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POUR UNE TRANSFORMATION D’AMOUR – LA PRIÈRE CONTACT AVEC DIEU
10 mars, 2016http://www.clerus.va/content/clerus/fr/biblioteca.html
POUR UNE TRANSFORMATION D’AMOUR – LA PRIÈRE CONTACT AVEC DIEU
II y a longtemps déjà, saint Augustin s’écriait : » Tu nous as faits pour toi, ô Seigneur, et notre cœur est inquiet jusqu’à ce qu’il repose en toi « 1. Nous venons de Dieu, en effet, et nous retournons vers Dieu. La nature humaine porte en elle-même une tendance, qui lui vient de son origine et de son Créateur, pour revenir vers son maître et sa fin qui est Dieu. II semble que bien des hommes ne prennent pas une nette conscience de cette tendance, de cette orientation de l’homme vers Dieu. Cette aspiration de la nature humaine est cependant réelle. Et il est des périodes de crise, comme la nôtre, où le monde semble envahi par le matérialisme, en proie à certains troubles profonds et à des craintes pour l’avenir. En ces périodes de crise, cette aspiration, sans devenir plus consciente chez bien des hommes qui ne vont que rarement ou jamais dans les profondeurs de leur âme, se manifeste d’une façon réelle et devient plus ardente. Nous constatons de nos jours que cette aspiration est ardente en effet : un des signes en est l’intérêt que l’on porte aux problèmes spirituels. Nous sommes orientés vers Dieu, nous retournons vers Dieu. Comment ici-bas, pouvons-nous, spécialement nous chrétiens, entrer en contact avec Dieu ? Dans ce contact avec Dieu, quelle est la part de l’homme ? C’est ce problème que je voudrais étudier avec vous, en m’appuyant sur la vérité révélée, qui nous est donnée et explicitée par l’Église ; en m’appuyant aussi sur des vérités psychologiques et sur la doctrine spirituelle des maîtres du Carmel qui sont, pour ainsi dire, des spécialistes, des professionnels de cette recherche de Dieu.
Qu’est-ce que la prière ? Demandons-nous d’abord ce que nous pensons de la prière, ce qu’évoque ce mot. Pour la plupart des hommes, le mot » prière » évoque un acte religieux, une récitation de prières vocales. Pour des artistes et des poètes, il évoque une certaine émotion religieuse, une sensation que l’on éprouve dans la partie la plus profonde et la meilleure de soi, émotion dans laquelle on croit trouver un certain contact avec Dieu. Pour le philosophe, du moins pour certains d’entre eux, la prière est un dépassement des choses extérieures, du monde sensible et même d’une certaine région du domaine intellectuel, dépassement qui conduit plus loin dans les profondeurs de l’esprit. Nous savons que certains philosophes modernes mettent précisément dans cette découverte, dans cette réalisation du plus profond d’eux-mêmes et de l’esprit en eux, une découverte de Dieu. Pour le mystique, la prière est aussi un dépassement, une recherche de Dieu qui s’affirme par des impressions profondes, par une expérience mystique, religieuse, dans laquelle l’activité de l’homme a une part, mais dont la part principale revient à l’activité de Dieu. Il y a dans toutes ces définitions quelque chose de vrai ; mais elles méritent d’être complétées. Et il nous paraît que, pour cela, nous n’avons qu’à reprendre notre définition du catéchisme2 et à la méditer. Qu’est-ce que la prière ? La prière est » une élévation de notre âme vers Dieu « . Supprimons, si vous voulez, le mot » élévation » : la prière est une démarche de tout nous-même, de notre personne, vers Dieu. La prière est une prise de contact avec Dieu, pour un échange avec lui ; elle est un entretien, sainte Thérèse dira » un commerce affectueux « 3. C’est l’amour évidemment qui est à la base de l’union, de l’échange, au principe du mouvement, et qui en est aussi le but, car qui aime veut aimer davantage ; et l’amour est en même temps le lien qui unit.
I. — LA DÉMARCHE VERS DIEU Dans cette prière qui est un échange, une démarche vers Dieu, que se passe-t-il ? Présence du Dieu infini Demandons-nous d’abord où est ce Dieu que nous cherchons : nous allons vers Dieu, encore faut-il savoir où il est. Nous savons que Dieu est partout, parce qu’il est infini. Il est dans tout le monde créé parce qu’il en est non seulement le créateur mais le conservateur : toutes choses ne peuvent subsister que par une action de Dieu, et donc par une présence de Dieu. Dieu est l’être simple, il agit partout et partout où il agit, il se trouve présent. Donc, aller vers Dieu, c’est chercher en soi-même, ou dans la nature, dans la création, ou au-delà du monde créé dans le monde des possibles, dans le fini de la création et dans l’infini au-delà, chercher donc cet être vivant qu’est Dieu. Car Dieu n’est pas une chose, Dieu est un être vivant. Le catéchisme nous apprend que Dieu est infini, et qu’en cet être infini, il y a trois personnes : le Père qui engendre son Fils, le Père et le Fils qui, se connaissant et se trouvant parfaits, s’aiment et par une spiration commune produisent l’Esprit Saint, spiration commune du Père et du Fils, spiration d’Amour personnifiée. Pour nous donc, Dieu est un être vivant. Permettez-moi d’insister sur cette vérité, car nous la méconnaissons bien souvent ; et les erreurs modernes sur la prière, sur la recherche de Dieu, ont le tort de la méconnaître. Dieu est un être vivant, un être infini et distinct de nous. Dieu est un être infini, nous sommes finis : entre nous, créatures, entre notre personne et Dieu, il y a l’infini, il y a un espace infini, une distance, non un fossé mais une distance. Que nous cherchions cet infini en nous ou dans la création ou bien au-delà, Dieu, être vivant qui nous pénètre et qui pénètre la création, est cependant pour ainsi dire séparé de nous par cet infini. Le problème de la prière, c’est de se porter vers Dieu, c’est de franchir cette distance infinie entre Dieu et nous. Pouvons-nous le faire ? Si vous le voulez bien, essayons de faire cette démarche, de nous porter vers Dieu, de nous mettre en quelque sorte en prière, en analysant brièvement les activités qui se déploient en nous. Vous me pardonnerez ces explications philosophiques et psychologiques : il est bon, de temps en temps, au moins une fois, de découvrir ce que nous faisons nous-mêmes chaque fois que nous nous mettons en prière. Et cela, non pas seulement pour une connaissance purement spéculative, mais pour perfectionner notre prière en perfectionnant précisément tous les mouvements, toutes les activités que nous déployons pour trouver Dieu.
L’attitude extérieure de prière Quand je me mets en prière, je fais une démarche. Même si je ne vais pas à l’église, si je ne fais pas le déplacement physique pour aller trouver Dieu dans le tabernacle, dans la maison de la prière, même si je prie chez moi, je déploie cependant une certaine activité physique extérieure. Je me mets à genoux, j’arrête du moins mon activité habituelle, parce que je conçois très bien que pour prier, du moins d’une façon parfaite, je dois orienter mes sens extérieurs vers la prière. Il y a d’ailleurs, nous le savons, des attitudes de prière : à genoux, debout les bras étendus ou levés… Quand nous considérons l’art dans les divers pays, surtout l’art primitif, comme dans les catacombes, nous découvrons presque toujours des orants. Cette attitude varie suivant les peuples et la conception qu’ils peuvent avoir de Dieu, ais il y a partout une attitude extérieure de prière. Actuellement, pour communier d’une façon plus étroite au sacrifice de la Messe, on insiste à juste raison, sur les diverses attitudes à prendre pendant la célébration parce que, dans notre civilisation, dans nos façons de faire, nous avons des attitudes expressives de tel ou tel sentiment. Nous nous tenons debout pendant le Credo, parce que c’est une attitude de confession, d’affirmation ; nous nous agenouillons pendant la consécration, parce que s’agenouiller c’est adorer, et nous adorons le mystère de la transsubstantiation et la présence du Christ à l’autel. Donc nous prions avec notre attitude extérieure, nous prions avec notre corps. Dans la démarche vers Dieu qu’est la prière, dans cette prise de contact, il y a tout d’abord une attitude extérieure qui contribue à cette prise de contact.
L’activité des facultés intérieures Mais la prière n’est pas toute là : il ne suffit pas de s’agenouiller pour se mettre en prière. Il y a un travail qui doit être fait par nos facultés intérieures, un travail de l’imagination et de la mémoire. Par exemple, je suis à l’église, ou chez moi pour prier, et je cherche Dieu ; je me place devant son image, devant le Crucifix, ma mémoire me rappelle le sacrifice du Calvaire. Je suis dans l’église, je me mets devant le tabernacle et, là aussi, ma mémoire me rappelle la vérité énoncée par le catéchisme : Jésus est présent avec son corps, son âme, sa divinité, dans le tabernacle. Peut-être vais-je essayer de construire cette présence à l’aide de mon imagination ; je sais fort bien qu’elle ne va pas reproduire la réalité, elle ne va faire que son travail, à savoir créer des images, se représenter la vérité par un symbole, reconstruire à sa façon la réalité. Je fais ce travail, afin de fixer mes sens sur cette vérité ; j’ai en moi des facultés qui ne peuvent être retenues et fixées que par une image. Et cela est nécessaire, me semble-t-il, à ma prière, car si je ne fais pas ce travail de la mémoire et de l’imagination, mes facultés vont s’envoler, partir s’occuper d’autre chose et je ne pourrai pas rester en prière. Mais il s’agit, maintenant, de prendre le contact avec Dieu. L’imagination et la mémoire ne me donnent pas ce contact, elle ne peuvent créer que des images. Lorsque je veux me rappeler un être cher qui est à distance et que je prends sa photographie ou que j’essaie de me rappeler ses traits, je n’arrive à créer qu’un symbole, mais je n’ai pas de contact vivant avec l’être aimé. Pour le contact vivant il faudrait sa présence, il faudrait que je puisse lui parler, l’étreindre, il faudrait que mon affection puisse pénétrer en lui véritablement pour que s’établisse cet échange vivant. Comment vais-je faire pour atteindre Dieu ainsi, pour réaliser ce contact vivant ? J’ai mon intelligence : Dieu est esprit, et moi-même, je suis esprit, j’ai mon âme qui est cet esprit. Vais-je pouvoir établir ce contact, ainsi, de mon esprit avec l’esprit qu’est Dieu ? Saint Jean de la Croix, le spécialiste de la prière, nous répondra : non, ce n’est pas possible4. Je puis prendre ce contact avec un homme, j’essaie de le faire actuellement avec vous : j’ai dans mon esprit une pensée que je traduis par une parole et, grâce à cette parole que je prononce, la pensée qui est dans mon esprit pénètre dans le vôtre. Il y a véritablement entre nous, actuellement, une communication d’esprit et de pensée. Est-ce que je puis le faire avec Dieu directement ? Non, parce qu’il n’y a pas de commune mesure. Cette communication que nous pouvons établir entre nous est rendue possible par le fait que notre intelligence à tous est finie, c’est-à-dire que le mot que j’emploie et qui traduit la pensée actuellement dans mon esprit, peut entrer dans le vôtre parce que nos esprits, pour ainsi dire, sont de même qualité. Mais avec Dieu, nous nous trouvons devant l’infini ; nous sommes des êtres finis, nous n’avons qu’une capacité limitée et notre intelligence, parce qu’elle est finie, si vaste soit-elle, ne peut pas étreindre cet infini qu’est Dieu. Nous sommes arrêtés par la distance, par le manque de proportion.
Le langage de l’analogie Je sais bien que Dieu a voulu établir cette communication entre lui et nous. Il nous a envoyé le Verbe incarné, qui nous a dit ce qui se passait au sein de Dieu. Notre Seigneur le dit nettement à Nicodème : » Personne ne peut parler de Dieu, de la vie de Dieu, que celui qui en est venu ; lui sait ce qui s’y passe « 5, et il apporte la vérité. Mais le langage qu’a dû employer le Verbe incarné, Jésus, ainsi que l’Église à qui il a donné mission de nous enseigner, n’est qu’un langage » analogique « . Dieu ne peut pas s’exprimer dans une parole humaine parce que la parole humaine est finie et que Dieu est infini. De même que l’océan ne peut pas être contenu dans un vase, de même et surtout, l’infini ne peut pas être exprimé, contenu, dans un mot humain, dans le langage humain, qui est fait uniquement pour la pensée humaine. Pour arriver à nous dire quelque chose de ce qui se passe en Dieu, en cet Être mystérieux et infini, Jésus a employé un langage analogique. Il a traduit en langage humain ce qui est infini et que le langage humain ne pourrait pas exprimer. De même — ceci est encore une comparaison —, quelqu’un qui vient d’un pays étranger où il a vu des choses extraordinaires, et qui veut les expliquer à un auditoire, est obligé de prendre des comparaisons ; il décrit tel animal en disant que sa tête ressemble à ceci, son corps à cela, il fait des comparaisons, pour essayer de traduire quelque chose de ce qu’il a vu : c’est un langage symbolique, un langage analogique. Pour l’infini, Notre Seigneur a agi ainsi ; il a pris, dans ce que nous savons et qui est du domaine de notre pensée, des réalités que nous connaissons, et il a traduit la vérité infinie dans ce langage que nous connaissons et comprenons, qui est dans notre expérience, dans la capacité de notre intelligence. Il nous a donné ainsi les vérités du dogme, notre catéchisme ; les vérités qui y sont exprimées sont donc de ces vérités analogiques. Oh, l’expression est la plus parfaite qui soit et on ne peut rien y changer. Mais cependant, en soi, cette expression n’est pas parfaite. Alors puisque l’expression n’est pas parfaite, nous ne pouvons pas au moyen de cette expression établir complètement pour ainsi dire, une union avec Dieu, il nous faut un autre moyen.
Le contact par la foi Allons-nous donc pouvoir franchir la distance, établir la communication, le contact, l’échange avec Dieu ? Oui, nous le pouvons, Dieu nous en a donné les moyens. Non seulement il nous a donné cette vérité mais il nous a donné, par-dessus tout, la grâce, la vie divine. Nous sommes Dieu par participation, nous sommes les enfants de Dieu. Le chrétien a reçu au baptême un moyen, un instrument, une puissance : la vertu surnaturelle de foi qui va lui permettre d’établir véritablement ce contact, cette union avec Dieu, de franchir la distance entre Dieu infini et nous. Que nous cherchions ce Dieu présent en nous ou dans le tabernacle, nous avons la vertu de foi, qui est une richesse incomparable car elle nous permet d’atteindre Dieu. Au baptême, nous recevons la vie surnaturelle et, comme toute vie, elle a des moyens pour se mouvoir et se développer. Nous avons une vie physique et un corps, des membres, des organes qui lui permettent de se développer, de se mouvoir, de poser ses actes. Nous avons la vie de l’âme et, en cette vie, des facultés, intelligence et volonté, qui lui permettent de s’épanouir et de se développer. De même, cette vie surnaturelle qui nous est donnée au baptême peut agir, se développer, s’épanouir. Elle a pour cela des moyens d’action, elle a, pour ainsi dire, des membres, des facultés, des puissances qui lui permettent d’agir, de poser ses actes propres de vie surnaturelle et de se développer. La première faculté qu’elle possède, la première puissance, c’est précisément cette vertu de foi qui lui permet de pénétrer en Dieu, d’entrer en Dieu. Comment vais-je faire cet acte de foi que nous assimilons à la prière ? Je vais prendre une vérité qui m’est donnée, par exemple » un seul Dieu en trois Personnes « . Voilà l’expression humaine, analogique, de la vérité qui est en Dieu. Je la recueille avec mes sens, je l’ai lue, je l’ai entendue et je la présente à mon intelligence ; mon intelligence l’examine, la discute et voit qu’il n’y a rien de contradictoire : » trois Personnes, une seule nature en Dieu « . Mon intelligence, cependant, ne l’admet pas. Pourquoi ? Parce que mon intelligence ne peut être forcée à l’adhésion d’une vérité que lorsqu’elle lui paraît évidente : deux et deux font quatre et mon intelligence adhère. Mais » trois Personnes en un seul Dieu « , il n’y a pas de contradiction, mais il n’y a pas cependant une lumière telle, une évidence qui m’oblige à adhérer, à dire que c’est vrai. Devant une vérité qui n’est pas évidente, je cherche naturellement quelle est l’autorité qui me la présente, car je sais bien que je ne puis pas me rendre compte moi-même de tout par une évidence extérieure ou intérieure. J’adhère, je crois à bien des choses uniquement parce qu’elles m’ont été affirmées par quelqu’un, et que le témoignage qui m’en est donné me paraît valable. Je n’ai jamais vu l’Amérique, mais on me dit qu’elle existe, et j’ai des témoignages tels que je crois à l’existence de l’Amérique aussi fortement, aussi fermement que si je l’avais vue : voilà le témoignage. Cette vérité : » un seul Dieu en trois Personnes « , qui n’est pas évidente pour moi, m’est affirmée par l’Église : j’examine si l’Église a autorité pour cela, si cette affirmation se trouve dans le dépôt de vérités qui lui a été légué par le Christ. Je découvre en effet que l’Eglise a autorité pour parler au nom de Dieu, que cette vérité particulière lui a été révélée par Dieu, et me voici devant un témoignage. J’ai fait mon travail intellectuel, j’ai fait une enquête, et je me dis : » Puisque cela est affirmé par Dieu, je dois le croire « . Que se passe-t-il maintenant que j’ai reconnu que je dois croire ? Mon intelligence, à ce moment-là, abdique pour ainsi dire ; elle reconnaît qu’elle ne peut pas aller plus loin mais qu’elle est obligée d’adhérer bien qu’elle ne comprenne pas. La foi n’est donc pas dans une évidence que je perçois ; elle est, pour l’instant, dans la force, dans la vérité du témoignage. Lorsque j’en suis à ce point, à ce moment-là, je fais l’acte de foi ; je dis : » Mon Dieu, je crois que vous êtes, je crois que vous existez, et qu’en vous il y a trois Personnes « . Voilà l’acte de foi. Que s’est-il passé ? Grâce à la soumission de l’intelligence qui a reconnu qu’elle ne peut pas aller plus loin et que, cependant, elle doit adhérer ; grâce à cette soumission raisonnable, obsequium rationabile, comme dit l’apôtre saint Paul6, mon intelligence a fait tout ce qu’elle a pu et elle reconnaît maintenant qu’elle ne peut pas aller plus loin, qu’elle ne peut raisonnablement faire qu’une chose, à savoir adhérer à la vérité qui lui est proposée. Est-ce un acte de foi ? Non pas encore. Comme un greffon … L’acte de foi est dans une démarche positive, dans un acte de la vertu de foi qui m’est donnée au baptême. Cette vertu de foi est greffée sur mon intelligence comme le greffon sur le cep de vigne. Nous savons ce que fait le vigneron quand il greffe la vigne : il taille le cep, fait une entaille et y met le greffon dont il désire avoir le fruit. Le greffon est fixé et dans quelques semaines ou quelques mois, il aura fait corps avec le cep de vigne. Nous aurons désormais les racines de la vigne primitive, le cep primitif et, sur ce cep, un greffon de la qualité dont nous désirons avoir les fruits. Dans notre âme, nous avons aussi les sens qui apportent l’aliment à notre intelligence ; cette intelligence est le cep primitif de la vigne ; sur ce cep primitif de la vigne, à savoir l’intelligence, nous avons le greffon de la foi. Le surnaturel, en nous, n’existe pas, pourrions-nous dire, à l’état pur ; il est greffé sur notre nature humaine, sur nos facultés humaines. L’intelligence reçoit la foi : la foi ne pourra pas agir sans l’intelligence. Elle agit en même temps avec la lumière qui lui arrive par l’intelligence et par les sens, de même que le greffon de la vigne reçoit la sève par le cep primitif et par les racines enfoncées dans la terre. Mais ce greffon de la vigne va donner son fruit propre, qui est le sien et non celui du cep primitif. De même, dans l’âme, la foi va produire son acte propre qui n’est pas un acte de l’intelligence, mais un acte de la vertu de foi, un acte surnaturel. Tout à l’heure, nous avons dit que l’intelligence, par ses propres forces, ne peut pas pénétrer en Dieu, parce qu’elle est finie et que Dieu est infini. Mais cette vertu de foi qui m’a été donnée au baptême, en tant qu’organe surnaturel, organe divin, peut pénétrer jusqu’en Dieu. Elle pénètre dans l’essence divine, elle y entre réellement, c’est sa fonction, c’est l’avantage de notre organisme surnaturel : elle pénètre réellement en Dieu, elle fait un acte de connaissance, une pénétration en Dieu.
L’acte essentiel de la prière Nous voici à l’acte essentiel de la prière, qu’il importe de mettre en relief. Quand je prie et que je fais un acte de foi en m’appuyant sur l’énoncé d’une vérité qui m’est donnée dans le catéchisme, en utilisant la formule habituelle de la prière, celle de la messe ou toute autre, j’entre en Dieu, j’établis un contact direct, un contact profond, un contact vivant avec Dieu. Tout à l’heure, nous nous demandions comment arriver à saisir l’infini : l’infini, je le saisis par la foi. Je voudrais bien que nous comprenions tous la valeur incomparable de notre foi. La foi n’a pas seulement comme résultat et bénéfice pour notre âme, de nous éclairer sur ce qu’est Dieu, sur des vérités que nous n’aurions jamais pu saisir uniquement par notre intelligence. Elle a l’avantage incomparable et suprême, d’établir un contact avec Dieu. c’est cela, la prière : ce contact avec Dieu. Dans l’Évangile, presque à tout instant, dans les relations de Jésus avec les foules ou avec les personnes qui viennent lui demander une grâce, nous voyons l’effet de la foi. Lorsqu’on vient demander un miracle à Notre Seigneur, la plupart du temps, il demande : » Avez-vous la foi ? « 7 c’est-à-dire, êtes-vous véritablement en relation avec moi, avez-vous pris contact avec moi, avec la divinité qui est en moi, avec la puissance de ma divinité ? Et quand le contact est établi, le miracle est réalisé. Il arrivera même, parfois, qu’il n’y ait pas de dialogue entre Notre Seigneur et la personne qui vient lui demander une grâce, comme l’hémorroïsse de Capharnaüm qui s’approche de lui et se dit » Oh ! si je réussis seulement à toucher la frange de son vêtement, je serai guérie « 8. En effet, elle touche la frange du vêtement de Notre Seigneur avec foi, et immédiatement elle se sent guérie. Et Notre Seigneur se retourne : » Qui m’a touché ? » Les apôtres lui disent : » Mais tout le monde te presse et tu demandes qui t’a touché ! » Oui, mais quelqu’un l’a touché, c’est la foi qui l’a touché, qui l’a pénétré comme un glaive pour ainsi dire et lui a arraché une vertu.
De même que la Cananéenne9 qui le prie avec foi, de même que le centurion10 qui le prie avec foi, provoquent en Notre Seigneur un tressaillement, l’hémoroïsse a produit un tressaillement dans le Christ. Le centurion provoquera l’enthousiasme : » Je n’ai jamais rencontré une telle foi en Israël… « 11 Cet enthousiasme, ce tressaillement que nous sentons dans le Christ, nous le produisons en Dieu lui-même chaque fois que nous le touchons avec foi, avec une foi ardente. Le voilà, le contact de la prière, la voilà, la valeur de la prière, nous dirions l’essence, la partie essentielle de la prière. La prière, certes, est une attitude extérieure, elle est un recueillement, elle est une pensée ; elle est surtout un contact avec Dieu, c’est en cela qu’elle consiste. Ce contact est pénétrant et quand nous pénétrons en Dieu, que ce contact est établi, il y a un échange véritable : Dieu est un océan, Dieu est un feu, Dieu est une fontaine vive. Chaque fois que nous prenons contact avec Dieu, nous touchons l’océan qu’il est, nous touchons à la flamme, à l’incendie qu’il est, et par conséquent, nous puisons en lui la substance divine, nous pouvons recevoir une augmentation de la participation de la vie divine qu’est la grâce en nous. Il est possible que nous n’obtenions pas la grâce spéciale, temporelle, que nous avons demandée, mais nous recevons bien mieux puisque nous nous divinisons à son contact. Voilà ce qu’est la prière : c’est essentiellement ce contact avec un Dieu vivant, avec un Dieu qui réagit, non pas comme un simple être inanimé, mais comme une personne vivante, par un tressaillement, par un don de lui-même.
II. — L’ACTE HUMAIN PAR EXCELLENCE Cette prière, cette prise de contact avec Dieu, prendra des formes bien différentes. La prière, qui est l’exercice de la vertu de foi, pourra s’exercer dans toute âme qui a la foi. Elle prendra évidemment des formes différentes au point de vue extérieur. Essentiellement, elle sera la même pour tous : ce sera toujours cette prise de contact entre l’être vivant qu’est Dieu et notre âme, par l’intermédiaire de la foi. Mais dans ses formes extérieures en nous, elle prendra des formes bien différentes.
Une foi en éveil Est-ce que l’enfant peut prier ? Mais oui, il le peut. Comment exprimera-t-il sa prière ? Comme un enfant, par un baiser au tabernacle, par un sourire peut-être, par une parole dont nous comprendrons à peine le sens, mais qu’importe ? Il exprime sa prière comme il peut ; mais puisqu’il a la foi, et qu’on lui a dit que Jésus est dans le tabernacle ou en lui, il va pouvoir exercer cette foi, d’une façon non pas explicitée à la manière d’un adulte, mais cependant réelle. Le contact est établi avec Dieu et, par conséquent, l’enrichissement de ce contact sera réalisé en lui. Un peu plus tard, il le prendra avec des images, puis avec une pensée ; mais ce contact, quelle que soit sa forme extérieure, y sera à la mesure de sa foi. Et nous, dans notre prière, nous veillerons bien à prendre contact ainsi, à mettre notre foi en éveil. Notre exercice de prière sera une prière vocale peut-être, mais à la condition qu’elle soit animée intérieurement par la foi, par cet acte de la foi qui est en nous. Elle sera animée peut-être par une méditation ou par le silence. Trop souvent on croit que, pour que la prière soit fervente, efficace, pénétrante, il faut qu’elle soit chargée d’une activité extérieure ou intellectuelle très grande : il n’en est rien. Même dans l’état de fatigue où je n’ai plus la disposition de mes facultés, où je ne puis plus penser, état qui me laissera moi-même insensible, pourvu que cette vertu de foi qui est en moi cherche Dieu, dise sa foi et son amour à Dieu, ma prière sera efficace. La prière est toujours possible, justement parce que l’âme peut toujours faire cet acte intérieur de foi.
Nous sommes faits pour Dieu Nous savons que notre prière, étant toujours possible, pourra devenir continuelle lorsque nous en avons l’habitude ; notre prière doit rester, du moins en tendance et en désir, aussi continuelle que possible. Qu’est-ce que le chrétien ? Certes le chrétien est quelqu’un qui doit affirmer sa foi, son christianisme, par sa charité, son attitude extérieure, l’accomplissement de ses devoirs ; mais, essentiellement, le chrétien est celui qui tend vers sa fin, vers Dieu. Le chrétien, c’est celui qui croit qu’il vient de Dieu, qu’il retourne à Dieu et qu’il est appelé à participer à la vie divine, à se perdre dans la Trinité sainte. Le chrétien croit à cela, il croit que sa véritable vie n’est pas ici-bas, mais dans la Trinité sainte. Car nous sommes faits pour Dieu, nous sommes faits pour le Ciel ; et le Ciel ne consiste pas uniquement à retrouver ceux que nous aimons : le Ciel consiste essentiellement à trouver Dieu, à entrer dans le mouvement de la Trinité sainte. La grâce nous fait enfants de Dieu et, au sein de la Trinité sainte, il y a le Père, le Fils et l’Esprit Saint ; notre grâce nous appelle précisément à nous identifier au Verbe de Dieu, au Fils de Dieu. Le Fils de Dieu s’est incarné, c’est en lui que nous trouvons notre fin, c’est à nous perdre en lui que nous devons travailler. Et c’est en lui que nous trouverons notre bonheur : ce sera de lui être identifié, d’entrer avec lui dans la Trinité sainte, de partager ses opérations, et par là son bonheur. Voilà notre fin, voilà le Ciel : non pas seulement être spectateur de Dieu, mais agir avec Dieu en agissant avec le Verbe, avec le Fils de Dieu. Voilà notre fin, c’est là la vie qui n’aura pas de terme, la vie du Ciel. La prière, le contact avec Dieu, c’est déjà l’exercice de la vie éternelle ; c’est l’exercice du Ciel, c’est la réalisation des opérations que nous ferons dans le Ciel. Notre vie ici-bas ne nous a été donnée que pour préparer cela, pour nous exercer, pour réaliser déjà ce que nous ferons dans le Ciel. Nous le réalisons dans la foi, c’est-à-dire sans la jouissance ; dans le Ciel, nous le réaliserons dans la vision et dans le bonheur parfait. La prière n’est donc pas un incident dans notre vie ; la prière, c’est l’acte chrétien par excellence, c’est la préparation de notre éternité, c’est la réalisation par avance des opérations que nous ferons dans l’éternité.
Puissance de la prière Quand nous regardons la prière de cette façon, cette prise de contact avec Dieu comme l’acte essentiel de l’homme, l’acte humain par excellence — acte humain par excellence car il est déjà un acte divin —, nous voyons l’importance qu’il doit avoir dans notre vie. Je ne parle pas ici de la puissance de la prière au point de vue de la grâce que nous pouvons recevoir, mais de sa puissance en tant qu’elle nous associe à la vie et par conséquent à la puissance de Dieu. C’est Dieu qui mène le monde, et nous avons un moyen pour participer à cette puissance de Dieu et donc à la direction du monde avec lui. C’est par la prière, par le contact avec lui, en nous mêlant à lui, en nous unissant à lui, que nous dirigeons pour ainsi dire, à notre tour et avec lui, le monde. Et sainte Thérèse nous dit que l’âme qui prie, commande tour à tour avec Dieu dans son union12 ; Dieu lui laisse gouverner le monde, à ses moments et à ses heures. Ou plutôt, elle est toute soumise à Dieu mais Dieu qui ne se laisse pas vaincre en délicatesse lui laisse à son tour le gouvernement du monde. Quand nous serons dans le Ciel et que nous verrons les choses dans la vérité, nous serons frappés de voir comment Dieu lui-même a été délicat avec les hommes et les âmes qui lui étaient unies, en leur laissant la direction du monde, en cédant même à leurs désirs dans la direction des événements. Voici la prière, ainsi que dira sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus13, comme une reine, comme une puissance entrant dans le sein de Dieu et dans le gouvernement du monde. On a osé dire parfois que l’âme de prière était une égoïste, qui recherchait des impressions dans la prière et qui délaissait le monde. Oh ! les malheureux qui disent cela et qui n’ont pas compris, bien que chrétiens, ce qu’est la prière, son essence. Non, le moyen de s’intéresser au monde et de pratiquer la charité avec le monde — oh, il en est d’autres, je ne dis pas que ce soit le seul — mais enfin le plus efficace, c’est d’entrer dans ce mouvement de Dieu par la prière. Si vous le voulez bien, retenons justement cela : la prière nous introduit en Dieu, elle nous fait entrer en contact avec lui et, si elle est parfaite, elle nous fait partager en même temps ses opérations. Retenons aussi que ce moyen est à notre disposition : de jour et de nuit, par un acte de foi, nous pouvons entrer en lui, rester en lui. Retenons que Dieu a toujours la porte ouverte pour nous laisser entrer en lui par la prière. Dieu est un feu consumant, une fontaine toujours jaillissante, le bien diffusif de lui-même et, à tout instant par conséquent, il ne dépend que de nous, par un acte de foi, par un acte d’amour, de prendre contact avec lui, de nous vivifier nous-mêmes, de nous enrichir surnaturellement. Il dépend de nous de faire cet acte divin qu’est la prière, d’entrer en Dieu et, quand nous sommes en lui, d’agir sur cette Cause première par le contact que nous avons réalisé et par l’amour que nous lui portons et qu’il nous porte ; d’agir en lui et par lui, pour le bien de notre âme et du monde. Restons simplement sur ces pensées, spécialement celle du contact avec Dieu, et profitons de cette vérité que je voudrais voir entrer profondément dans vos âmes pour qu’elle y devienne désormais une idée-force, une pensée qui vous plonge dans la véritable vie, qui vous plonge en Dieu. Que, plongés ainsi en Dieu, au moins de temps en temps, vous ayez de plus en plus le désir de revenir en lui, de vivre avec lui, et dans ce contact avec lui, de vous diviniser, de devenir une puissance pour ceux qui vous entourent et pour le monde.
NOTES SUR LE SITE (DOCUMENTS)
JÉRUSALEM, MÈRE DE DIEU – Frédéric Manns
10 mars, 2016http://www.christusrex.org/www1/ofm/sbf/dialogue/mere_de_dieu.html
JÉRUSALEM, MÈRE DE DIEU
Frédéric Manns
Dans le dialogue inter religieux Marie tient peu de place, il faut l’avouer. Si les musulmans respectent la mère d’Issa, il n’en est pas toujours ainsi de la part des Juifs. Curieusement, la communauté judéo-chrétienne de Jérusalem, par souci de respect des frères aînés, répète qu’il est impossible de traduire en hébreu l’expression Marie, mère de Dieu, sans provoquer leur indignation. Pour ne choquer personne elle propose de traduire ’em immanouel ou ’em Yeshouah Eloheynou. Le concile d’Ephèse, qui a donné à Marie le titre de Theotokos, a connu les mêmes difficultés et les mêmes réticences. Les objections ne manquaient pas de la part de Nestorius. Malgré tout, l’Eglise a affirmé que Marie est la Theotokos ou la Dei Genitrix. C’est un fait que l’inculturation du message chrétien s’est faite dans le monde hellénistique. Mais, puisqu’il est impossible de réécrire l’histoire à rebours, une réflexion préliminaire doit rappeler la signification de l’expression : Marie, mère de Dieu. Le catéchisme de l’Eglise universelle au paragraphe 466 s’exprime ainsi : « Le Verbe en s’unissant dans sa personne une chair animée par une âme rationnelle est devenu homme. L’humanité de Jésus n’a d’autre sujet que la personne divine du Fils de Dieu qui l’a assumée et faite sienne dès sa conception. Pour cela le concile d’Ephèse a proclamé en 431 que Marie est devenue en toute vérité Mère de Dieu par la conception humaine du Fils de Dieu dans son sein : Mère de Dieu non pas parce que le Verbe de Dieu a tiré d’elle sa nature divine, mais parce que c’est d’elle qu’il tient le corps sacré doté d’une âme rationnelle uni auquel en sa personne le Verbe est dit naître selon la chair ». Plus loin, au paragraphe 495, le catéchisme continue: « Marie appelée dans les Evangiles mère de Jésus est appelée aussi sous l’inspiration de l’Esprit la Mère de mon Seigneur (Lc1,43). De fait, celui que Marie a conçu comme homme par l’action de l’Esprit et qui est devenu son Fils selon la chair est le Fils éternel du Père, la seconde personne de la Trinité. L’Eglise confesse que Marie est la Theotokos ». La traduction hébraïque de Lc 1,43 : ’em ’adony pourrait servir de modèle à une version moderne de l’expression Marie, mère de Dieu. La version syriaque de l’Evangile de Luc avait traduit : ’emeh de mary, Mar étant le titre réservé à Dieu. L’expression Marie “mère de Dieu” ne devrait pas choquer les frères aînés, parce que ce titre est attribué à Jérusalem. Du fait que la ville contient la présence symbolique de Dieu, elle est appelée Mère de Dieu. C’est ce qui ressort du targum du cantique des cantiques III,11 “Sortez, filles de Sion, voyez le roi Salomon avec le diadème dont sa mère l’a couronné, le jour de ses noces, le jour de la joie de son coeur”. “Quand le roi Salomon vint pour célébrer la dédicace du sanctuaire, un héraut cria à haute voix et dit ainsi : Sortez, habitants des districts de la terre d’Israël et peuple de Sion. Et regardez le roi Salomon avec le diadème et la couronne dont le peuple de la maison d’Israël le couronna au jour de la dédicace du Temple . Et réjouissez-vous pour la fête des Tentes pendant quatorze jours .”. Dans ce commentare les filles de Sion sont les habitants de la terre d’Israël et le peuple de Jérusalem. Le Roi Salomon est Dieu. Le nom Salomon indique directement Dieu dans tout le targum. La mère du Roi est le peuple de la maison d’Israël. La couronne que le peuple a posée sur Dieu est le Temple. Israël est mère de Dieu en tant qu’elle contient la présence de Dieu au temple. Le midrash Sifra Lev 9,221 applique la même interprétation à la tente du témoignage du désert après la théophanie du Sinaï. La présence de Dieu au milieu de son peuple fait de ce dernier la mère de Dieu. L’expression « Marie mère de Dieu » en fait ne choque pas plus les frères aînés juifs que l’affirmation de l’Incarnation de Dieu. Ce mystère est refusé également au nom de la transcendance de Dieu. Est-ce à dire que les chrétiens ont renoncé au monothéisme strict pour retourner à la mythologie grecque ? L’accusation est fréquente même dans les milieux ouverts au dialogue inter religieux. La foi au Christ dans la théologie chrétienne se remplit en Marie, mère de Dieu selon l’humanité, d’une lumière nouvelle : paradoxalement Marie ne cesse de dévoiler le visage humain de Dieu. Serge Boulgakov affirme que le secret que Marie dévoile est celui de la maternité de Dieu. L’amour de Dieu a un visage féminin, de nombreux théologiens l’ont rappelé récemment. Marie révèle encore un autre secret : celui de l’Eglise : « Il n’y a qu’une seule Vierge Mère et il me plaît de l’appeler l’Eglise », écrivait Clément d’Alexandrie. « La Mère de Dieu c’est l’Eglise qui prie », affirme de son côté Serge Boulgakov. Il existe donc un lien étroit et profond entre la présence de Marie et l’action de l’Eglise, entre la purification de l’âme en Marie et celle en Eglise. L’auteur de cette purification est l’Esprit de Dieu. Marie et l’Eglise sont les deux manifestations visibles de Celui qui reste invisible. L’Esprit est la Vierge et la Vierge est l’Eglise, selon l’affirmation de Saint Ambroise. Les icônes de Marie aux titres si variés ne font rien d’autre que de souligner les aspects différents de l’Eglise, vierge et mère. Marie est également à l’origine de la mémoire de l’Eglise. Elle méditait tous les souvenirs de l’Eglise des origines dans son cœur. Elle est l’archétype et la personnification de l’Eglise, corps du Christ et Temple de l’Esprit. Enfin, Marie, accueillant Dieu en elle lors de l’annonciation, montre que la nature humaine peut être complètement transfigurée par Dieu. Elle est l’image de l’âme fécondée par l’Esprit qui engendre le Seigneur. La Pentecôte, où Marie est présente comme mère de l’Eglise, n’est autre que la mission de l’Eglise visant à humaniser l’humanité tentée par l’animalité. Curieusement Marie de Nazareth, chantée par le monde entier et peinte par d’innombrables artistes, n’a pas de place dans l’encyclopédie Judaica. Une omission curieuse pour le moins pour la femme juive la plus célèbre dans le monde entier. « Les grands mystiques et les grands athées se rencontrent », disait Dostoïevski. C’est qu’il nous parlent d’un Dieu plus grand que notre cœur, que nos représentations mentales et que nos recherches spirituelles. Ce Dieu se révèle Autre et, pour qu’il vive, nos représentations confortables de Dieu et de Marie, doivent disparaître.