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JEAN- PAUL II – 11 AVRIL – SAINT STANISLAS, ÉVÊQUE DE CRACOVIE
11 avril, 2016JEAN- PAUL II – 11 AVRIL – SAINT STANISLAS, ÉVÊQUE DE CRACOVIE
LETTRE APOSTOLIQUE RUTILANS AGMEN DU SOUVERAIN PONTIFE JEAN-PAUL II POUR LE IXe CENTENAIRE DE LA MORT DE SAINT STANISLAS
À nos vénérables frères Stefan, Cardinal Wyszynski, Archevêque de Gniezno et Varsovie ; Franciszek Macharski, Archevêque de Cracovie, aux autres évêques et à toute l’Église qui est en Pologne 1. La foule couleur de pourpre de ceux qui ont souffert et sont morts courageusement pour la foi et les vertus chrétiennes a toujours été une source de noble vigueur pour l’Église dès les premiers temps. Saint Augustin dit en effet, à juste titre : « La terre a été comme ensemencée par le sang des martyrs, et c’est cette semence qui a donné la moisson de l’Église. Les morts ont plus confessé le Christ que les vivants. Aujourd’hui ils le confessent, aujourd’hui ils le prêchent. La langue se tait, les faits parlent. » (Serm. 286, 4 ; PL 38, 1298.) Ces mots semblent particulièrement bien s’appliquer à l’Église qui est en Pologne, puisqu’elle-même a grandi à partir du sang des martyrs, au premier rang desquels est saint Stanislas, dont la vie et la mort glorieuse demeurent toujours si éloquentes. En cette année où l’Église qui est dans ce pays célèbre le IXe centenaire du martyre de saint Stanislas, évêque de Cracovie, l’Évêque de Rome, Successeur de saint Pierre, ne peut manquer de faire entendre sa voix. Ce jubilé est très important et il se rattache d’une façon très étroite à l’histoire de l’Église et de la nation polonaise, laquelle est étroitement liée à cette Église depuis plus de mille ans. Cette voix, nous le répétons, ne peut pas manquer de se faire entendre, d’autant moins que, par un mystérieux dessein de la Providence, c’est celui qui, il y a encore peu de temps, était évêque de Cracovie et successeur de saint Stanislas qui a été appelé à être, sur la chaire de saint Pierre, le Pasteur suprême de l’Église. Il est donc merveilleux que ce soit à nous qu’il soit donné d’écrire pour le IXe centenaire de la mort de saint Stanislas cette lettre dont la rédaction avait été demandée par nous à notre grand prédécesseur Paul VI et ensuite à son successeur immédiat, Jean-Paul Ier, qui n’a exercé son ministère pontifical que pendant trente-trois jours. Aujourd’hui donc, non seulement nous nous acquittons de ce que nous avions demandé à nos prédécesseurs sur le siège de Pierre en qualité d’archevêque de Cracovie, mais aussi nous répondons à un désir et à un vœu particuliers de notre cœur. Qui aurait pu penser qu’au moment où approchait la célébration du jubilé de saint Stanislas nous quitterions son siège épiscopal de Cracovie pour occuper celui de Rome, par suite du vote des cardinaux réunis en Conclave ? Qui aurait pu penser que nous célébrerions ce jubilé, non pas en tant que « père de famille » dirigeant les célébrations, mais en tant qu’hôte revenant dans le pays de ses pères comme le premier Pape polonais et le premier Pape qui soit venu en Pologne dans l’histoire de l’Église ? 2. Dans le calendrier liturgique de l’Église en Pologne, la fête de saint Stanislas tombe depuis des siècles le 8 mai. Mais, à Cracovie, la solennité extérieure est transférée au dimanche qui suit le 8 mai. Ce jour-là, une procession va de la cathédrale, construite sur la colline du « Wavel », à l’église Saint-Michel de Skalka où, selon la tradition, l’évêque Stanislas de Szczepanow est tombé martyr pendant la célébration eucharistique, par la main de Boleslas le Hardi. Il a été décidé que, cette année, les principales fêtes en l’honneur de saint Stanislas, qui revêtent le caractère de jubilé, seraient reportées du dimanche après le 8 mai à la semaine qui va du dimanche de la Pentecôte au dimanche de la Sainte Trinité. Il y a en effet une grande force dans ce jour de la Pentecôte où l’Église commémore sa naissance au Cénacle de Jérusalem. C’est de là que sont partis les apôtres qui y étaient auparavant réunis en prière avec Marie, la Mère de Jésus (cf. Ac 1, 14), remplis de cette vigueur qui avait été mise dans leur cœur comme un don particulier du Saint-Esprit. C’est de là qu’ils sont partis à travers le monde pour obéir à l’ordre du Christ : « Allez, de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, leur apprenant à garder tout ce que je vous ai prescrit. » (Mt 28, 19-20.) Les apôtres sont donc partis du Cénacle de la Pentecôte. C’est de là aussi que sont partis leurs successeurs au cours des âges. C’est de là aussi qu’en son temps est parti saint Stanislas de Szczepanow, en portant lui aussi dans son cœur le don de force pour témoigner de la vérité de l’Évangile jusqu’à l’effusion du sang. Sa génération, dont neuf siècles nous séparent, fut la génération de nos pères qui, comme saint Stanislas, leur évêque sur le siège de Cracovie, sont les os de nos os, le sang de notre sang. Il exerça son ministère pastoral pendant peu de temps, de 1072 à 1079, c’est-à-dire pendant sept ans, mais ses fruits demeurent encore. En lui se réalisent vraiment ces paroles que le Christ avait dites à ses apôtres : « Je vous ai choisis pour que vous alliez, que vous produisiez du fruit et que votre fruit demeure. » (Jn 15, 16.) 3. Les fêtes en l’honneur de saint Stanislas, qui nous ramènent d’une certaine manière au « Cénacle de la Pentecôte » neuf siècles après sa mort, revêtent une très haute signification. C’est en effet du Cénacle que sont partis tous ceux qui, selon la parole du Christ, ont été dans le monde entier « enseigner toutes les nations, en les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit » (cf. Mt 28, 19). C’est en l’an 966 que la Pologne a été baptisée au nom de la Très Sainte Trinité. C’est pourquoi a été célébré, il y a peu de temps, le millénaire de cet événement qui marque le début de l’histoire de l’Église en Pologne et de la Pologne elle-même. Elle est merveilleuse la force du baptême, ce sacrement par lequel nous sommes ensevelis avec le Christ (cf. Col 2, 12) pour participer à sa résurrection, à cette vie que le Fils de Dieu fait homme a voulu être la vie de nos âmes. Cette vie naît au baptême qui, conféré au nom de la Très Sainte Trinité, donne aux enfants des hommes « le pouvoir de devenir enfants de Dieu » (Jn 1, 12) dans l’Esprit-Saint. Le millénaire de ce baptême, qui a été célébré en Pologne en l’année 1966, consacrée à la gloire de la Très Sainte Trinité, inclut aussi ce jubilé de saint Stanislas. Les saints qui, par leur vie et leur mort, sont « une éternelle offrande » à la gloire de Dieu (cf. prière eucharistique III) doivent en effet être considérés comme de très riches fruits de ce sacrement par lequel tout homme est particulièrement consacré à Dieu (cf. Conc. Vat. II, Const. dogm. Lumen gentium, 44). Comme c’est en la fête de la Très Sainte Trinité qu’en cette année du Seigneur 1979 nous célébrerons la mémoire du martyre de saint Stanislas, nous célébrerons aussi la mémoire du baptême, donné au nom de la Très Sainte Trinité, dont il fut le premier fruit de sainteté et un fruit mûr. Dans ce saint de chez elle, toute la nation voit avec reconnaissance un fruit de cette vie nouvelle dont il est devenu participant après le baptême de la Pologne. C’est pourquoi nous inscrivons le IXe centenaire du martyre de saint Stanislas avec une vénération particulière dans le millénaire du baptême reçu par nos ancêtres au nom du Père du Fils et du Saint-Esprit. Pour donner plus d’importance à cette fête nous avons décidé, à la demande des évêques polonais, de l’élever au degré de mémoire obligatoire dans le calendrier liturgique de l’Église universelle. 4. Le culte rendu à saint Stanislas depuis neuf siècles a de profondes racines en Pologne. Le développement de cette vénération a été grandement favorisé par la canonisation par laquelle le Pape Innocent IV, notre prédécesseur, a inscrit au nombre des saints cet homme illustre le 8 septembre 1253, à Assise, près du tombeau de saint François. Son culte a donc de profondes racines. Celles-ci imprègnent toute l’histoire de l’Église en Pologne, on les voit dans la vie même de la nation, elles sont liées à son sort. Le culte de saint Stanislas est attesté non seulement par les célébrations de chaque année mais aussi par les nombreux diocèses, églises, paroisses de ce pays ou d’ailleurs, qui lui sont consacrés. Là où les fils de la Pologne s’établissaient, ils y apportaient le culte de leur grand patron. Pendant de nombreux siècles, saint Stanislas fut le principal patron de la Pologne, mais notre prédécesseur Jean XXIII a concédé qu’il en serait le patron en même temps que la Très Sainte Vierge Marie, Reine de Pologne, et saint Wojciech Adalbert. C’est ainsi que, cette année, le IXe centenaire du martyre de saint Stanislas sera célébré non seulement à Cracovie, mais aussi à Gniezno et à Jasna Gora. Pendant près de mille ans, à côté de saint Stanislas, évêque de Cracovie, il y avait saint Wojciech Adalbert, dont le corps martyrisé fut enseveli à Gniezno par le roi Boleslas le Grand, dit Chobry. L’un et l’autre saint, Stanislas et Wojciech Adalbert, protègent la patrie avec la Vierge Marie, Reine de Pologne et Mère de l’Église. Les lieux évoquant la vie et la mort de saint Stanislas sont saintement vénérés, en premier lieu la cathédrale de Cracovie, située sur la colline de Wavel, où se trouve son tombeau, ainsi que l’église de Skalka et son pays natal : Szczepanow, qui se trouve maintenant sur le territoire du diocèse de Tarnow. On vénère ses reliques, et en particulier sa tête, qui porte encore les traces manifestes des blessures mortelles qui lui ont été infligées il y a neuf siècles. Tous les ans, les habitants de la ville royale et des pèlerins venant de toute la Pologne se rendent en pèlerinage aux reliques de son chef qui sont portées solennellement à travers les rues de Cracovie. Les siècles derniers, à cette procession participaient les rois de Pologne, successeurs de Boleslas le Hardi qui, ainsi qu’on le rapporte, tua saint Stanislas en 1079 et, réconcilié avec Dieu, mourut en dehors de sa patrie. Cela n’a-t-il pas un sens particulier ? Cela ne montre-t-il pas que, pendant des siècles, saint Stanislas a été source de réconciliation, et qu’en lui les Polonais, qu’ils soient ou non revêtus d’autorité, se réconciliaient avec Dieu ? Ne conduit-il pas à cette particulière union des cœurs par laquelle, en vertu de son martyre, tous deviennent et redeviennent continuellement frères ? Telle est la force de la mort, cette force qui, en vertu du mystère du baptême est au cœur de la résurrection, de la vérité et de l’amour du Christ : « Nul n’a d’amour plus grand que celui qui se dessaisit de sa vie pour ceux qu’il aime. » (Jn 15, 13.) 5. Saint Stanislas, patron des Polonais ! Avec quelle émotion le Pape prononce ces paroles, lui qui, pendant tant d’années de sa vie et de son ministère épiscopal, a été proche de ce saint patron et de toute sa tradition, lui qui s’intéressait si vivement à toutes les études qui ont constamment été faites en ce siècle et au siècle dernier, sur les événements et les circonstances qui, il y a neuf siècles, ont conduit à commettre ce forfait ! Ces études montrent que ce fait historique et cet homme illustre lui-même continuent à être comme la source des réalités, des expériences, des vérités, qui sont toujours présentes et qui ont toujours leur importance pour la vie de l’homme, de la nation, de l’Église. C’est pourquoi, forts de cette « vitalité » particulière de saint Stanislas, patron des Polonais, en ce IXe centenaire du témoignage qu’il a donné par sa vie et sa mort, il nous faut nous unir à Dieu dans la Trinité, par la Mère du Christ et de l’Église. Montrons ce qu’apporte et ce que représente constamment ce grand héritage que l’histoire du salut en Pologne rattache à l’année 1079. C’est un héritage de foi, d’espérance, de charité qui reconnaît pleinement sa place propre à la vie de l’homme et de la société. C’est un héritage de fermeté et de force pour proclamer la vérité qui manifeste la grandeur de l’âme humaine. C’est un héritage de sollicitude pour le salut, pour le bien spirituel et temporel de notre prochain, c’est-à-dire des citoyens de cette nation et de tous ceux que nous devons servir avec une ferme persévérance. C’est aussi un héritage de liberté, manifestée dans le service et le don de soi en esprit d’amour. C’est enfin une admirable tradition d’unité et, comme les faits le montrent, saint Stanislas, avec sa mort, son culte et surtout sa canonisation, a beaucoup fait pour cette unité dans l’histoire de la Pologne. L’Église qui est en Pologne rappelle chaque année cet héritage. Chaque année elle se tourne vers la très haute tradition de saint Stanislas, qui constitue un patrimoine singulier pour l’âme polonaise. Et cette année du Seigneur 1979, l’Église qui est en Pologne veut, dans des circonstances particulières, rappeler cet héritage. Elle souhaite l’approfondir et en tirer des conséquences pour la vie quotidienne. Elle désire y trouver une aide dans sa lutte contre le relâchement, les vices, les péchés qui font particulièrement obstacle au bien de la Pologne et des Polonais. Elle veut avec une nouvelle assurance affermir la foi et l’espérance dans l’avenir de sa mission et de son service pour le salut de tous et de chacun. Nous, Jean-Paul II, qui sommes originaire de la terre polonaise, nous nous associons profondément à ces vœux et à ces ardentes aspirations qui nous sont présentés depuis notre patrie. Et, en ayant devant les yeux la grande importance de ce jubilé, à vous, vénérables frères, aux autres évêques polonais, aux prêtres, aux religieux et aux fidèles, nous donnons avec beaucoup d’affection notre bénédiction apostolique.
Donné à Rome, près de Saint-Pierre, le 8 mai 1979, première année de notre pontificat.
IOANNES PAULUS PP II.
DIETRICH BONHOEFFER, UN PASTEUR VISIONNAIRE – 11 AVRIL
11 avril, 2016DIETRICH BONHOEFFER, UN PASTEUR VISIONNAIRE – 11 AVRIL
Ce pasteur luthérien, théologien allemand, fut l’un des premiers à dénoncer le sort fait aux juifs dans l’Allemagne nazie.
Parce que sa théologie rassemble protestants, catholiques et orthodoxes en la personne du Christ, Dietrich Bonhoeffer est une des figures spirituelles les plus éclairantes pour ce début de XXIe siècle.
Nous sommes en 1937, au séminaire de Finkenwalde, en Allemagne du nord. Assis sur les marches d’un escalier en bois, le pasteur Bonhoeffer, 31 ans, captive son auditoire. Tous les jours, les jeunes séminaristes mesurent la chance qu’ils ont d’avoir un tel formateur?! Mais ce soir, l’heure est grave. Dans la matinée, le Journal Officiel allemand a décrété l’Église confessante – leur Église – illégale?! Ils ont à prendre une terrible décision?: entrer dans la clandestinité ou capituler. Peut-être Dietrich, ce soir-là, pense-t-il à sa grand-mère, Julie Bonhoeffer, qui, en 1933, avait franchi une barrière de S.A. interdisant l’accès à des magasins juifs. Julie lui a appris que tout homme digne de ce nom doit savoir se décider pour ce qu’il croit juste et agir en conséquence. Le jeune homme saura très tôt écouter ce qui l’anime intérieurement. À 17 ans, il décide qu’il sera théologien, en dépit de l’opinion de son père. À ses frères qui estiment que l’Église est dépassée, Dietrich réplique?: «Alors je réformerai l’Église!»
Une certaine idée de l’Église À 18 ans à peine, il assiste à la messe des Rameaux dans la basilique Saint-Pierre, à Rome. C’est un véritable coup de cœur?: «?Voilà ce qui donne une impression fabuleuse de l’universalité de l’Église?: on voit des Blancs, des Noirs, des Jaunes, tous rassemblés dans l’Église.?» La dimension œcuménique de sa vocation s’amorce. Dans sa thèse de doctorat, «?La communion des saints. Réflexion dogmatique sur la sociologie de l’Église?», Bonhoeffer tente de répondre à une question essentielle, récurrente dans son œuvre?: «?Comment être croyant dans la vie actuelle???» Il va de soi pour le jeune Bonhoeffer que l’Église est le lieu du Christ présent dans le monde, et que c’est au cœur de cette communauté que se réalise la rencontre entre l’homme et Dieu. Le futur pasteur de 21 ans étonne ses aînés par l’audace de sa pensée?: réfléchir à partir du Christ sur ce que devrait être l’Église est tout à fait novateur. En 1931, il part à New York où il découvre la détresse des populations noires, et s’engage dans le mouvement œcuménique. À son retour, il est nommé pasteur et enseigne, comme prévu, la christologie et l’ecclésiologie à l’université de Berlin. Mais le jeune homme a changé. Il pressent le danger que représente Hitler et dénonce dès avril 1933 la politique menée contre les juifs allemands. La validation de cette politique par l’Église protestante d’Allemagne est pour lui un point de non-retour. Il lui est impossible de rester lié à cette Église qui rejette les pasteurs d’origine juive et qui devient l’Église du Reich. Il contribue alors à la naissance de l’Église «?confessante?» (fondée sur la Bible et la confession adoptée en 1934). Le théologien évolue vers une foi plus personnelle en se référant à Jésus disant?: Viens et suis-moi.?» Il fait cette expérience exigeante de «?suivance?» en renonçant à partir en Inde rencontrer Gandhi, pour prendre la direction du séminaire de Finkenwalde. Ses deux livres, Le Prix de la grâce et De la vie communautaire, révèlent combien cette expérience pastorale lui fut décisive. Il y plaide en faveur d’une Église «?responsable?» qui doit inviter le chrétien à trouver par lui-même la solution à ses problèmes.
Vivre en chrétien responsable Dans Le Prix de la grâce, Dietrich critique la banalisation de la théorie fondamentale de Luther selon laquelle?l’homme est sauvé par la seule grâce de Dieu, et non par ses œuvres. Pour Bonhoeffer, profondément ancré dans l’héritage luthérien, c’est un «?mépris de la grâce?» intolérable. Il rappelle que la grâce qui sauve l’homme a coûté la vie au Christ. Le théologien oppose ainsi la «?grâce à bon marché, pire ennemi de notre Église, à la grâce qui coûte?» (1), qui résulte de l’obéissance au Christ. Pour lui, selon Arnaud Corbic, «?l’Église de la grâce coûteuse?reste bien le lieu où la réalité de Dieu rencontre le monde?». Bonhoeffer sait de quoi il parle?! Depuis 1936, l’étau se resserre?: le théologien ne peut plus enseigner en université et, en 1938, il est interdit de séjour à Berlin. En 1940, Bonhoeffer n’a plus le droit de prendre la parole en public. Il s’engage alors dans le combat politique et entre dans le réseau qui fomente un attentat contre Hitler. Il est arrêté en 1943. Au cours de sa captivité, le théologien mûrit encore sa réflexion. Il ose s’interroger sur les fondements mêmes de son engagement dans la résistance, lui, le pacifiste, avec ceux qui projettent de supprimer Hitler. Au prix d’un long dépouillement, il a cessé d’être «?pieux?» pour devenir un homme de la réalité, solidaire de «?ses frères en servitude?». Ce qui rend la pensée théologique de Bonhoeffer si prégnante, c’est qu’elle est portée par un homme qui est en totale adéquation avec ce qu’il vit. Les lettres écrites en captivité destinées à son ami et condisciple Eberhard Bethge, publiées sous le titre symbolique Résistance et soumission, témoignent des profondes interrogations du théologien confronté à un «?monde sans Dieu?». Le pasteur y découvre que des hommes, résistants comme lui, se passent de Dieu tout en restant «?humains?» jusqu’au bout.
Théologien de la réalité Au lieu de chercher à justifier la foi, Bonhoeffer s’interroge?dans la lettre du 30 avril 1944?: «?La question est de savoir ce qu’est le christianisme et qui est le Christ, pour nous aujourd’hui. […] Le temps où l’on pouvait tout dire aux hommes par des paroles théologiques ou pieuses est passé. […] Nous allons au-devant d’une époque totalement non religieuse?» (2). Cette réflexion est prophétique pour notre temps de sécularisation avancée. Comment ne pas se sentir proche de ce théologien visionnaire dans un monde où règne le relativisme?? Avant de mourir, il a le temps de nous laisser quelques balises, comme la lettre du 16 juillet 1944, où il explique qu’à la suite du siècle des Lumières, le monde s’est libéré de ses tuteurs, mais que cette «?libération?» aboutit à la?responsabilité individuelle?: «?En devenant majeurs, nous sommes amenés à reconnaître réellement notre situation devant Dieu. Dieu nous fait savoir qu’il nous faut vivre en tant qu’hommes qui parviennent à vivre sans Dieu. […] On peut dire que l’évolution du monde vers l’âge adulte, faisant table rase d’une fausse image de Dieu, libère le regard de l’homme pour le diriger vers le Dieu de la Bible qui acquiert sa puissance et sa place dans le monde par son impuissance.?» (3) Bonhoeffer est devenu «?un homme de la réalité?», mais n’a jamais remis en cause le christianisme auquel il adhère de tout son être. Le christianisme est au cœur de ce monde parce qu’il est au cœur de l’homme?: «?Les chrétiens vont devoir désormais penser et agir sans tutelle?pour constater ce qu’ils croient eux-mêmes?» sans «?se retrancher?derrière la foi de l’Église?» (4). C’est ce que fit Dietrich Bonhoeffer en son temps troublé. Il vécut l’expérience douloureuse d’être peu à peu dépouillé de toutes ses «?qualités sociales?» jusqu’à finir nu, pendu par les nazis au camp de Flossenbürg, le 9 avril 1945.