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COMMENTAIRES DE MARIE-NOËLLE THABUT, DIMANCHE 20 MARS 2016 – LUC 22, 14-23, 56 ; 23, 1-49
18 mars, 2016COMMENTAIRES DE MARIE-NOËLLE THABUT, DIMANCHE 20 MARS 2016
EVANGILE – SELON SAINT LUC 22, 14-23, 56 ; 23, 1-49
Commentaire de la Passion de Notre Seigneur Jésus Christ selon Saint Luc
Chaque année, pour le dimanche des Rameaux, nous lisons le récit de la Passion dans l’un des trois Evangiles synoptiques ; cette année, c’est donc dans l’Evangile de Luc. En fait, dans les quelques minutes de cette émission, je ne peux pas lire en entier le récit de la Passion, mais je vous propose de nous arrêter aux épisodes qui sont propres à Luc ; bien sûr, dans les grandes lignes, les quatre récits de la Passion sont très semblables ; mais si on regarde d’un peu plus près, on s’aperçoit que chacun des Evangélistes a ses accents propres. Ce n’est pas étonnant : on sait bien que plusieurs témoins d’un même événement racontent les faits chacun à leur manière ; eh bien, les évangélistes rapportent l’événement de la Passion du Christ de quatre manières différentes : ils ne retiennent pas les mêmes épisodes ni les mêmes phrases ; voici donc quelques épisodes et quelques phrases que Luc est seul à rapporter. Pour commencer, vous vous rappelez qu’après le dernier repas, avant même de partir pour le jardin des Oliviers, Jésus avait annoncé à Pierre son triple reniement ; cela les quatre évangiles le racontent ; mais Luc est le seul à rapporter une phrase de Jésus à ce moment- là : « Simon, j’ai prié pour toi, afin que ta foi ne sombre pas. Toi donc, quand tu seras revenu, affermis tes frères. » (22, 32). Ce qui est, je pense, une suprême délicatesse de Jésus, qui aidera Pierre à se relever au lieu de sombrer dans le désespoir après sa trahison. Et Luc est le seul également à noter le regard que Jésus a posé sur Pierre après son reniement : trois fois de suite, dans la maison du Grand Prêtre, Pierre a affirmé ne rien connaître de Jésus de Nazareth ; aussitôt, Luc note : « Le Seigneur, se retournant, posa son regard sur Pierre. » Dans le texte d’Isaïe que nous lisons ce dimanche en première lecture, celui que le prophète Isaïe appelait le Serviteur de Dieu disait : « Le Seigneur m’a donné le langage d’un homme qui se laisse instruire pour que je sache à mon tour réconforter celui qui n’en peut plus. » C’est bien ce que Jésus a soin de faire avec son disciple : réconforter à l’avance celui qui l’aura renié et risquera bien de se décourager. Autre épisode propre à l’évangile de Luc dans la Passion de Jésus, la comparution devant Hérode Antipas ; vous vous rappelez que c’est Hérode le Grand qui régnait (sous l’autorité de Rome, évidemment) sur l’ensemble du territoire au moment de la naissance de Jésus ; lorsque Hérode le Grand est mort (en – 4), le territoire a été divisé en plusieurs provinces ; et au moment de la mort de Jésus (en 30 de notre ère), la Judée, c’est-à-dire la province de Jérusalem, était gouvernée par un procurateur romain, tandis que la Galilée était sous l’autorité d’un roi reconnu par Rome, qui était un fils d’Hérode le Grand, on l’appelait Hérode Antipas. Je vous lis ce récit : « Apprenant que Jésus relevait de l’autorité d’Hérode, Pilate le renvoya à ce dernier qui se trouvait lui aussi à Jérusalem en ces jours-là. A la vue de Jésus, Hérode éprouva une grande joie : depuis longtemps il désirait le voir à cause de ce qu’il entendait dire de lui, et il espérait lui voir faire un miracle. Il lui posa beaucoup de questions, mais Jésus ne lui répondit rien. Les chefs des prêtres et les scribes étaient là et l’accusaient avec violence. Hérode, ainsi que ses gardes, le traita avec mépris : il le revêtit d’un manteau de couleur éclatante et le renvoya à Pilate. Ce jour là, Hérode et Pilate devinrent amis, alors qu’auparavant ils étaient ennemis. » Enfin, je voudrais attirer votre attention sur trois phrases qui sont propres à Luc dans le récit de la Passion ; deux sont des paroles de Jésus et si Luc les a notées, c’est parce qu’elles révèlent bien ce qui est important à ses yeux : d’abord cette prière extraordinaire de Jésus : « Père pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font ! » C’est au moment précis où les soldats romains viennent de crucifier Jésus : « ils ne savent pas ce qu’ils font ! » Que font-ils ? Ils ont expulsé au-dehors de la Ville Sainte celui qui est le Saint par excellence. Ils ont expulsé leur Dieu ! Ils mettent à mort le Maître de la Vie. Au Nom de Dieu, le Sanhédrin, c’est-à-dire le tribunal de Jérusalem, a condamné Dieu. Que fait Jésus ? Sa seule parole est de pardon ! C’est bien dans le Christ pardonnant à ses frères ennemis que nous découvrons jusqu’où va l’amour de Dieu. (« Qui m’a vu a vu le Père » avait dit Jésus, la veille.) Deuxième phrase : « Aujourd’hui, avec moi, tu seras dans le Paradis. » je resitue le passage : tout le monde agresse Jésus ; trois fois retentit la même interpellation à Jésus crucifié : « Si tu es… » ; « Si tu es le Messie », ricanent les chefs… « Si tu es le roi des Juifs », se moquent les soldats romains … « Si tu es le Messie », injurie l’un des deux malfaiteurs crucifiés en même temps que lui. Et c’est là qu’intervient celui que nous appelons « le bon larron », qui n’était pourtant pas un « enfant de choeur » comme on dit ! Alors en quoi est-il admirable ? En quoi est-il un exemple ? Il commence par dire la vérité : « Pour nous, c’est juste : après ce que nous avons fait, nous avons ce que nous méritons. » Puis il s’adresse humblement à Jésus : « Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras inaugurer ton Règne. » Il reconnaît Jésus comme le Sauveur, il l’appelle au secours… prière d’humilité et de confiance… Il lui dit « Souviens-toi », ce sont les mots habituels de la prière que l’on adresse à Dieu : à travers Jésus, c’est donc au Père qu’il s’adresse : « Jésus, souviens-toi de moi, quand tu viendras inaugurer ton Règne » ; on a envie de dire « Il a tout compris ». Enfin, je voudrais attirer votre attention sur une phrase que Luc, là encore, est seul à dire : « Déjà brillaient les lumières du sabbat » (23, 54). Luc termine le récit de la Passion et de la mort du Christ par une évocation insistante du sabbat ; il précise que les femmes qui accompagnaient Jésus depuis la Galilée sont allées regarder le tombeau pour voir comment le corps de Jésus avait été placé, elles ont préparé d’avance aromates et parfums, puis elles ont observé le repos du sabbat. Le récit de ces heures terribles s’achève donc sur une note de lumière et de paix ; n’est-ce pas curieux ? Pour les Juifs, et, visiblement Luc était bien informé, le sabbat était la préfiguration du monde à venir : un jour où l’on baignait dans la grâce de Dieu ; le jour où Dieu s’était reposé de toute l’oeuvre de création qu’il avait faite, comme dit le livre de la Genèse ; le jour où, par fidélité à l’Alliance, on scrutait les Ecritures dans l’attente de la nouvelle création. « Déjà brillaient les lumières du sabbat » : combien Luc a-t-il raison d’insister ! Dans la Passion et la mort de Jésus de Nazareth, l’humanité nouvelle est née : le règne de la grâce a commencé. Désormais, nos crucifix nous montrent le chemin à suivre : celui de l’amour des autres, quoi qu’il en coûte, celui du pardon.
HOMÉLIE DU DIMANCHE DES RAMEAUX ET DE LA PASSION DU SEIGNEUR, C
18 mars, 2016http://parolesdudimanche.blogs.lalibre.be/
HOMÉLIE DU DIMANCHE DES RAMEAUX ET DE LA PASSION DU SEIGNEUR, C
Lc 19, 28-40 ; Is 50, 4-7 ; Ph 2, 6-11 ; Lc 22, 14 – 23, 56 (bref 23, 1-49)
« Nous ne pouvons isoler la parole de Dieu de la réalité historique dans laquelle elle est dite. Elle ne serait plus alors parole de Dieu. Elle serait une histoire quelconque, un livre de piété, une Bible bien rangée dans notre bibliothèque. Or, elle est parole de Dieu, c’est-à-dire qu’elle inspire, éclaire, contrecarre, rejette, magnifie, ce qui se fait aujourd’hui dans notre société. » Celui qui avait présenté ainsi le cœur même de sa réflexion théologique et pastorale avait atteint la plus haute charge ecclésiastique de son pays. Depuis peu, il s’était enfin rapproché des personnes, du peuple, et des réalités ordinaires de la vie quotidienne. C’est après avoir été longtemps en désaccord avec le clergé le plus « progressiste » de son pays et atteint l’ »âge du repos » qu’ « il s’est décidé à comprendre qu’il n’existe pas d’autre ascension que vers la terre. Et il a cheminé jusque-là… » (1). On le vit même, oh ! scandale ! « faire bon accueil aux pécheurs et manger avec eux ». Sa voix et son attitude prophétiques devinrent rapidement inacceptables pour le régime en place. Mgr Oscar Romero était devenu l’homme des pauvres, « la voix des sans voix ». Et cela « lui a valu d’être en conflit avec ses collègues évêques » durant le reste de sa vie. Il fut donc, avec bien d’autres, accusé comme le Christ « de semer le désordre dans la nation et de soulever le peuple en enseignant dans tout le pays ». La parole, l’attitude, les gestes dérangeants de ce parfait disciple du Juste ne pouvaient plaire « en haut lieu ». Le 24 mars 1980, Mgr Romero était cloué d’une balle sur la table de l’amour partagé, sur l’autel même du sacrifice eucharistique. « Il a couronné par son sang son ministère en faveur des plus pauvres », dira plus tard Jean Paul II en saluant la mort de celui que les latino-américains nomment familièrement « saint Romero des Amériques ». Ces grands témoins d’aujourd’hui nous rappellent et nous révèlent le Grand Témoin que fut et reste le charpentier de Nazareth, prêchant la Bonne Nouvelle aux pauvres, guérissant les malades, libérant les cœurs et les esprits. Lui, qui s’est vu constamment critiquer par « quelques pharisiens pieux et méfiants », inquiets et agacés devant ses déclarations pertinentes mais critiques. D’autant plus que « le succès » de ce rénovateur renforçait leur aveuglement et excitait leur jalousie. Troublante réaction d’une élite croyante, informée, éduquée, cultivée et fervente. Ainsi, à l’époque de Jésus comme en d’autres temps, ceux qui prétendent posséder la vérité tout entière, qui « savent », enseignent, jugent et tranchent, ont peine à comprendre le message, à recevoir et analyser le témoignage inédit du Nazaréen. Cœurs durs et esprits incrédules, ils avaient cependant d’excellents yeux et ils n’ont point vu, des oreilles ultra sensibles et ils n’ont rien entendu. « Maître, arrête tes disciples ! ». Mais Jésus leur renvoie la balle : « S’ils se taisent, les pierres crieront ». Ce Fils de Dieu, ce Juste, cet Innocent, chez qui Pilate ne trouvera aucun motif de condamnation, sera cependant condamné. Ce « prophète », crieront-ils, s’oppose systématiquement et publiquement à l’enseignement de Moïse et provoque la confusion. Nous l’avons même trouvé « en train de semer le désordre dans notre nation ». Il va jusqu’à empêcher « de payer l’impôt à l’empereur » et « soulève le peuple en enseignant dans tout le pays » (Lc 23, 2-5). L’éternel refrain ! Il faudra qu’il soit condamné, torturé et mis à mort, pour qu’un « païen » reconnaisse que « sûrement, cet homme était un juste ! ». Mais serons-nous comme ces gens, témoins de la crucifixion et qui « voyant ce qui était arrivé, s’en retournaient en se frappant la poitrine » ? N’étaient-ils pas un peu coupables de l’avoir mal compris et de ne pas l’avoir défendu ? C’était hier, c’est encore vrai aujourd’hui.
(1) Maria Lopez Vigil, Eléments pour un portrait de Mgr Romero.
P. Fabien Deleclos, franciscain (T)
1925 – 2008