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31 MAI – FÊTE DE LA VISITATION
30 mai, 2016http://missel.free.fr/Sanctoral/05/31.php
31 MAI – FÊTE DE LA VISITATION
Sommaire : L’Esprit Saint dans le récit de la visitation Homélie sur l’Evangile de Luc
L’Esprit Saint dans le récit de la visitation 1. Les textes évangéliques révèlent clairement la vérité sur l’Esprit Saint dans la description de certains moments de la vie et de la mission du Christ. Nous avons déjà réfléchi sur la conception virginale et sur la naissance de Jésus de Marie par l’œuvre de l’Esprit Saint. D’autres pages de l’Évangile de l’enfance méritent toute notre attention car elles mettent particulièrement en relief l’action de l’Esprit Saint. L’une de ces pages est certainement celle où l’évangéliste Luc raconte la visite de Marie à Elisabeth. Nous lisons qu’en ces jours-là, Marie partit et se rendit en hâte vers la région montagneuse, dans une ville de Juda (I 39). On considère généralement qu’il s’agit de la localité de Aïn-Karim, à six kilomètres à l’ouest de Jérusalem. Marie s’y rend pour être aux côtés de sa parente Elisabeth, plus âgée qu’elle. Elle s’y rend à la suite de l’Annonciation, dont la Visitation devient presque un complément. En effet, l’Ange avait dit à Marie : Et voici qu’Elisabeth, ta parente, vient, elle aussi, de concevoir un fils dans sa vieillesse, et elle en est à son sixième mois, elle qu’on appelait la stérile ; car rien n’est impossible à Dieu. (Luc I 36-37). Marie partit en hâte pour se rendre chez Elisabeth, certainement poussée par un besoin intérieur, afin de manifester son affection, comme à une sœur, en ce mois de grossesse avancée. Un sentiment de solidarité féminine naît dans son cœur sensible et bon, solidarité propre à cette circonstance. Mais l’expérience d’une communion toute particulière entre elle et Elisabeth à la suite de l’annonce faite par l’ange, se rattache probablement à ce contexte psychologique : le fils qu’attend Elisabeth sera, en effet, le précurseur de Jésus et celui qui le baptisera dans le Jourdain. 2. Cette communion d’esprit explique pourquoi l’évangéliste Luc s’empresse de mettre en lumière l’action de l’Esprit Saint dans la rencontre entre les deux futures mères : Marie entra chez Zacharie et salua Elisabeth. Et il advint, dès qu’Elisabeth eut entendu la salutation de Marie, que l’enfant tressaillit dans son sein et Elisabeth fut remplie d’Esprit Saint (I 40-41). Cette action de l’Esprit Saint, vécue par Elisabeth d’une manière particulièrement profonde au moment de sa rencontre avec Marie, se rattache au destin mystérieux de l’enfant qu’elle porte dans son sein. Zacharie, le père de l’enfant, en recevant l’annonce de la naissance de son fils au cours de son service sacerdotal dans le temple, s’était entendu dire : il sera rempli d’Esprit Saint dès le sein de sa mère. (Luc I 15). Au moment de la Visitation, quand Marie franchit le seuil de la maison d’Elisabeth, (et avec elle, Celui qui est déjà le fruit de ses entrailles), la présence de l’Esprit Saint est ressentie par Elisabeth d’une manière expérimentale. Elle le témoigne elle-même dans son salut à la jeune mère qui est venue lui rendre visite. 3. Selon l’Évangile de Luc, en effet, Elisabeth poussa un grand cri et dit : Bénie es-tu entre les femmes, et béni le fruit de ton sein ! Et comment m’est-il donné que vienne à moi la mère de mon Seigneur ? Car vois-tu, dès l’instant où ta salutation a frappé mes oreilles, l’enfant a tressailli d’allégresse en mon sein. Oui, bienheureuse celle qui a cru en l’accomplissement de ce qui lui a été dit de la part du Seigneur ! (I 42-45). En peu de mots, l’évangéliste nous révèle le tressaillement joyeux d’Elisabeth, ainsi que celui de l’enfant dans son sein, l’intuition, tout au moins confuse, de l’identité messianique de l’enfant que porte Marie, la reconnaissance de la foi de Marie dans la révélation que le Seigneur lui a faite. Luc utilise dès cette page le titre divin de Seigneur, non seulement pour parler de Dieu qui révèle et promet (les paroles du Seigneur), mais également du fils de Marie, Jésus, auquel dans le Nouveau Testament, le titre est attribué surtout comme ressuscité (cf. Actes II 36 ; Philippiens II 11). Ici il doit encore naître. Mais Elisabeth perçoit, autant que Marie, sa grandeur messianique. 4. Cela signifie qu’Elisabeth, remplie d’Esprit Saint, est introduite dans la profondeur du mystère de la venue du Messie. L’Esprit Saint opère en elle cette illumination particulière, qui s’exprime dans le salut adressé à Marie. Elisabeth parle comme si elle avait participé à l’Annonciation de Nazareth et comme si elle en avait été témoin. Elle définit par ses paroles l’essence même du mystère qui à ce moment-là s’est opéré en Marie ; en disant la mère de mon Seigneur vient à moi, elle appelle, mon Seigneur l’enfant que Marie attend depuis peu de temps. Ensuite, elle proclame Marie bénie entre les femmes et elle ajoute : bienheureuse celle qui a cru, comme si elle voulait faire allusion au comportement de la servante du Seigneur, qui répondit à l’ange par son fiat : qu’il m’advienne selon ta parole ! (Luc I 38). 5. Le texte du Luc manifeste sa conviction que l’action du Saint-Esprit illumine et inspire aussi bien Marie qu’Elisabeth. De même que l’Esprit a fait pressentir à Marie le mystère de la maternité messianique qui s’est réalisée dans la virginité, il donne à Elisabeth la capacité de découvrir Celui que Marie porte dans son sein et ce qu’elle est appelée à être dans l’économie du salut : la Mère du Seigneur. Il lui donne ainsi ce transport intérieur qui la pousse à proclamer cette découverte dans un grand cri (Luc I 42), avec cet enthousiasme et cette joie qui sont également le fruit de l’Esprit Saint. La mère du futur prédicateur et baptiste du Jourdain attribue cette joie à l’enfant qu’elle attend depuis six mois : l’enfant a tressailli d’allégresse en mon sein. Mais le fils et la mère se trouvent unis dans une sorte de symbiose spirituelle, c’est pourquoi la joie de l’enfant est transmise à celle qui l’a conçu, et voici : Elisabeth laisse éclater le cri qui exprime la joie qui l’unit profondément à son fils, comme le témoigne Luc. 6. Toujours selon le récit de Luc, un chant d’allégresse jaillit du cœur de Marie, le Magnificat, dans lequel elle exprime elle aussi sa joie : mon esprit tressaille de joie en Dieu mon Sauveur (I 47). Elevée comme elle l’était au culte de la Parole de Dieu qu’elle connaissait par la lecture et la méditation de la Sainte Écriture, Marie sentit monter à ce moment-là, du plus profond de son âme, les versets du Cantique d’Anne, mère de Samuel (cf. I Samuel II 1-10) et d’autres paroles de l’Ancien Testament, pour laisser libre cours aux sentiments de la fille de Sion, qui trouvait en elle la plus grande réalisation. C’est ce qu’a bien compris l’évangéliste Luc d’après les confidences reçues directement ou indirectement de Marie. L’une de celles-ci devait être la joie qui unit les deux mères lors de cette rencontre, comme manifestation du fruit de l’amour vibrant dans leur cœur. Il s’agissait de l’Esprit-Amour trinitaire, qui se révélait au seuil de la plénitude du temps (Galates IV 4), inaugurée dans le mystère de l’Incarnation du Verbe. A ce moment bienheureux, ce que Paul dira plus tard se réalisait déjà : le fruit de l’Esprit Saint… est charité, joie, paix (Galates V 22).
Allocution de S.S. Jean-Paul II, au cours de l’audience générale hebdomadaire du 13 juin 1990
Homélie sur l’Evangile de Luc Les meilleurs vont vers les moins bons, pour leur procurer quelque avantage par leur venue. Ainsi, le Sauveur vient près de Jean pour sanctifier son baptême ; et dès que Marie eut entendu l’ange lui annoncer qu’elle allait concevoir le Sauveur et que sa cousine Elisabeth était enceinte, elle partit, se rendit en hâte vers le haut pays et entra dans la maison d’Elisabeth. Car Jésus, dans le sein de Marie, se hâtait de sanctifier Jean, encore dans le sein de sa mère. Avant l’arrivée de Marie et son salut, l’enfant n’avait pas tressailli dans le sein de sa mère ; mais dès que Marie eut prononcé la parole que le Fils de Dieu, dans son sein maternel, lui avait suggérée, l’enfant tressaillit de joie et, dès lors, de son précurseur, Jésus fit un prophète. Marie, tout à fait digne d’être mère du Fils de Dieu, devait, après son entretien avec l’ange, gravir la montagne et demeurer sur les sommets. D’où ces mots : « En ces jours-là, Marie partit et se rendit en hâte vers le haut pays. » Il lui fallait aussi, parce qu’elle était active et pleine de sollicitude se hâter avec zèle et, remplie de l’Esprit-Saint, être conduite sur les sommets et protégée par la puissance divine, qui l’avait déjà couverte de son ombre. Elle vint donc « dans une ville de Juda ; elle entra chez Zacharie et salua Elisabeth. Or, dès qu’Elisabeth eut entendu la salutation de Marie, l’enfant tressaillit dans son sein et Elisabeth fut remplie du Saint-Esprit.[1] » C’est pourquoi il n’est pas douteux que, si Elisabeth fut alors remplie du Saint-Esprit ce fut à cause de son fils. Car ce n’est pas la mère qui, la première, a mérité le Saint-Esprit ; mais lorsque Jean, encore enfermé dans son sein, eut reçu le Saint-Esprit, alors, Elisabeth, après la sanctification de son fils, fut remplie du Saint-Esprit. Tu pourras le croire, si tu as remarqué une chose semblable à propos du Sauveur… Car Marie fut remplie du Saint-Esprit, quand elle commença à avoir le Sauveur en son sein. En effet, dès qu’elle eut reçu l’Esprit Saint, créateur du corps du Seigneur, et que le Fils de Dieu eut commencé à être dans son sein, Marie aussi fut remplie de l’Esprit-Saint. « Alors Elisabeth poussa un grand cri et dit : Tu es bénie entre les femmes.[2] » Si la naissance du Sauveur n’avait pas été céleste et bienheureuse, si elle n’avait pas eu quelque chose de divin et de supérieur à l’humanité, jamais sa doctrine ne se serait répandue sur toute la terre. S’il y avait eu dans le sein de Marie un homme au lieu du Fils de Dieu, comment pourrait-on expliquer, au temps du Christ comme maintenant, des guérisons de maladies de toutes sortes, non seulement physiques, mais encore morales ?… Avant Jean, Elisabeth prophétise ; avant la naissance du Seigneur notre Sauveur, Marie prophétise. Et de même que le péché a commencé par une femme pour atteindre ensuite l’homme, de même le salut a débuté par des femmes, pour que les autres, oubliant la faiblesse de leur sexe, imitent la vie et la conduite des saintes, surtout de celles que l’Evangile nous décrit maintenant. Voyons donc la prophétie de la Vierge. « Mon âme magnifie le Seigneur, dit-elle, et mon esprit exalte en Dieu mon Sauveur.[3] » Deux principes, l’âme et l’esprit, s’acquittent d’une double louange. L’âme célèbre le Seigneur, l’esprit célèbre Dieu, non pas que la louange du Seigneur soit différente de celle de Dieu, mais parce que Dieu est aussi Seigneur et que le Seigneur est également Dieu. On me demande comment l’ame magnifie (c’est-à-dire agrandit) le Seigneur. Car, si le Seigneur ne peut être ni augmenté ni diminué, s’il est ce qu’il est, comment Marie peut-elle dire maintenant : « Mon âme magnifie le Seigneur » ? Si je considère que le Seigneur notre Sauveur est « l’image du Dieu invisible[4] », si je vois mon âme faite « à l’image du créateur[5] », afin d’être l’image de l’image (car mon âme n’est pas exactement l’image de Dieu, mais elle a éte créée à la ressemblance de la première image) alors voici ce que je comprendrai : à la manière de ceux dont le métier est de peindre des images et d’utiliser leur art à reproduire un seul modèle, le visage d’un roi par exemple, chacun de nous donne à son âme l’image du Christ ; il en trace une image plus ou moins grande, délavée ou ternie, ou, au contraire, claire et lumineuse, ressemblant au modèle. Donc, lorsque j’aurai agrandi l’image de l’image, c’est-à-dire mon âme, lorsque je l’aurai « magnifiée » par mes actions, mes pensées et mes paroles, alors l’image de Dieu grandira et le Seigneur lui-même sera « magnifié » dans mon âme qui en est l’image. De même que le Seigneur grandit dans cette image que nous sommes de lui, de méme, si nous tombons dans le peché, il diminue et décroît… Voilà pourquoi l’âme de Marie magnifie d’abord le Seigneur et ensuite « son esprit exulte en Dieu. » En effet, si nous n’avons pas grandi auparavant, nous ne pouvons exulter. « Parce que, dit-elle, il a jeté les yeux sur l’humilité de sa servante.[6] » Quelle est cette humilité de Marie que le Seigneur a regardée ? Qu’avait d’humble et de bas la mère du Sauveur qui portait en elle le Fils de Dieu ? « Il a jeté les yeux sur l’humilité de sa servante », cela veut dire à peu près : il a jeté les yeux sur la justice de sa servante, sur sa tempérance, sur sa force et sur sa sagesse. D’ailleurs, il est naturel que Dieu regarde les vertus. On me dira peut-être : Je comprends que Dieu regarde la justice et la sagesse de sa servante ; mais il n’est pas évident qu’il fasse attention à son humilité. Celui qui cherche à comprendre doit remarquer que précisement l’humilité est designée dans les Ecritures comme l’une des vertus. Du reste, le Sauveur déclare : « Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur ; et vous trouverez soulagement pour vos âmes.[7] » « Désormais toutes les générations me diront bienheureuse.[8] » Si je comprends dans le sens le plus simple les mots « toutes les générations », je l’interprète des croyants. Mais si je réfléchis plus profondément, je remarque qu’il vaut bien mieux ajouter : « car le Tout-Puissant a fait pour moi de grandes choses.[9] » En effet, puisque « tout homme qui s’abaisse sera élevé[10] », Dieu qui a regardé l’humilité de la bienheureuse Marie, a naturellement le Tout-Puissant fait pour elle de grandes choses. « Et sa miséricorde s’étend d’âge en âge.[11] » La miséricorde de Dieu s’étend non pas sur une, deux, trois, ni même cinq genérations, mais éternellement, d’âge en âge. « Pour ceux qui le craignent, il a déployé la force de son bras.[12] » Si, malgré ta faiblesse, tu approches du Seigneur dans la crainte, tu pourras entendre sa promesse en réponse à ta crainte. Quelle est cette promesse ? Il se fait, dit Marie, la force de ceux qui le craignent. La force ou la puissance est une qualité royale… Si donc tu crains Dieu, il te donne sa force et sa puissance, il te donne son Royaume, afin que, soumis au Roi des rois, tu possèdes le Royaume des Cieux, dans le Christ Jésus. « Marie demeura avec Elisabeth environ trois mois, puis elle s’en retourna chez elle.[13] » S’il a suffi de la venue de Marie chez Elisabeth et de sa salutation pour que l’enfant tressaille de joie et qu’Elisabeth, remplie de l’Esprit-Saint, prophétise ce que rapporte l’Evangile, si une seule heure a apporté de si grandes transformations, il nous reste à imaginer quels progrès Jean a réalisés pendant les trois mois du séjour de Marie près d’Elisabeth. Si en un instant le petit enfant a tressailli et, pourrait-on dire, bondi de joie, et si Elisabeth a été remplie de l’Esprit Saint, il est anormal que, pendant trois mois, ni Jean, ni Elisabeth n’aient pas réalisé de progrès au voisinage de la mère du Seigneur et en la présence du Sauveur lui-même.
PIERRE CHRYSOLOGUE (LE ROYAME DE DIEU…)
30 mai, 2016http://peresdeleglise.free.fr/extraits2.htm#hippolyte
PIERRE CHRYSOLOGUE (LE ROYAME DE DIEU…)
« Le Royaume de Dieu est semblable à du levain qu’une femme a pris et enfoui dans trois mesures de farine (Mt 13, 33). La femme qui avait reçu du démon le levain de la perfidie reçoit de Dieu le levain de la foi, elle l’enfouit dans trois mesures de farine, qui représentent les trois ères de l’humanité, d’Adam à Noé, de Noé à Moïse et de Moïse au Christ. Car si le Christ a voulu naître, c’est pour que, dans cette humanité où Eve avait semé la mort, Marie ramenât la vie. Marie nous offre la parfaite image de ce levain, elle nous en propose la parabole, nous en dessine la figure quand en son sein elle reçoit du ciel le levain du Verbe et le répand en son sein virginal sur la chair humaine, que dis-je ? sur une chair qui, en son sein virginal, est toute céleste et qu’elle fait ainsi lever… Donnons à présent le sens profond de cette parabole. La femme qui a pris du levain, c’est l’Eglise, le levain qu’elle a pris, c’est la révélation de la doctrine céleste, les trois mesures dans lesquelles elle a, nous dit-on, enfoui le levain sont la Loi, les Prophètes et les Evangiles, où le sens divin s’enfouit et se cache sous des termes symboliques, afin d’être saisi du fidèle et d’échapper à l’infidèle. La science divine est maintenant dans la pâte, elle se répand sur les sens, elle gonfle les coeurs, augmente les intelligences et, comme tout enseignement, les élargit, les soulève et les épanouit aux dimensions de la sagesse céleste. Tout sera bientôt levé. Quand ? A l’avènement du Christ. » (Sermon 99, in La femme. Les grands textes des Pères de l’Eglise, coll. Ichtus, Lettres chrétiennes 12, Le Centurion / Grasset, 1968, pp. 288-289).
« Dans son amour pour les siens, le Christ, notre bon Maître, multiplie les images de son royaume, en varie les paraboles. Il ne va pas les prendre dans ses mystères, ni les chercher dans les sphères célestes ; il les puise dans l’expérience quotidienne. Il les emprunte à la vie commune, afin que toutes les classes d’hommes puissent y trouver leur profit, selon la parole du prophète : Ecoutez, tous les peuples, entendez, tous les habitants du monde, gens du commun et gens de condition, riches et pauvres ensemble (Ps 48, 2-3). S’il puisait dans les arcanes de sa divinité, dans les mystères des rois, ou les secrets des riches, le pauvre ne comprendrait pas, l’homme moyen serait décontenancé, le simple désemparé. Mais il tient un langage qui est familier au riche comme au pauvre et qui s’enracine au coeur de toute vie, car le Dieu qui nous appelle cherche tous les hommes sans faire acception de personne. Mais reprenons la lecture de la parabole. A quoi puis-je comparer, dit-il, le royaume de Dieu ? (Lc 13, 21). Cette question frappe les auditeurs, les remplit de stupeur et d’étonnement. Que peut-on en effet comparer au royaume de Dieu, au divin empire ? Et tandis que leur esprit s’égare dans l’infini des cieux, le Seigneur trouve et dessine l’image de son royaume : le toit du pauvre, la main de la ménagère qui cuit son pain ! » (Sermon 99, in Les grands textes des Pères de l’Eglise, Ichtus, « Les Lettres chrétiennes », Ed. Le Centurion / Grasset, 1968, pp. 285-286).
« Ô homme, pourquoi es-tu si vil à tes propres yeux, alors que tu es si précieux aux yeux de Dieu ? Pourquoi te déshonores-tu à ce point quand Dieu t’a tellement honoré ? Pourquoi te demandes-tu avec quoi tu es créé, et négliges-tu de rechercher pour quel destin ? Cette demeure du monde que tu vois, n’est-elle pas tout entière bâtie pour toi ? Pour toi la lumière a jailli, afin de chasser les ténèbres environnantes, pour toi la nuit est disposée et le jour mesuré ; pour toi le ciel brille de l’éclat diapré du soleil, de la lune et des étoiles ; pour toi la terre s’émaille de fleurs, de forêts, de fruits ; pour toi vit dans l’air, dans les champs, dans l’eau la multitude merveilleuse de tous les animaux, de peur que tristesse et solitude n’assombrissent la joie de la création naissante. Dieu t’a façonné à partir de la terre, afin que tu sois le maître des réalités terrestres, tout en partageant avec elles une nature commune. Dieu t’a fait don d’une âme céleste et d’un corps terrestre ; ainsi en toi se noue une union permanente entre ciel et terre… » (Sermon 147, in L’année en fêtes, Bibliothèque 3, Migne, 2000, pp. 50-51).
« Si le Seigneur revient avec le même corps, présente ses blessures, montre à nouveau les trous mêmes des clous, et donne comme preuves de sa résurrection les témoignages de la Passion, pourquoi l’homme croit-il qu’il doit quant à lui revenir dans un autre corps et non dans le sien ? Ou peut-être le serviteur méprise-t-il son corps alors que le Seigneur a gardé le nôtre ? Homme, accepte de croire que tu vivras à nouveau dans ton propre corps, sauf à n’être pas toi-même, si tu ressuscites dans un corps étranger. » (Sermon 76, 1).
« Il y a trois actes, mes frères, trois actes en lesquels la foi se tient, la piété consiste, la vertu se maintient : la prière, le jeûne, la miséricorde. La prière frappe à la porte, le jeûne obtient, la miséricorde reçoit. Prière, miséricorde, jeûne, les trois ne font qu’un et se donnent mutuellement la vie. En effet, le jeûne est l’âme de la prière, la miséricorde est la vie du jeûne. Que personne ne les divise : les trois ne peuvent se séparer. Celui qui en pratique seulement un ou deux, celui-là n’a rien. Donc, celui qui prie doit jeûner ; celui qui jeûne doit avoir pitié ; qu’il écoute l’homme qui demande, et qui en demandant souhaite être écouté ; il se fait entendre de Dieu, celui qui ne refuse pas d’entendre lorqu’on le supplie. Celui qui pratique le jeûne doit comprendre le jeûne : il doit sympathiser avec l’homme qui a faim, s’il veut que Dieu sympathise avec sa propre faim ; il doit faire miséricorde, celui qui espère obtenir miséricorde ; celui qui veut bénéficier de la bonté doit la pratiquer ; celui qui veut qu’on lui donne doit donner. C’est être un solliciteur insolent, que demander pour soi-même ce qu’on refuse à autrui. » (Homélie sur la prière, le jeûne et l’aumône, 43)
« Dieu, que le monde ne peut contenir, comment le regard humain, si étroit, pouvait-il le saisir ? Mais le code de l’amour ne considère pas ce que celui-ci peut être, ce qu’il doit et ce qu’il peut faire. L’amour ignore le jugement, il manque de raison, il ignore la mesure. L’amour ne se laisse pas consoler par l’impossibilité, il n’admet pas que la difficulté soit un remède. [...] Il est impossible que l’amour ne voie pas ce qu’il aime ; voilà pourquoi tous les saints ont jugé sans valeur tout ce qu’ils avaient obtenu, s’ils ne voyaient pas le Seigneur … » (Sermon sur le mystère de l’Incarnation, (I), 147 : Dieu veut répondre à l’amour de l’homme qui désire voir Dieu)
POUR CE PAPE TOUT EST GRÂCE, MÊME « LES ATTAQUES DU MONDE CONTRE NOS PÉCHÉS » – par Benoît XVI
29 mai, 2016http://chiesa.espresso.repubblica.it/articolo/1342930?fr=y
POUR CE PAPE TOUT EST GRÂCE, MÊME « LES ATTAQUES DU MONDE CONTRE NOS PÉCHÉS »
17.4.2010
Résister à la « dictature du conformisme ». Mais aussi « faire pénitence, reconnaître ce qui est erroné, s’ouvrir au pardon, se laisser transformer ». Le message lancé par Joseph Ratzinger à l’Église, dans une homélie inattendue, hors programme
par Benoît XVI
[Transcription intégrale de l'homélie que le pape a prononcée, le jeudi 15 avril 2010 de bon matin, à la Chapelle Pauline, au Vatican, lors d’une messe avec les membres de la commission pontificale biblique (photo). Radio Vatican en a parlé la première, sept heures plus tard. Le texte complet a été diffusé au bout de 52 heures]. __________
Chers frères et sœurs, je n’ai pas trouvé le temps de préparer une véritable homélie. Je voudrais seulement inviter chacun d’entre vous à une méditation personnelle en vous proposant et en soulignant quelques phrases de la liturgie d’aujourd’hui, offertes au dialogue priant entre nous et la Parole de Dieu. La parole, la phrase que je voudrais proposer à notre commune méditation est cette grande affirmation de saint Pierre : « Il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes » (Ac 5, 29). Saint Pierre se trouve devant l’institution religieuse suprême, à laquelle il faudrait normalement obéir, mais Dieu est au-dessus de cette institution et Dieu lui a donné un autre « ordre » : il doit obéir à Dieu. L’obéissance à Dieu est la liberté, l’obéissance à Dieu lui donne la liberté de s’opposer à l’institution. Et ici les exégètes attirent notre attention sur le fait que la réponse de saint Pierre au Sanhédrin est presque identique mot pour mot à celle de Socrate lors de son jugement par le tribunal d’Athènes. Le tribunal lui offre la liberté, la libération, mais à condition qu’il ne continue pas à rechercher Dieu. Mais chercher Dieu, la recherche de Dieu est pour lui une mission supérieure, venant de Dieu lui-même. Et une liberté achetée en renonçant au chemin vers Dieu ne serait plus la liberté. Il doit donc obéir non pas à ces juges – il ne doit pas acheter sa vie en se perdant lui-même – mais à Dieu. L’obéissance à Dieu vient en premier. Ici il est important de souligner qu’il s’agit d’obéissance et que c’est justement l’obéissance qui donne la liberté. L’époque moderne a parlé de la libération de l’homme, de sa pleine autonomie, et donc aussi de la libération par rapport à l’obéissance envers Dieu. L’obéissance ne devrait plus exister, l’homme est libre, il est autonome : rien d’autre. Mais cette autonomie est un mensonge, c’est un mensonge ontologique, parce que l’homme n’existe pas par lui-même et pour lui-même ; c’est aussi un mensonge politique et pratique, parce que la collaboration et la mise en commun des libertés sont nécessaires. Et, si Dieu n’existe pas, si Dieu n’est pas une instance accessible à l’homme, il ne reste comme instance suprême que le consensus de la majorité. Par conséquent le consensus de la majorité devient le dernier mot auquel nous devons obéir et ce consensus – comme l’histoire du siècle dernier nous l’a appris – peut aussi être un « consensus dans le mal ». Nous voyons donc que ce que l’on appelle autonomie ne libère pas vraiment l’homme. L’obéissance envers Dieu est la liberté, parce que c’est la vérité, c’est l’instance qui se place face à toutes les instances humaines. Dans l’histoire de l’humanité ces paroles de Pierre et de Socrate sont le vrai phare de la libération de l’homme, qui sait voir Dieu et qui, au nom de Dieu, peut et doit obéir non pas tant aux hommes qu’à Lui et se libérer ainsi du positivisme de l’obéissance humaine. Les dictatures ont toujours été opposées à cette obéissance à Dieu. La dictature nazie, comme la dictature marxiste, ne peuvent accepter un Dieu qui soit au-dessus du pouvoir idéologique ; et la liberté des martyrs, qui reconnaissent Dieu, justement dans l’obéissance au pouvoir divin, est toujours l’acte de libération dans lequel la liberté du Christ arrive jusqu’à nous. Aujourd’hui, grâce à Dieu, nous ne vivons pas sous des dictatures, mais il existe des formes subtiles de dictature : un conformisme qui rend obligatoire de penser comme tout le monde, d’agir comme tout le monde ; les agressions subtiles contre l’Eglise, ou parfois moins subtiles, montrent que ce conformisme peut vraiment être une véritable dictature. Pour nous voici ce qui compte : il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes. Mais cela suppose que l’on connaisse vraiment Dieu, que l’on veuille vraiment lui obéir. Dieu n’est pas un prétexte pour la volonté de l’homme, mais c’est vraiment Lui qui nous appelle et nous invite, jusqu’au martyre, si nécessaire. C’est pourquoi, confrontés à cette parole qui commence une nouvelle histoire de liberté dans le monde, nous prions surtout pour connaître Dieu, pour connaître humblement et véritablement Dieu et, connaissant Dieu, pour apprendre la vraie obéissance qui est la base de la liberté humaine. Choisissons une seconde phrase de la première lecture : saint Pierre dit que Dieu a exalté le Christ à sa droite comme chef et sauveur (cf. Ac 5, 31). Chef est la traduction du mot grec archegos, qui implique une vision beaucoup dynamique : l’archegos est celui qui montre le chemin, qui précède, c’est un mouvement, un mouvement vers le haut. Dieu l’a exalté à sa droite – donc parler du Christ comme d’un archegos signifie que le Christ marche devant nous, qu’il nous précède, qu’il nous montre le chemin. Et être en communion avec le Christ, c’est être en chemin, monter avec le Christ, à sa suite, c’est aller vers le haut, c’est suivre l’archegos, celui qui est déjà passé, qui nous précède et qui nous montre le chemin. Ici, évidemment, il est important que l’on nous dise où arrive le Christ et où nous devons arriver nous aussi : hypsosen – en haut – monter à la droite du Père. Suivre le Christ, ce n’est pas seulement imiter ses vertus, ce n’est pas seulement – dans la mesure où nous en sommes capables – vivre dans ce monde en étant semblables au Christ, selon sa parole, mais c’est un cheminement qui a un but. Et ce but, c’est la droite du Père. Il y a ce chemin de Jésus, cette marche à la suite de Jésus qui s’achève à la droite du Père. Tout le cheminement de Jésus, y compris l’arrivée à la droite du Père, fait partie de l’horizon de cette démarche à la suite de Jésus. En ce sens, le but de ce cheminement est la vie éternelle à la droite du Père en communion avec le Christ. Aujourd’hui nous avons souvent un peu peur de parler de la vie éternelle. Nous parlons de ce qui est utile pour le monde, nous montrons que le christianisme aide aussi à améliorer le monde. Mais nous n’osons pas dire que son but est la vie éternelle et que les critères de la vie découlent de ce but. Nous devons comprendre à nouveau que le christianisme reste un « fragment » si nous ne pensons pas à ce but, que nous voulons suivre l’archegos à la hauteur de Dieu, à la gloire du Fils qui nous fait fils dans le Fils, et nous devons de nouveau nous rendre compte que ce n’est que dans la grande perspective de la vie éternelle que le christianisme révèle tout son sens. Nous devons avoir le courage, la joie, la grande espérance de penser que la vie éternelle existe, que c’est la vraie vie et que de cette vraie vie vient la lumière qui éclaire aussi ce monde. Si l’on peut dire que, même en faisant abstraction de la vie éternelle, du Ciel qui nous est promis, il vaut mieux vivre selon les critères chrétiens, parce que vivre selon la vérité et l’amour, même au milieu de tant de persécutions, est bien en soi et mieux que tout le reste, c’est justement cette volonté de vivre selon la vérité et selon l’amour qui doit aussi nous ouvrir à toute l’ampleur du projet de Dieu sur nous, au courage d’avoir déjà la joie dans l’attente de la vie éternelle, de la montée à la suite de notre archegos. Et Soter est le Sauveur, qui nous sauve de l’ignorance en ce qui concerne les fins dernières. Le Sauveur nous sauve de la solitude, il nous sauve d’un vide qui reste dans la vie sans l’éternité, il nous sauve en nous donnant l’amour dans sa plénitude. Il est le guide. Le Christ, l’archegos, nous sauve en nous donnant la lumière, en nous donnant la vérité, en nous donnant l’amour de Dieu. Arrêtons-nous encore sur un verset : le Christ, le Sauveur, a accordé à Israël la conversion et le pardon des péchés (v. 31) – dans le texte grec le mot est metanoia – il a accordé la pénitence et le pardon des péchés. C’est pour moi un point très important : la pénitence est une grâce. Il y a dans l’exégèse une tendance consistant à dire que Jésus, en Galilée, aurait annoncé une grâce sans condition, absolument inconditionnée, et donc sans pénitence, une grâce en tant que telle, sans présupposés humains. Mais c’est une interprétation fausse de la grâce. La pénitence est grâce ; le fait que nous reconnaissions notre péché est une grâce, le fait que nous sachions que nous avons besoin d’un renouvellement, d’un changement, d’une transformation de notre être est une grâce. La pénitence, le pouvoir de faire pénitence, est le don de la grâce. Je dois dire que nous chrétiens, même ces derniers temps, nous avons souvent évité le mot pénitence, qui nous paraissait trop dur. Maintenant, sous les attaques du monde qui nous parlent de nos péchés, nous voyons que pouvoir faire pénitence est une grâce. Nous voyons qu’il est nécessaire de faire pénitence, c’est-à-dire de reconnaître ce qui est erroné dans notre vie, de nous ouvrir au pardon, de nous préparer au pardon, de nous laisser transformer. La souffrance de la pénitence, c’est-à-dire de la purification et de la transformation, cette souffrance est une grâce, parce qu’elle est renouvellement, parce qu’elle est œuvre de la miséricorde divine. Ainsi ces deux mots qu’emploie saint Pierre – pénitence et pardon – correspondent au début de la prédication de Jésus : metanoeite, c’est-à-dire convertissez-vous (cf. Mc 1,15). Le point fondamental est donc que la metanoia n’est pas une affaire privée, qui semblerait remplacée par la grâce, mais la metanoia est l’arrivée de la grâce qui nous transforme. Et enfin une parole de l’Évangile, où il nous est dit que celui qui croit aura la vie éternelle (cf. Jn 3,36). Dans la foi, dans cette « transformation » que donne la pénitence, dans cette conversion, dans cette nouvelle route de vie, nous arrivons à la vie, à la vraie vie. A ce sujet, deux autres textes me viennent à l’esprit. Dans la « Prière sacerdotale » le Seigneur dit : la vie, c’est qu’ils te connaissent, toi et ton Envoyé (cf. Jn 17,3). Connaître l’essentiel, connaître la Personne fondamentale, connaître Dieu et son Envoyé, c’est la vie, la vie et la connaissance, connaissance de réalités qui sont la vie. L’autre texte est la réponse du Seigneur aux Sadducéens à propos de la Résurrection, dans laquelle, à partir des livres de Moïse, le Seigneur prouve le fait de la Résurrection en disant : Dieu est le Dieu d’Abraham, d’Isaac, de Jacob (cf. Mt 22, 31-32 ; Mc 12, 26-27 ; Lc 20, 37-38). Dieu n’est pas le Dieu des morts. Si Dieu est leur Dieu, ils sont vivants. Celui qui est inscrit dans le nom de Dieu participe à la vie de Dieu, il vit. Donc, croire c’est être inscrits dans le nom de Dieu. Ainsi nous sommes vivants. Celui qui appartient au nom de Dieu n’est pas un mort, il appartient au Dieu vivant. C’est en ce sens que nous devrions comprendre le dynamisme de la foi, qui est d’inscrire notre nom dans le nom de Dieu et d’entrer ainsi dans la vie. Prions le Seigneur pour que cela se produise et que nous connaissions vraiment Dieu par notre vie, pour que notre nom entre dans le nom de Dieu et que notre existence devienne une véritable vie : vie éternelle, amour et vérité. __________
Traduction française par Charles de Pechpeyrou.
MESSE EN LA SOLENNITÉ DU CORPUS DOMINI – HOMÉLIE DU PAPE BENOÎT XVI
26 mai, 2016
MESSE EN LA SOLENNITÉ DU CORPUS DOMINI
HOMÉLIE DU PAPE BENOÎT XVI
Basilique Saint-Jean-de-Latran
Jeudi 23 juin 2011
Chers frères et sœurs!
La fête du Corpus Domini est inséparable du Jeudi Saint, de la Messe in Cena Domini, au cours de laquelle on célèbre solennellement l’institution de l’Eucharistie. Alors que dans la soirée du Jeudi Saint on revit le mystère du Christ qui s’offre à nous dans le pain rompu et dans le vin versé, aujourd’hui, en la fête du Corpus Domini, ce même mystère est proposé à l’adoration et à la méditation du Peuple de Dieu, et le Très Saint Sacrement est porté en procession dans les rues des villes et des villages, pour montrer que le Christ ressuscité marche parmi nous et nous guide vers le Royaume des cieux. Ce que Jésus nous a donné dans l’intimité du Cénacle, nous le manifestons aujourd’hui ouvertement, car l’amour du Christ n’est pas réservé à certains, mais il est destiné à tous. Dans la Messe in Cena Domini du Jeudi Saint, j’ai souligné que dans l’Eucharistie a lieu la transformation des dons de cette terre — le pain et le vin — ayant pour but de transformer notre vie et d’inaugurer ainsi la transformation du monde. Ce soir, je voudrais reprendre cette perspective. Tout part, pourrait-on dire, du cœur du Christ, qui lors de la Dernière Cène, à la veille de sa passion, a remercié et loué Dieu et, en agissant ainsi, avec la puissance de son amour, a transformé le sens de la mort vers laquelle il allait. Le fait que le Sacrement de l’autel ait assumé le nom d’«Eucharistie» — «action de grâce» — exprime précisément cela: que la transformation de la substance du pain et du vin dans le Corps et le Sang du Christ est le fruit du don que le Christ a fait de lui-même, le don d’un Amour plus fort que la mort, un Amour divin qui l’a fait ressusciter d’entre les morts. Voilà pourquoi l’Eucharistie est nourriture de vie éternelle, Pain de la vie. Du cœur du Christ, de sa «prière eucharistique» à la veille de sa passion, naît ce dynamisme qui transforme la réalité dans ses dimensions cosmique, humaine et historique. Tout procède de Dieu, de la toute-puissance de son Amour Un et Trine, incarné en Jésus. Le cœur du Christ est plongé dans cet Amour; c’est pourquoi il sait rendre grâce et louer Dieu également face à la trahison et à la violence, et de cette manière il change les choses, les personnes et le monde. Cette transformation est possible grâce à une communion plus forte que la division, la communion de Dieu lui-même. Le mot «communion», que nous utilisons également pour désigner l’Eucharistie, résume en lui la dimension verticale et la dimension horizontale du don du Christ. L’expression «prendre la communion», qui se réfère à l’acte de manger le Pain eucharistique, est belle et très éloquente. En effet, quand nous accomplissons cet acte, nous entrons en communion avec la vie même de Jésus, dans le dynamisme de cette vie qui se donne à nous et pour nous. De Dieu, à travers Jésus, jusqu’à nous: une unique communion se transmet dans la sainte Eucharistie. Nous l’avons entendu il y a peu, dans la deuxième lecture, dans les paroles de l’apôtre Paul adressées aux chrétiens de Corinthe: «La coupe d’action de grâce que nous bénissons, n’est-elle pas communion au sang du Christ? Le pain que nous rompons, n’est-il pas communion au corps du Christ? Puisqu’il y a un seul pain, la multitude que nous sommes est un seul corps, car nous avons tous part à un seul pain» (1 Co 10, 16-17). Saint Augustin nous aide à comprendre la dynamique de la communion eucharistique lorsqu’il fait référence à une sorte de vision qu’il eut, dans laquelle Jésus lui dit: «Je suis la nourriture des forts. Grandis et tu m’auras. Tu ne me transformeras pas en toi, comme la nourriture du corps, mais ce sera toi qui sera transformé en moi» (Conf. VII, 10, 18). Alors que la nourriture corporelle est donc assumée par notre organisme et contribue à son entretien, dans le cas de l’Eucharistie il s’agit d’un Pain différent: ce n’est pas nous qui l’assimilons, mais c’est lui qui nous assimile, de sorte que nous devenons conformes à Jésus Christ, membres de son corps, une seule chose avec Lui. Ce passage est décisif. En effet, c’est précisément parce que c’est le Christ qui, dans la communion eucharistique, nous transforme en Lui, que notre caractère individuel, dans cette rencontre, est ouvert, libéré de son égocentrisme et inséré dans la Personne de Jésus, qui à son tour est plongée dans la communion trinitaire. Ainsi l’Eucharistie, alors qu’elle nous unit au Christ, nous ouvre également aux autres, nous rend membres les uns des autres: nous ne sommes plus divisés, mais une seule chose en Lui. La communion eucharistique m’unit à la personne qui est à mes côtés, et avec laquelle je n’ai peut-être même pas un bon rapport, mais également aux frères éloignés, dans toutes les parties du monde. D’ici, de l’Eucharistie, dérive donc le sens profond de la présence sociale de l’Eglise, comme en témoignent les grands saints sociaux, qui ont toujours été de grandes âmes eucharistiques. Qui reconnaît Jésus dans la sainte Hostie, le reconnaît dans son frère qui souffre, qui a faim et soif, qui est étranger, nu, malade, emprisonné; et il est attentif à chaque personne, il s’engage, de manière concrète, pour tous ceux qui sont dans le besoin. Du don d’amour du Christ provient donc notre responsabilité particulière de chrétiens dans la construction d’une société solidaire, juste, fraternelle. A notre époque en particulier, où la mondialisation nous rend toujours plus dépendants les uns des autres, le christianisme peut et doit faire en sorte que cette unité ne se construise pas sans Dieu, c’est-à-dire sans le véritable Amour, ce qui laisserait place à la confusion, à l’individualisme, à la domination de tous contre tous. L’Evangile vise depuis toujours à l’unité de la famille humaine, une unité qui n’est pas imposée de l’extérieur, ni par des intérêts idéologiques ou économiques, mais bien à partir du sens de responsabilité des uns envers les autres, car nous nous reconnaissons membres d’un même corps, du corps du Christ, car nous avons appris et nous apprenons constamment du Sacrement de l’Autel que le partage, l’amour sont la voie de la véritable justice. Revenons à présent à l’acte de Jésus lors de la Dernière Cène. Que s’est-il passé à ce moment? Lorsqu’Il dit: Ceci est mon corps qui est donné pour vous, ceci est mon sang versé pour vous et pour une multitude, que se passe-t-il? Dans ce geste, Jésus anticipe l’événement du Calvaire. Il accepte par amour toute la passion, avec son tourment et sa violence, jusqu’à la mort en croix; en l’acceptant de cette manière, il la transforme en un acte de donation. Telle est la transformation dont le monde a le plus besoin, car elle le rachète de l’intérieur, elle l’ouvre aux dimensions du Royaume des cieux. Mais ce renouvellement du monde, Dieu veut toujours le réaliser à travers la même voie suivie par le Christ, cette voie qui, d’ailleurs, est Lui-même. Il n’y a rien de magique dans le christianisme. Il n’y a pas de raccourcis, mais tout passe à travers la logique humble et patiente du grain de blé qui meurt pour donner la vie, la logique de la foi qui déplace les montagnes avec la force douce de Dieu. C’est pourquoi Dieu veut continuer à renouveler l’humanité, l’histoire et l’univers à travers cette chaîne de transformations dont l’Eucharistie est le sacrement. A travers le pain et le vin consacrés, dans lesquels sont réellement présents son Corps et son Sang, le Christ nous transforme, en nous assimilant à Lui: il nous fait participer à son opération de rédemption, en nous rendant capables, par la grâce de l’Esprit Saint, de vivre selon sa logique même de donation, comme des grains de blés unis à Lui et en Lui. C’est ainsi qu’on les sème et que mûrissent dans les sillons de l’histoire l’unité et la paix, qui sont l’objectif auquel nous tendons, selon le dessein de Dieu. Sans illusions, sans utopies idéologiques, nous marchons sur les routes du monde, en portant en nous le Corps du Seigneur, comme la Vierge Marie dans le mystère de la Visitation. Avec l’humilité de savoir que nous sommes de simples grains de blé, nous conservons la ferme certitude que l’amour de Dieu, incarné dans le Christ, est plus fort que le mal, que la violence et que la mort. Nous savons que Dieu prépare pour tous les hommes des cieux nouveaux et une terre nouvelle, où règnent la paix et la justice — et dans la foi nous entrevoyons le monde nouveau, qui est notre véritable patrie. Ce soir aussi, alors que le soleil se couche sur notre bien-aimée ville de Rome, nous nous mettons en marche: avec nous il y a Jésus Eucharistie, le Ressuscité, qui a dit: «Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde» (Mt 28, 20). Merci, Seigneur Jésus! Merci de ta fidélité, qui soutient notre espérance. Reste avec nous, car le soir vient. «Bon Pasteur, Pain véritable, ô Jésus, aies pitié de nous, défends-nous, conduis-nous vers les biens éternels, dans la terre des vivants!» Amen.
HOMÉLIE DU CORPS ET DU SANG DU CHRIST – LE SAINT SACREMENT
26 mai, 2016http://parolesdudimanche.blogs.lalibre.be/
HOMÉLIE DU CORPS ET DU SANG DU CHRIST – LE SAINT SACREMENT
Gn 14, 18-20 ; 1 Co 11, 23-26 ; Lc 9, 11b-17
Pour être bien compris, l’extrait d’un livre ou d’une lettre doit être replacé dans son contexte. C’est le cas pour les dix lignes où Paul rappelle aux Corinthiens les paroles et les gestes de ce que nous appelons l’institution de l’eucharistie. Pourquoi ce rappel de l’événement fondateur ? parce que le comportement concret, égoïste et individualiste des chrétiens de Corinthe était en contradiction flagrante avec la célébration de l’eucharistie appelée la « fraction du pain ». Vingt ans seulement après la mort de Jésus, il y avait déjà une opposition entre la pratique sacramentelle et la pratique concrète de la vie ecclésiale. La fraction du pain est devenue un contre témoignage. « Quand vous vous réunissez en commun, leur écrit-il quelques lignes plus haut, ce n’est pas le repas du Seigneur que vous prenez ». (1) Si Paul secoue vertement les chrétiens de Corinthe, ce n’est pas pour des questions de doctrine et de dogme. C’est parce qu’ils ont perdu de vue le sens de leur participation à l’eucharistie. Ils s’imaginent pouvoir être un avec le Christ, faire corps avec lui, sans se soucier d’être un avec leurs frères et sœurs invités au même repas. Or, la communion au Corps et au Sang du Christ n’est pas seulement d’ordre spirituel et sacramentel. Elle est aussi le signe, le désir et la volonté de réaliser cette unité avec lui, en nous et avec les autres, pour faire de la communauté le Corps du Christ. Cette unité suppose aussi la solidarité et le partage. Non pas seulement le partage du pain eucharistique, mais aussi et tout autant le partage du pain quotidien. Un partage fraternel essentiel au sacrement, comme l’annonçait déjà la multiplication des pains. « Quand vous mangez ce pain et buvez cette coupe, vous proclamez que le Seigneur est mort », leur rappelle Paul. Autrement dit : vous confessez que le Seigneur est allé jusqu’à la mort pour vous. Comment donc pourriez-vous être ses disciples, alors que, dans le repas très copieux qui précède le repas du Seigneur, vos excès de table et votre refus de partager avec des plus pauvres constituent un geste de mépris vis-à-vis de l’Eglise et un affront à ceux qui n’ont rien ? On ne peut pas dissocier artificiellement le spirituel des exigences concrètes de la vie quotidienne sous peine de désincarnation. C’est ce que nous dit aussi l’évangile de la multiplication des pains, que les communautés chrétiennes primitives ont orienté dans un sens eucharistique. On y voit les apôtres, qui sont au service du spirituel, conseiller à Jésus de renvoyer ses auditeurs. Ils n’ont qu’à se débrouiller pour trouver un abri et de quoi manger. Ce n’est pas notre problème ! Jésus prend le contre-pied : « Donnez-leur vous-mêmes à manger ». Bien sûr, ils cherchaient une nourriture spirituelle. C’est pourquoi ils nous ont suivis et écoutés toute la journée sans même se soucier de l’intendance. Ils nous ont fait confiance. Maintenant, c’est à nous de leur procurer de quoi manger. Ainsi, au lieu de se disperser, ils vont se retrouver convives du même repas pour partager le même pain. Un pain de communion qui signifie et invite à une vie fraternelle et solidaire. C’est pourquoi l’eucharistie fait l’Eglise et l’Eglise se définit comme un « peuple », et plus précisément comme une « communion » qui doit refléter sur terre les relations d’égalité, de réciprocité, de charité, qui existent précisément entre le Père et le Fils dans l’Esprit Saint. Ces vérités fondamentales et constitutives de l’eucharistie sont périodiquement minimisées, délaissées, jusqu’à être oubliées. Au profit de dévotions sans doute respectables mais secondaires et particulières. Il suffit de parcourir l’histoire de la messe pour s’en convaincre. Vers le XIe siècle, par exemple, dans nos pays, les chrétiens ont perdu de vue la relation entre le Corps sacramentel du Christ (le pain consacré) et le Corps ecclésial du Christ, l’Assemblée, l’Eglise. La communion devient un acte purement individuel. Progressivement, ils ont même abandonné la communion. Il est vrai que la discipline pénitentielle et celle du jeûne eucharistique exigeaient de gros efforts. Alors, en compensation, on a cherché une sorte de remplacement de la communion : montrer et voir l’hostie consacrée. Le Saint Sacrement de l’Eucharistie va se réduire au saint sacrement de l’hostie exposée. A tel point que l’adoration va remplacer la participation active à l’eucharistie. Un catéchisme de 1734 va jusqu’à enseigner que la messe n’est qu’une des cinq manières d’honorer Jésus dans son Saint Sacrement. Mais elle ne vient qu’en cinquième position. Le plus important, ce sont les processions, puis les saluts, l’adoration des 40 heures, la communion, et enfin la messe. Nous n’en sommes plus là, heureusement, mais nous devons rester attentifs et prudents. Les textes liturgiques de ce jour nous précisent à nouveau que l’eucharistie c’est faire le Corps du Christ, c’est rassembler pour unir. Et la loi de l’incarnation : on ne peut se soucier des « âmes » sans se préoccuper des corps. « Le pain eucharistique ne rassasie le cœur de l’homme qu’en lui donnant de mieux aimer ses frères et de leur procurer le pain qu’ils n’ont pas » (2). Quant à « faire mémoire » de la mort et de la résurrection du Christ par l’eucharistie, c’est aussi affirmer et incarner notre décision d’entrer à sa suite, avec lui et grâce à lui, « dans la même voie d’obéissance et d’amour dont il nous a donné l’exemple ».
En réalité, « ne passe de l’Evangile que ce qui passe par l’humain ». (1) 1 Co 11, 17-23 (2) « Guide de l’Assemblée chrétienne », T IV, Th. Maertens, J. Frisque, Casterman 1970, p 395.
P. Fabien Deleclos, franciscain (T) 1925 – 2008
Second récit de la création : le jardin d’Eden
24 mai, 2016QUE DIT L’ECRITURE AU SUJET DU TRAVAIL ?
24 mai, 2016http://www.bible-notes.org/article-356-Que-dit-l-Ecriture-au-sujet-du-travail.html
QUE DIT L’ECRITURE AU SUJET DU TRAVAIL ?
(une étude , il y a beaucoup sur la même page)
Le chrétien peut rendre un beau témoignage au Seigneur par la manière dont il accomplit ses tâches professionnelles, mais aussi par l’emploi qu’il fait de son temps libre.
Dans sa tâche professionnelle le chrétien se fait connaître comme tel en l’accomplissant avec exactitude, diligence, probité ; non par amour du lucre ou par ambition égoïste mais pour le Seigneur ; non par l’effet d’une contrainte impatiemment subie dans l’esprit de revendication jamais satisfaites qui est celui du jour, mais « comme asservi au Seigneur et non pas aux hommes » (Eph. 6 : 7). C’est là probablement le premier et le plus constant témoignage à rendre au dehors. L’activité s’y déploie pour Christ, au lieu de laisser le Seigneur à la porte du lieu de travail. Évidemment cela suppose que le métier que l’on exerce et la façon dont on l’exerce ont son approbation. En l’exerçant le fidèle « orne l’enseignement qui est de notre Dieu sauveur » (Tite 2 : 10). Cela est dit des esclaves et à plus forte raison demandé à quelqu’un de placé dans une condition plus favorable.
Le chrétien se fait connaître tout autant par la façon dont il utilise son temps libre. Le rythme accéléré de la vie présente exige détente et repos, mais combien de personnes en arrivent à être plus occupées de leurs loisirs que de leur travail habituel, et s’y montrent plus actives ! Qu’en est-il de chacun de nous ? Nous ne parlons pas ici du dimanche, car l’emploi du jour du Seigneur ne devrait soulever aucune question ; pourtant il sera bien à propos de relire Ésaïe 58 : 3, 14, qui s’applique au sabbat mais est considéré comme le « saint jour de l’Eternel » et « mon saint jour ». L’apôtre Jean fut « en Esprit, dans la journée dominicale » (Apoc. 1 : 10).
Pour lire la Parole et l’étudier, pour nous édifier mutuellement et pour évangéliser, Dieu met à notre disposition plus de temps et de facilités qu’autrefois. Que faisons-nous de nos loisirs ? À chacun de s’examiner devant le Seigneur. Les gens du présent siècle, fortunés ou non, passent – ou rêvent de passer – leurs vacances en voyages d’agrément ou dans la pratique des sports à la mode ou encore dans le désoeuvrement des plages et des stations touristiques. Suivons-nous leur comportement, dans une passive et affligeante conformité ?
Nous ne parlons pas en censeur ni en moraliste, Dieu le sait. Ni sans savoir ce que l’existence actuelle comporte de luttes et de difficultés, différentes d’une condition à l’autre, d’un âge à l’autre, de la campagne à la ville. Mais justement la « vertu » (le courage moral) que nous sommes exhortés à joindre à la foi prend ces difficultés de front ; elle lutte contre cette aspiration devenue générale à satisfaire par des moyens amplifiés la convoitise des yeux, la convoitise de la chair et l’orgueil de la vie sans y parvenir jamais. Mais ils empêchent l’activité selon Dieu. Les « épines » (soucis, richesses, voluptés de la vie…) étouffent la semence, de sorte qu’il n’y a pas « de fruit à maturité » (Luc 8 : 14). La soif des jouissances offertes par la civilisation moderne, en surenchère perpétuelle, fait plus de mal au témoignage que des persécutions. Sacrifierons-nous aux « délices du péché » la jouissance de nos « bénédictions spirituelles dans les lieux célestes en Christ », et comme Ésaü vendrions-nous pour un mets notre droit de premier-né ?
Tout cela est affaire de coeur. Nous avons besoin d’être « étreints par l’amour du Christ », comme Paul, afin de regarder comme lui toutes choses comme une perte à cause de Christ, et de juger que « si un est mort pour tous, tous donc sont morts, et qu’il est mort pour tous afin que ceux qui vivent ne vivent plus pour eux-mêmes, mais pour celui qui pour eux est mort et a été ressuscité » (2 Cor. 5 : 14, 15). Que d’occasions nous laissons échapper de montrer les caractères du « service religieux pur et sans tache devant Dieu le Père », savoir l’activité de l’amour pour « visiter les orphelins et les veuves dans leur affliction », et l’application à se conserver « pur du monde » (Jac. 1 : 27) ! Combien nous manquons de zèle, enfin, à « chausser nos pieds de la préparation de l’évangile de paix » (Eph. 6 : 15), pour parler du Seigneur à ceux qui n’ont pas cru ! Il n’est pas besoin pour le faire d’avoir reçu un don d’évangéliste, mais il faut aimer le Seigneur, et aimer les âmes.
« Messager évangélique » 1962 p. 253 (A. G)
LE TRAVAIL ET LA BIBLE – LE TRAVAIL, UN MANDAT DE DIEU POUR L’HOMME
24 mai, 2016LE TRAVAIL ET LA BIBLE – LE TRAVAIL, UN MANDAT DE DIEU POUR L’HOMME
LE TRAVAIL SELON LA BIBLE
Dans notre société sécularisée, rejetant l’héritage qu’elle tire du christianisme, baignée dans un relativisme ambiant donc dans une confusion des valeurs, nous avons besoin de références, de points d’ancrage solides pour ne pas être ballotés par tous les « vents médiatiques » et par tous les vents émotionnels. Les vents émotionnels sont ceux qui font crier « hosanna » un jour et « crucifie » le lendemain. Nos références doivent se trouver enracinées dans la Bible. 1 : 1 « Au commencement, Dieu créa les cieux et la terre. » 1 : 25b-28 : « Dieu vit que cela était bon. 26 Puis Dieu dit : Faisons l’homme à notre image, selon notre ressemblance, et qu’il domine sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, sur le bétail, sur toute la terre, et sur tous les reptiles qui rampent sur la terre. 27 Dieu créa l’homme à son image, il le créa à l’image de Dieu, il créa l’homme et la femme. 28 Dieu les bénit, et Dieu leur dit : Soyez féconds, multipliez, remplissez la terre, et l’assujettissez; et dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, et sur tout animal qui se meut sur la terre. » 2 : 2 : « Dieu acheva au septième jour son œuvre, qu’il avait faite : et il se reposa au septième jour de toute son œuvre, qu’il avait faite. » 2 : 15 : « L’éternel Dieu prit l’homme, et le plaça dans le jardin d’éden pour le cultiver et pour le garder. » 3 : 17 : « Il dit à l’homme : Puisque tu as écouté la voix de ta femme, et que tu as mangé de l’arbre au sujet duquel je t’avais donné cet ordre : Tu n’en mangeras point ! le sol sera maudit à cause de toi. C’est à force de peine que tu en tireras ta nourriture tous les jours de ta vie… » 3 : 19 : « C’est à la sueur de ton visage que tu mangeras du pain… » De ces versets, deux perspectives bibliques du travail se dégagent : – Le travail est une bonne chose voulue par Dieu. – Le travail est une source de souffrance. Le travail est un mandat confié par Dieu à l’homme (Genèse 1 et 2) mais, à cause de la chute, le travail est devenu pénible (Genèse 3).
LE TRAVAIL : UN MANDAT DIVIN Quelques aspects Le travail n’est pas une conséquence du péché. D’ailleurs, le premier verset de la Bible nous montre Dieu au travail et Jésus dira : « Mon Père travaille jusqu’à maintenant, et moi je travaille. » (Jean 5 : 14) Le verset 28 du premier chapitre de la Genèse « … remplissez la terre, assujettissez-la ; et dominez… » est un appel pour l’homme à transformer le monde par son intelligence, son savoir-faire et son industrie. Créé à l’image de Dieu, l’homme est appelé à donner à son activité un sens créatif. Par le verset : « Et l’Éternel Dieu prit l’homme et le plaça dans le jardin d’Eden pour le cultiver et pour le garder. » (Genèse 2 : 15), nous comprenons que l’homme est le gérant de la création. C’est pourquoi le monde où l’homme vit porte la marque de son activité transformatrice. (Selon « L’éthique du travail » – Robert Sommerville – Les Editions Sator © 1989 page 30) En donnant à l’homme, toute la richesse de la création, Dieu lui montre son amour et sa confiance. Le travail est une réponse à ce don. Malheureusement, aujourd’hui, l’homme martyrise la création. Le travail est aussi une réponse à notre condition incarnée : notre activité n’est pas purement intérieure ; elle est aussi extérieure. Par mon corps, mon travail exprime ma personne géographiquement, en un lieu déterminé. L’homme est un être « de géographie » – l’homme n’est pas un pur esprit – et le travail est l’expression de l’homme dans son espace géographique. Dit dans des termes plus simples : par mon travail j’exprime ce que je suis sur les lieux de mon activité et j’y apporte mon empreinte. Dès le commencement, le travail a une dimension sociale évidente : un homme seul ne peut assujettir la terre. Il doit s’associer à d’autres hommes et, par là, participer à un œuvre commune. Le travail est un facteur de socialisation, un principe de vie communautaire. On comprend que le chômage puisse être ressenti durement : avec lui est éprouvé un sentiment d’inutilité sociale. Calvin considérait que priver quelqu’un de travail était un crime. D’autres aspects : Le Créateur et la création – L’homme et son travail L’homme est créé à l’image de Dieu. Il est une personne (dans le sens le plus fort) dotée d’intelligence, de raison et de volonté libre, de liberté – l’homme n’est pas placé sur un rail ; l’arbre de la connaissance du bien et du mal en est la preuve – et conséquemment de responsabilité, responsabilité, entre autre morale, de chercher la vérité. Il est doté de quête de sens – parce qu’il est « celui qui se souvient » donc doté d’une histoire dans laquelle il s ‘inscrit –, doté, dans son cœur, « d’un vide en forme de Dieu » (Pascal)… A propos de l’histoire : un peuple qui n’a pas de souvenir est un peuple sans avenir. Songeons aux fêtes de l’ancien testament et à la Sainte Cène : « Faites ceci en mémoire de moi. » Enfin, l’homme ne peut vivre sans amour reçu et partagé. Sa dignité repose sur sa capacité de se donner, de se livrer pour l’autre, de donner sa vie pour les autres. Jésus-Christ est l’Homme Parfait. L’homme reçoit sa dignité de ce qu’il est créé à l’image de Dieu (Livre de la Genèse) et de ce que Dieu s’est fait homme en Jésus. L’homme est donc plus que tout ce qu’il crée et ce qu’il fait (productions, institutions, systèmes) : sa valeur transcende celle de son travail.
En conséquence : • Le premier fondement de la valeur du travail est l’homme lui-même. • Le travail ne peut avoir plus de dignité que celui qui l’exécute : une personne. • Le but de tout travail exécuté par l’homme, quel que puisse être ce travail, doit toujours être l’homme lui-même ou le Seigneur. • L’homme et la valeur de son travail ne se réduisent pas à la sphère économique et à la satisfaction des « besoins » matériels.
AU PLAN ETHIQUE : Nous ne pouvons pas accepter que : – le travail soit une force anonyme nécessaire à la production (il faut soustraire le travail de la condition de « marchandises ») ; – que l’homme soit traité comme un instrument, comme un facteur de production parmi d’autres (les autres étant les machines, les bâtiments, les matières premières…). Redisons-le encore : L’homme doit être traité selon la vraie dignité de son travail, c’est-à-dire comme acteur et auteur, comme but de toute production.
AU PLAN IDEOLOGIQUE : Le libéralisme est un système centré sur lui-même qui, souvent, oublie sa fin : l’homme, le service de l’homme. La « loi du marché » avec son vocabulaire – productivité, efficacité, performance, rendement, profitabilité, compétitivité… – s’élève au dessus de tout et de tous les principes éthiques : qu’en pensons-nous ? Que pensons-nous de la loi du plus fort, du plus efficace, d’une loi, celle du marché, qui s’impose comme inévitable, incontournable ? Une seule loi est « inévitable », « incontournable » : celle d’aimer Dieu et son corollaire, aimer son prochain comme soi-même. Un seul est Seigneur : Jésus-Christ. Aimer son prochain, ce n’est pas voir en lui, une « ressource humaine » qui complète les ressources financières et les matières premières ; ce n’est pas voir en lui, au final, un consommateur. L’Evangile ne nous montre pas un modèle de vie (et de travail) fondé sur la richesse et l’efficacité. Il nous montre un modèle fondé sur l’amour de Dieu et du prochain. Les injustices créés contiennent des semences de violence et donc de déstabilisation profonde à long terme : la « démocratie », en tant que système politique, est en danger quant elle n’est plus fondée sur des valeurs justes. Ajoutons encore : – « la capacité d’acheter ne peut être un critère de dignité » ; – « la dignité humaine est indépendante des conditions sociales. » On relira avec intérêt l’épître de Jacques (2 : 1-13) : « Mes frères, ne mêlez pas à des considérations de personnes votre foi en notre Seigneur de gloire, Jésus-Christ. » – La dignité humaine implique le respect et, conséquemment, la solidarité . On ne traite pas les hommes comme des animaux. (Inspiré de « Vers la justice de l’Evangile » de Pierre De Charentenay – Desclée De Brouwer © 2008 pages 86 à 88) Ce qui me touche profondément et m’exaspère, c’est que le travail, chose bonne, voulue par Dieu, soit détournée de son but premier. J’insiste : le travail ne trouve pas sa valeur dans la loi du marché ou dans l’économie. Elle se trouve dans le mandat que Dieu donne à l’homme et dans la dignité de celui qui l’accomplit : l’homme lui-même.
A PROPOS DU TRAVAIL MANUEL : Le travail des mains n’est pas méprisable, il n’est pas destiné aux esclaves des temps modernes. Jésus a consacré la plus grande partie de sa vie terrestre à son établi de charpentier. Le texte qui suit, tiré du livre de l’Exode, montre ce que nous avons déjà sans doute observé : il y a plusieurs formes d’intelligence. L’intelligence ne s’exprime pas que dans le monde de la pensée, que dans « l’intellectualisme » (influence de la pensée grecque) mais aussi dans l’habileté, dans les savoir-faire manuels. Exode 35 : 30-35 : « Et Moïse dit aux fils d’Israël : Voyez, l’Éternel a appelé par son nom Betsaléel… 31 et il l’a rempli d’esprit divin, d’habileté, d’intelligence, de savoir pour toutes sortes d’ouvrages, 32 pour faire des combinaisons, pour travailler l’or, l’argent et l’airain, 33 pour graver des pierres à enchâsser, pour sculpter le bois de manière à exécuter toute espèce de travaux d’art. 34 Il lui a accordé aussi le don d’enseigner, de même qu’à Oholiab… 35 Il les a remplis d’intelligence, pour exécuter toutes sortes de travaux de sculpture et d’art, pour broder et tisser la pourpre violette, la pourpre écarlate, le cramoisi et le lin, pour exécuter toutes sortes de travaux et pour faire des combinaisons. » Dans notre pays, l’enseignement dispensé au collège est essentiellement axé sur les savoirs intellectuels. A mon sens, c’est fort dommage : nous ne développons pas l’intelligence manuelle, les élèves non scolaires se sentent dévalorisés, ce qui explique (entre autre) la violence qu’expriment les jeunes vis à vis des écoles.
QUAND IL TRAVAILLE, L’HOMME IMITE DIEU L’activité de l’homme reflète et imite celle du Dieu créateur. « Souviens-toi du jour du repos, pour le sanctifier. 9 Tu travailleras six jours, et tu feras tout ton ouvrage. 10 Mais le septième jour est le jour du repos de l’éternel, ton Dieu… 11 Car en six jours l’éternel a fait les cieux, la terre et la mer, et tout ce qui y est contenu, et il s’est reposé le septième jour : c’est pourquoi l’éternel a béni le jour du repos et l’a sanctifié. » (Exode 20 : 8-10a) Dans ce texte, il y a clairement un parallèle entre les six jours de la création et les six jours de travail des humains, entre le jour de repos de Dieu et celui de l’homme. Le verset 9 du passage précité « Tu travailleras six jours, et tu feras tout ton ouvrage. » démontre que le travail est une œuvre qui doit être accomplie. Dans le Nouveau testament, Paul écrit aux Thessaloniciens en condamnant la paresse et le désordre : 2 Th. 3 : 6-13 : « 7 Vous savez vous-mêmes comment il faut nous imiter, car nous n’avons pas vécu parmi vous dans le désordre. 8 Nous n’avons mangé gratuitement le pain de personne; mais, dans le travail et dans la peine, nous avons été nuit et jour à l’œuvre, pour n’être à charge à aucun de vous. 9 Ce n’est pas que nous n’en eussions le droit, mais nous avons voulu vous donner en nous-mêmes un modèle à imiter. 10 Car, lorsque nous étions chez vous, nous vous disions expressément : Si quelqu’un ne veut pas travailler, qu’il ne mange pas non plus. 11 Nous apprenons, cependant, qu’il y en a parmi vous quelques-uns qui vivent dans le désordre, qui ne travaillent pas, mais qui s’occupent de futilités. 12 Nous invitons ces gens-là, et nous les exhortons par le Seigneur Jésus Christ, à manger leur propre pain, en travaillant paisiblement. 13 Pour vous, frères, ne vous lassez pas de faire le bien. »
REMARQUEZ LES PARALLELES : – entre « vivre dans le désordre » et « manger gratuitement le pain de quelqu’un » (verset 7) – entre « vivre dans le désordre » et « ne pas travailler » (verset 11) – entre « manger de son propre pain en travaillant paisiblement » et « ne pas se lasser de faire le bien ». (verset 13) Les Thessaloniciens, avec leur culture grecque, pensaient que le travail est un mal à éviter si possible. De plus, pensant à un retour imminent du Seigneur, ils n’accordaient aucune valeur à la vie terrestre.
QUEL EST LE SENS DU TRAVAIL ? Faire du bien, c’est-à-dire rechercher ce qui est utile aux autres au lieu de vivre en parasite, à leurs dépens. Pensons à la condamnation de la paresse dans le livre des Proverbes. Participer à la construction, au patrimoine de la communauté humaine, œuvrer pour le « bien commun ». Calvin parle du travail en tant qu’action en vue de l’utilité commune. Développer la vie sociale car, par son travail, l’homme participe à une œuvre commune. Créer des richesses, matérielles à partir des matières premières fournies par la création de Dieu et immatérielles : des services tels l’éducation, le commerce, la communication, la médecine ; des richesses personnelles mais aussi des richesses communautaires : les routes, les écoles, les hôpitaux… Il est clair que la mentalité qui encourage l’épanouissement personnel plutôt que l’engagement social explique le recul de la « valeur travail ».
Servir Le saviez-vous ? Le mot « Métier » vient du latin « ministerium » (service). Tout métier est un ministère, un service. En tant que service des hommes et de Dieu, le travail garde sa valeur, même accompli dans des conditions pénibles et inintéressantes. Le service grandit l’homme. Nous sommes tous à temps plein pour le Seigneur ; certains sont à temps pleins pour l’Eglise. Dans son épître aux Colossiens, Paul écrit : « Et quoi que vous fassiez, en parole ou en œuvre, faites tout au nom du Seigneur Jésus, en rendant par lui des actions de grâces à Dieu le Père. » (Col. 3 : 17) Qui n’a pas rêvé un jour d’être à temps plein… pour l’Eglise ? Il y a une idéalisation du service pour l’Eglise. N’oublions jamais que l’Eglise n’est pas constituée de personnes parfaites, que d’elle peuvent venir les plus grandes bénédictions et les plus grandes blessures. Ne pas être à la charge d’autrui, ce qui serait le contraire du service. Le travail peut contribuer à l’estime de soi quand il permet de mettre en valeur et de développer nos dons. Mais une telle optique comporte des dangers : le soi autonome, l’individualisme ambiant et la volonté de réalisation de soi coupent les liens de chacun avec la communauté humaine. L’ « esprit de compétition » prend le dessus. La conséquence, c’est un retour à l’état de nature dans la violence la plus immédiate ; c’est ce que nous observons dans certains milieux professionnels. Un verset s’applique fort bien ici : Galates 5 : 15 : « Mais si vous vous mordez et vous dévorez les uns les autres, prenez garde de ne pas être détruits les une par les autres. »
A propos du repos Faire du travail une idole, une drogue, c’est devenir « workoolic ». Le repos garde de la tentation de tout attendre du travail. Le repos est à la fois un commandement, une nécessité et un droit. Il nous rappelle que la vie ne dépend pas de notre travail mais avant tout de l’amour de Dieu. L’homme ne vit pas que pour travailler. Un équilibre entre vie professionnelle d’une part, et vie personnelle et familiale d’autre part est à trouver. « Les cimetières sont plein de gens indispensables. » (Clémenceau) « Celui qui ne se repose jamais, finit par fatiguer les autres. »
LE TRAVAIL, L’ARGENT, LE CAPITAL ET L’ECONOMIE Le travail ne doit pas être considéré « exclusivement sous le rapport de sa finalité économique » : ce serait commettre l’erreur de l’ « économisme » (selon Jean-Paul II). « L’importance exorbitante prise par le problème économique dans les préoccupations de tous est le signe d’une maladie sociale. L’économie a étouffé le reste de la société. » (Emmanuel MOUNIER) L’éducation des enfants, le travail bénévole ou le travail de la femme à la maison seraient-ils sans valeur car non rémunérés ? La valeur d’un travail se mesure-t-elle au salaire qu’il génère ? Haut salaire, forte valeur / Pas de salaire, valeur nulle ? « Un cynique est un homme qui connaît le prix de tout et la valeur de rien. » (Oscar Wilde )
Travail et capital « Le travail est antérieur au capital et indépendant de celui-ci. Le capital n’est que le fruit du travail et n’aurait jamais pu exister si le travail n’avait pas existé avant lui. Le travail est supérieur au capital et mérite de loin la plus grande considération. » (Abraham Lincoln)