Archive pour le 7 avril, 2016
BENOÎT XVI – PIERRE, LE PÊCHEUR
7 avril, 2016https://w2.vatican.va/content/benedict-xvi/fr/audiences/2006/documents/hf_ben-xvi_aud_20060517.html
BENOÎT XVI – PIERRE, LE PÊCHEUR
AUDIENCE GÉNÉRALE
Mercredi 17 mai 2006
Pierre, le pêcheur
Chers frères et soeurs,
Dans la nouvelle série de catéchèses, nous avons tout d’abord cherché à mieux comprendre ce qu’est l’Eglise, quelle est l’idée que le Seigneur se fait de cette nouvelle famille. Nous avons ensuite dit que l’Eglise existe dans les personnes. Et nous avons vu que le Seigneur a confié cette nouvelle réalité, l’Eglise, aux douze Apôtres. A présent, nous voulons les voir un par un, pour comprendre à travers les personnes ce que signifie vivre l’Eglise, ce que signifie suivre Jésus. Commençons par saint Pierre. Après Jésus, Pierre est le personnage le plus célèbre et le plus cité dans les écrits du Nouveau Testament: il est mentionné 154 fois avec le surnom de Pétros, « pierre », « roc », qui est la traduction en grec du nom araméen qui lui a été directement donné par Jésus, Kefa, attesté neuf fois, en particulier dans les lettres de Paul; on doit ensuite ajouter le nom fréquemment utilisé Simòn (75 fois), qui est la forme grécisée de son nom juif original Simeòn (2 fois: Actes 15, 14; 2 P 1, 1). Fils de Jean (cf. Jn 1, 42) ou, dans la forme araméenne, bar-Jona, fils de Jonas (cf. Mt 16, 17), Simon était de Béthsaïde (cf. Jn 1, 44), une petite ville à l’est de la mer de Galilée, dont provenaient également Philippe et naturellement André, frère de Simon. Sa façon de parler trahissait l’accent de Galilée. Lui aussi, comme son frère, était pêcheur: avec la famille de Zébédée, père de Jacques et de Jean, il dirigeait une petite activité de pêche sur le Lac de Génésareth (cf. Lc 5, 10). Il devait donc jouir d’une certaine aisance économique et était animé par un intérêt religieux sincère, par un désir de Dieu – il désirait que Dieu intervienne dans le monde – un désir qui le poussa à se rendre avec son frère jusqu’en Judée pour suivre la prédication de Jean le Baptiste (Jn 1, 35-42). C’était un juif croyant, pratiquant, confiant dans la présence agissante de Dieu dans l’histoire de son peuple, et attristé de ne pas en voir l’action puissante dans les événements dont il était alors le témoin. Il était marié et sa belle-mère, guérie un jour par Jésus, vivait dans la ville de Capharnaüm, dans la maison où Simon logeait lui aussi lorsqu’il était dans cette ville (cf. Mt 8, 14sq; Mc 1, 29sq; Lc 4, 38sq). De récentes fouilles archéologiques ont permis de mettre à jour, sous le pavement en mosaïque octogonal d’une petite église byzantine, les traces d’une église plus antique installée dans cette maison, comme l’attestent les inscriptions comportant des invocations à Pierre. Les Evangiles nous informent que Pierre appartient aux quatre premiers disciples du Nazaréen (cf. Lc 5, 1-11), auxquels s’en ajoute un cinquième, selon la coutume de chaque Rabbi d’avoir cinq disciples (cf. Lc 5, 27: appel de Levi). Lorsque Jésus passera de cinq à douze disciples (cf. Lc 9, 1-6), la nouveauté de sa mission sera claire: Il n’est pas un rabbin parmi tant d’autres, mais il est venu rassembler l’Israël eschatologique, symbolisé par le nombre douze, qui était celui des tribus d’Israël. Simon apparaît dans les Evangiles avec un caractère décidé et impulsif; il est disposé à faire valoir ses propres raisons, même par la force (que l’on pense à l’usage de l’épée au Jardin des Oliviers: cf. Jn 18, 10sq). Dans le même temps, il est parfois naïf et peureux, mais cependant honnête, jusqu’au repentir le plus sincère (cf. Mt 26, 75). Les Evangiles permettent d’en suivre pas à pas l’itinéraire spirituel. Le point de départ est l’appel de Jésus. Il a lieu un jour quelconque, alors que Pierre est occupé à son travail de pêcheur. Jésus se trouve sur les rives du lac de Génésareth et la foule se bouscule autour de lui pour l’écouter. Le nombre des auditeurs crée un certain malaise. Le Maître voit deux barques ancrées au bord de la rive; les pêcheurs sont descendus et lavent les filets. Il demande alors à monter sur la barque, celle de Simon, et le prie de s’éloigner de la terre. S’étant assis sur cette chaire improvisée, il se met à enseigner les foules de la barque (cf. Lc 5, 1-3). Et ainsi, la barque de Pierre devient la Chaire de Jésus. Lorsqu’il a fini de parler, il dit à Simon: « Avance au large, et jetez les filets pour prendre du poisson ». Simon répond: « Maître, nous avons peiné toute la nuit sans rien prendre; mais, sur ton ordre, je vais jeter les filets » (Lc 5, 4-5). Jésus, qui était menuisier, n’était pas un expert en pêche: pourtant, Simon le pêcheur se fie à ce Rabbi, qui ne lui donne pas de réponse mais l’appelle à avoir confiance. Sa réaction devant la pêche miraculeuse est d’émerveillement et d’agitation: « Seigneur, éloigne-toi de moi, car je suis un homme pécheur » (Lc 5, 8). Jésus répond en l’invitant à la confiance et à s’ouvrir à un projet qui dépasse toutes ses perspectives: « Sois sans crainte, désormais ce sont des hommes que tu prendras » (Lc 5, 10). Pierre ne pouvait pas encore imaginer qu’un jour, il serait arrivé à Rome et aurait été ici « pêcheur d’hommes », pour le Seigneur. Il accepte cet appel surprenant, de se laisser entraîner dans cette grande aventure: il est généreux, il reconnaît ses limites, mais il croit en celui qui l’appelle et suit le rêve de son coeur. Il dit oui – un oui courageux et généreux -, et devient le disciple de Jésus. Pierre vivra un autre moment significatif de son chemin spirituel aux alentours de Césarée de Philippe, lorsque Jésus pose une question précise aux disciples: « Pour les gens, qui suis-je? » (Mc 8, 27). Jésus ne se contente cependant pas de la réponse par ouï-dire. Il attend de la part de ceux qui ont accepté de s’engager personnellement avec Lui une prise de position personnelle. C’est pourquoi, il insiste: « Pour vous, qui suis-je? » (Mc 8, 29). Et Pierre répond également au nom des autres: « Tu es le Christ » (ibid.), c’est-à-dire le Messie. Cette réponse de Pierre, « ce n’est pas la chair et le sang qui [lui] ont révélé cela », mais elle lui fut donnée par le Père qui est aux cieux (cf. Mt 16, 17), et elle contient comme en germe la future confession de foi de l’Eglise. Toutefois, Pierre n’avait pas encore compris le contenu profond de la mission messianique de Jésus, le nouveau sens de cette parole: Messie. Il le démontre peu après, en laissant comprendre que le Messie qu’il poursuit dans ses rêves est très différent du véritable projet de Dieu. Devant l’annonce de la passion, il se scandalise et proteste en suscitant la vive réaction de Jésus (cf. Mc 8, 32-33). Pierre veut un Messie « homme divin », qui accomplisse les attentes des gens en imposant sa puissance à tous: c’est également notre désir que le Seigneur impose sa puissance et transforme immédiatement le monde; Jésus se présente comme le « Dieu humain », le serviteur de Dieu, qui bouleverse les attentes de la foule en prenant un chemin d’humilité et de souffrance. C’est la grande alternative, que nous aussi, nous devons toujours apprendre à nouveau: privilégier nos propres attentes en repoussant Jésus ou accueillir Jésus dans la vérité de sa mission et mettre de côté les attentes trop humaines. Pierre – impulsif comme il l’est – n’hésite pas à prendre Jésus à part et à lui faire des reproches. La réponse de Jésus anéantit toutes ses fausses attentes, lorsqu’il le rappelle à la conversion et à le suivre: « Passe derrière moi, Satan! Tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes » (Mc 8, 33). Ce n’est pas à toi de m’indiquer la route, moi, je choisis mon chemin, et toi, remets-toi à ma suite. Pierre apprend ainsi ce que signifie véritablement suivre Jésus. C’est son deuxième appel, semblable à celui d’Abraham dans Gn 22, après celui de Gn 12: « Si quelqu’un veut marcher derrière moi, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix, et qu’il me suive. Car celui qui veut sauver sa vie la perdra; mais celui qui perdra sa vie pour moi et pour l’Evangile la sauvera » (Mc 8, 34-35). C’est la loi exigeante de la sequela Christi: il faut savoir renoncer, si nécessaire, au monde entier pour sauver les vraies valeurs, pour sauver son âme, pour sauver la présence de Dieu dans le monde (cf. Mc 8, 36-37). Bien qu’avec difficulté, Pierre accueille l’invitation et poursuit son chemin sur les traces du Maître. Et il me semble que ces diverses conversions de saint Pierre et sa figure tout entière sont un grand réconfort et un grand enseignement pour nous. Nous aussi, nous avons le désir de Dieu, nous aussi, nous voulons être généreux, mais nous aussi, nous attendons que Dieu soit fort dans le monde et transforme immédiatement le monde selon nos idées, selon les besoins que nous constatons. Dieu choisit une autre voie. Dieu choisit la voie de la transformation des coeurs dans la souffrance et dans l’humilité. Et nous, comme Pierre, nous devons toujours nous convertir à nouveau. Nous devons suivre Jésus et non pas le précéder: c’est Lui qui nous montre la route. Ainsi, Pierre nous dit: Tu penses connaître la recette et devoir transformer le christianisme, mais c’est le Seigneur qui connaît le chemin. C’est le Seigneur qui me dit, qui te dit: Suis-moi! Et nous devons avoir le courage et l’humilité de suivre Jésus, car Il est le Chemin, la Vérité, et la Vie.
CHRISTIANISME ET CRÉATION LITTÉRAIRE: CHATEAUBRIAND ET DOSTOÏEVSKI [1].
7 avril, 2016http://www.samizdat.qc.ca/arts/lit/c&d_al.htm
CHRISTIANISME ET CRÉATION LITTÉRAIRE: CHATEAUBRIAND ET DOSTOÏEVSKI [1].
Andrea Link
Beaucoup de contrastes frappent le regard lorsqu’on compare les vies de François René de Chateaubriand (1768-1848) et Fiodor Dostoïevski (1822-1881). Ils venaient d’époques, de cultures et de traditions de famille différentes. Leurs tempéraments différaient beaucoup aussi. Chateaubriand grandit aristocrate et royaliste à Combourg à l’aube de la Révolution française. Toute au cours de sa vie, des sentiments de mélancolie et de désillusion au sujet du monde pesaient lourdement dans son cœur. Comme co-fondateur du romanticisme français il vivait comme héros romantique dont les souffrances devenaient une source de « fierté qui se limite elle-même » (Jackson, p. 29). Fiodor DostoïevskiDostoïevski, appartenait à la basse aristocratie et fut élevé de manière modeste à Moscou. Il grandit sous l’ombre de l’insurrection décembriste de 1825 qui incita le tsar Nicolas I de gouverner avec une discipline militaire et bureaucratique sévère. Contrairement à Chateaubriand, Dostoïevski avait un tempérament énergique et une fierté « nerveuse et qui s’illuminait elle-même » (Jackson, p. 29). Dostoïevski tentait de la comprendre par un examen profond de soi-même, des personnes qui l’entouraient ainsi que de leur environnement. Par conséquent Dostoïevski devenait un écrivain post-romantique ou romantique-réaliste. Tout de même, ces deux auteurs partagent un point commun: leur développement spirituel et religieux suivit un cheminement similaire. Chacun fut élevé dans une tradition religieuse; Chateaubriand était catholique romain et Dostoïevski un orthodoxe russe. Leurs mères servaient comme les modèles pleins de foi, dévots et religieux de leurs familles et c’était leur foi qui planta la semence de foi dans les cœurs de ces jeunes écrivains. Pourtant lorsqu’ils furent de jeunes hommes, Chateaubriand et Dostoïevski éprouvaient des périodes de doute. Au lieu de s’attacher fortement à leurs traditions chrétiennes, ils devenaient des rêveurs ardents, recherchant des notions idéales comme la beauté et la justice. Leurs désirs de trouver la vérité les attirait a étudier les idéologies courantes de leur époque. Par exemple, Chateaubriand embrassait quelques-unes des idées de Rousseau, et Dostoïevski s’engagea dans un groupe d’utopistes socialistes. Mais leurs quêtes romantiques laissèrent Chateaubriand et Dostoïevski déçus et désillusionnés lorsqu’ils comprirent que ces idéologies courantes ne leur apportait pas la vérité. Ces deux hommes éprouvaient une pauvreté humiliante et des souffrances psychique lorsqu’ils furent exilés de leurs patries. En tant qu’aristocrate, Chateaubriand était considéré un ennemi de la Révolution franchise et pour sauver sa vie il devint un émigré en Angleterre au début des années 1790. Tsar Nicolas I exila Dostoïevski en 1849 pour son engagement politique. À cause de leurs souffrances extrêmes, les deux écrivains eurent des expériences de conversion qui les conduisirent à embrasser la foi chrétienne. Quand la mère de Chateaubriand mourut, le chagrin le fit accepter la foi de sa mère. De manière similaire, lorsque Dostoïevski se trouva en face de la vie de prisonnier, il eut une renaissance de son âme. François René de ChateaubriandTandis que tous deux éprouvaient des transformations similaires de leurs cœurs par leur foi en Christ, Chateaubriand et Dostoïevski développèrent des perspectives différentes du monde chrétiennes. Chateaubriand développait une perspective dualiste du christianisme. Le monde déchu qui est gouverné par Satan demeure séparé du monde spirituel de Dieu, le royaume des cieux. Ainsi la vie dans ce monde déchu d’ici-bas est tout à fait pénible, plein de désespoir et sans signification. Les idéaux du christianisme, y compris l’amour, la paix et la joie, ne seront réalisés qu’aux cieux. Chateaubriand croyait que « le chrétien se considère comme rien de plus qu’un pèlerin voyageant ici-bas à travers une vallée de larmes et qui ne trouve aucun repos jusqu’a ce qu’il arrive à la tombe » (Chateaubriand, 1976, p. 297). Les chrétiens peuvent espérer seulement qu’ils mourront bientôt et entreront aux cieux ou ils recevront leur rédemption et le bonheur éternel en communion avec Dieu. À l’encontre de Chateaubriand, Dostoïevski développa une vue de la christianisme réconciliée. Ce monde-ci est déchu et les chrétiens éprouveront a la fin de toutes choses l’abondance complète du Royaume des cieux lorsqu’ils mouront. Pourtant un chrétien peut commencer d’éprouver la communion avec Dieu même tandis qu’il vit dans un monde déchu. Pour Dostoïevski, les mots du Christ, « Repentissez-vous, car le royaume des cieux est proche » (Matthieu 4: 17) impliquait qu’une réconciliation avec Dieu commence lorsqu’une personne se repens et accepte la mort de Christ comme sacrifice pour ses péchés. Dostoïevski croyait que le chrétien peut commencer d’éprouver le royaume des cieux dans son cœur. L’esprit de Dieu, Son amour et Son pouvoir peuvent commencer à sanctifier et transformer les cœurs de ceux qui ont foi. Bien que tous les deux embrassaient la foi chrétienne, des questions de doute continuaient à attaquer leurs convictions. P. L. Jackson écrit que Chateaubriand et Dostoïevski partageaient « une affirmation de foi paradoxale (Jackson, p. 30). À la fin de sa vie, Chateaubriand dit, « quand elle grandissait, ma conviction religieuse a dévoré mes autres convictions, (mais) dans ce monde-ci il n’y a pas de chrétien plus croyant et plus remplis de doutes que moi » (ibid.) D’une manière similaire Dostoïevski écrivit en 1854: « Si quelqu’un prouvait pour moi que Christ était en dehors de la vérité, et si c’était ainsi que la vérité était en dehors de Christ, alors je resterais plutôt avec Christ qu’avec la vérité. Je suis un enfant de cet âge, un enfant du manque de foi et de doute jusqu’a maintenant et (je le sais bien) ce sera vrai jusqu’à ce que ma bière soit fermée … » (ibid.). Comme Chateaubriand et Dostoïevski comprenaient la dynamique d’être à la fois un fort croyant et un douteur vacillant, ils etaient capables de décrire vivement cette bataille intérieure éprouvée par les caractères dans leurs livres lorsqu’ils sont confrontés avec la foi chrétienne (par exemple, Chactas, René, et Raskolnikov). Par conséquent, les batailles spirituelles de Chateaubriand et de Dostoïevski les aidèrent à discuter des idéologies de leurs temps qui sapaient le christianisme. Puisque Chateaubriand et Dostoïevski croyaient que leurs pays éprouvaient des crises spirituelles, ils voyaient leur mission comme celle d’apologistes de la foi chrétienne. Chateaubriand grandit à une époque de doute religieux et l’athéisme des Lumières, comme il le décrit dans Le Génie du christianisme: « La religion fut attaquée par tous les genres d’armes, du pamphlet au folio, de l’épigramme au sophisme. Aussitôt qu’un livre religieux apparut, l’auteur fut couvert de ridicule, tandis que des œuvres que Voltaire lui-même était le premier à moquer parmi ses amis furent louées jusqu’au ciel » (Chateaubriand, 1899, p. 124). Beaucoup de philosophes, comme Denis Diderot, Jean le Pond d’Alembert et Voltaire, etaient sceptiques envers la foi chrétienne parce qu’ils croyaient qu’elle était fondée sur la superstition et l’irrationnelle. Les Lumières supposaient que les problèmes de l’humanité et de la société pouvaient être résolus simplement par l’application de lois et de réformes fondées sur la raison humaine. Un grand nombre de penseurs au cours de « l’age de raison » aspiraient au positivisme et au scientisme au lieu de la foi en Dieu comme l’espoir de l’humanité. Lorsqu’éclata la Révolution française en 1789, des révolutionnaires furieux détruirent des vitraux, des statues religieuses et des cathédrales entières pour affirmer que l’Église Catholique doit être extirpée parce qu’elle représentait l’oppression et la corruption de la monarchie déchue. Chateaubriand s’opposait à la notion des Lumières que l’humanité est rationnelle par nature. Il dit, « Le cœur de l’homme est le jouet de tout; et personne ne peut dire quelle circonstance frivole peut causer ses joies et ses chagrins » (Chateaubriand, 1899, p. 124). Il était en désaccord complet avec l’idée que des réformes rationnelles résoudraient les problèmes de l’humanité car il avait observé la violence inhumaine de la Révolution Française. Chateaubriand croyait que c’était sa mission de montrer que le christianisme était une religion inspirée par Dieu. Il raisonnait que la beauté esthétique du Christianisme y compris les rituels mystiques et les cathédrales ornées prouvait que Dieu seul pouvait avoir inspiré le christianisme. Par ses écrits, Chateaubriand appelait la France à retourner à sa foi chrétienne, ses valeurs et ses traditions. Au cours de la dernière partie du dix-huitième siècle et la première partie du dix-neuvième siècle le scepticisme des Lumières dominait les idéologies des intellectuels russes. La pensée matérialiste devenait dominante parmi les fondateurs du socialisme russe (qui fondaient aussi la critique littéraire russe), y compris Vissarion Belinsky, Alexandre Herzen, Nicolay Chernyshevsky et Nicolay Dobrolyubov. Ils acceptaient les idéaux du positivisme, du scientisme, du matérialisme et de l’utilitarisme de l’occident européen. Par ses œuvres, comme Souvenirs de la maison des morts et Crime et châtiment, Dostoïevski s’opposait à l’idéal des Lumières qui affirme que l’humanité est rationnelle, perfectible et que toute la connaissance peut être atteint par la science. Pour Dostoïevski, le seul salut de l’humanité est dans la foi chrétienne; il considérait le rejet de Dieu et de Christ dangereuse puisqu’elle conduisait les gens à « s’engager dans l’impossible et dans la destruction de soi-même » pour transcender leur condition de vie (Frank, 1986, p. 198). Dostoïevski supposait que la crise spirituelle de l’Europe de l’ouest finirait par mener à son déclin et à son autodestruction et que la foi orthodoxe de la Russie deviendrait la grâce qui sauverait l’Europe. Comme Chateaubriand, Dostoïevski estimait que la beauté esthétique et la perfection morale du christianisme prouvait que Dieu l’inspirait divinement. Ainsi la mission d’évangélisation de Dostoïevski était d’appeler son pays à retourner et à demeurer fidèle à son héritage orthodoxe. Chateaubriand et Dostoïevski incarnaient leur défense du christianisme dans des personnages féminines. Atala et Amelia dans les récits de Chateaubriand Atala et René, et Sonia dans le roman Crime et châtiment de Dostoïevski montrent la foi chrétienne. La symbolisation de femmes comme des figures rédemptrices dans les œuvres de Chateaubriand et de Dostoïevski peut être expliqué en partie par le fait que des femmes jouèrent un rôle majeur dans leur propre conversion au christianisme. Leurs mères étaient les gardiennes de la foi chrétienne puisqu’elles transmettaient la foi à leurs enfants. De plus, l’âme féminine à été décrit de manière traditionnelle dans la littérature comme incarnant les vertus chrétiennes de la compassion, le sacrifice de soi, la gentillesse, la fidélité, la dévotion et l’amour. Chateaubriand et Dostoïevski utilisèrent ces personnages pour défendre l’idée que les vérités transcendantes de Dieu ne sont pas révélées par la raison humaine. Atala, Amelia, et Sonia sont des femmes dont la foi passionnée domine leur raison, mais toutefois elles possèdent la sagesse de Dieu. Chateaubriand et Dostoïevski décrivent la foi de ces femmes comme divinement belles, ce qui coïncide avec leur vue de la perfection esthétique du christianisme comme la base de l’inspiration divine. Néanmoins, la description de ces femmes par Chateaubriand et Dostoïevski diffère à cause de leurs perspectives du monde chrétien différentes. Atala et Amelia désirent la mort pour quitter le désespoir de ce monde et pour aller au ciel. Les désirs charnels d’Atala et d’Amelia, surtout le désir d’aimer un homme, les tourmentent parce qu’elles croient que ces désirs sont mauvais et inférieurs à un désir spirituel pour Dieu. Elles espèrent que le jour arrivera lorsqu’elles seront libérées de leurs désirs charnels. Seule leur réunion spirituelle avec Dieu au ciel soulagera la peine de leurs cœurs d’être profondément aimées. De l’autre côté, Sonia voit que sa vie éternelle a commencé sur la terre. Ainsi sa foi en Dieu lui donne de l’inspiration et de l’espoir au milieu de la peine et du chagrin qui l’entourent. Sa communion avec Dieu lui donne la force de persévérer même au milieu de l’humiliation, de la pauvreté et de la prostitution. Sonia connaît bien sa nature pécheresse, mais puisqu’elle accepte la rédemption de Dieu, elle peut éprouver Son amour, donné sans conditions et Sa compassion ici-bas dans ce monde déchu. Atala, Amelia et Sonia servent toutes les trois comme messagères de la vérité de Dieu pour les personnages masculins incroyants, Chactus, René, et Raskolnikov. Tandis qu’Atala et Amelia communiquent leur foi ferme à Chactus et à René, leurs témoignages n’ont pas d’effet transformant sur eux. Chactus et René sont emprisonnés dans ce monde d’ici-bas, ce qui les empêche d’éprouver le royaume spirituel et éternel de Dieu. Chez Dostoïevski, Sonia, en tant que messagère du salut de Dieu, conduit Raskolnikov à la foi et au salut. Ses paroles, ses prières et ses actions reflètent l’amour et le pardon de Dieu, et c’est son témoignage qui aide à produire un changement de cœur chez Raskolnikov. D’après la perspective chrétienne de Dostoïevski, l’esprit de Dieu peut transformer le cœur humain dans un monde déchu. Ainsi Chateaubriand et Dostoïevski répondent aux crises spirituelles de leurs pays par la création littéraire. Ces deux écrivains utilisèrent des voix féminines de foi dans l’espoir de combattre le scepticisme grandissant de leurs époques.