HOMÉLIE DE LA PENTECÔTE, C

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HOMÉLIE DE LA PENTECÔTE, C

P. Fabien Deleclos, franciscain (T) – 1925 – 2008

Ac 2, 1-11 ; Rm 8, 8-17 ou 1 Co 12, 3-13 ; Jn 14, 15-16, 23b-26 ou Jn 20, 19-23

Au synode de mai 1998, les évêques délégués des Eglises d’Asie étaient venus à Rome, souvent avec des pieds de plomb, déçus par le document préparatoire trop occidentalisé et trop romain à leur gré. Des évêques quelque peu découragés par la situation généralement ultra minoritaire de leurs Eglises. Moins d’1 % de catholiques au Japon. Moins d’1 % de catholiques au Pakistan, parmi 95 % de musulmans d’une république farouchement islamique, où sévit un fondamentalisme religieux, sectaire et violent, devenu la forme de terrorisme qui fait le plus peur. Surtout parmi les minorités religieuses, et pas seulement chrétiennes. Le fondamentalisme tue aussi à l’intérieur de l’islam. Durant ce mois synodal, l’assemblée a invoqué plus d’une fois l’Esprit Saint. Il n’y eut ni vent violent, ni apparition, ni manifestation extraordinaire. Mais, a pu dire l’un des participants : « Nous sommes arrivés délégués, nous repartons messagers ». Envoyés notamment en mission de dialogue de vérité avec les religions locales ultra majoritaires et beaucoup plus anciennes que le christianisme. Une invitation pressante à reconnaître et à saluer les valeurs spirituelles et morales de cette douzaine de grandes religions millénaires asiatiques. Plus fort encore : une invitation « à travailler ensemble pour améliorer la qualité de vie des peuples et promouvoir un triple dialogue avec les cultures, les religions et les peuples de l’Asie ». Il s’agira d’ouvrir portes et fenêtres et même de renverser des murs. Apprendre aussi à parler l’espéranto de l’amour, ce langage qui permet à chacun de garder sa culture et sa langue, et de ne pas confondre, comme trop souvent dans le passé, la foi et la culture. L’Esprit lance des défis, même avec des minorités. C’est ainsi qu’il multiplie et actualise les Pentecôte pour secouer les esprits figés, délier les langues muettes et embraser les cœurs des disciples, trop souvent glacés par la peur. Il fait se lever les fidèles assis sur leurs habitudes, installés dans leur routine et leurs certitudes étriquées, parce que trop étroitement humaines. Toute Pentecôte ouvre les frontières et fait sauter des barrières. L’Esprit ne fait pas revenir en arrière, il pousse en avant. Il élargit les horizons, alors que nous avons tendance à les rétrécir. Ou encore, comme dit la séquence : « Il assouplit ce qui est raide et réchauffe ce qui est froid. Il rend droit ce qui est tordu ». Or, nous avons souvent l’impression que la Pentecôte est une fête facile. C’est vrai, si nous nous contentons d’admirer le charme des images et de traduire les symboles en miracles et autres signes merveilleux. Il nous suffit alors d’admirer, d’applaudir et même de danser au son des alléluias. Mais au risque d’oublier le message et le témoignage. Car, après la Pentecôte, les disciples ne sont pas restés plongés dans une extase mystique affectivement gratifiante et rassurante. Au contraire, ils ont bravé des dangers, ils sont partis « jusqu’aux extrémités de la terre ». Il nous arrive aussi, très paresseusement, de lire l’extraordinaire événement de la Pentecôte uniquement avec les yeux de l’histoire, et donc de le regarder comme une expérience unique qui n’a concerné, il y a 2000 ans, qu’un petit groupe de disciples de Jésus. Il suffirait alors de célébrer un anniversaire et de s’extasier devant le merveilleux d’une époque lointaine, mais sans incidence sur la nôtre. Or, en réalité, la Pentecôte se répète constamment. Chaque célébration dominicale, par exemple, en est une, car le vent de l’Esprit souffle dans nos territoires intérieurs et la boule de feu, qui se divise en petites langues, elle aussi, est d’ordre intérieur. Elle transforme les timorés en hommes et femmes de feu. L’Esprit peut toujours enflammer les esprits et les cœurs. Au 6e siècle, dans la très florissante Eglise d’Afrique du Nord, un prédicateur disait dans son homélie de Pentecôte : « Les disciples ont parlé toutes les langues. Ainsi, Dieu a voulu manifester la présence du Saint Esprit en faisant parler toutes les langues à ceux qui l’avaient reçu. Il faut comprendre, frères très chers, qu’il s’agit bien du Saint Esprit par qui l’amour est répandu dans nos cœurs… Par conséquent, si quelqu’un dit à l’un de nous : « Est-ce que tu as reçu le Saint Esprit, car tu ne parles pas toutes les langues ? », voici ce qu’il faut répondre : « Parfaitement, je parle toutes les langues. Car je suis dans ce corps du Christ qui est l’Eglise, laquelle parle toutes les langues… ». Aussi, faisait très justement remarquer Mgr Bello, l’abbé Pierre italien (1), la Pentecôte est une fête difficile, parce qu’elle nous incite fortement à nous libérer de nos complexes. Le premier étant le complexe de l’huître. Nous sommes comme elle trop attachés à notre rocher, c’est-à-dire à nos sécurités et aux illusions gratifiantes du passé, alors que l’Esprit Saint nous appelle au contraire à la nouveauté, il nous invite au changement, il nous encourage à nous recréer. Autre complexe : celui de « l’une fois pour toutes ». Nous préférons nous installer dans la stagnation de nos habitudes, plutôt que de marcher et nous soumettre à la conversion permanente. Le fait de nous plier à la constance d’une révision critique nous effraie, alors que l’Esprit nous invite à quitter l’immobilisme confortable de nos voies de garage, pour oser prendre la route, pour oser affronter les dangers, pour oser entreprendre, pour oser inventer et adapter. Nous n’aimons pas être bousculés. Nous n’aimons pas corriger nos trajectoires, ni renoncer à des certitudes que nous avons bétonnées et monopolisées, alors que nul ne peut, à lui seul, posséder la vérité tout entière. L’Esprit nous appelle à l’acceptation du pluralisme, au respect de la multiplicité, au refus des intégrismes et des fondamentalismes, à la joie d’entrevoir qu’il unifie et compose les richesses de la diversité. Rappelons-nous le grand rassemblement interreligieux du 26 octobre 1986 à Assise. Une véritable révolution. Le dialogue interreligieux, hier combattu au nom d’une certaine vérité monopolisée et figée, mais aujourd’hui encouragé et déclaré nécessaire pour que chacun puisse se laisser guider sur la route qui donne progressivement accès « à la vérité tout entière ». L’Esprit nous éduque aussi à l’humilité.

(1) « Aux fenêtres de l’espérance », Mgr Tonino Bello, lettre d’un évêque, Ed. Médiaspaul 1998.

 

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