HOMÉLIE DU 4E DIMANCHE DE CARÊME, C
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HOMÉLIE DU 4E DIMANCHE DE CARÊME, C
Jos 5, 10-12 ; 2 Co 5, 17-21 ; Lc 15, 1-3, 11-32
Charles Péguy, qui était revenu à la foi catholique à 35 ans, écrivait à propos de l’enfant prodigue : « Toutes les paraboles sont belles, mais, sur celle-ci, des centaines et des milliers d’hommes ont pleuré : un homme avait deux fils. » C’est en effet la parabole la plus émouvante. La plus vivante. Une grande histoire d’amour. Et sans doute la plus belle image de Dieu. Un Père prodigue, lui aussi, mais de générosité, de miséricorde. Un géniteur de réconciliation. Car la parabole est un drame en deux actes. Histoire d’un conflit entre un père et ses deux enfants, qu’il aime intensément et autant l’un que l’autre. Une histoire qui peut se revivre dans bien des familles. On pourrait la titrer « la parabole des deux enfants perdus » ou bien celle « des deux enfants retrouvés » ou encore « la parabole inachevée » puisqu’il n’est rien dit de la suite. En fait, on peut constater que, dans les commentaires, la prédication, les examens de conscience et les représentations artistiques, on met presque toujours l’accent sur l’enfant prodigue. Et particulièrement sur sa vie dissipée et son travail de gardien de pourceaux. Ce qui est un peu court, mais certainement plus facile. Par contre, Rembrandt a consacré sept dessins, une gravure et une peinture au thème du retour de l’enfant prodigue. Le tableau est des plus célèbres. Un commentateur de cet admirable tableau attire l’attention sur un symbole génial des deux mains du père accueillant l’enfant perdu, l’une serait une main d’homme, la seconde une main de femme. La première saisit, assure, l’autre caresse et adoucit. Un Dieu Père et Mère. Une évocation très biblique. Heureux les enfants d’une telle Mère qui est Père. Mais comment se comportent les deux fils ? Très mal. Chacun à leur manière. Car il ne faut surtout pas se fier aux apparences. Sachez d’abord qu’au départ la parabole s’adressait au peuple d’Israël, le fils chéri de Dieu. Et même son fils unique, enseignait-on dans les synagogues. Quant aux païens, ils n’étaient que des créatures enfoncées dans le péché. Des mangeurs de porcs. Et certainement pas des fils. Un problème qui divisait aussi les premières communautés chrétiennes. Mais Jésus, puis ses apôtres, les avaient élevés au rang de dernier-né, de benjamin, égaré sans doute, éloigné, mais pas nécessairement plus pécheur que le fils aîné. D’où l’attitude choquée et la grogne des fidèles et pieux pharisiens. En fait, les deux fils sont tous deux des pécheurs. Le péché fondamental du cadet est manifeste : son égoïsme. Un égoïsme qui se traduit en termes de propriété et donc d’exigence envers son père. Impatient et gourmand, il ne veut pas attendre que son père soit mort. Il réclame son dû. Il a droit à un tiers de la fortune paternelle. Et bien, qu’il le prenne, dit le père, l’amour ne se négocie pas. Ou, comme dit le Cantique des cantiques: « celui qui offrirait tous ses biens pour obtenir l’amour ne récolterait que mépris » (8, 7). Le cœur du Père et Mère n’en est pas moins déchiré. L’aîné, tout au contraire, c’est une perle, un fidèle, un parfait, un obéissant. L’exemple même des croyants qui honorent le Père, le célèbrent dans le culte, observent sa loi. Un portrait dans lequel nous sommes toujours prêts à nous reconnaître. Mais, comme les auditeurs de Jésus, scribes et pharisiens, ce bon fils pratique, a lui aussi un égoïsme de propriétaire. Comme eux, il est convaincu que la fidélité crée des obligations à Dieu. Je suis fidèle, Dieu me doit le salut. C’est pourquoi, enfermé dans sa suffisance et drapé de vertu, l’aîné déroule la liste de ses mérites. Je suis laborieux, régulier, efficace, respectueux et fidèle. Je n’ai rien à me reprocher. Il sait obéir, en effet, mais il ne sait pas aimer. En définitive, il est tout aussi égoïste que son frère cadet. Comme lui, il pense en termes de propriété et de droit. Il y ajoute même les privilèges. De même, le peuple fidèle, et les plus fidèles d’entre eux, les pharisiens, croyaient au privilège de la venue d’un Messie pour eux seuls. Pas question de le partager avec les païens qui n’observaient pas la loi. Et donc tout juste bons à être condamnés. C’est ainsi qu’une fidélité peut devenir source d’orgueil spirituel, jusqu’au refus du dialogue interreligieux et même du dialogue œcuménique, dirions-nous aujourd’hui. L’invitation au festin des retrouvailles et de la réconciliation sera la goutte qui va faire déborder la coupe. Et le fils fidèle va se révéler tel qu’il est : colérique, jaloux et agressif. Il accuse même son père de favoritisme et lui reproche de vouloir festoyer avec un coupable. Mais la pratique de Dieu ne relève pas d’exigences dues au devoir, mais bien des exigences d’un amour sans frontière. Il peut même réunir ses enfants par des chemins différents, aussi bien par celui de la révolte que par celui de l’obéissance. La parabole reste ouverte. C’est à chacun de nous d’en écrire la suite. Que fera l’aîné ? Manger avec son frère « impur » ou rester muré dans sa colère ? Et la parabole ne dit pas qu’une réponse positive est facile et va de soi. Voilà pour la parabole de l’évangile. Mais l’actualité, elle aussi, nous livre parfois, sur le même thème, d’authentiques paraboles. Des paraboles incarnées dans le quotidien d’aujourd’hui. Ainsi ce père palestinien, qui décide de donner les organes de son fils à une banque d’organes, sachant que de jeunes israëliens pourraient en bénéficier. En effet, grâce à ce geste fou et quasiment incroyable, trois enfants israëliens ont été sauvés. Il ne s’agit pas d’une légende, ni d’un conte de fée. C’est un fait réel. Une parabole vivante. La plus belle image de Dieu.
P. Fabien Deleclos, franciscain (T)
1925 – 2008
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