Archive pour le 15 mars, 2016
FAIRE PÉNITENCE ?
15 mars, 2016http://jerusalem.cef.fr/fraternites/vivre-la-liturgie/temps-liturgique/careme/faire-penitence
FAIRE PÉNITENCE ?
Ce texte de Dom André Louf est extrait du «Sources Vives» n°108 : Jeûne & Pénitence Dans le langage français usuel, le mot «pénitence», surtout s’il se trouve associé à l’expression qui fait le titre de cette contribution, évoque presque exclusivement la pénitence «corporelle», même dans la bouche de chrétiens pratiquants et militants. Comparé à l’extension du même mot dans le vocabulaire de la Bible, où celui-ci est la plupart du temps synonyme de «conversion», il s’agit là évidemment d’un regrettable rétrécissement de signification. Pénitences ou pénitence ? L’approche du Carême, traditionnellement consacré à une recrudescence des «doses» de pénitence corporelle, ne simplifie d’ailleurs pas le problème, même si celles qui sont encore officiellement prescrites par l’Église ont été notablement allégées, pour ne pas dire qu’elles sont devenues évanescentes et que, dans la pratique, elles n’ont guère laissé de traces. Avec de bonnes raisons d’ailleurs. Et d’abord : connaissait-on seulement les bonnes raisons qu’il aurait fallu avoir pour accueillir un temps de pénitence où la mortification corporelle jouait un rôle aussi important — dans l’imaginaire au moins de beaucoup de croyants — et auquel on se résignait, non sans quelque fatalité, en «faisant le gros dos», si ce n’était en savourant d’avance la rupture de jeûne qui s’ensuivrait au matin de Pâques ? On était invité à faire preuve de générosité en s’infligeant quelques menues restrictions, peut-être en réparation pour ses péchés, ou à défaut — quelle preuve d’inconscience! — pour ceux des autres. Ou on s’empressait d’accumuler quelques mérites dont les fruits nous seraient restitués, intérêts compris, en temps opportun, à l’heure de la rétribution générale du Dernier Jour. Que certaines bonnes âmes se soient laissé tenter de la sorte et se soient livrées à des pénitences non sans éprouver quelque secrète satisfaction, ne pouvait pas ne pas susciter chez d’autres, moins sensibles à de tels penchants, le soupçon immanquablement dévastateur de masochisme. Quel «Dieu pervers» servions-nous donc, qui était à ce point intéressé à voir souffrir ses enfants, jusqu’à, dans leur zèle, s’infliger ces souffrances à eux-mêmes ? D’autres motifs de pénitence étaient, bien sûr, de meilleure qualité, et d’ailleurs déjà attestés par la Tradition. Ce que l’on soustrait à ses propres besoins, souvent plus superflus que strictement nécessaires, peut être consacré aux besoins des vrais nécessiteux. L’on jeûne donc, afin de pouvoir donner aux pauvres. Ou bien, même si les pauvres sont loin et que notre jeûne ne pourrait aucunement remédier d’une façon significative à leur détresse, on se modère dans le manger et le boire pour marquer sa solidarité, en l’inscrivant concrètement dans sa propre chair. L’on pourrait aussi jeûner et se restreindre de bien d’autres façons pour protester contre les dérives d’une société de consommation et de ses innombrables et astucieux sortilèges : l’on jeûne alors pour devenir un vivant «signe de contradiction», dans l’espoir que certains du moins sauront en déchiffrer la portée. Apprivoiser le corps Dans tous ces cas, l’identification spontanée, faite par le sens commun, de la pénitence avec quelque restriction corporelle, est loin d’être privée d’une portée particulière même si la «conversion» touche aussi et principalement le cœur. Mais, sans craindre le paradoxe, on pourrait dire que la pénitence corporelle est importante précisément parce qu’elle affecte le corps. Et l’on pourrait ajouter : et parce qu’elle en devient d’autant plus incisive. Non pas parce qu’il importerait de domestiquer ou de «mater» un corps trop porté à se rebeller contre l’esprit, ni pour l’exercer par un entraînement de type plus ou moins spartiate dans les petites choses, afin de pouvoir se montrer fort dans les grandes. De pareilles motivations nous feraient sortir de la grâce de l’évangile, et nous amèneraient sur des voies parallèles, apparemment semblables, mais qui, en fait, se terminent en impasses et en voies sans issues. Lorsque, dans la Première Lettre aux Corinthiens, saint Paul veut mettre en lumière la gravité particulière du péché de fornication par rapport aux autres péchés, il tire son argument du fait que la fornication affecte le corps, alors que les autres péchés lui demeurent extérieurs : or, «ne savez-vous pas, explique-t-il, que votre corps est un temple du Saint-Esprit, qui est en vous et que vous tenez de Dieu ? Et que vous ne vous appartenez pas ? Vous avez été bel et bien achetés ! Glorifiez donc Dieu dans votre corps» (1 Co 6,18-20). C’est à cause de son importance particulière que le corps peut devenir instrument de péché, mais aussi être mis au service de la gloire de Dieu. Le poids qu’il peut prendre dans le péché, il le garde aussi lorsqu’il s’agit de revenir à Dieu par la pénitence. Celle-ci doit apprivoiser le corps pour le destiner au seul service de Dieu. Jeûner et veiller Pour s’arrêter un instant au jeûne, il est certain que la perspective de jeûner déclenche immanquablement tout un scénario qui n’affecte pas seulement les organes extérieurs qui seront plus ou moins affligés par lui, mais bouleverse aussi certaines régions profondes de l’âme. Et d’abord sous la forme de résistances plus ou moins tenaces, qui se reflètent dans l’opinion commune de nos contemporains à son sujet. Celles-ci sont à identifier et à analyser avec un œil critique. Est-il tellement certain, comme on l’entend affirmer fréquemment, que les générations actuelles ne peuvent supporter un jeûne qui ne se réduit d’ordinaire plus qu’à un modeste retard imposé au rassasiement de la faim, alors que l’état général des santés s’est considérablement amélioré dans nos pays ? Ou, pour convaincre des chrétiens, devrait-on en appeler à l’exemple de nos frères musulmans qui se dispensent allègrement de tels subterfuges pour échapper aux exigences d’un Ramadan autrement plus rigoureux ? Que cachent nos réticences et nos peurs ? Le jeûne s’attaque-rait peut-être à un certain désordre de nos besoins et de nos désirs, qui n’est pas sans lien avec le désordre du désir de Dieu en nous, qu’il arrive à occulter ou à travestir ? Et le fait de différer le repas pendant quelques heures — car le jeûne est essentiellement cela, et non pas le fait de moins manger tout en mangeant tout de suite — ne permettrait-il pas d’exprimer, par la faim corporelle et par le refus d’assouvir sur le champ un besoin sensible, qu’une faim beaucoup plus profonde nous tourmente aux racines de notre être, qui mérite d’être réveillée et prise en compte, pour être ensuite étalée et présentée en offrande d’attente devant le Seigneur ? La même question peut être posée au sujet des veilles de la nuit, ou de ce que nous essayons d’en sauvegarder par petits bouts le soir ou le matin. Sans nier que nos systèmes nerveux requièrent aujourd’hui peut-être davantage de sommeil, dont la mesure peut varier considérablement selon les âges et les personnes, ne pourrait-on pas retrouver le sens pédagogique, et comme thérapeutique, que contient cette présence consciente à soi, au monde et à Dieu, alors que l’univers est plongé dans l’inconscience du sommeil ? Ou pressentir comment la veille nous permet de nous exercer très concrètement au sacrement de l’attente de l’aube, qui est figure de celle du retour du Christ venant nous inonder de la lumière de sa Parousie ? Y a-t-il image plus éloquente du désir qui traverse et nourrit toute expérience spirituelle que cette vigie, à la fois dépouillée et parfaitement assurée, en attente des premières lueurs de l’aurore qui font progressivement pâlir les fenêtres des chevets de nos églises normalement tournés vers l’Orient ? Vigie dépouillée, car rien ne permet au veilleur d’en hâter le rythme, et cependant pleinement assurée, car rien ni personne ne pourrait empêcher que le matin ne finisse par éclater irrésistiblement. Et n’est-ce pas au nom du monde entier que, à chaque nuit et à chaque aurore qui progresse insensiblement mais sûrement, les moines, depuis des générations, ont attendu les Avènements successifs du Seigneur, suspensa exspectatione, «avec une attente en suspens», si on accepte cette traduction un peu libre, ou plus littéralement, «avec une attente qui est elle-même toute suspendue», comme la décrivit un cistercien du XIIe siècle, et qui «suspend» le veilleur tout entier à l’objet de son attente mystérieusement pressenti dans son cœur. Car, pour reprendre l’exégèse de saint Bernard, il y a trois Avènements du Christ. Le premier eut lieu dans la chair, au moment de l’Incarnation ; le troisième se produira à la fin des temps, lorsque le Seigneur reviendra dans la gloire ; le deuxième, qu’il appelle l’Avènement intermédiaire, a lieu continuellement dans l’Église d’aujourd’hui, au plus intime des cœurs des croyants. N’est-ce pas de cet Avènement-là que les «veilleurs dans la nuit» que sont les moines, ont reçu la charge particulière, et qu’ils ont la grâce de porter et d’inscrire dans leur chair ? Jusqu’à l’intérieur du cœur Comme tous les autres signes extérieurs de pénitence, le jeûne et la veille affectent en nous des racines qui n’ont pas encore été entièrement investies par la grâce. Ils ne font d’ailleurs que prolonger ceux de nos ancêtres dans la foi, que Jésus lui-même a voulu honorer durant son existence sur terre. Dans l’Ancien Testament, jeûner, se couvrir de cendres, marcher pieds nus, étaient des signes de repentir et de deuil : l’homme s’abaissait ainsi devant Dieu, dans l’espoir de toucher les entrailles de sa miséricorde. Prolongés jusqu’au cœur de la Nouvelle Alliance, et plus particulièrement pendant le Carême, lorsque nous avons les yeux fixés sur Pâques, ils n’ont d’autre signification que de rejoindre Jésus sur son chemin pascal qui fut, lui aussi, un chemin d’humilité et d’abaissement : «Il s’est humilié, nous rappelle saint Paul, en se faisant obéissant jusqu’à la mort et la mort sur une croix» (Ph 2,8). Abaissement déjà d’un Dieu qui se fit homme, mais abaissement suprême de cet homme parmi les hommes, relégué parmi les malfaiteurs et traité comme un des leurs. Les signes extérieurs de cet abaissement pascal ne sauraient suffire à eux seuls. Ils doivent aussi affecter notre cœur à l’intérieur. Un peu plus de jeûne, davantage de solitude et de silence, des moments plus fréquents pour la prière et l’intercession, tous ces gestes extérieurs de l’humilité ne vaudraient rien s’ils n’étaient pas une pédagogie au service de l’humilité du cœur, s’ils ne nous rendaient pas plus pauvres et plus petits devant Dieu. Heureusement, la grâce ne nous le permet pas autrement. S’engager dans un Carême peut, au premier abord, ne pas manquer d’attrait ou même sembler flatteur, mais y durer et y persévérer dans une plus grande séparation avec l’extérieur et dans le recueillement, parfois dans la sécheresse et l’ennui, peut vite apparaître vertigineux, dépassant du tout au tout nos pauvres forces. Ce n’est plus notre corps seul qui souffre alors, c’est notre cœur aussi qui est déchiré. «Déchirez vos cœurs et non pas vos vêtements», nous dit le prophète Joël dans la liturgie du Mercredi des Cendres (Jl 2,13). Laisser déchirer notre cœur avec ses bonnes intentions et ses bons propos, avec sa générosité si bien intentionnée, mais de si courte échéance, c’est bien le but de toute pénitence corporelle. Notre cœur doit finir par y être brisé et humilié, pour devenir réceptif à la grâce : «D’un coeur brisé et humilié, mon Dieu, tu n’auras pas de mépris» (Ps 51,17). En se rappelant encore la suite du passage cité de Joël : «Déchirez vos cœurs.., et revenez au Seigneur votre Dieu, car il est tendre et miséricordieux, lent à la colère et plein d’amour». C’est dans ce creuset de l’humilité, d’une humilité non pas glorieusement conquise mais péniblement et petitement subie, que nous rejoignons Jésus, ou plutôt que Jésus nous rejoint, au seul endroit où il peut nous rejoindre, lui qui est venu non pour les justes, mais pour les pécheurs. Car c’est bien cette faiblesse-là, la nôtre, et ces péchés-là, les nôtres, qu’il est venu prendre sur lui pour nous les enlever. N’a-t-il pas été «crucifié dans la faiblesse», comme le rappelle saint Paul, pour être rendu «vivant par la puissance de Dieu» (2 Co 13,4) ? Tel est le chemin de Pâques qui s’ouvre devant nous. Il ne monte pas, il descend. S’il est parfois raide et escarpé, c’est pour faciliter d’autant plus la descente. Il ne nous apprend ni à nous faire mal ni à nous dépasser nous-mêmes — nous y manquerions la rencontre avec Jésus — mais à nous vider de nous-mêmes, comme Jésus, et à accepter de rejoindre notre point d’extrême pauvreté, cette pauvreté que Jésus est venu étreindre, et où il voudrait que apprenions à mettre toute notre confiance, jusqu’à la folie, dans sa miséricorde. Le Carême nous revêt de l’humilité de Jésus. Avec lui, nous nous abaissons sous la puissante main de son Père, jusqu’au jour où, avec Jésus, il nous élèvera dans sa gloire. Car, comme le disait Isaac le Syrien, «l’humilité est le vêtement de Dieu».
JEAN-PAUL Ier – (une ancienne prière, mon titre, en français il n’y a pas de titre )
15 mars, 2016http://w2.vatican.va/content/john-paul-i/fr/audiences/documents/hf_jp-i_aud_27091978.html
JEAN-PAUL Ier – (une ancienne prière, mon titre , en français il n’y a pas de titre )
AUDIENCE GÉNÉRALE
Mercredi 27 septembre 1978
« Mon Dieu, je vous aime de tout mon cœur, par-dessus toute chose. Vous, Bien infini, notre bonheur éternel et, par amour pour Vous, j’aime mon prochain comme moi-même et je pardonne les offenses reçues, ô Seigneur, que je vous aime toujours plus ! ».
C’est une prière très connue, entrelacée de phrases bibliques. C’est ma maman qui me l’a apprise. Encore maintenant, je la récite plusieurs fois par jour, et je vais tenter de vous l’expliquer, mot par mot, comme le ferait un catéchiste de paroisse. Nous en sommes à la troisième « lampe de sanctification » du Pape Jean XXIII : la charité. J’aime. A la Faculté de philosophie, le professeur me disait : Tu connais le campanile de St-Marc ? Oui ? Cela signifie qu’il a, de quelque manière, pénétré dans ton esprit : physiquement il est resté où il était, mais dans ton for intérieur il a imprimé comme son image intellectuelle. Toi, d’autre part, tu aimes le Campanile de Saint-Marc ? Cela signifie que, de l’intérieur, cette image te pousse, t’incline, pour ainsi dire te porte, te fait aller avec l’esprit vers le campanile qui est à l’extérieur. En somme, aimer signifie voyager, courir avec le cœur vers l’objet aimé. « L’Imitation de Jésus-Christ nous dit : qui aime « currit, volat, laetatur », court, vole, jubile (I.III, c. V, n. 4). Aimer Dieu, c’est donc voyager vers Dieu, avec le cœur. Un voyage merveilleux. Enfant, je m’extasiais devant les voyages décrits par Jules Verne (Vingt mille lieux sous les mers ; De la terre à la lune ; Le tour du monde en quatre-vingts jours, etc). Mais les voyages de l’amour envers Dieu sont infiniment plus intéressants. On les lit dans la vie des Saints. Par exemple, Saint Vincent de Paul, dont nous célébrons la fête aujourd’hui, est un géant de la charité : il a aimé Dieu mieux encore qu’un père et une mère. Il a été lui-même un père pour les prisonniers, les malades, les orphelins et les pauvres. Saint Pierre Claver, se consacrant tout à Dieu, signait comme suit : Pierre, esclave des nègres pour toujours. Le Voyage comporte également des sacrifices, mais ceci ne doit pas nous arrêter. Jésus est en croix : tu veux l’embrasser ? tu ne peux faire moins que de te pencher sur la croix et te laisser piquer par quelqu’épine de la couronne qui se trouve sur la tête du Seigneur (cf. St François de Sales, Œuvres, Annecy T. XXI, p. 153). Tu ne peux pas faire piètre figure comme le bon Saint Pierre qui savait bien crier « Vive Jésus » sur le Mont Thabor, là où régnait la joie, mais qui ne s’est même pas laissé voir aux côtés de Jésus, sur le Mont-Calvaire, où il y avait le risque et la douleur (cf. Fr. de Sales, Œuvres, T. XV, p. 140). L’amour pour Dieu est également un voyage mystérieux c’est-à-dire que je ne me mets pas en route, si Dieu ne prend pas d’abord l’initiative. « Nul ne peut venir à moi — a dit Jésus — si le Père ne l’attire (Jn 6, 44). Saint Augustin se demandait : mais alors, la liberté humaine ? c’est que Dieu, qui a voulu et édifié cette liberté, sait, Lui, comment la respecter, tout en amenant les cœurs au point qu’il a envisagé : parum est voluntate, etiam voluptate traheris ; Dieu ne t’attire pas seulement de la manière que tu voudrais, mais même de manière que tu savoures d’être attiré (Augustinus, In Jo. Evang. Tr., 26, 4). De tout mon cœur je souligne ici le terme « tout ». Dans la politique le totalitarisme est déplorable. Mais dans la religion, par contre, notre totalitarisme à l’égard de Dieu va très bien. Il est écrit : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur , de toute ton âme, de toutes tes forces. Ces préceptes qu’aujourd’hui je te donne, tiens les fermes dans ton cœur ; tu les répéteras à tes fils ; tu en parleras quand tu seras assis chez toi, quand tu iras par les chemins, quand tu te coucheras et quand tu te tèveras. Tu les attacheras comme un signe sur ta main et ils serviront de fronteau entre tes yeux ; tu les inscriras sur le seuil de ta maison et sur les portes » (Deut 6, 5-9). Ce « tout » répété et soumis à la pratique avec tant d’insistance est vraiment l’étendard du christianisme maximum. Et c’est juste : Dieu est trop grand, il mérite trop de nous pour que nous puissions lui jeter, comme à un pauvre Lazzare quelques miettes de notre temps et de notre cœur. Dieu est un bien infini et il sera notre félicité éternelle : l’argent, les plaisirs, les succès de ce monde, comparés à Lui, sont à peine, des fragments de bien, de fugages moments de bonheur. Il ne serait pas sage de donner beaucoup de nous à ces choses et peu de nous à Jésus. Par-dessus toute chose. On en vient maintenant à une confrontation directe entre Dieu et l’homme, entre Dieu et le monde. Il ne serait pas juste de dire : « Ou Dieu ou l’homme ». On doit aimer et Dieu, et l’homme, ce dernier, toutefois, jamais plus que Dieu ou contre Dieu ou autant que Dieu. En d’autres mots : si l’amour de Dieu doit prévaloir, il n’est pas cependant, exclusif. La Bible déclare au sujet de Jacob qu’il est un saint (Dn 3) et qu’il est aimé de Dieu (Ma 1, 2; Rm 9, 13), elle le montre engagé dans sept années de labeur pour conquérir Rachel, pour en faire son épouse ; « et elles lui semblèrent seulement quelques journées, ces années, si grand était son amour pour elle » (Gn 29, 20). François de Sales nous offre quelque commentaire à cet égard : « Jacob, écrit-il, aimait Rachel de toutes ses forces, et de toutes ses forces, il aimait Dieu ; mais, pour autant, il n’aimait pas Rachel comme il aimait Dieu, ni Dieu comme il aimait Rachel. Il aimait Dieu comme son Dieu, pardessus toute chose et plus que lui-même ; il aimait Rachel comme son épouse, par-dessus toutes les autres femmes et comme lui-même. Il aimait Dieu d’un amour absolument et souverainement suprême et Rachel d’un amour marital suprême ; de ces amours, il n’en est pas un qui soit contraire à l’autre parce que celui pour Rachel ne viole pas la suprématie de l’amour pour Dieu » (Œuvr T. V, p. 175). Et par amour pour Vous, j’aime mon prochain. Nous sommes en présence ici de deux amours qui sont des « frères jumeaux » et inséparables. Certaines personnes, il est facile de les aimer ; pour d’autres, c’est difficile ; elles nous sont peu sympathiques, elles nous ont offensés, ou fait du mal ; ce n’est que si j’aime Dieu vraiment, sérieusement, que je parviendrai à les aimer en tant que fils de Dieu, et parce que Celui-ci me le demande. Jésus a également établi la manière d’aimer le prochain : pas seulement avec sentiment, mais avec les faits. Voici comment, a-t-il dit : Je vous demanderai : J’avais faim dans la personne de mes frères les plus humbles, m’avez-vous donné à manger ? M’avez-vous rendu visite, quand j’étais malade ? (cf. Mt 25, 34 et sv.). Le catéchisme traduit ces paroles de la Bible et d’autres dans la double liste des sept œuvres de miséricorde et des sept œuvres spirituelles. La liste n’est pas complète, et elle a besoin d’être remise à jour. Par exemple, pour les affamés, il n’est plus seulement question aujourd’hui de tel ou tel individu ; il s’agit de peuples entiers. Nous nous souvenons tous des nobles déclarations du Pape Paul VI : « Les peuples de la faim interpellent aujourd’hui, de manière dramatique, les peuples de l’opulence. L’Eglise tressaille devant ce cri d’angoisse et appelle chacun à répondre avec amour à son propre frère (Populorum Progressio, n. 3). A ce point-là, à la charité vient s’ajouter la justice, car — disait encore Paul VI — « la propriété privée ne constitue pas un droit inconditionnel et absolu pour quiconque. Personne n’est autorisé à réserver à son usage exclusif ce qui dépasse ses besoins, alors que d’autres manquent du nécessaire » (Populorum Progressio, n. 22). Par conséquent, « toute course exténuante aux armements, devient un intolérable scandale » (Populorum Progressio, n. 53). A la lumière de ces vigoureuses expressions, on voit combien nous sommes, individus et peuples, encore bien loin d’aimer autrui « comme nous mêmes », ce qui est le commandement de Jésus. Un autre commandement : « Je pardonne les offenses que j’ai reçues ». Il semble presque que le Seigneur donne la préséance au pardon sur le culte : « Quand donc tu présentes ton offrande à l’autel, si tu te souviens d’un grief que ton frère a contre toi, laisse-là ton offrande devant l’autel, et vas d’abord te réconcilier avec ton frère ; puis reviens, et présente ton offrande » (Mt 5, 23). Les dernières paroles de la prière sont : Seigneur, que je vous aime de plus en plus. Il s’agit ici également de l’obéissance à un commandement de Dieu qui, dans notre cœur, a mis la soif du progrès. Des palafittes, des cavernes et des premières cabanes, nous sommes passés aux maisons, aux palais, aux gratte-ciel ; des voyages à pied, à dos de mulet, ou de chameaux, aux carosses, aux trains, aux avions. Et l’on désire progresser encore, avoir des moyens toujours plus rapides, rejoindre des objectifs toujours plus éloignés. Mais — nous l’avons vu — aimer Dieu, cela aussi est un voyage : Dieu veut qu’il soit toujours plus intense, plus parfait. Il a dit à tous les siens : « Vous êtes la lumière du monde, le sel de la terre » (Mt 5, 8) ; « soyez parfaits comme est parfait votre Père céleste » (Mt 5, 48). Cela signifie aimer Dieu, non pas un peu, mais beaucoup, ne pas s’arrêter là où on est arrivé mais, avec Son aide, progresser dans l’amour.
Avec la bénédiction apostolique.