Archive pour février, 2016
PENSÉES – VIEILLESSE – ÂGE MÛR
15 février, 2016http://www.bible-notes.org/pensee-933-vieillesse-amp-nbsp-amp-nbsp-age-amp-nbsp-mur.html#content
PENSÉES – VIEILLESSE – ÂGE MÛR
Ces pensées, exprimées par différents serviteurs de Dieu, sont destinées à l’encouragement des lecteurs chrétiens.
Même les petits efforts deviennent des fardeaux, « quand les deux battants de la porte se referment sur la rue… Quand aussi on craint ce qui est haut, et qu’on a peur sur le chemin… et que la sauterelle devient pesante » (Ecc. 12 : 4-5). Mais le Seigneur ne nous demande pas au delà de ce qu’Il nous a donné. Il dit : « Va avec cette force que tu as » ( Jug. 6 : 14). La requête présentée par le psalmiste est touchante : « Ne me rejette pas au temps de ma vieillesse ; ne m’abandonne pas quand ma force est consumée » (Ps. 71 : 9). La réponse divine se trouve au chapitre 46 d’Esaïe : « Jusqu’à notre vieillesse je suis le Même, et jusqu’aux cheveux blancs, je vous porterai… et je délivrerai » (v. 4). Dieu pourrait-il délaisser son serviteur lassé par un pèlerinage éprouvant ? C’est impossible (Ps. 37 : 25). Soyons prêts à encourager un frère âgé, affaibli, découragé peut-être en marchant sur les traces de notre Modèle (Luc 7 : 13). Pour tout serviteur de Dieu, voir ses forces décliner est un moment difficile. La sollicitude affectueuse et respectueuse de ses frères plus jeunes peut l’atténuer (Lév. 19 : 32). Quelles que soient nos infirmités, ne baissons pas les bras. Dieu veut être notre force. La Parole de Dieu abonde en exemples d’une vieillesse qui porte des fruits pour Dieu (Ps. 92: 14). Citons Caleb. Il peut s’écrier, à 85 ans : « Telle que ma force était alors (45 ans auparavant), telle ma force est maintenant, pour la guerre, et pour sortir et entrer » (Jos. 14 : 9-15). Citons aussi Barzillaï (2 Sam. 17 : 27-29 ; 19 : 19) et Anne (Luc 2 : 36-38). Tous ceux qui avancent en âge peuvent prendre part à plus d’un service précieux. Tel celui cité au Psaume 71 : « annoncer ton bras à cette génération, ta puissance à ceux qui viendront » (v. 18). La louange aussi (v. 8, 14, 22-23). L’intercession ne connaît aucune limitation liée à l’âge. Paul nous a laissé un exemple bienfaisant d’une telle activité soutenue en faveur de ses frères. « Jusqu’à votre vieillesse, je suis le Même, et jusqu’aux cheveux blancs, je vous porterai » (Es. 46 : 3). Vieillir, c’est accepter les rides du visage, la neige des cheveux, comme de chers présents qui veulent nous dire, en leur simple langage : « le déclin est venu ; sur toi, la nuit descend ». Vieillir, c’est constater la faiblesse croissante de nos corps lassés par de rudes travaux, notre oeil moins assuré, notre marche plus lente, et les moindres ennuis devenant des fardeaux. Vieillir, c’est aussi revenir en arrière, revivre le passé si riche en souvenirs, songer aux disparus, partis dans la lumière, vers laquelle, souvent, tendent tous nos désirs. Vieillir, c’est regarder la route parcourue, regretter nos erreurs, notre manque de foi, et bénir notre Dieu qui prépare l’issue de nos sombres tunnels, en calmant notre émoi. Vieillir, c’est par la foi, voir la porte entr’ouverte, que Dieu dans son amour révèle à notre c½ur ; c’est faire toujours plus l’heureuse découverte que ceux qui L’ont aimé possèdent le bonheur. Vieillir c’est avancer sans regrets, sans alarmes, en nous réjouissant des dernières clartés qui nous font oublier nos peines et nos larmes, répandant en nos c½urs paix et sérénité.
LA CONNAISSANCE MYSTIQUE DE DIEU CHEZ LE JUIF PAUL » PAR LE CARDINAL ANDRÉ VINGT-TROIS.
15 février, 2016http://www.paris.catholique.fr/990-6-Conference-du-Cardinal-Andre.html
5 AVRIL 2009, CONFÉRENCE DE CARÊME : « LA CONNAISSANCE MYSTIQUE DE DIEU CHEZ LE JUIF PAUL » PAR LE CARDINAL ANDRÉ VINGT-TROIS.
« Prendre Dieu au sérieux » Le cœur de la personne et de l’œuvre de saint Paul se cache en un lieu secret, où sa vie s’est décidée et à partir duquel elle a reçu la fécondité à laquelle les conférenciers de cette année ont rendu témoignage. Je propose de nommer ce cœur de la vie de Paul sa « connaissance mystique de Dieu ». Pour bien comprendre ces mots, je partirai d’une définition ou plutôt d’une description de la mystique, simple et sans doute incomplète, mais fidèle à l’expérience chrétienne et ouverte à d’autres traditions : est mystique celui qui prend Dieu au sérieux. La Bible dit que Dieu se donne librement comme il veut, quand il veut, à qui il veut. Cette expérience juive et chrétienne inclut une révélation essentielle : Dieu est personnel, Dieu est Sujet. Il possède lui-même cette perfection suprême de l’existence que nous goûtons nous aussi, quand nous nous engageons, dans les relations humaines les plus concrètes et les plus importantes, par des actes où s’exprime et se façonne l’unité spirituelle et corporelle des hommes et des femmes que nous sommes. La Bible transmet d’âge en âge l’expérience de l’amour et de l’amitié personnels de Dieu pour les hommes. En choisissant et en aimant le peuple d’Israël, dont il fait son témoin dans l’histoire, Dieu le singularise, le particularise pour le bien de toutes les Nations. Il lui révèle le mystère enfoui au cœur de toute créature, malgré la déformation des violences et des égoïsmes. Ce mystère est le suivant : nous sommes tous porteurs d’une dignité native, universelle et inamissible. Nous sommes et devenons des personnes, des sujets, donnés et révélés à nous-mêmes par la rencontre d’un Autre. Si Dieu se donne librement, il se reçoit librement. Le don de Dieu est identique pour tous, puisque c’est Dieu lui-même qui se donne, mais chacun le reçoit singulièrement, car Dieu est personnel et sa rencontre personnalise. Qu’est-ce qu’une personne ? Les philosophies, les sciences, les religions cherchent à le dire de multiples manières. Il n’est pas en notre pouvoir de décider qui est personne et qui ne l’est pas. Je dis simplement, à partir de l’expérience biblique, qui exprime ce que tout homme sait plus ou moins clairement : une personne ne se révèle à moi qu’en m’engageant personnellement envers elle. Le mystère de Dieu ou de l’homme ne se reconnaît qu’en risquant dans la confiance le tout de mon être dans la rencontre avec lui. La foi-confiance est le meilleur chemin de la connaissance d’une personne. Une telle expérience est partagée par tous ceux qui, à travers le temps et l’espace, prennent soin des plus fragiles d’entre nous. Celui qui accueille un pauvre, ou un étranger, dans sa famille, à un repas de Noël ou de Pâques ; celui qui se met en état de recevoir les gestes d’affection d’un malade ou d’une personne handicapée ; celui qui fait grandir et éduque un enfant, ou visite un vieillard en partageant sa vision du monde et en apprenant de lui les trésors d’humanité qu’il recèle en propre… tous ceux qui accueillent une personne reçoivent d’elle une lumière qui illumine l’intime de leur cœur. La vie mystique offre une rencontre de cette nature avec Dieu lui-même. Est mystique celui qui cherche à correspondre au don reçu de Dieu, à L’accueillir « en personne », dans la pleine mesure de liberté où Il se donne. Nous connaissons de ces « mystiques » ordinaires : l’enfant qui se prépare à la première communion ; la mère qui exulte de joie en son futur enfant ; l’homme mûr en danger de mort qui se confie à Dieu ; le médecin qui, comme Ambroise Paré, sait dire : « Je l’ai soigné, Dieu l’a guéri » ; le savant qui poursuit avec assiduité la vérité qui se cache dans l’admiration que lui inspire le cosmos ; l’artiste qui interroge les secrets de ce monde et renouvelle l’événement de la rencontre du Logos et de la chair… Les « retournements » de Saul de Tarse, d’Alphonse Ratisbonne, de Paul Claudel, d’Etty Hillesum, d’André Frossard sont des expériences mystiques extraordinaires qui confirment la portée de l’expérience ordinaire de la richesse inouïe de la vie et du réel, que nous faisons tous un jour ou l’autre. La grâce mystique est une visite de Dieu. Elle est toujours surnaturelle, car le mystère divin opère en nous ce qu’il signifie pour Dieu. Elle renouvelle la nature humaine, car le don reçu de Dieu appelle une réponse personnelle, fidèle et courageuse, sans laquelle il ne peut y avoir vraiment de rencontre, d’alliance et de salut. Le sceau d’authenticité de la mystique se trouve dans les œuvres désintéressées que la visite de Dieu donne d’accomplir, dans la communion de Marie, qui écoute la Parole, et de Marthe, qui la met en pratique. Thérèse d’Avila fut mystique dans sa description des « Demeures » de l’union avec Dieu comme dans le récit des « Fondations » par lesquelles elle a renouvelé l’Église. Pour le mystique, la connaissance de Dieu n’est pas une abstraction, mais un événement décisif, une rencontre et une attente qui ne cessent d’appeler sa réponse. Il y a rencontre mystique dès que le rationaliste ou le sceptique qui sommeille en nous est bousculé, ou vaincu. Dieu ne se réduit plus à une réalité purement extérieure, ou, pire encore à une divinité enfermée dans les images figées d’un catéchisme colorié ou d’une connaissance aseptisée. Dieu, le premier, connaît et aime mystiquement l’homme, chaque être humain. Il n’est pas enclos,- et relégué- dans le ciel, dans l’avenir ou dans le passé, mais il est une Réalité pleinement active, un Autre qui nous révèle comme personnes. La révélation du « Je Suis » ne s’arrête pas à la confession de foi qui dit : « Tu es », mais, dans l’amitié avec Lui, elle conduit à dire : « Je suis avec Toi, aimé par Toi et t’aimant ». C’est pourquoi les mystiques comparent souvent leur expérience à celle des amoureux, des fiancées, ou à des époux, qui nouent des relations de personne à personne, relations où ils sont engagés entièrement, et libérés entièrement, envers Dieu et envers eux-mêmes. Ils deviennent eux-mêmes par la rencontre de l’Autre, comme Henri Bergson l’avait montré . Avec les mots du Cantique des cantiques, Thérèse d’Avila et Edith Stein parlent de la mystique comme de Noces : « (L’union mystique est) l’aboutissement à la fois de l’amour de la créature qui aspire et désire (amor, eros), et de l’amour de Dieu qui se penche avec miséricorde sur sa créature (caritas, agapè). Au point où ces deux amours se rencontrent, l’union peut petit à petit se réaliser » . Dieu dilate à Sa mesure les capacités d’accueil du cœur qui Le reçoit. Il ouvre son Intimité à qui lui ouvre son intimité, car son Être est personnel et le cœur humain est la source de la vie personnelle et le lieu approprié d’une rencontre en vérité . Ainsi peut-on décrire le lieu et l’enjeu de toute expérience mystique, de toute rencontre au cœur entre l’homme et son Dieu. Dans ce cadre les rencontres personnelles que chacun peut faire avec son Dieu trouvent toute leur singularité. Celle de Paul de Tarse également. Nous allons à présent dégager quelques traits propres à la manière selon laquelle Paul de Tarse a rencontré cet amour et accepté de prendre Dieu au sérieux. 1. L’Alliance comme terreau de l’expérience mystique de Paul et la rencontre du « Messie crucifié » (1 Corinthiens 1, 23) Il nous faut premièrement nous rappeler que Saul de Tarse a grandi dans le peuple d’Israël. Il appartient au peuple de l’Alliance conclue par Dieu avec Abraham et confirmée avec Moïse. Paul n’a jamais reniée cette appartenance. Le judaïsme est une école pour prendre Dieu au sérieux en raison de l’élection : les promesses, la Loi, la connaissance de Dieu, sa miséricorde envers les pécheurs, sa fidélité dans les épreuves, sa Parole éclairant l’histoire, la mémoire des prophètes, la promesse des renouveaux messianiques, la louange des psaumes, les pèlerinages à Jérusalem, le culte, le sacerdoce, l’étude de la Tora, l’adoption filiale (Romains 9-11)… sont le support et la clé de l’expérience de Saul sur le chemin de Damas. Mais celle-ci marque une nouveauté dans le parcours de Paul. Pour l’apôtre des nations, il y a un saut qu’il convient de comprendre entre la défense zélée de l’héritage de ses pères, et l’accueil de Dieu dans la figure du Christ crucifié. Saul a en effet d’abord vécu comme une épreuve la rencontre de la Voie de Jésus. Cette épreuve l’a conduit à la violence et il s’est fait le persécuteur des premiers disciples juifs de Jésus (Actes 7-9). Cette violence, comme toutes celles qui se déchaînent de tous temps entre croyants, mesure l’écart qui demeure entre le cœur malade de l’homme, même sincèrement religieux, mais encore idolâtre, et la sainteté manifestée dans la justice et la douceur de Jésus dont Saul de Tarse va faire l’expérience bouleversante. Et par la rencontre de Jésus de Nazareth, « livré pour nos fautes et ressuscité pour notre justification » (Romains 4, 25), vont être dévoilés pour Paul les trésors d’amour et de vérité dont est porteuse la tradition de ses pères et de ses Maîtres, les Sages d’Israël. La rencontre de Dieu dans le Messie crucifié (Actes 9) devient alors le centre à partir duquel il reprend et réfléchit toute la révélation. « Je n’ai rien voulu savoir parmi vous sinon Jésus Christ et Jésus Christ crucifié » (1 Corinthiens 2, 2). Le Fils de Dieu a assumé la faiblesse et la folie humaines, selon le dessein « mystérieux » de l’incarnation, afin de dévoiler la sagesse et la puissance de Dieu (1 Corinthiens 2, 7-9). Ce retournement touche en profondeur l’existence même de Paul : « Ma vie dans la chair, je la vis dans la foi au Fils de Dieu qui m’a aimé et s’est livré pour moi » (Galates 2, 21). Le destin du Messie, rejoignant celui de son peuple et de tout innocent persécuté, exprime l’amour et l’humilité de Celui qui s’est fait fils d’Adam pour récapituler en lui l’histoire (Ephésiens 1, 10), devenir le nouvel Adam et le Premier-né de la création nouvelle. « Si par la faute d’un seul –lit-on dans la lettre aux Romains – la multitude est morte, combien plus la grâce de Dieu et le don conféré par la grâce d’un seul homme, Jésus Christ, se sont-ils répandus à profusion sur la multitude. » (Romains 5, 15) La Pâque du Christ est l’étape décisive du travail d’enfantement de la nouvelle création promise, libérée du péché et de la mort (Romains 8, 22-23). « Il vous faut abandonner votre premier genre de vie et dépouiller le vieil homme, qui va se corrompant au fil des convoitises décevantes, pour vous renouveler par une transformation spirituelle de votre jugement et revêtir l’homme nouveau qui a été créé selon Dieu dans la justice et la sainteté de la vérité. » (Ephésiens 4, 22-24) Le Christ a été conduit à son accomplissement par ses souffrances et sa résurrection et est devenu le grand prêtre fidèle et miséricordieux dont les hommes éprouvés ont besoin (Hébreux 2, 17-18). L’enseignement de Paul, et de la tradition juive, sur la valeur expiatoire du martyr du Christ-Messie et de ses témoins pour le pardon des péchés n’est ni dolorisme ni ressentiment, mais reconnaissance de la puissance suprême de la douceur pour la réparation et la rédemption d’un monde violent, dans lequel l’amour divin n’est pas aimé et la dignité absolue de l’homme bafouée. Ainsi donc, le Christ Jésus a traversé la condition humaine dans la fidélité envers Dieu et l’amour des hommes et inauguré l’Alliance nouvelle et éternelle promise par les prophètes. Celui que Paul rencontre est celui qui est le salut de tous les hommes (1 Timothée 2,4) et qui va faire de lui l’apôtre des nations. 2. « Appelé à être apôtre » (Romains 1, 1) Voici le deuxième point que nous voudrions développer : Pour Paul, la rencontre du Christ et la mission d’apôtre qu’il reçoit ne peuvent être séparées. Il est visité par Dieu pour en être le serviteur. L’expérience de l’élection, qui constitue Israël comme serviteur de Dieu et prêtre pour les Nations, commence avec l’histoire d’Abraham : « En toi seront bénies toutes les tribus de la terre » (Genèse 12, 3). Elle se poursuit quand Moïse transmet aux fils d’Israël, rassemblés au pied de la montagne sainte du Sinaï, la parole qui prépare le don de la Loi et appelle à la garder fidèlement : « Tu seras pour moi un royaume de prêtres » (Exode 19, 6). Paul a vécu l’expérience de l’élection, à la manière de Jérémie, comme un appel, une vocation, qui a décidé de son existence orientée vers l’universel : « Quand Celui qui, dès le sein maternel, m’a mis à part et appelé, daigna révéler en moi son Fils… » (Galates 1, 15-16). Cet appel l’a changé et révélé à lui-même : il a renoncé à toute violence religieuse, acceptant plutôt le sort des persécutés, non par complaisance envers la douleur, mais par amour du Christ et pour témoigner du don d’une vie plus grande à laquelle tous sont appelés : « ainsi donc la mort fait son œuvre en nous et la vie en vous » (2 Corinthiens 4, 12). Saul le persécuteur choisira pour lui-même le nom de Paulus, qui signifie justement « petit ». Paul a compris l’expérience chrétienne comme une élection et une vocation : le baptême fait des disciples du Messie des apôtres de l’Evangile, des témoins de la vérité sur Dieu et sur l’homme révélée dans la vie et la personne de Jésus de Nazareth. A la lumière de la croix et de la résurrection du Christ, il comprend l’existence humaine comme un appel universel à connaître le Créateur et Sauveur de l’homme (Romains 4, 17). L’élection chrétienne ne supprime pas l’élection juive. Elle ne la remplace pas. Elle la confirme en y insérant, selon les promesses, les disciples du Messie venus des Nations (Romains 9-11). « Les dons de Dieu sont sans repentance » (Romains 11, 32) et la présence de Jésus n’annule pas la mission du peuple qu’il vient sauver. Ceux que Jésus agrège au Peuple saint peuvent désormais chanter avec lui les louanges du Dieu d’Israël et témoigner de l’unité du genre humain. L’assemblée des disciples du Christ, qui a reçu la visite messianique et le don de l’Esprit consolateur, doit désormais, pour accomplir les Ecritures, porter aux Nations « l’annonce du salut » que le premier Testament appelle déjà un « évangile » : « Qu’ils sont beaux sur les montagnes les pieds du messager qui annonce la paix, du messager de bonnes nouvelles qui annonce le salut, qui dit à Sion : ‘Ton Dieu règne’ ! » (Isaïe 52, 7 ; cf. Romains 10, 15). Jésus a formé ses disciples, dès avant Pâques, pour qu’ils annoncent et étendent le Règne de Dieu. Dans le Christ ressuscité agissant par ses apôtres, Paul reconnaît l’accomplissement de la prophétie d’Isaïe : « C’est trop peu que tu sois pour moi un Serviteur pour relever les tribus de Jacob et ramener les survivants d’Israël : Je fais de toi la lumière des Nations pour que mon salut atteigne aux extrémités de la terre » (Isaïe 49 6 ; cf. Actes 13, 47). _ L’annonce de l’évangile aux Nations ne signifie jamais pour Paul une rupture de la relation avec les Juifs ; il s’en défend à plusieurs reprises (cf. Actes 26 ; 28, 17-29 texte occidental). Il enseigne au contraire que la gloire d’Israël est l’objet de sa prière intense et de son espérance (Romains 9, 1-5 et 11, 11-15). Paul, théologien et mystique, est responsable de communautés mixtes de croyants, venus d’Israël et des Nations, pour lesquelles il cherche un mode de vivre ensemble en s’appuyant sur la charité afin de discerner les chemins de Dieu (1 Corinthiens 12-14 ; Romains 14). Ces pages de son enseignement doivent aujourd’hui être relues de manière approfondie grâce au nouveau dialogue et à la nouvelle estime mutuelle entre juifs et chrétiens, après des siècles de quasi séparation. Paul, lu dans le contexte de l’ensemble des Ecritures et à la lumière de la tradition d’Israël et de l’Église, peut nous aider, avec nos frères juifs, chacun à notre manière, à mieux comprendre notre mission aujourd’hui dans le monde. La mystique paulinienne de l’élection débouche sur le concept théologique original d’un « universel centré » où la dialectique d’Israël et des Nations joue un rôle important. L’élection d’Abraham apportait un principe d’unité après la confusion de Babel (Genèse 11). A la première Pentecôte chrétienne, en témoignage d’universalité, l’Église des disciples juifs de Jésus parlait déjà toutes les langues. Le salut promis par les prophètes à toutes les Nations est figuré dans la Bible par le pèlerinage à Jérusalem qu’annonce Isaïe (2, 1-5) et l’Evangile atteint les Nations en empruntant pour se répandre les chemins de la diaspora juive (Actes 2, 1-13). La Bible adresse un appel à toutes les Nations en dessinant la figure d’une histoire commune de l’humanité qui respecte et favorise chaque Nation dans sa différence. La foi chrétienne donne ainsi la main à la raison politique pour affirmer que l’unification de l’humanité ne peut ni résulter d’un impérialisme ni se renoncer dans l’indifférence ou l’apartheid, mais qu’elle demande un engagement éthique de chaque Nation pour accéder à un Bien commun universel de l’humanité. L’enracinement de l’Église en Israël appartient à son mystère, comme l’a enseigné le Concile Vatican II (Nostra aetate n° 4). L’Église est catholique parce qu’elle est « dans le Christ comme le sacrement de l’union intime avec Dieu et de l’unité du genre humain » (Lumen gentium n° 1), or le genre humain est composé, pour le théologien qu’est saint Paul, d’Israël et des Nations. Une conception de l’universel qui s’arracherait à la particularité d’Israël manquerait le véritable apport de Paul et du christianisme à l’histoire des religions, comme à l’anthropologie ou à la philosophie politique. La sagesse biblique juive et chrétienne est bienveillante envers les efforts que l’humanité consent pour s’unifier, mais elle affirme que le rassemblement universel de l’humanité, s’il se prépare dans l’histoire, ne peut s’achever sans un acte transcendant l’histoire, déjà à l’œuvre dans l’histoire depuis l’élection d’Abraham. C’est un acte de Dieu que l’Église nomme avec saint Paul « la parousie du Christ » et qui mettra fin à la mort et au péché, et à ce que Paul appelle le « mystère de l’impiété » (2 Thessaloniciens 2, 6-8). Il faut méditer dans la foi cette dimension eschatologique de l’histoire, mais on doit aussi en examiner la signification religieuse du point de vue de la raison, car « l’apparition du Christ au sein du peuple juif » est un phénomène qui, « même pour l’incroyant, mérite une longue méditation » . La parabole de l’olivier franc nous fait entrer dans la théologie de l’histoire de Paul : dans le Christ, fils d’Israël, les Nations sont greffées sur l’olivier franc du Peuple de Dieu. Cela peut provoquer jalousie et rancune mutuelles. Les chrétiens doivent entendre cet avertissement aussi ancien que le Nouveau Testament : « ce n’est pas toi qui portes la racine, c’est la racine qui te porte » (Romains 11, 18). L’Église est nommée le corps du Christ parce qu’elle est le lieu où s’inaugure une décisive réconciliation des juifs et des païens par la foi au Messie crucifié et ressuscité : « Rappelez-vous qu’en ce temps là vous étiez sans Christ, exclus de la cité d’Israël, étrangers aux alliances de la promesse, n’ayant ni espérance ni Dieu en ce monde » (Ephésiens 2, 12). « Aussi soyez accueillants les uns pour les autres, comme le Christ le fut pour vous à la gloire de Dieu. Je l’affirme en effet, le Christ s’est fait serviteur des circoncis à l’honneur de la véracité divine, pour accomplir les promesses faites aux patriarches, et les nations glorifient Dieu pour sa miséricorde » (Romains 15, 7-9). Il nous faut le rappeler sans fin !
3. L’accomplissement des temps Troisièmement, il nous faut encore comprendre l’urgence dans laquelle se déploie la mystique de l’Apôtre des nations. « Le temps se fait court » écrit-il (1 Co 7,29). Paul vit avec sérieux l’urgence de ce nouveau temps et l’annonce avec force : « l’amour du Christ nous presse » et nous invite à vivre en hommes nouveaux « selon la vérité qui est en Jésus » (Ephésiens 4, 21). « Nous vous en supplions au nom du Christ : laissez-vous réconcilier avec Dieu ! » (2 Corinthiens 5, 14. 20). Les concepts bibliques d’ « accomplissement » et de « nouveauté » sont au cœur de la mystique de Paul, juif et apôtre des Nations. Pour Paul, l’accomplissement que le Christ inaugure est d’abord l’accomplissement des temps : « Quand vint la plénitude des temps, Dieu envoya son Fils, né d’une femme, né sujet de la Loi, afin de racheter les sujets de la Loi, afin de nous conférer l’adoption filiale » (Galates 4, 4). La plénitude des temps est le temps de la plénitude : non pas la fin de l’histoire, ni un surcroît quantitatif de temps, mais un processus qui donne au temps une qualité nouvelle, plénière. Chaque instant devient une porte par où entre le Messie, une porte du Royaume . « Le temps se fait court… car elle passe la figure de ce monde » (1 Corinthiens 7, 29. 31). Comme Paul le dit au sujet de l’Eucharistie : « Chaque fois que vous mangez ce pain et buvez cette coupe, vous annoncez la mort du Seigneur jusqu’à ce qu’il vienne » (1 Corinthiens 11, 26). La plénitude des temps est un événement messianique ; elle a une dimension anthropologique et universelle. L’incarnation et la résurrection du Christ restaurent l’unité de la chair et de l’Esprit, blessée par le péché et par la mort ; elles concernent donc tous les hommes, qui tous naissent et doivent mourir. Dieu est le créateur et le sauveur de tout homme et de tout l’homme, c’est pourquoi tout enfant des hommes a droit au respect absolu de sa dignité personnelle de la conception à la mort. Divisée en elle-même par le péché (Romains 7, 22-23), l’humanité retrouve son unité par le salut du Christ. Ce message mystique de Paul n’a pas fini d’interroger la conscience des hommes, qui est le cœur secret de l’histoire, et de susciter, bien au-delà de l’Église, des progrès dans la quête de la justice. Saint Paul a expérimenté et nommé la fragilité de l’homme et chanté la puissance de salut du Christ. Nul ne peut se sauver par ses actes, mais en étant conformé au Christ en qui est accompli le salut. « Vous tous, baptisés dans le Christ, vous avez revêtu le Christ » (Galates 3, 27). « Ainsi la Loi nous servit-elle de Pédagogue jusqu’au Christ pour que nous obtenions de la Foi notre justification » (Galates 3, 24). Entre la Loi donnée à Moïse et la Foi du Christ, il n’y a pas pour Paul opposition et rupture, mais unité et accomplissement dynamique. Le précepte : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » accomplit la Loi (Romains 13, 9), et le Christ en a dévoilé la pleine signification. La charité est le chemin de l’unification et de l’authentique libération de chacun et de tous. « Vous en effet, mes frères, vous avez été appelés à la liberté, seulement que cette liberté ne se tourne pas en prétexte pour la chair, mais par la charité mettez-vous au service les uns des autres » (Galates 5, 13). Par l’Esprit Saint, la charité est répandue dans les cœurs (Romains 5, 5) pour en faire des cœurs de chair, partageant les sentiments du Christ (Philippiens 2, 1-11). « Maintenant demeurent ces trois : foi, espérance, charité, mais la plus grande d’entre elles, c’est la charité » (1 Corinthiens 13, 13). L’Eucharistie, qui unit ses disciples du Christ à son offrande, leur donne de vivre par Lui, avec Lui et en Lui. En prescrivant au soir de la Cène : « vous ferez cela en mémoire de moi » (1 Corinthiens 11, 23-25), selon la formule que Paul transmet aux Corinthiens, le Christ désigne l’Eucharistie comme le mémorial et l’actualisation de l’offrande de sa vie. Par elle, l’Église devient sacramentellement le Corps du Christ en tout temps et en tout lieu. « Nul n’a haï sa propre chair, on la nourrit au contraire et on en prend soin. C’est justement ce que le Christ fait pour l’Église : ne sommes-nous pas les membres de son Corps ? » (Ephésiens 5, 29-30) La résurrection sera l’unité enfin accomplie de l’esprit et de la chair, dont la communion au corps du Christ donne le gage et les arrhes. La résurrection du Christ suscite et garantit l’espérance de la foi dès ses premiers pas : « si les morts ne ressuscitent pas, le Christ non plus n’est pas ressuscité » (1 Corinthiens 15, 16). L’espérance n’est pas la conséquence consolante de la foi, mais un élément interne de son dynamisme. Car la foi n’est pas d’abord un acte intellectuel, mais une connaissance personnelle et mystique du Christ : « le moyen de posséder déjà » la résurrection « espérée » (Hébreux 11, 1).
4. « Tout Israël sera sauvé » Romains 11, 26 L’accomplissement des promesses en Jésus et l’avènement des temps nouveaux semblent cependant échapper à la plus grande part du Peuple de l’Alliance. Il nous faut finalement saisir avant de conclure comment la relation mystique de Paul et de son Seigneur intègre ce qui apparaît comme un manque. Israël, peuple de Dieu est pour toujours son fils aîné : « Quand Israël était jeune, je l’aimais et d’Egypte j’ai appelé mon fils » (Osée 11, 1 ; cf. Romains 9, 4). « Ainsi parle le Seigneur : mon fils premier-né, c’est Israël » (Exode 4, 22). La prophétie d’Osée et la parole de Dieu adressée à Moïse pour qu’il la redise à Pharaon annoncent le jour où s’accomplira la bénédiction de Dieu sur les ennemis d’Israël enfin réconciliés, selon la prophétie d’Isaïe : « Ce jour-là, une chaussée ira d’Egypte en Assyrie. Les Assyriens viendront en Egypte et les Egyptiens en Assyrie. Les Egyptiens adoreront avec les Assyriens. Ce jour-là, Israël viendra le troisième, avec l’Egypte et l’Assyrie. Telle sera la bénédiction que dans le pays prononcera le Seigneur, le tout-puissant : ‘Bénis soient l’Egypte, mon peuple, et l’Assyrie, œuvre de mes mains, et Israël, mon héritage’ » (Isaïe 19, 23-25). Pour Paul, cette promesse commence à s’accomplir dans le Christ. Les disciples du Messie venus des Nations ont part à la bénédiction de la descendance d’Abraham (Genèse 22, 18), non pas à la bénédiction du fils de la servante, Ismaël, mais bien à celle donnée à Isaac et transmise par lui à son fils Jacob, nommé Israël, et à ses Douze fils. Les disciples du Messie venus des Nations entrent dans son Corps pour avoir part à son Esprit, non en se substituant à Israël, ou en le surclassant, mais en ayant part à sa dignité : « A me lire, dit Paul, vous pouvez vous rendre compte de l’intelligence que j’ai du mystère du Christ. Ce mystère n’avait pas été communiqué aux hommes des temps passés comme il vient d’être révélé maintenant à ses saints apôtres et prophètes dans l’Esprit : les païens sont admis au même héritage, membres du même corps, bénéficiaires de la même promesse dans le Christ Jésus par le moyen de l’Evangile » (Ephésiens 3, 4-6). Les Nations ne prennent pas la place du fils aîné : c’est impossible. Tant qu’Israël n’a pas reçu toute la gloire qui lui vient de son Messie, celle-ci n’est pas complète (Romains 11, 25-29). L’accomplissement de sa propre judéité, vécu par Paul dans la rencontre du Christ, n’est pas achevé pour lui tant qu’il est en pèlerinage dans ce corps. Le disciple demeure tendu en avant vers le Christ qui l’a saisi et qu’il cherche à connaître comme il est connu de Lui (Philippiens 3, 12-14). Ainsi s’accomplit la vocation d’Israël : le fils aîné de Dieu ne perd pas son rang, ni son statut d’héritier, quand il le partage à ses frères cadets. Le partage de l’adoption filiale ne se fait pas par une sorte d’extension, mais par une intériorisation. L’Esprit Saint renouvelle le cœur des juifs et des païens quand il donne à l’olivier franc d’Israël de porter des fruits nouveaux à travers des rameaux venus de l’olivier sauvage, greffés sur l’arbre franc de la promesse. Paul ne nous enseigne aucune théologie de la substitution, puisque « les dons et l’appel de Dieu sont sans repentance », mais il nous avertit que tous, juifs et païens, sont bénéficiaires de la miséricorde divine (Romains 11, 32). Dans la parabole du Père et des deux fils, en Luc 15, non seulement le fils cadet ne perd rien de ses droits à l’amour paternel quand il a dilapidé les biens de son héritage, mais le fils aîné, à l’heure même où il refuse la miséricorde du Père et la réconciliation avec son frère, demeure celui à qui il est dit : « Mon enfant, toi tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi » (15, 31). La générosité paternelle est source pérenne de réconciliation pour tout conflit fraternel. Paul sait ce qui reste voilé de la gloire du Christ aux yeux de ses frères juifs (2 Corinthiens 3, 14-18) ; il pressent l’orgueil qui peut saisir les Nations : « Ne t’enorgueillis pas ! Crains plutôt, car si Dieu n’a pas épargné les branches naturelles, prends garde qu’il ne t’épargne pas davantage » (Romains 11, 20-21). Deux générations après le martyr de Paul, Rabbi Aqiba pouvait danser sur les ruines du Temple de Jérusalem, détruit par les Romains, dans l’assurance que Celui qui avait accompli la prophétie qui disait qu’il en serait ainsi accomplirait aussi celle qui annonce sa reconstruction définitive . Dans l’histoire, souvent si négative et douloureuse, des relations des juifs et des chrétiens, les craintes de Paul ont été hélas trop souvent confirmées. Réjouissons-nous de ce que sa prophétie d’une émulation de sainteté entre Israël et l’Église le sera aussi, par la grâce de Dieu, et produira davantage de beaux fruits pour le salut du monde (Romains 11, 14). Paul sait éclairer les choix singuliers des cœurs, comme l’histoire universelle, par la lumière qui vient des saintes Ecritures et de la tradition. Il ne sépare jamais l’esprit de la lettre, qu’il lit dans la foi au Christ Jésus. C’est ainsi qu’il demeure attentif à la fidélité de Dieu envers son peuple et aux surcroîts cachés de sa miséricorde. Gardons-nous de négliger un tel témoignage quand nous lisons avec lui la Bible ! 5. « Dieu tout en tous » (1 Corinthiens 15, 28) L’espérance de l’accomplissement du dessein de Dieu dans le Christ oriente et éclaire la vie de Paul et sa pensée. Au terme de cette conférence, écoutons-le encore une fois : « laissez-vous réconcilier avec Dieu » (2 Corinthiens 5, 20) qui veut « tout récapituler dans le Christ » (Ephésiens 1, 22-23). En lui, « il n’y a plus ni juif, ni grec, il n’y a plus ni esclave, ni homme libre, il n’y a plus l’homme et la femme, car tous vous n’êtes qu’un dans le Christ » (Galates 3, 28). Au terme « Dieu sera tout en tous » (1 Corinthiens 15, 28). L’aspiration mystique de saint Paul ne le fait pas échapper à l’histoire, mais lui enseigne à aimer mystiquement l’histoire, comme le lieu où se prépare la rencontre de Dieu. Son sens de l’universel ne le conduit pas à récuser, mais à confirmer la signification de l’élection d’Israël quand il la relit dans le Christ. Paul, en désignant le Christ comme « notre paix », nous indique à la fois le but et le chemin : faire de nos diversités, toujours en conflit, des lieux de réconciliation grâce à la recherche en commun de Dieu, l’Autre divin, éprouvé comme plus intime et plus grand que nous-mêmes.
Temptation of Christ – Ilya Repin – 1801
12 février, 2016BENOÎT XVI – DERNIÈRE AUDIENCE DU PAPE BENOÎT XVI – LES TENTATIONS
12 février, 2016http://w2.vatican.va/content/benedict-xvi/fr/audiences/2013/documents/hf_ben-xvi_aud_20130213.html
BENOÎT XVI – DERNIÈRE AUDIENCE DU PAPE BENOÎT XVI – LES TENTATIONS
AUDIENCE GÉNÉRALE
Salle Paul VI
Mercredi 13 février 2013
Chers frères et sœurs,
Comme vous le savez, j’ai décidé – merci pour votre sympathie –, j’ai décidé de renoncer au ministère que le Seigneur m’a confié le 19 avril 2005. Je l’ai fait en pleine liberté pour le bien de l’Église, après avoir longuement prié et avoir examiné ma conscience devant Dieu, bien conscient de la gravité de cet acte, mais en même temps conscient de n’être plus en mesure d’accomplir le ministère pétrinien avec la force qu’il demande. La certitude que l’Église est du Christ me soutient et m’éclaire. Celui-ci ne cessera jamais de la guider et d’en prendre soin. Je vous remercie tous pour l’amour et la prière avec lesquels vous m’avez accompagné. Merci, j’ai senti presque physiquement au cours de ces jours qui ne sont pas faciles pour moi, la force de la prière que me donne l’amour de l’Église, votre prière. Continuez à prier pour moi, pour l’Église, pour le futur Pape. Le Seigneur nous guidera.
Chers frères et sœurs, Aujourd’hui, Mercredi des Cendres, nous commençons le temps liturgique du Carême, quarante jours qui nous préparent à la célébration de la Sainte Pâque ; il s’agit d’un temps d’engagement particulier dans notre chemin spirituel. Le nombre quarante apparaît à plusieurs reprises dans l’Écriture Sainte. En particulier, comme nous le savons, celui-ci rappelle les quarante ans au cours desquels le peuple d’Israël a effectué son pèlerinage dans le désert : une longue période de formation pour devenir le peuple de Dieu, mais également une longue période au cours de laquelle la tentation d’être infidèles à l’alliance avec le Seigneur était toujours présente. Quarante furent également les jours de chemin du prophète Élie pour atteindre le Mont de Dieu, l’Horeb ; ainsi que la période que Jésus passa dans le désert avant de commencer sa vie publique et où il fut tenté par le diable. Dans la catéchèse d’aujourd’hui, je voudrais m’arrêter précisément sur ce moment de la vie terrestre du Seigneur, que nous lirons dans l’Évangile de dimanche prochain. Avant tout, le désert, où Jésus se retire, est le lieu du silence, de la pauvreté, où l’homme est privé des appuis matériels et se trouve face aux interrogations fondamentales de l’existence, il est poussé à aller à l’essentiel et précisément pour cela, il lui est plus facile de rencontrer Dieu. Mais le désert est également le lieu de la mort, car là où il n’y a pas d’eau, il n’y a pas non plus de vie, et c’est le lieu de la solitude, dans lequel l’homme sent la tentation de façon plus intense. Jésus va dans le désert, et là, il subit la tentation de quitter la voie indiquée par le Père pour suivre d’autres voies plus faciles et qui appartiennent au monde (cf. Lc 4, 1-13). Ainsi, il se charge de nos tentations, porte avec Lui notre pauvreté, pour vaincre le malin et nous ouvrir la voie vers Dieu, le chemin de la conversion. Réfléchir sur les tentations auxquelles est soumis Jésus dans le désert est une invitation pour chacun de nous à répondre à une question fondamentale : qu’est-ce qui compte véritablement dans ma vie ? Dans la première tentation, le diable propose à Jésus de changer une pierre en pain pour apaiser sa faim. Jésus répond que l’homme vit également de pain, mais pas seulement de pain : sans une réponse à la faim de vérité, à la faim de Dieu, l’homme ne peut pas se sauver (cf. vv. 3-4). Dans la seconde tentation, le diable propose à Jésus la voie du pouvoir : il l’emmène plus haut et lui offre la domination du monde ; mais ce n’est pas la voie de Dieu : Jésus sait bien que ce n’est pas le pouvoir du monde qui sauve le monde, mais le pouvoir de la croix, de l’humilité, de l’amour (cf. vv. 5-8). Dans la troisième tentation, le diable propose à Jésus de se jeter du pinacle du Temple de Jérusalem et de se faire sauver par Dieu à travers ses anges, c’est-à-dire d’accomplir quelque chose de sensationnel pour mettre Dieu lui-même à l’épreuve ; mais la réponse est que Dieu n’est pas un objet auquel imposer nos conditions : c’est le Seigneur de tout (cf. vv. 9-12). Quel est le cœur des trois tentations que subit Jésus ? C’est la proposition d’instrumentaliser Dieu, de l’utiliser pour ses propres intérêts, pour sa propre gloire et pour son propre succès. Et donc, en substance, de prendre la place de Dieu, en l’éliminant de son existence et en le faisant sembler superflu. Chacun devrait alors se demander : quelle place a Dieu dans ma vie ? Est-ce lui le Seigneur ou bien est-ce moi ? Surmonter la tentation de soumettre Dieu à soi et à ses propres intérêts ou de le reléguer dans un coin et se convertir au juste ordre de priorité, donner à Dieu la première place, est un chemin que tout chrétien doit parcourir toujours à nouveau. « Se convertir », une invitation que nous écouterons à plusieurs reprises pendant le Carême, signifie suivre Jésus de manière à ce que son Évangile soit un guide concret de la vie ; cela signifie laisser Dieu nous transformer, cesser de penser que nous sommes les seuls artisans de notre existence ; cela signifie reconnaître que nous sommes des créatures, que nous dépendons de Dieu, de son amour, et que c’est seulement en « perdant » notre vie que nous pouvons la gagner en Lui. Cela exige d’effectuer nos choix à la lumière de la Parole de Dieu. Aujourd’hui, on ne peut plus être chrétiens simplement en conséquence du fait de vivre dans une société qui a des racines chrétiennes : même celui qui naît dans une famille chrétienne et qui est éduqué religieusement doit, chaque jour, renouveler le choix d’être chrétien, c’est-à-dire donner à Dieu la première place, face aux tentations que la culture sécularisée lui propose continuellement, face au jugement critique de beaucoup de contemporains. Les épreuves auxquelles la société actuelle soumet le chrétien, en effet, sont nombreuses, et touchent la vie personnelle et sociale. Il n’est pas facile d’être fidèles au mariage chrétien, de pratiquer la miséricorde dans la vie quotidienne, de laisser une place à la prière et au silence intérieur. Il n’est pas facile de s’opposer publiquement à des choix que beaucoup considèrent évidents, tels que l’avortement en cas de grossesse non-désirée, l’euthanasie en cas de maladies graves, ou la sélection des embryons pour prévenir des maladies héréditaires. La tentation de mettre de côté sa propre foi est toujours présente et la conversion devient une réponse à Dieu qui doit être confirmée à plusieurs reprises dans notre vie. On trouve des exemples et des encouragements dans les grandes conversions comme celle de saint Paul sur le chemin de Damas, ou de saint Augustin, mais même à notre époque d’éclipse du sens du sacré, la grâce de Dieu est à l’œuvre et accomplit des merveilles dans la vie d’un grand nombre de personnes. Le Seigneur ne se lasse pas de frapper à la porte de l’homme dans des milieux sociaux et culturels qui semblent engloutis par la sécularisation, comme ce fut le cas pour le Russe orthodoxe Paul Florensky. Après une éducation complètement agnostique, au point d’éprouver une véritable hostilité envers les enseignements religieux donnés à l’école, le scientifique Florensky s’exclame : « Non, on ne peut pas vivre sans Dieu ! », et change complètement sa vie, au point de se faire moine. Je pense aussi à la figure d’Etty Hillesum, une jeune Hollandaise d’origine juive qui mourra à Auschwitz. Initialement éloignée de Dieu, elle le découvre en regardant en profondeur à l’intérieur d’elle-même et elle écrit : « Un puits très profond est en moi. Et Dieu est dans ce puits. Parfois, j’arrive à le rejoindre, le plus souvent la pierre et le sable le recouvrent : alors Dieu est enterré. Il faut à nouveau le déterrer » (Journal, 97). Dans sa vie dispersée et inquiète, elle retrouve Dieu au beau milieu de la grande tragédie du XXe siècle, la Shoah. Cette jeune fille fragile et insatisfaite, transfigurée par la foi, se transforme en une femme pleine d’amour et de paix intérieure, capable d’affirmer : « Je vis constamment en intimité avec Dieu ». La capacité de s’opposer aux séductions idéologiques de son temps pour choisir la recherche de la vérité et s’ouvrir à la découverte de la foi est témoignée par une autre femme de notre temps, l’américaine Dorothy Day. Dans son autobiographie, elle confesse ouvertement qu’elle est tombée dans la tentation de tout résoudre avec la politique, en adhérant à la proposition marxiste : « Je voulais aller avec les manifestants, aller en prison, écrire, influencer les autres et laisser mon rêve au monde. Que d’ambition et que de recherche de moi-même y avait-il dans tout cela ! ». Le chemin vers la foi dans un milieu aussi sécularisé était particulièrement difficile, mais la Grâce agit quoi qu’il en soit, comme elle le souligne : « Il est certain que je sentis plus souvent le besoin d’aller à l’église, de m’agenouiller, d’incliner la tête en prière. Un instinct aveugle, pourrait-on dire, car je n’étais pas consciente de prier. Mais j’allais, je m’insérais dans l’atmosphère de la prière… ». Dieu l’a conduite à une adhésion consciente à l’Église, dans une vie consacrée aux déshérités. À notre époque, on constate de nombreuses conversions entendues comme le retour de qui, après une éducation chrétienne peut-être superficielle, s’est éloigné pendant des années de la foi et redécouvre ensuite le Christ et son Évangile. Dans le Livre de l’Apocalypse nous lisons : « Voici que je me tiens à la porte, et je frappe. Si quelqu’un entend ma voix et ouvre la porte, j’entrerai chez lui ; je prendrai mon repas avec lui, et lui avec moi » (3, 20). Notre homme intérieur doit se préparer à être visité par Dieu, et c’est précisément pour cela qu’il ne doit pas se laisser envahir par les illusions, par les apparences, par les choses matérielles. En ce Temps de Carême, en l’Année de la foi, renouvelons notre engagement sur le chemin de la conversion, pour surmonter la tendance à nous refermer sur nous-mêmes et pour laisser, en revanche, de la place à Dieu, en regardant la réalité quotidienne avec ses yeux. Nous pourrions dire que l’alternative entre la fermeture sur notre égoïsme et l’ouverture à l’amour de Dieu et des autres correspond à l’alternative des tentations de Jésus: à savoir, l’alternative entre le pouvoir humain et l’amour de la Croix , entre une rédemption vue du seul point de vue du bien-être matériel et une rédemption comme œuvre de Dieu, auquel nous donnons la primauté dans l’existence. Se convertir signifie ne pas se refermer dans la recherche de son propre succès, de son propre prestige, de sa propre position, mais faire en sorte que chaque jour, dans les petites choses, la vérité, la foi en Dieu et l’amour deviennent la chose la plus importante.
HOMÉLIE – 1E DIMANCHE DE CARÊME
12 février, 2016http://www.homelies.fr/homelie,,4478.html
HOMÉLIE – 1E DIMANCHE DE CARÊME
dimanche 14 février 2016
Famille de Saint Joseph
L’épisode de la tentation au désert fait suite au baptême, où le Père confirme par une voix venant du ciel, que Jésus est son Fils, son Bien-Aimé. Cependant entre les deux récits, l’évangéliste insère de manière inattendue la généalogie de Jésus, qui remonte jusqu’à « Adam, fils de Dieu ». Logiquement on s’attendait à trouver cette généalogie en ouverture de l’Evangile – comme le fait Saint Matthieu. Ce faisant, St Luc veut insister sur le fait que c’est chargé de toute l’humanité livrée au pouvoir du Démon, que Jésus va « être conduit par l’Esprit à travers le désert », pour y être mis pendant quarante jours à l’épreuve. Luc précise d’ailleurs en conclusion de son récit que Jésus a victorieusement « épuisé toutes les formes de tentation » auxquelles l’humanité pouvait être soumise. Reprenons une à une les trois sollicitations du Tentateur et les trois réponses de Jésus.
1- Première tentation : lorsque Jésus commence à souffrir de la faim, le démon lui suggère : - « Si tu es le Fils de Dieu, ordonne à cette pierre de devenir du pain ». Notre Seigneur lui répond : - « Il est écrit : « Ce n’est pas seulement de pain que l’homme doit vivre » ». Jésus cite le livre du Deutéronome : « Le Seigneur ton Dieu t’a fait avoir faim et il t’a donné à manger la manne que ni toi ni tes pères ne connaissiez, pour te faire reconnaître que l’homme ne vit pas de pain seulement, mais qu’il vit de tout ce qui sort de la bouche du Seigneur » (Dt 8, 2 – 3). Le « signe » que Jésus donne pour « prouver » qu’il est le Fils de Dieu, ce n’est pas un acte miraculeux qui lui permettrait d’échapper à la souffrance ; mais sa soumission inconditionnelle à la Parole de Dieu son Père : « J’ai à manger une nourriture que vous ne connaissez pas… Ma nourriture, c’est de faire la volonté de celui qui m’a envoyé et d’accomplir son œuvre ». (Jn 4, 32 – 34).
2- Deuxième tentation : lorsque le démon lui promet tous les royaumes de la terre, Jésus rétorque : « Tu te prosterneras devant le Seigneur ton Dieu, et c’est lui seul que tu adoreras ». Notre Seigneur cite à nouveau le Deutéronome, plus précisément le verset qui suit le fameux « Shema Israël » – la profession de foi juive (Dt 6, 13). L’inversion de la perspective entre les exigences du démon et les dons gratuits de Dieu est patente : le démon conditionne le don qu’il prétend faire à l’accomplissement de l’acte d’adoration en sa faveur ; alors que Dieu commence par donner, suite à quoi il nous invite à lui faire confiance. Notre réponse sera donc nécessairement gratuite, puisqu’elle exprime l’adoration, forme suprême de l’amour qui se livre à l’être aimé. Le démon ne connaissant pas la charité, ne peut que proposer un marchandage, caricature mensongère de l’amour.
3- Troisième tentation : - « Si tu es le Fils de Dieu, jette-toi en bas ; car il est écrit : Il donnera pour toi à ses anges l’ordre de te garder ; et encore : Ils te porteront sur leurs mains, de peur que ton pied ne heurte une pierre ». Jésus répond : - « Il est dit : Tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu » C’est-à-dire tu n’exigeras pas de Dieu des preuves de sa présence et de sa protection. Ce n’est pas à l’homme de mettre Dieu à l’épreuve, mais bien plutôt Dieu qui éprouve l’homme pour vérifier la qualité de sa foi. Les trois réponses de Jésus contrastent singulièrement avec les interpellations du tentateur : visiblement, le démon et le Christ n’ont pas la même idée sur Dieu et sur la filiation ! « Si tu es le Fils de Dieu, prouve-le » semble argumenter le démon ; Jésus le prouve effectivement, mais pas selon le chemin de l’avoir, du pouvoir et de la gloire, mais en restant fidèlement à l’écoute de son Père, pour lui obéir sans délai, comme il convient au Fils. Cet affrontement entre l’Ennemi et Jésus va perdurer tout au long de son ministère, pour culminer dans la Passion. Aussi est-il éclairant de relire ces trois tentations à la lumière du combat suprême : l’évangéliste précise en effet au terme du récit de l’affrontement au désert : « Ayant ainsi épuisé toute tentation, le diable s’éloigna de lui jusqu’au moment favorable (Lc 4, 13) » ; ce « moment favorable » pour le Prince des ténèbres, c’est le Vendredi Saint. Autour de la Croix, rassemblés par le Fils de l’homme élevé de terre, se tiennent des groupes très différents de « spectateurs » : - « Le peuple restait là à regarder ; les chefs ricanent ; les soldats aussi se moquent de lui » ; même « l’un des malfaiteurs suspendus à la croix l’injuriait ». Il est frappant que ces trois (groupes de) personnages, développent la même stratégie : tous font allusion au salut, invitant Jésus à se sauver par ses propres forces et à prouver ainsi la pertinence de ses prétentions messianiques. En y regardant de plus près, on découvre qu’ils font subir au Seigneur, en ordre inversé, les trois tentations qu’il avait victorieusement surmontées au désert : - « N’es-tu pas le Messie ? Sauve-toi toi-même, et nous avec ! »
1- Le malfaiteur lui demande de le sauver de la mort par un acte miraculeux, tout comme le démon lui suggérait « d’ordonner à cette pierre de devenir du pain ». Dans les deux cas, Jésus est invité à manifester qu’il possède la maîtrise de la vie par la puissance de sa Parole ; c’est donc son autorité prophétique qu’il doit justifier. Mais c’est précisément en allant jusqu’au bout de la mission rédemptrice que le Père lui confie, qu’il manifeste qu’il est le Prophète de la fin des temps, celui qui instaure l’ère messianique en réconciliant l’humanité avec Dieu.
2- Se mêlant au concert des insultes, les soldats ajoutent leur partition : - « Si tu es le roi des Juifs, sauve-toi toi-même ! ». Autrement dit : « Un roi ne saurait périr aussi lamentablement : fais appel à tes troupes et qu’elles viennent te sauver de cette situation périlleuse ! » Jésus est cette fois intimé de légitimer son autorité royale. Le démon l’avait déjà tenté sur ce point au désert, lorsqu’il lui promettait la participation à sa royauté et à sa puissance, pourvu qu’il se prosterne devant lui pour l’adorer. Mais la royauté de l’amour ne peut s’instaurer par la force : « Vous savez que ceux qu’on regarde comme les chefs des nations dominent sur elles en maîtres et que les grands leur font sentir leur pouvoir. Il ne doit pas en être ainsi parmi vous : au contraire, celui qui voudra devenir grand parmi vous, sera votre serviteur, et celui qui voudra être le premier parmi vous, sera l’esclave de tous. Aussi bien, le Fils de l’homme lui-même n’est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour une multitude » (Mc 10, 42-45).
3- Quant aux « chefs », ils ricanent : - « Il en a sauvé d’autres : qu’il se sauve lui-même, s’il est le Messie de Dieu, l’Elu ! » Jésus est sommé par les autorités religieuses de prouver que Dieu est avec lui et pour lui ; de fonder en somme son autorité spirituelle, sacerdotale. N’est-ce pas la même tentation à laquelle le démon avait déjà soumis Notre-Seigneur lorsqu’il l’invitait à se jeter « du sommet du Temple » afin de subjuguer les foules par un prodige ? Mais le culte nouveau ne s’inaugure pas dans la gloire, mais par l’immolation de l’Agneau pascal véritable : « Tout Fils qu’il était, il apprit par ses souffrances l’obéissance, et, conduit jusqu’à son propre accomplissement, il devint pour tous ceux qui lui obéissent cause de salut éternel, ayant été proclamé par Dieu grand prêtre à la manière de Melchisédek » (He 5, 8-10). Dans les trois interpellations, l’insistance est sur le salut : « « Sauve-toi toi-même » – sous-entendu : – et nous croirons que tu peux nous sauver ». Le défi qui est lancé à Jésus est d’accomplir l’œuvre de rédemption à moindre frais, sans passer par la porte étroite de la vie livrée. Le Christ cependant ne réalise pas le salut par un déploiement de puissance, mais par sa patience héroïque, répondant par un surcroît d’amour à la haine qui le crucifie.
Avouons qu’il y a des jours où nous sommes nous aussi tentés d’argumenter : « N’eût-il pas été plus simple Jésus d’accomplir le miracle qu’on te réclamait, et de descendre de la Croix ? La foule ébahie t’aurait acclamé comme son Roi ; tes opposants auraient été définitivement confondus, et les soldats sans aucun doute convertis… ». Jésus nous répond en citant le psaume que nous avons prié dans la liturgie de ce dimanche : « Quand je me tiens sous l’abri du Très-Haut et repose à l’ombre du Puissant, je dis au Seigneur « Mon refuge, mon rempart, mon Dieu dont je suis sûr » ». Telle est l’attitude du Christ tout au long de sa vie publique : il se tient à l’ombre du Très-Haut. Notre tentation permanente est précisément de quitter cet abri, de douter qu’il soit sûr, et de chercher d’autres abris, d’autres sécurités. Que de fois n’avons-nous pas résisté à l’action de l’Esprit dans nos vies en refusant de lui faire confiance, et en choisissant d’aller par nos propres chemins lorsque celui du Seigneur nous semblait trop exigeant ?
« Seigneur notre Dieu, en entrant dans ce temps de Carême, temps de recentrement sur l’essentiel, nous te demandons humblement : donne-nous la force de la fidélité, à l’image du Christ ; que nous puissions résister comme lui aux ruses du Tentateur, les yeux fixés sur la victoire du Ressuscité de Pâque. »
Père Joseph-Marie
Resurrection Icon with Extra Scenes
11 février, 2016PAPE FRANÇOIS – PRIÈRES DANS L’OBSCURITÉ
11 février, 2016PAPE FRANÇOIS – PRIÈRES DANS L’OBSCURITÉ
MÉDITATION MATINALE EN LA CHAPELLE DE LA MAISON SAINTE-MARTHE
Mardi 30 septembre 2014
(L’Osservatore Romano, Édition hebdomadaire n° 42 du 16 octobre 2014)
La «prière de l’Eglise» pour les nombreux «Jésus qui souffrent» et qui «sont partout», également dans le monde d’aujourd’hui. C’est ce qu’a demandé le Pape François au cours de la Messe, en l’invoquant surtout pour «nos frères qui, parce qu’ils sont chrétiens, sont chassés de leur maison et se retrouvent sans rien», pour les personnes âgées abandonnées et les malades seuls dans les hôpitaux: en somme, pour toutes ces personnes qui vivent des moments sombres. Le Pape s’est inspiré de la première lecture — tirée du livre de Job (3, 1-3.11-17.20-23). Il a confié que, dans son expérience pastorale, il entend lui-même très souvent des «personnes qui vivent des situations difficiles, douloureuses, qui ont beaucoup perdu ou qui se sentent seules et abandonnées et qui viennent se plaindre et posent ces questions: Pourquoi? Elles se rebellent contre Dieu». Et sa réponse est: «Continue à prier ainsi, car cela aussi est une prière». Comme l’était celle de Jésus, quand il a dit au Père: «Pourquoi m’as-tu abandonné?», et comme l’est celle de Job. Car «prier signifie se retrouver en vérité devant Dieu. On prie avec la réalité. La véritable prière vient du cœur, du moment qu’une personne vit». C’est précisément «la prière dans les moments obscurs, dans les moments de la vie où il n’y a pas d’espérance» et «où on ne voit pas l’horizon»; au point que «très souvent on perd la mémoire et on ne sait pas où ancrer son espérance». D’où l’actualité de la parole de Dieu, car aujourd’hui aussi «beaucoup de personnes sont dans la situation de Job. Beaucoup de personnes bonnes, comme Job, ne comprennent pas ce qui leur est arrivé. Tant de frères et sœurs qui n’ont pas d’espérance». Et la pensée du Pape est immédiatement allée «aux grandes tragédies» comme celle des chrétiens chassés de leur maison et privés de tout, qui se demandent «Mais, Seigneur, j’ai cru en toi. Pourquoi?». Est-ce que que «croire en toi est une malédiction?». C’est la même chose pour «les personnes âgées abandonnées», pour les malades, pour les personnes seules dans les hôpitaux. C’est en effet «pour tous ces gens, pour nos frères et sœurs, et aussi pour nous quand nous avançons sur un chemin obscur», que «l’Eglise prie». Et en le faisant, «elle prend sur elle cette douleur». C’est vraiment ainsi, «l’Eglise prie pour tous ceux qui sont dans l’épreuve de l’obscurité». Et le Pape a cité l’exemple de sainte Thérèse de l’Enfant Jésus, qui «pendant les derniers mois de sa vie, cherchait à penser au ciel» et «sentait en elle comme une voix, qui disait: ne sois pas sotte, ne te fais pas d’illusions. Tu sais ce qui t’attend? Le néant!». Du reste, nous tous «nous passons par cette situation. Et de nombreuses personnes pensent finir dans le néant». Mais sainte Thérèse se défendait de cette menace: elle «priait et demandait la force d’aller de l’avant, dans l’obscurité. Cela s’appelle “entrer en patience”». Rappelant que Jésus lui-même a parcouru «cette route: du soir du mont des Oliviers jusqu’à son dernier mot sur la croix: “Père pourquoi m’as-tu abandonné?”», le Pape a formulé deux pensées conclusives «qui peuvent nous servir». La première est une invitation à «se préparer, pour le moment où l’obscurité viendra»: celle-ci «viendra d’une manière qui ne sera peut-être pas aussi dure que pour Job, mais nous aurons une période d’obscurité», tous. C’est pourquoi, il faut «préparer son cœur à ce moment». Le deuxième est en revanche une exhortation «à prier, comme l’Eglise prie, avec l’Eglise, pour les nombreux frères et sœurs qui souffrent de l’exil d’eux-mêmes, dans l’obscurité et dans la souffrance, sans espérance à portée de main».
MESSAGE DU PAPE PAUL VI POUR LE CARÊME 1974
11 février, 2016http://w2.vatican.va/content/paul-vi/fr/messages/lent/documents/hf_p-vi_mes_19740302_lent-1974.html
MESSAGE DU PAPE PAUL VI POUR LE CARÊME 1974
Chers Fils et Filles,
Voilà dix mois environ, Nous annoncions l’Année Sainte. « Renouvellement » et « réconciliation » demeurent les mots clefs de cette célébration ; il désignent les espoirs que Nous mettons en elle. Mais ils n’iront pas, avons-nous dit, sans que s’opère en nous une rupture (cf. Allocution du 9 mai 1973). Or, voici le temps du Carême, le temps par excellence du renouveau de nous-mêmes dans le Christ, de la réconciliation avec Dieu et avec nos frères. Nous y sommes associés à la mort et à la résurrection du Christ, moyennant une rupture avec les situations de péché, d’injustice, d’égoïsme. Permettez-Nous donc d’insister aujourd’hui sur une rupture exigée par l’esprit du Carême, celle d’un attachement trop exclusif à notre avoir matériel, qu’il soit abondant comme chez le riche Zachée (cf. Lc 19, 8), ou maigre comme chez la pauvre veuve louée par Jésus (cf. Mc 12, 43). Dans le langage imagé de son époque, saint Basile prêchait déjà à ceux qui sont dans l’aisance : «Le pain qui demeure inutile chez vous, c’est le pain de celui qui a faim ; la tunique suspendue dans votre garde-robe, c’est la tunique de celui qui est nu ; la chaussure qui demeure inutile chez vous est celle du pauvre qui va nu-pieds ; l’argent que vous tenez enfoui, c’est l’argent du pauvre : vous commettez autant d’injustices que vous pourriez répandre de bienfaits » (Hom. VI in Lc, XII, 18, PG XXXI, col. 275). De telles paroles donnent à réfléchir en un temps où haine et conflits sont provoqués par l’injustice de celui qui accapare quand l’autre n’a rien, de celui qui préfère le souci de son propre lendemain à l’aujourd’hui de son prochain, de celui qui, par ignorance ou par égoïsme, refuse de se priver du superflu en faveur de ceux qui manquent du nécessaire (cf. Mater et Magistra). Et comment ne pas évoquer ici le renouvellement et la réconciliation exigés et assurés par la plénitude de notre unique repas eucharistique ? Pour communiquer ensemble au Corps du Seigneur, il faut sincèrement vouloir que nul ne manque du nécessaire, fut-ce au prix de sacrifices personnels. Autrement, nous ferions affront à l’Église, Corps Mystique du Christ, dont nous sommes les membres. Saint Paul, admonestant les Corinthiens, nous met tous en garde contre le danger d’un comportement déplorable à cet égard (cf. 1 Cor 11, 17 ss.). Ce serait pécher contre cette unanimité que de refuser aujourd’hui à des millions de nos frères ce que comportent les exigences de leur promotion humaine. De plus en plus, en ce temps du Carême, l’Église et ses institutions caritatives sollicitent les chrétiens pour cette immense entreprise. Prêcher le Jubilé, c’est prêcher le dépouillement à la fois joyeux et profond qui nous restitue à la vérité de nous-mêmes et à la vérité de la famille humaine telle que Dieu la veut. C’est alors que le présent Carême peut apporter dès ici-bas, outre le gage de la récompense céleste, le centuple promis par la Christ à celui qui donne à cœur ouvert. Sachez tous écouter dans notre appel un double écho : celui de la voix du Seigneur qui vous parle et vous exhorte, et celui du gémissement de l’humanité qui pleure et qui vous prie. Tous, évêques et prêtres, religieuses et religieux, laïcs adultes et enfants, à titre individuel et en communauté, nous sommes appelés à faire œuvre de partage, dans l’amour, car c’est un commandement du Seigneur.
À chacun de vous, Nous donnons notre Bénédiction Apostolique, au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. Amen.