Archive pour le 26 avril, 2016
PRIÈRE DU PÈRE JOSEPH WRESINSKI POUR L’EGLISE CATHOLIQUE
26 avril, 2016PRIÈRE DU PÈRE JOSEPH WRESINSKI POUR L’EGLISE CATHOLIQUE
Voici une Prière-méditation sur le monde des plus pauvres et sur l’Église Catholique « Avons-nous le même Dieu ? » du Père Joseph Wresinski (1917-1988), Prêtre diocésain français fondateur du Mouvement des droits de l’homme ATD Quart Monde.
La Prière du Père Joseph Wresinski « Avons-nous le même Dieu ? » : « La vie des hommes frappés de misère est tellement déconcertante, tellement étrangère à ce qu’on nous a affirmé dans les écrits spirituels, et souvent dans les prônes, qu’il nous est apparu absolument impossible que les pauvres puissent partager notre foi. Il nous a semblé impossible que le Dieu que le pauvre rencontrait, priait et adorait dans cet univers si éloigné, si insoupçonné dans lequel il survit soit le Dieu que nous aimons, que nous adorons. Est-il possible d’avoir un prochain quand on est réduit à être un objet, à être abandonné, à vivre dans la peur en permanence, à vivre sans valeur reconnue, sans rôle, sans statut, vivant constamment dans l’instabilité et l’insécurité, sans avenir, comment, dans cette condition que nous lui avons faite, serait-il un homme comme les autres ? Or « notre Dieu à nous », le Dieu que nous adorons dans nos Eglises, ne peut pas être celui des gens pauvres, puisque justement, notre Dieu est le Dieu de demain, le Dieu de l’avenir, le Dieu de l’espoir. « Notre Dieu à nous » est aussi un Dieu qui sait. Comment un Dieu qui sait, pourrait-il être le Dieu d’hommes que nous avons systématiquement condamnés à ne pas savoir ? Comment ces hommes connaîtraient-ils notre Dieu qui n’est pas le Dieu des ignorants, qui est le Dieu du savoir qui affranchit, le Dieu qui rend libre ? Notre Dieu est liberté. Or, il n’y a pas de liberté, là où il n’y a pas de savoir, pas de connaissances. Vivre au milieu de ce vertige de la misère inadmissible et monstrueuse, amène à comprendre que nous ne connaissons pas ces hommes et qu’ils sont non seulement des inconnus mais qu’il sont, pour nous chrétiens, des inconnaissables. D’ailleurs, nous ne voulons pas être de ceux-là, comme si cette condition-là n’était pas une condition d’Eglise, comme si elle n’était pas possible pour des baptisés. C’est ce refus de partage rencontré un peu partout autour de nous qui nous a fait comprendre la difficulté de l’évangélisation du monde des plus pauvres. Dans cette misère-là que nous réprouvons, « notre Dieu à nous » peut-il exister ? Aujourd’hui, les pauvres ne sont plus évangélisés, ils ne rencontrent plus l’Eglise. Ils sont déçus d’elle autant qu’ils le sont de la société. C’est pourquoi ils ne lui demandent plus rien. Elle n’est pas plus de leur monde que cette société dont ils sont exclus et dont, désespérément, ils souhaitent être reconnus. Pour que l’Eglise soit l’Eglise des pauvres à nouveau, il faudrait revenir en arrière et retrouver la seule et unique voie : « Quitte ce que tu as et va dans un pays que je te montrerai »… va au milieu de ceux qui n’ont rien, de ceux qui pleurent, de ceux qui souffrent, de ceux qui sont épuisés, anéantis, là où ils sont, là où l’Eglise ne pénètre plus. Dans la Parole que nous enseignons, le milieu des exclus ne retrouve pas son expérience et il ne peut donc pas y retrouver Dieu. Dans la vie que lui-même mène, le précaire ne trouve plus de chrétiens ; il ne peut donc plus partager Dieu dans un face à face humain. Comment partager avec l’Eglise si elle est absente de ce monde-là ? L’Eglise a la tâche de les aider à prendre conscience de ce droit à être membres et artisans du Royaume, à reconnaître Dieu tel qu’ils peuvent Le comprendre et non pas tel que nous L’avons compris. Ne sont-ils pas mieux placés que quiconque d’entre nous pour aider l’Eglise à accomplir sa mission d’être l’Eglise en milieu de pauvreté, pour que le plus misérable participe avant tous les autres à ce grand rassemblement de tous qui est le Royaume ? Non, le Royaume ne se fera pas sans eux. Ils en sont les premiers missionnaires, ils en sont les premiers témoins. Plus que d’autres, ils ont partagé l’expérience de la disponibilité du Christ au Golgotha, et plus que d’autres, ils ont espéré la Résurrection. Mais s’il est vrai que les pauvres sont les premiers artisans du Royaume en terre de pauvreté, il est vrai aussi que le chemin pour aller vers eux, pour bâtir avec eux se fera de plus en plus dur et de plus en plus ardu. En quoi Dieu les concerne-t-il encore dans l’état où ils se trouvent ? Comment pourraient-ils trouver Dieu dans un monde dont ceux qui pourraient Le proclamer sont absents ? Comme nous ne partageons plus leur expérience de vie, comme nous ne vivons plus Dieu parmi eux, l’Eglise ne peut plus se faire comprendre par eux. Les exclus ne savent plus de quel Dieu nous leur parlons, ils ne savent pas de quelle Eglise il s’agit. Si nous restons à l’écart de leur vie et de leur milieu nous demeurerons incapables de rencontrer leur Dieu, le Dieu des Evangiles, incapables de leur apporter Jésus-Christ. Nous ne pourrons rien pour leur évangélisation, si nous ne partageons pas leur expérience de vie de misère, qui remet en cause notre propre vie avec Dieu. Il faudra bien que des hommes de l’Eglise viennent partager à nouveau le destin terrestre du misérable si nous voulons que le Dieu des pauvres, que nous avons écartés de notre chemin, soit réellement le Dieu de l’Eglise. Sinon comment aurons-nous jamais un seul Dieu avec les pauvres, un seul Dieu, le nôtre et le leur ? L’Eglise ne pourrait en aucun cas évangéliser les plus pauvres, tant que leur misère demeurerait inconnue et même rejetée, tant que tout ce qu’il y a de Dieu en ce monde de la misère ne concerne pas notre Dieu à nous. Pour aller au Dieu des pauvres, au Seigneur des pauvres, il faut apprendre ce chemin qui nous fera tout quitter. Il nécessite un engagement non pas (seulement) à titre individuel mais en communauté d’Eglise car il s’agit de s’engager non pour un temps mais pour la vie. Il est vrai que nous ne pouvons pas réellement partager la vie des plus pauvres. C’est là le drame pour nous : l’évangile n’est pas proclamé par des hommes dont la vie est liée à celle des pauvres comme la vie du Christ était liée à l’histoire des hommes au milieu desquels il vivait. Mais nous devons leur permettre (au moins) d’avoir confiance en nous, de savoir que nous nous sentons solidaires d’eux. Misérable, tel a voulu être le Christ, tel il a voulu se donner à son Eglise. Mais ce Jésus-Christ misérable et ressuscité, l’Eglise a du mal à le reconnaître, et elle risque de le rencontrer de moins en moins, si elle ne s’engage pas à ce que les plus pauvres eux-mêmes puissent le rencontrer et le révéler. Alors humblement, nous apprendrons des pauvres ce qui est l’essentiel. Nous l’introduirons en nous, nous nous laisserons transfigurer par lui. Alors l’Eglise, connaîtra objectivement, réellement, concrètement, dans la réalité quotidienne, quel est le Dieu des hommes de misère. A ce moment-là, nous pourrions, me semble-t-il, commencer à comprendre l’incompréhensible mystère de la relation de Dieu avec les pauvres. Amen »
Père Joseph Wresinski (1917-1988)
LA PAROLE EN PHILOSOPHIE : LES ANCIENS AVAIENT TOUT DIT
26 avril, 2016http://www.garriguesetsentiers.org/article-2427028.html
LA PAROLE EN PHILOSOPHIE : LES ANCIENS AVAIENT TOUT DIT
(Je ne mets que l’introduction , vous pouvez telecharger tout l’article )
Publié le 13 avril 2006 par Garrigues et Sentiers
SOMMAIRE DE L’ARTICLE
I – LA PAROLE POÉTIQUE
Introduction
- Une parole orale et théâtrale
- Une parole poétique
- La parole d’une catégorie sociale
- Une parole efficace : la mise en ordre du monde ; l’ambiguïté de la parole poétique ; la vérité dans la parole poétique
II – LA PAROLE PHILOSOPHIQUE
Introduction
A – La parole, instrument des rapports sociaux
- La persuasion
- La cohérence
- La parole qui fait naître
B – La parole et le Réel
- La question du réel
- Physique grecque et physique chinoise : la matière ; la mécanique.
III – LA PAROLE THÉRAPEUTIQUE
Un préalable : l’invention de la conscience
A – L’ignorance
B – La faute
C – La souffrance
CONCLUSION
———————————–
INTRODUCTION
Les situations banales sont parfois riches de sens. En voici deux.
Pour la mère (par convention, ne parlons pas du père), l’enfant qu’elle tient dans ses bras balbutie, s’agite, grimace. Le plus souvent, ses gesticulations et mimiques ne sont que rictus et mouvements involontaires. L’enfant a le cri, la mère la parole. Bientôt, sur cette grimace, elle mettra le mot « sourire » et sur ce cri, le mot « faim ». La parole est d’abord un corps à corps. La mise en sens va suivre la mise en chair. En désignant un geste ou un bruit du corps par des paroles, la mère fait accéder le petit d’homme au monde des représentations. Et, un jour, lorsque les mots « faim » ou « sourire » seront les siens, l’homme se distancie et de la faim ou de la satisfaction qu’il ressent et de la mère, qui le nourrit. Ils sont autres, l’autre. Ainsi, la parole de la mère a séparé l’adulte qu’il est de sa contiguïté et de sa continuité avec son monde.
Pour que quelqu’un existe il faut lui parler, le désigner par le nom et dans le corps. On connaît.
Une chambre d’hôpital. D’abord seul, puis une cohabitation. C’était un jeune homme, traumatisé de la route. Il avait perdu l’usage de ses jambes et de sa parole. Je lui parlais. À peine, parfois un léger mouvement de sa tête bandée et, par moment, les larmes du corps qui a trop mal. Je redoublais de paroles : pas d’échos. Ma parole ne faisait pas rencontre. Elle me renvoyait à l’angoisse du non-savoir et, avec le temps, ce mutisme faisait régresser ma propre parole. Certes, autre chose se donnait à entendre, au-delà de la compassion facile et de la gêne rassurante. On connaît aussi, plus ou moins. Benveniste, ici encore, avait vu juste : « Nous parlons à d’autres qui parlent, telle est la réalité humaine ». En d’autres termes, pour que quelqu’un existe, il ne suffit pas qu’on lui parle ; il faut qu’il parle à son tour. Sinon rien ne fait corps, ni histoire. Bien sûr, le corps peut parler, devenir parole. On a tous lu (ou on doit lire) la vie de Helen Keller, aveugle, sourde et muette dès les premiers mois de sa vie et qui, selon l’appréciation de mon fils « a pu être, et être unique, sans parler ».
La communication n’est pas dans la seule formalisation par la parole. Il y a une communication d’outre mots. C’est une évidence largement analysée depuis que, dans le sillage de l’anthropologie et des phénoménologues, les linguistes et les philosophes (Saussure, Jakobson, Chomsky et d’autres), ont ouvert la voie aux théories systémiques. L’accent est mis, dans la relation humaine, sur l’échange analogique, ce qu’il y a de non verbal, plus que sur le message digital, verbalisé. Bien qu’il faille un message, un support formel et informatif, communiquer c’est faire naître la personne non dans les choses mais dans le sens. Ce qui n’est absolument pas une nouveauté.
Essayons de dégager brièvement, dans ce qu’on appelle l’Antiquité, quelques aspects du statut de la parole, c’est-à-dire telle qu’elle a été pensée et pratiquée. Le point de vue (mais il y en a d’autres) est simple et donc réducteur : la parole est cause et signe de ce qu’elle invente, d’une part. Cause (ce qui répond à la question pourquoi et non comment) parce que, sauf dans la métaphore, « le langage des fleurs » par exemple, il n’y a de parole qu’humaine, comme s’évertuent à le dire les philosophes, Descartes en tête, et les paléologues. C’est donc cette parole humaine qui invente et rien d’autre, seul un disant parle et il n’est pas d’autre disant que l’homme disait Aristote. Mais la parole, parce qu’elle fait langage, ne fait pas que se désigner elle-même. Elle est échange sémantique et non seulement le clair-obscur de la pensée consciente ou inconsciente, d’un sujet. Elle recèle toujours la présence d’un « tu » ou d’un « il » qu’elle manifeste, à distance, par son opération même. L’enfant autiste qui ne parle pas, comprend ce qui lui est dit, mais ne comprend pas que l’autre peut comprendre, il ne traite pas, parce qu’il ne le peut, l’autre comme signe. Dès lors, on peut s’interroger sur ce qui est attesté par les productions de la parole humaine, par ce qu’elle dit et invente. Invention n’étant pas ici chimère mais découverte, reconnaissance, voire origine, pour résumer le latin de Cicéron sur le sujet. D’autre part, le statut de la parole est historique, c’est-à-dire connexe des formes sociales de sa circulation. Or, ces formes sont toujours et en quelques façons, hiérarchisées par le juridique, l’économique, le rituel, le mental, les conventions. Dans une classe, le statut de la parole du professeur est d’emblée défini par la profession du locuteur, sa situation dans l’espace de la classe et dans le mental de ses auditeurs ; la parole de celui qui est dans l’agora, le centre, n’est pas celle de l’esclave ; lorsque le Christ ressuscité apparaît à ses disciples, il est « au milieu » d’eux, ce qui voulait déjà tout dire.
Longtemps, les notions de « droit de parole » et de « liberté de parole » ont articulé, dans la typographie même, la dialectique du jeu social, des solidarités et des ruptures symboliques et, bien sûr, le rapport de la loi et du désir. Préciser brièvement le dire de cette parole revient donc à s’interroger sur la manière dont nous avons construit nos représentations, notre monde et finalement une part de la réalité, (une part seulement, car l’équation algébrique et la formule chimique disent aussi la réalité) et, en retour, comment ce que nous avons produit nous construit.
Pour cela, j’évoquerai trois aspects de la parole antique : la parole poétique, philosophique et thérapeutique, celle-ci adossée à celles-là.