il est conçu et enfanté dans le péché. Cette impureté foncière est ici invoquée comme une circonstance atténuante (BJ) et dans le même sens Salomon dira en s’adressant à Dieu lors de la dédicace du Temple : « Quand ils pécheront contre toi – car il n’y a aucun homme qui ne pèche – … » (I Rois 8,44 ssq). 8 Voici, tu aimes la vérité au fond de l’être Et dans le secret tu m’enseignes la sagesse. Le fond de l’être (BJ) ou les ténèbres (TOB) traduisent un mot hébreu rare qui semble désigner des parois recouvertes par un crépi. Le mot est employé par Ézéchiel pour les faux prophètes qui se contentent d’enduire de crépi les murs crevassés au lieu de les rebâtir. Dieu, lui, travaille dans les profondeurs de l’homme pour qu’il acquière la sagesse, pour qu’il comprenne qu’il est pécheur, pour le renouveler au fond de son être. 9 Ôte mon péché avec l’hysope et je serai pur , lave-moi et je serai plus blanc que neige. L’hysope est une petite plante utilisée comme goupillon en particulier dans les rites de purification des lépreux (Lévitique 14,4-6) : la faute a couvert David comme d’une lèpre mais Dieu le purifiera. Et que Dieu veuille le laver à grande eau comme il le demandait déjà au v.4 pour qu’il devienne blanc comme neige. Isaïe dit de même : Détournez-vous du mal et faites le bien, alors (1,18) si vos péchés sont comme l’écarlate, ils deviendront blancs comme la neige; l’intervention divine permettra une purification parfaite, donnera au pécheur une blancheur immaculée. 10 Fais-moi entendre l’allégresse et la joie, que dansent les os que tu as broyés. Quand Dieu accordera sa grâce, ce sera une nouvelle joyeuse, le pécheur pardonné ressentira la joie jusque dans ses os, dans les profondeurs de son être. Ce verset au vocabulaire joyeux anticipe la seconde partie du psaume (v.12-19) à laquelle il se rattache » formant une véritable agrafe littéraire entre les deux parties (n1). 11 Cache ta face devant mes péchés Et toutes mes fautes, efface-les En d’autres termes, ne regarde pas mes péchés, détourne d’eux ton regard. Le verbe »efface » qui figurait déjà au v.3 revient en v.11 à la fin de cette première partie. De même »lave-moi » du v.4 a été repris au v.9 et »purifie-moi » (v.4) répond à »je serai pur » du v.9. Ces correspondances forment une inclusion qui marque le début et la fin de la première partie du Psaume. 12 Crée en moi un cœur pur , ô mon Dieu, Renouvelle en moi un esprit ferme. 13 Ne me chasse pas loin de ta face, Ne me reprends pas ton esprit de sainteté. 14 Rends-moi la joie de ton salut, Ranime en moi un esprit magnanime. La seconde partie du Psaume montre que la confession des péchés n’est pas enfermement sur sa misère, elle débouche sur la joie, elle est chemin de louange vers le Dieu qui sauve et qui pardonne. Elle commence par la demande d’une re-création car ainsi que le dit Job 14,4 : Qui tirera le pur de l’impur? Personne. Il faut une nouvelle création et créer appartient à Dieu. Le verbe hébreu »bara » est le deuxième mot de la Genèse et a toujours Dieu pour sujet. Comme à la création du ciel et de la terre, l’esprit (ou le souffle) de Dieu planait sur les eaux, ainsi l’orant demande que l’esprit le re-crée. Depuis son onction David avait toujours bénéficié de la présence de l’esprit du Seigneur (I Sam. 16,13) et il implore que cet appui ne lui soit pas définitivement ôté. L’esprit est invoqué trois fois : en hébreu le mot rouah, souffle ou esprit, figure au début du second hémistiche de chacun de ces trois versets. David demande à être renouvelé par un esprit ferme, solide, stable, qui lui permette d’éviter de nouvelles errances. Il demande aussi que l’esprit de sainteté demeure sur lui et on peut rapprocher ces mots de ce que David dit lui-même (II Sam.23,2) : L’esprit du Seigneur parle par moi et sa parole est sur ma langue. David demande que l’esprit de prophétie ne lui soit pas retiré. David demande enfin un esprit magnanime, généreux, princier, qui pousse à aller de l’avant sans calculer, en se laissant conduire par l’Esprit comme dira Paul aux Galates. Je ne sais, commente L.A. Schökel (n2), si on trouvera dans tout l’AT ou le NT une épiclèse aussi belle que celle de ces trois versets. 15 Aux pécheurs j’enseignerai tes chemins, et vers toi reviendront les égarés. Le pécheur pardonné veut partager sa joie avec ses frères. Les mots pécheurs et égarés sont un rappel de la première partie, celui qui était enseigné par Dieu au v.8 devient celui qui, poussé par l’esprit, enseigne à ses frères le retour vers les chemins du Seigneur. 16 Libère-moi du sang, Dieu, Dieu qui me sauve, Que ma langue acclame ta justice. David demande-t-il à être libéré du meurtre d’Urie ? Il me semble que ce serait un retour en arrière et que David à ce stade est confiant dans le pardon divin. Rachi comprend que David demande que lui soit épargnée une mort violente, sanglante, en punition de la mort d’Urie. Cette lecture s’intègre bien dans le contexte du verset : David épargné par Dieu, libéré de la mort, pourra proclamer la justice de Dieu, justice qui ne condamne pas le pécheur mais veut qu’il vive. 17 Seigneur, ouvre mes lèvres et ma bouche annoncera ta louange. Nous retrouvons le David qui demande le secours divin avant toute initiative et ce verset fait écho aux appels adressés à l’esprit un peu plus haut. Je ne puis dire aucun mot pour te glorifier s’il ne me vient de toi, si tu n’ouvres mes lèvres. Arminjon fait remarquer » qu’on voit s’esquisser déjà en ce psaume le rythme qui sera celui du mystère pascal. Après l’expérience de véritable mort que fut le péché, après l’expérience de résurrection (Ils danseront les os que tu as broyés), c’est l’irrésistible proclamation aux nations du jour de la Pentecôte où sont publiées les merveilles de Dieu (Actes 1,11) 18 Si j’offre un sacrifice, tu n’en veux pas, Tu n’acceptes pas d’holocauste. 19 Le sacrifice qui plaît à Dieu, c’est un esprit brisé, Tu ne repousses pas, ô Dieu, un cœur brisé et broyé. Ces versets ne sont pas une condamnation des sacrifices de bétail mais ces rites ne sont rien sans l’attitude intérieure qui doit les accompagner. Dieu ne peut aider que celui qui confesse sa faiblesse, ses insuffisances et ses fautes ainsi que l’écrit Isaïe (57,15) : Haut-placé et saint je demeure, tout en étant avec celui qui est broyé et qui en son esprit se sent abaissé, pour rendre vie à l’esprit des gens abaissés, pour rendre vie au cœur des gens broyés. Et Osée recommande de dire au Seigneur (14,3) : Tu enlèves toute faute: accepte ce qui est bon, en guise de taureaux nous t’offrirons en sacrifice les paroles de nos lèvres. Les paroles de repentir et de louange de David valent plus que tous les taureaux immolés et nous-mêmes, en reprenant ses psaumes, présentons à Dieu un sacrifice qui lui agrée.
n1 – Matthieu COLIN : Le livre des Psaumes – Cahier Évangile 92 p.17. n2 – Luis Alonso SCHOKEL : SALMOS 1992. Un excellent commentaire des psaumes, en espagnol, non traduit en français à ce jour.
BENOÎT XVI – ANGÉLUS – SOLENNITÉ DE LA TRÈS SAINTE TRINITÉ – 2009
20 mai, 2016http://w2.vatican.va/content/benedict-xvi/fr/angelus/2009/documents/hf_ben-xvi_ang_20090607.html
BENOÎT XVI – ANGÉLUS – SOLENNITÉ DE LA TRÈS SAINTE TRINITÉ – 2009
Place Saint Pierre
Dimanche 7 juin 2009
Chers frères et sœurs !
Après le temps pascal, dont le point culminant a été la fête de la Pentecôte, la liturgie prévoit ces trois solennités du Seigneur : aujourd’hui, la Très Sainte Trinité; jeudi prochain, la fête du Corpus Domini, la Fête-Dieu qui, dans de nombreux pays dont l’Italie, sera célébrée dimanche prochain ; et enfin, le vendredi suivant, la fête du Sacré Cœur de Jésus. Chacune de ces fêtes liturgiques met en évidence une perspective à partir de laquelle on peut embrasser l’ensemble du mystère de la foi chrétienne : respectivement, la réalité de Dieu Un et Trine, le Sacrement de l’Eucharistie et le centre divin-humain de la Personne du Christ. Ce sont en vérité des aspects de l’unique mystère du salut qui, d’une certaine manière, résument tout l’itinéraire de la révélation de Jésus, de l’incarnation à la mort et à la résurrection, jusqu’à l’ascension et au don de l’Esprit Saint. Aujourd’hui, nous contemplons la Très Sainte Trinité telle que Jésus nous l’a fait connaître. Il nous a révélé que Dieu est amour « non dans l’unité d’une seule personne, mais dans la Trinité d’une seule substance » (Préface) : il est Créateur et Père miséricordieux; il est Fils Unique, Sagesse éternelle incarnée, mort et ressuscité pour nous ; il est enfin Esprit Saint qui conduit tout, l’univers et l’histoire, vers la pleine récapitulation finale. Trois Personnes qui sont un seul Dieu parce que le Père est amour, le Fils est amour, l’Esprit est amour. Dieu est tout et uniquement amour, amour très pur, infini et éternel. Il ne vit pas dans une splendide solitude, mais il est plutôt source intarissable de vie qui se donne et se transmet sans cesse. Nous pouvons dans une certaine mesure le deviner en observant aussi bien le macro-univers : notre terre, les planètes, les étoiles, les galaxies ; que le micro-univers : les cellules, les atomes, les particules élémentaires. Sur tout ce qui existe est en quelque sorte imprimé le « nom » de la Très Sainte Trinité, car tout l’être, jusqu’à la dernière particule, est être en relation, et ainsi transparaît le Dieu-relation, et en définitive l’Amour créateur. Tout provient de l’amour, tend vers l’amour et avance poussé par l’amour, naturellement avec des degrés divers de conscience et de liberté. « O Seigneur, notre Seigneur, qu’il est puissant ton nom par toute la terre ! » (Ps 8, 2) s’exclame le psalmiste. En parlant du « nom », la Bible indique Dieu lui-même, son identité la plus authentique ; une identité qui resplendit sur toute la création, où chaque être, en vertu du fait même de s’y trouver et du « tissu » dont il est fait, fait référence à un Principe transcendant, à la Vie éternelle et infinie qui se donne, en un mot : à l’Amour. « C’est en [lui] en effet que nous avons la vie – dit saint Paul dans l’Aréopage d’Athènes -, le mouvement et l’être » (cf. Ac 17, 28). La preuve la plus éloquente que nous sommes faits à l’image de la Trinité est la suivante : seul l’amour nous rend heureux, car nous vivons en relation, et nous vivons pour aimer et être aimés. Reprenant une analogie suggérée par la biologie, nous pourrions dire que l’être humain porte dans son propre « génome » l’empreinte profonde de la Trinité, de Dieu-Amour. À travers sa docile humilité, la Vierge Marie s’est faite servante de l’Amour divin : elle a accueilli la volonté du Père et a conçu le Fils par l’œuvre de l’Esprit Saint. En Elle, le Tout-puissant s’est construit un temple digne de Lui, et il en a fait le modèle et l’image de l’Église, mystère et maison de communion pour tous les hommes. Que Marie, miroir de la Très Sainte Trinité, nous aide à grandir dans la foi dans le mystère trinitaire.
HOMÉLIE DE LA SAINTE TRINITÉ, C
20 mai, 2016http://parolesdudimanche.blogs.lalibre.be/
HOMÉLIE DE LA SAINTE TRINITÉ, C
Pr 8, 22-31 ; Rm 5, 1-5 ; Jn 16, 12-15
Jésus, le Nazaréen, n’était pas rabbin de la synagogue de son village ni membre de l’équipe sacerdotale au Temple de Jérusalem. Il ne nous a pas laissé un journal intime ni un traité de théologie. Pas même un petit catéchisme ou des dossiers d’animation pastorale. Il a cependant beaucoup appris à ses auditeurs. Surtout à ses proches et à ses intimes, dont certains, hommes et femmes, l’ont constamment suivi. Mais nous savons par le témoignage écrit des évangélistes que même ses disciples les plus convaincus et les plus engagés ont eu du mal à le comprendre vraiment, malgré des mois de proximité, d’enseignement, de recyclage et de signes étonnants. Il n’a jamais défini ni Dieu ni lui-même, mais il a vécu et rayonné d’une expérience profonde, intime, du mystère même de Dieu. C’est ainsi que « Jésus voit et donne à voir pour montrer comment Dieu sent et agit » (1).
Il est vrai que les croyants fidèles à la Loi de Moïse, étaient, comme tous les croyants de tous les temps, persuadés de connaître, et eux seuls, « La Vérité » que l’on confond aisément avec des idées toutes faites ou des certitudes tranquillisantes. Comme si l’infini pouvait se définir, et le plus grand des mystères se révéler dans une formule. Ni l’amour ni la foi, qui sont de la même veine, n’atteignent la plénitude en une seule démarche, en une seule étape, mais bien en se purifiant constamment. Un chemin de conversion et de dépouillement. N’est-ce pas d’ailleurs l’erreur radicale de tous les intégrismes que de vouloir sacraliser farouchement un moment particulier de l’histoire : « En ce temps-là était la vérité… » ?
Jean nous le confirme quand il évoque les dernières recommandations de Jésus à ses disciples : « J’aurais encore beaucoup de choses à vous dire, mais pour l’instant vous n’avez pas la force de les porter. Quand il viendra, lui, l’Esprit de vérité, il vous guidera vers la vérité tout entière ». Cet Esprit qui, selon la très belle expression de saint Irénée, « nous adapte à Dieu »… alors que très souvent et inconsciemment nous voudrions plutôt que Dieu s’adapte à nous.
De plus, à toute époque et partout dans le monde, les changements font peur et « une idée nouvelle est souvent considérée a priori comme une menace ». Or, le monde est toujours et encore en genèse. Nous ne sommes pas encore à la fin de l’univers, mais à son commencement. Nous n’avons pas encore accueilli ni découvert tout l’Evangile. Son incarnation est bien loin d’être effective. Que l’on songe aux petits pas faits par Paul pour humaniser l’esclavage, cette injure à la dignité humaine, toujours pratiquée aujourd’hui, même par des chrétiens, sous d’autres formes plus discrètes mais non moins révoltantes, alors même qu’il est interdit par les lois de ce monde.
Combien de temps aussi n’a-t-il pas fallu pour qu’un concile affirme que « l’Eglise catholique ne rejette rien de ce qui est vrai et saint dans ces religions » (non chrétiennes). Et même qu’elles « apportent souvent un rayon de la vérité qui illumine tous les êtres humains ». Que dire aussi du dialogue interreligieux, hier interdit et combattu au nom d’une certaine vérité monopolisée, mais aujourd’hui encouragé et déclaré nécessaire pour que chacun puisse se laisser guider sur la route qui donne accès « à la vérité tout entière ». Non pas en une seule leçon, mais bien en nous guidant par monts et par vaux, ténèbres et lumières, rochers et sables mouvants, crainte et confiance, accueils et refus… L’Esprit nous éduque à l’humilité. La progression vers la vérité tout entière n’est pas pour autant la simple acquisition de connaissances intellectuelles. Elle relève plutôt de l’intelligence pratique de la Bonne Nouvelle. Une expérience de vie. Un amour vivant. C’est la vie même de Dieu, son intimité, son être et son mystère que l’Esprit veut nous faire expérimenter. « C’est le comportement de Dieu, ce sont les options préférentielles de Dieu, les entrailles de Dieu, qu’il s’agit de rejoindre en écoutant Jésus proclamer les Béatitudes ou raconter une parabole… » (1). Dieu vit en nous qui sommes créés à son image et comme à sa ressemblance. Or, il est mystérieuse réalité de la communication parfaite, de la communion réussie, de l’éternel dialogue et de l’inépuisable réciprocité. Une Histoire d’amour. « La source de laquelle doivent jaillir l’éthique du paysan et le code déontologique du médecin, les devoirs des individus et les obligations des institutions… toute l’existence chrétienne » (Mgr T. Bello).
(1) « Au carrefour des Ecritures », J. Dupont, B. Standaert, osb, Cahiers de Clerlande.
P. Fabien Deleclos, franciscain (T) 1925 – 2008
THE FALL OF THE ANGELS – PETER PAUL RUBENS
18 mai, 2016PAPE FRANÇOIS – 18. LE PÈRE MISÉRICORDIEUX ( CF. LC 15,11 À 32 )
18 mai, 2016PAPE FRANÇOIS – 18. LE PÈRE MISÉRICORDIEUX ( CF. LC 15,11 À 32 )
AUDIENCE GÉNÉRALE
Mercredi 11 mai 2016
Chers frères et sœurs, bonjour !
Aujourd’hui, cette audience a lieu dans deux endroits : en raison du risque de pluie, les malades sont dans la salle Paul VI, et sont en liaison avec nous grâce à un écran géant : deux lieux, mais une seule audience. Saluons les malades qui sont dans la salle Paul VI. Nous voulons réfléchir aujourd’hui sur la parabole du Père miséricordieux. Celle-ci parle d’un père et de ses deux enfants, et nous fait connaître la miséricorde infinie de Dieu. Nous partons de la fin, c’est-à-dire de la joie du cœur du Père, qui dit : « Festoyons, car mon fils que voilà était mort, et il est revenu à la vie » (vv. 23-24). Avec ces paroles, le père a interrompu son fils cadet au moment où il confessait sa faute : « Je ne suis plus digne d’être appelé ton fils… » (v. 19). Mais cette expression est insupportable au cœur du père, qui, au contraire, se hâte de restituer au fils les signes de sa dignité : le beau vêtement, l’anneau, les sandales. Jésus ne décrit pas un père offensé et plein de ressentiments, un père qui dit par exemple à son fils : « Tu me le payeras » : non, le père l’embrasse, l’attend avec amour. Au contraire, la seule chose que le père a à cœur est que ce fils soit devant lui sain et sauf et cela le rend heureux et il fait la fête. L’accueil du fils qui revient est décrit de façon émouvante : « Comme il était encore loin, son père l’aperçut et fut saisi de compassion ; il courut se jeter à son cou et le couvrit de baisers » (v. 20). Combien de tendresse ; il le vit de loin : qu’est-ce que cela signifie ? Que le père montait continuellement sur la terrasse pour regarder la route et voir si son fils revenait ; ce fils qui lui en avait fait voir de toutes les couleurs, mais le père l’attendait. Quelle belle chose que la tendresse du père ! La miséricorde du père est débordante, inconditionnelle, et se manifeste avant même que le fils ne parle. Certes, le fils sait qu’il s’est trompé et le reconnaît : « J’ai péché… Traite-moi comme l’un de tes ouvriers » (v. 19). Mais ces paroles s’effacent devant le pardon du père. L’étreinte et le baiser de son papa lui font comprendre qu’il a toujours été considéré comme un fils, malgré tout. Cet enseignement de Jésus est important : notre condition de fils de Dieu est le fruit de l’amour du cœur du Père ; cela ne dépend pas de nos mérites ou de nos actions, et donc personne ne peut nous l’enlever, pas même le diable ! Personne ne peut nous enlever cette dignité. Cette parole de Jésus nous encourage à ne jamais désespérer. Je pense aux pères et aux mères préoccupés lorsqu’ils voient leurs enfants s’éloigner en prenant des chemins dangereux. Je pense aux curés et aux catéchistes qui se demandent parfois si leur travail a été vain. Mais je pense aussi à ceux qui sont en prison, qui ont l’impression que leur vie est finie ; à ceux qui ont fait des mauvais choix et qui ne réussissent pas à se tourner vers l’avenir ; à tous ceux qui ont soif de miséricorde et de pardon et qui croient ne pas l’avoir mérité… Dans chaque situation de vie, je ne dois pas oublier que je ne cesserai jamais d’être fils de Dieu, d’être fils d’un Père qui m’aime et qui attend mon retour. Même dans les situations les plus difficiles de la vie, Dieu m’attend, Dieu veut m’embrasser, Dieu m’attend. Dans la parabole, il y a un autre fils, l’aîné ; lui aussi a besoin de découvrir la miséricorde du père. Lui est toujours resté à la maison, mais il est si différent de son père ! Ses paroles manquent de tendresse : « Il y a tant d’années que je suis à ton service sans avoir jamais transgressé tes ordres… Mais, quand ton fils que voilà est revenu… » (vv. 29-30). Nous voyons le mépris : il ne dit jamais « père », il ne dit jamais « frère », il pense seulement à lui-même, il se vante d’être resté toujours auprès de son père et de l’avoir servi ; pourtant, il n’a jamais vécu cette proximité avec joie. Et à présent, il accuse son père de ne jamais lui avoir donné un chevreau pour festoyer. Pauvre père ! Un fils s’en était allé, et l’autre n’a jamais été vraiment proche de lui ! La souffrance du père est comme la souffrance de Dieu, la souffrance de Jésus quand nous nous éloignons ou que nous partons loin ou que nous sommes proches mais sans être proches. Le fils aîné a lui aussi besoin de miséricorde. Les justes, ceux qui se croient justes, ont eux aussi besoin de miséricorde. Ce fils nous représente lorsque nous nous demandons si cela vaut la peine de faire tant d’efforts si ensuite, nous ne recevons rien en échange. Jésus nous rappelle que l’on ne reste pas dans la maison du Père pour avoir une récompense, mais parce que l’on a la dignité de fils corresponsables. Il ne s’agit pas de « marchander » avec Dieu, mais de rester à la suite de Jésus qui s’est donné lui-même sur la croix sans mesure. « Toi, mon enfant, tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi. Il fallait festoyer et se réjouir » (v. 31). C’est ce que dit le Père au fils aîné. Sa logique est celle de la miséricorde ! Le fils cadet pensait mériter une punition à cause de ses péchés, le fils aîné s’attendait à une récompense pour ses services. Les deux frères ne se parlent pas entre eux, ils vivent des histoires différentes, mais raisonnent tous deux selon une logique étrangère à Jésus : si tu fais le bien, tu reçois une récompense, si tu fais le mal tu es puni ; et cela n’est pas la logique de Jésus, ce n’est pas cela! Cette logique est renversée par les paroles du père : « Il fallait festoyer et se réjouir; car ton frère que voilà était mort, et il est revenu à la vie ; il était perdu, et il est retrouvé ! » (v. 31). Le père a retrouvé son fils perdu, et à présent il peut également le rendre à son frère ! Sans le frère cadet, le frère aîné cesse lui aussi d’être un « frère ». La joie la plus grande pour le père est de voir que ses enfants se reconnaissent frères. Les fils peuvent décider de s’unir à la joie du père ou de refuser. Ils doivent s’interroger sur leurs désirs et sur la vision qu’ils ont de la vie. La parabole se termine en laissant la fin en suspens : nous ne savons pas ce qu’a décidé de faire le fils aîné. Et cela est un encouragement pour nous. Cet Évangile nous enseigne que nous avons tous besoin d’entrer dans la maison du Père et de participer à sa joie, à sa fête de la miséricorde et de la fraternité. Frères et sœurs, ouvrons notre cœur, pour être « miséricordieux comme le Père » !
JEAN-PAUL II – LECTURE: COL 1, 3.12-15.17
18 mai, 2016http://w2.vatican.va/content/john-paul-ii/fr/audiences/2004/documents/hf_jp-ii_aud_20040505.html
JEAN-PAUL II – LECTURE: COL 1, 3.12-15.17
AUDIENCE GÉNÉRALE
Mercredi 5 mai 2004 Le Christ fut engendré avant toute créature il est le premier-né de ceux qui ressuscitent d’entre les morts Lecture: Col 1, 3.12-15.17
1. Nous venons d’entendre l’admirable hymne christologique de la Lettre aux Colossiens. La liturgie des Vêpres le propose pendant les quatre semaines au cours desquelles elle se déroule et l’offre aux fidèles comme un Cantique, en le présentant sous la forme que le texte possédait peut-être dès ses origines. En effet, un grand nombre de chercheurs considèrent que l’hymne pourrait être la citation d’un chant des Eglises de l’Asie mineure, inséré par Paul dans la Lettre adressée à la communauté chrétienne de Colosse, une ville alors florissante et peuplée. L’Apôtre ne se rendit cependant jamais dans cette grande ville de Phrygie, une région de la Turquie actuelle. L’Eglise locale avait été fondée par l’un de ses disciples, originaire de cette terre, Epaphras. Ce dernier apparaît à la fin de la Lettre avec l’évangéliste Luc, « le cher médecin », comme l’appelle saint Paul (4, 14), et avec un autre personnage, Marc, « cousin de Barnabé » (4, 10), peut-être le compagnon homonyme de Barnabé et de Paul (cf. Ac 12, 25; 13, 5.13), ensuite devenu évangéliste. 2. Puisque nous aurons l’occasion de revenir à plusieurs reprises par la suite sur ce Cantique, nous nous contentons à présent d’en offrir une vue d’ensemble et d’évoquer un commentaire spirituel, élaboré par un célèbre Père de l’Eglise, saint Jean Chrysostome (IV siècle ap. J.C.), célèbre orateur et Evêque de Constantinople. Dans l’hymne apparaît la figure grandiose du Christ, Seigneur du cosmos. Comme la divine Sagesse créatrice, exaltée par l’Ancien Testament (cf. par exemple Pr 8, 22-31), « il est avant toute chose et tout subsiste en lui »; ou encore, « c’est en lui qu’ont été créées toutes choses, dans les cieux et sur la terre » (Col 1, 16-17). Dans l’univers se réalise donc un dessein transcendant que Dieu accomplit à travers l’oeuvre de son Fils. C’est également ce que proclame le Prologue de l’Evangile de Jean, lorsqu’il affirme que « tout fut par lui, et sans lui rien de ne fut » (Jn 1, 3). La matière, avec son énergie, la vie et la lumière portent aussi l’empreinte du Verbe de Dieu, « son Fils bien-aimé » (Col 1, 13). La révélation du Nouveau Testament jette une lumière nouvelle sur les paroles du sage de l’Ancien Testament, qui déclarait que « la grandeur et la beauté des créatures font, par analogie, contempler leur auteur » (Sg 13, 5). 3. Le Cantique de la Lettre aux Colossiens présente une autre fonction du Christ: Il est également le Seigneur de l’histoire du salut, qui se manifeste dans l’Eglise (cf. Col 1, 18) et qui s’accomplit dans le « sang de sa croix » (v. 20), source de paix et d’harmonie pour toute l’histoire humaine. Ce n’est donc pas seulement le monde qui nous entoure qui est marqué par la présence agissante du Christ, mais également la réalité plus spécifique de la créature humaine, c’est-à-dire l’histoire. Celle-ci n’est pas en proie à des forces aveugles et irrationnelles mais, malgré le péché et le mal, elle est soutenue et orientée – par l’action du Christ – vers la plénitude. C’est ainsi qu’au moyen de la Croix du Christ, toute la réalité est « réconciliée » avec le Père (cf. v. 20). L’hymne trace ainsi une merveilleuse fresque de l’univers et de l’histoire, en nous invitant à la confiance. Nous ne sommes pas des grains de poussière inutiles, dispersés dans un espace et un temps qui n’a pas de sens, mais nous sommes partie prenante d’un projet sage, jailli de l’amour du Père. 4. Comme nous l’avons annoncé, nous donnons à présent la parole à saint Jean Chrysostome, afin qu’il couronne cette réflexion. Dans son Commentaire à la Lettre aux Colossiens, il s’arrête longuement sur ce Cantique. Au début, il souligne la gratuité du don de Dieu « qui nous a mis en mesure de partager le sort des saints dans la lumière » (v. 12). « Pourquoi l’appelle-t-il « sort »? », se demande saint Jean Chrysostome, et il répond: « Pour montrer que personne ne peut obtenir le Royaume par ses propres oeuvres. Ici aussi, comme dans la plupart des cas, le « sort » a le sens de « chance ». Personne n’a un comportement qui lui permet de mériter le Royaume, mais tout est don du Seigneur. C’est pourquoi il dit: « Lorsque vous avez accompli toutes choses, dites: Nous sommes des serviteurs inutiles. Nous avons fait ce que nous devions faire »" (PG 62, 312). Cette gratuité bienveillante et puissante réapparaît plus loin, lorsque nous lisons qu’à travers le Christ ont été créées toutes choses (cf. Col 1, 16). « De Lui dépend la substance de toute les choses – explique l’Evêque. Non seulement il les fit passer du non-être à l’être, mais c’est aussi lui qui les soutient, si bien que si elles étaient soustraites à sa providence, elles périraient et se dissoudraient… Elles dépendent de lui: en effet, le seul fait de pencher vers lui est suffisant à les soutenir et à les renforcer » (PG 62, 319). Ce que le Christ accomplit pour l’Eglise, dont il est la Tête, est à plus forte raison un signe d’amour gratuit. A ce point (cf. v. 18), explique saint Jean Chrysostome, « après avoir parlé de la dignité du Christ, l’Apôtre parle également de son amour pour les hommes: « Il est la tête du corps, la tête de l’Eglise », pour montrer son intime communion avec nous. En effet, Celui qui est aussi élevé et au-dessus de tous, s’est uni à ceux qui sont en bas » (PG 62, 320).