Archive pour le 20 janvier, 2016

Notre Père

20 janvier, 2016

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L’ALLIANCE JUIFS-CHRÉTIENS SELON JEAN-MARIE LUSTIGER

20 janvier, 2016

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L’ALLIANCE JUIFS-CHRÉTIENS SELON JEAN-MARIE LUSTIGER

A PROPOS D’ALLIANCE, LE LIVRE POSTHUME DE LUSTIGER.

par Michaël de Saint-Cheron

18 MARS 2011

L’Alliance [1], ce livre posthume de Jean-Marie Lustiger, s’ouvre sur deux problématiques, celle de l’exergue d’abord : « Je le sais, je suis une provocation vivante qui oblige à s’interroger sur le christianisme historique du Messie. » Pourquoi la philosophie et la religion juives n’ont-elles pas provoqué des conversions ou des proximités de philosophes, de penseurs, comparables à celles exercées sur Bergson, Chestov, Simone Weil, Edith Stein, Lustiger, par le christianisme ? Pourquoi le destin de Lustiger n’a-t-il pas d’équivalent dans le monde juif ? La seconde problématique est celle de Paul de Tarse, que le cardinal juif ne pouvait pas ne pas reprendre en la questionnant avec son regard si spécifique quant à la réponse qu’il apportait. Pourquoi le peuple juif suscite-t-il la haine et le rejet de la part « des nations païennes et de leurs rois » ? En quoi et pourquoi la haine et la persécution à l’égard des Juifs touchent-elles aux fondements mêmes de l’Histoire sainte et du Salut, selon une lecture chrétienne mais aussi juive du monde ? La première partie du livre reprend parallèlement à son chapitre du Choix de Dieu sur sa conversion, son discours « Les Juifs et Nous Chrétiens », prononcé au lendemain de l’attentat de la rue Copernic (Paris, 1980). Ce « Nous chrétiens » employé ici, par Lustiger, renvoie inéluctablement à un autre texte dont je cite plusieurs lignes : « Ainsi donc, pour répondre à notre question : « Pourquoi Dieu s’est-il tu ? », la Torah nous invite à nous demander : « Pourquoi Dieu a-t-il été fidèle à l’alliance conclue avec Noé jusqu’à en faire payer le prix, insupportable, à son peuple ? » Je ne crois pas que nous ayons d’autre réponse que celle-ci : Ensemble, juifs, nous nous découvrons survivants de la Shoah, vivants [2]. » Ces paroles stupéfiantes, il les a prononcées le 26 avril 1995 à l’Université de Tel Aviv, lors du colloque sur la Shoah, « Le silence de Dieu ». Voilà une amphibologie percutante, passage de l’un à l’autre qui mérite la plus haute attention. Il faut comprendre que le cardinal Lustiger se voulait signe vivant dans les deux sens de la signifiance : Juif converti au regard des chrétiens, en particulier des catholiques et catholique d’appartenance juive, dont la mère (même s’il n’en parlait que fort rarement) fut victime de la barbarie nazie face aux Juifs. La question est donc double. À l’antisémitisme de tant de chrétiens à travers l’Histoire et à la question qui leur est posée par le destin juif, la Shoah et la création de l’État d’Israël, correspond celle qui touche le peuple juif en propre, qui « doit accepter d’être sans cesse jugé par le jugement dont il est le signe » (p. 16). Si en devenant chrétiens, les païens prennent sur eux la réalisation « encore en espérance [de] la promesse, faite à Israël, que les païens connaîtraient Dieu », les Juifs n’en sont pas pour autant quittes avec les chrétiens. La question est là encore double : si les chrétiens ne peuvent prétendre être le verus Israël, quel est leur statut de peuple de Dieu à côté de leurs frères juifs et acceptent-ils ce rôle de frères cadets, que Jean-Paul II avait le premier accepté au regard de toute l’Église, le jour où il traversa le Tibre pour se rendre à la grande Synagogue de Rome ? L’autre question est celle-ci : que sont les chrétiens pour les juifs croyants ? Des païens, des adorateurs du vrai Dieu, leurs frères cadets ? Et que font-ils de la personne de Jésus ? Ils n’y adhèrent pas certes, mais qu’est-il pour eux ? Depuis Jules Isaac et tant d’autres nobles juifs comme le grand-père d’Amos Oz, Jésus est parfois considéré comme la plus haute figure du peuple juif, pourtant les Juifs dans leur majorité ne peuvent le reconnaître comme Messie, ainsi que de Maïmonide à Rosenzweig et Levinas nos plus éminents penseurs et philosophes le réaffirmèrent. Elie Wiesel, lui, lors d’un dialogue mémorable avec le cardinal Lustiger, sur le plateau d’un certain Frédéric Mitterrand (« Du côté de chez Fred », Antenne 2, 7 septembre 1989), lui avait dit : « Tu n’es pas un païen pour moi. Tu es un homme de foi et je respecte ta foi. » Ce dialogue unique entre deux hommes d’exception, a été oublié dans ce volume de L’Alliance [3]. On peut le regretter. Moins que jamais donc les chrétiens comme les juifs ne peuvent faire l’économie de ces questions et, c’est là toute la force du livre du cardinal Lustiger que de nous obliger à les regarder de face et à y répondre au moins à titre individuel. Il est temps que les Églises reconnaissent également, ce qui est une évidence pour tant de chrétiens, que les « juifs sont auprès du Père depuis le Sinaï » et qu’ils n’ont aucun besoin de l’intercession de Jésus pour cela, ainsi que Franz Rosenzweig l’avait  écrit à la veille du premier conflit mondial. Portons attention aux cruciales questions théologiques, philosophiques  et humaines que lègue aux uns et aux autres, Jean-Marie Aron Lustiger, à  l’orée du XXIe siècle, qui verra s’éteindre non pas la mémoire juive, mais les derniers Témoins de la Shoah… Le cardinal portait en lui au plus haut degré de conscience la certitude qu’une nouvelle phase des relations judéo-chrétiennes s’ouvrait à nous, celle d’une mission commune. Cette mission, trop peu sans doute en ont une profonde conscience. De quoi s’agit-il ? D’une transmission du message éthique de la Bible selon lequel le visage humain porte sur lui la trace d’une transcendance et qu’il est inviolable. Pour le cardinal Lustiger il ne faisait pas de doute que juifs et chrétiens doivent témoigner pour et devant l’humanité d’une nouvelle approche – fût-elle agnostique ! – de l’unicité de l’homme.

[1] Presses de la Renaissance, 2010. [2] La Promesse, Parole et silence, 2002. [3] J’en avais, pour ma part, publié les extraits les plus saisissants dans mon Wiesel, ce méconnu (précédé de mes Entretiens avec Elie Wiesel), Parole et Silence, 2008.

LA SPÉCIFICITÉ DU DIALOGUE JUDÉO-CHRÉTIEN DANS LE DIALOGUE INTERRELIGIEUX,

20 janvier, 2016

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LA SPÉCIFICITÉ DU DIALOGUE JUDÉO-CHRÉTIEN DANS LE DIALOGUE INTERRELIGIEUX,

PAR FLORENCE TAUBMANN

Dans les cercles de l’Amitié judéo-chrétienne, la spécificité du dialogue judéo-chrétien relève de l’évidence. Jésus n’était-il pas juif ? Le christianisme ne vient-il pas du judaïsme ? Et depuis sa naissance en 1947 le travail de dialogue accompli par des juifs et des chrétiens n’accumule-t-il pas preuve sur preuve de cette spécificité ? Pourtant, il ne faudrait pas prendre pour une évidence ce qui relève en réalité d’un choix, d’un travail intellectuel et d’un approfondissement spirituel. En effet, si le dialogue judéo-chrétien est devenu très spécifique par rapport à d’autres dialogues interreligieux, c’est en raison d’un investissement dans ce dialogue, pour des raisons diverses et variées selon les personnes : raisons historiques, raisons religieuses, raisons familiales. Pour certains chrétiens, la découverte de la Shoah et le questionnement qu’elle a ouvert sur la responsabilité historique des chrétiens et théologique du christianisme ont joué un rôle majeur dans ce désir d’investissement dans le dialogue. Car après s’être porté à l’écoute de nombreux témoignages de la souffrance juive, ils n’ont pas voulu en rester à cette mémoire tragique, et ont désiré faire connaissance du judaïsme. Alors le dialogue judéo-chrétien est né d’une passion ou est devenu une passion ; passion qui parfois devient communicative, et parfois effraie, comme toute passion. En ce cas l’argument de raison consistant à invoquer la judéité de Jésus et l’enracinement biblique et historique du christianisme dans le judaïsme ne suffit pas à convaincre de la spécificité du dialogue judéo-chrétien qui ne veut pas en être convaincu, ou qui est persuadé du contraire. Et les réticences peuvent provenir, soit d’une difficulté à appréhender le judaïsme lui-même, soit plus largement d’une réticence à dialoguer avec les autres religions quelles qu’elles soient.

Différentes attitudes chrétiennes face aux autres religions Notre contexte multiculturel et le pluralisme religieux de nos sociétés peuvent faussement nous faire croire que l’ouverture à l’autre est devenue à la fois nécessaire et évidente. Or rien n’est moins vrai, et s’il ne veut pas rester dans le vœu pieux ou son propre carcan religieux, le chrétien doit s’interroger en profondeur sur le regard qu’il porte sur l’autre religion. Dans une conférence, donnée il y a plusieurs années, sur la relation du christianisme avec les autres religions, le professeur de théologie André Gounelle répartissait les attitudes chrétiennes devant les autres religions en quatre catégories. Il peut être intéressant de les rappeler aujourd’hui : la première attitude est celle de ceux qui sont par principe hostiles à tout dialogue de type religieux. Le christianisme ayant pour eux le monopole de la vérité, sur le plan religieux, seule la conversion est possible pour assurer le salut. Et il n’y a rien à recevoir des autres religions. Cette attitude correspond à la position traditionnelle des Églises ; aujourd’hui les choses ont changé, mais ce point de vue existe encore, et il n’est pas que celui des intégristes. Il concerne aussi bien le judaïsme que les autres religions et peut d’ailleurs s’accompagner d’une grande tolérance envers les personnes. On peut qualifier cette position d’exclusiviste. la deuxième catégorie n’oppose pas les religions à la foi chrétienne, mais elle les traite en auxiliaires, en instruments préparatoires pédagogiques. Les religions sont donc subordonnées à la foi chrétienne, car sans le savoir elles sont en attente du Christ, ou bien elles sont visitées par lui de manière invisible, l’idée étant que le christianisme seul offre la plénitude à ce qui reste inachevé chez les autres. Cette attitude peut être qualifiée d’impérialiste. la troisième catégorie considère que toutes les religions ont une valeur spirituelle propre et qu’elles révèlent toutes quelque chose de la réalité ultime. Il n’y a pas de monopole de la vérité. Mais cette attitude aboutit facilement, soit à une vision multiculturaliste qui génère un renoncement à l’universalisme, soit à une vision syncrétiste qui tend à la recherche d’une religion universelle. Cette attitude est relativiste. la dernière catégorie a une attitude pluraliste. Elle considère qu’il y a plusieurs révélations de Dieu, mais qu’elles ne sont pas sur le même plan et qu’il faut donc des critères, des normes pour les évaluer. Par exemple ce peut être la norme éthique. Et André Gounelle cite Albert Schweitzer pour qui la norme éthique valable pour toutes les religions était ce qui favorise la vie ou ce qui la détruit. Ou encore il évoque le théologien Paul Tillich, pour qui la religion générant le meilleur et le pire, le critère d’évaluation de toute religion peut être sa capacité d’autocritique et de réformation. Ce qu’il y a de fécond dans cette approche, c’est qu’elle ouvre le processus de dialogue interreligieux par ce travail commun d’élaboration de normes d’évaluation, au-delà duquel le dialogue est invité à se poursuivre. Le christianisme s’est vécu comme héritier du judaïsme, mais dans une perspective de dépassement. Jésus était juif et n’a jamais cessé de l’être, ses disciples également. Le christianisme s’est d’abord développé à l’intérieur du judaïsme.

L’attitude chrétienne face au judaïsme Ce rappel des attitudes chrétiennes face aux autres religions nous aide à découvrir la spécificité de la relation entre christianisme et judaïsme. Cette spécificité est liée à un paradoxe : le christianisme s’est vécu comme héritier du judaïsme, mais dans une perspective de dépassement. Jésus était juif et n’a jamais cessé de l’être, ses disciples également. Le christianisme s’est d’abord développé à l’intérieur du judaïsme. Après la mort de Jésus, les premiers païens à devenir chrétiens sont devenus en fait juifs-chrétiens, avant que leur nombre et les exigences de la loi juive ne mettent en question la nécessité de cette entrée dans le judaïsme pour devenir chrétien. Ce débat est notamment présenté au chapitre 15 du Livre des Actes des apôtres, à l’assemblée de Jérusalem que l’on situe vers l’an 5 1. C’est Paul, ancien pharisien converti au Christ, qui incarne ce tournant majeur où christianisme et judaïsme vont se séparer et bientôt s’opposer violemment. Même si le souci de Paul pour les non-juifs n’est pas en totale contradiction avec la préoccupation juive du sort des nations de la terre, sa prédication d’un Évangile universel fera de l’Église le nouvel Israël et de la Nouvelle Alliance l’accomplissement de l’Ancienne. Ceci fondera la théologie de la substitution. Par ailleurs dès sa naissance, le christianisme a mené une ardente polémique contre la loi juive en lui opposant la grâce : seule la foi en Jésus assure le salut. À la génération de Paul, cet exclusivisme est d’autant plus fort que l’on croit vivre la fin des temps et que l’on attend la parousie, c’est-à-dire le retour du Christ. Même si la perspective de Paul est l’invitation à la foi et non l’exclusion, il sème avec zèle les germes du futur exclusivisme chrétien, qui ne voit aucun salut hors du Christ. De plus, la rédaction des quatre évangiles, qui s’étale de l’an 70 à l’an 100, est profondément marquée par les conflits, de plus en plus aigus, qui opposent pagano-chrétiens, judéo-chrétiens et juifs. Entre les attaques contre les scribes, les pharisiens et les sadducéens, et la narration du procès de Jésus, les évangiles vont être parsemés des ingrédients propres à générer l’accusation des juifs qui restera séculaire comme peuple déicide. Et plus tard, certains Pères de l’Église enfermeront l’Ancien Testament dans un sens christocentrique, c’est-à-dire qu’ils l’interprèteront exclusivement comme annonce du Christ. Dès lors, dans l’histoire chrétienne, il n’y aura plus pour les juifs qu’une solution pour être sauvés : celle de se convertir. De siècle en siècle se transmettra un antijudaïsme alimenté par l’argumentation théologique et des décisions doctrinales et politiques discriminantes. Les juifs, rendus errants et misérables, seront présentés comme les témoins permanents de la malédiction de Dieu, leur sort relevant du châtiment divin pour n’avoir pas cru au Christ et l’avoir tué. Pascal écrit encore dans Les Pensées : « C’est une chose étonnante et digne d’une étrange attention, de voir ce peuple juif subsister depuis tant d’années, et de le voir toujours misérable : étant nécessaire pour la preuve de Jésus-Christ et qu’il subsiste pour le prouver, et qu’ils soit misérable, puisqu’ils l’ont crucifié : et quoiqu’il soit contraire d’être misérable et de subsister, il subsiste néanmoins toujours, malgré sa misère… » Cet antijudaïsme aura des répercussions sociales importantes en livrant régulièrement les juifs à la vindicte populaire dans les temps de crise ou de malheur, et ce dans presque tous les pays d’Europe. S’il faut donc distinguer antijudaïsme et antisémitisme, l’histoire empêche de les séparer, et même s’il a existé un antisémitisme avant et en dehors du christianisme, les thèses de l’antijudaïsme chrétien, « l’enseignement du mépris » comme l’a qualifié l’historien Jules Isaac, ont été un terreau nourricier de l’antisémitisme. Il note dans son livre Jésus et Israël que même la Réforme protestante, qui se caractérise pourtant par un retour à la Bible, et en particulier au texte hébreu de l’Ancien Testament, n’apporta pas de grand changement et continua de professer des thèses anti-juives.

De la repentance à la reconnaissance du judaïsme par le christianisme Sur le plan théologique, il faudra attendre que le choc de la Shoah agisse sur les consciences, pour que des positions officielles expriment un revirement à l’égard du judaïsme. La naissance de l’Amitié judéo-chrétienne en 1947 allait ouvrir une époque de connaissance mutuelle et de travail en commun, se donnant pour but de « travailler à réparer les iniquités dont les juifs et le judaïsme ont été victimes depuis des siècles, à en éviter le retour, et à combattre l’antisémitisme et l’antijudaïsme dans toutes leurs manifestations », tout en excluant « de son activité toute tendance au syncrétisme et toute espèce de prosélytisme » (article 2 des statuts). Pour l’Église catholique, le concile Vatican II allait inaugurer un changement radical dans ses relations avec le judaïsme. L’article IV du document Nostra Aetate, encore ambigu et insuffisant à bien des égards, franchissait cependant un pas immense en rompant avec les thèses séculaires de l’antijudaïsme et en reconnaissant au peuple juif une vocation toujours actuelle. Pour l’affirmer, il s’appuyait sur cette parole de Paul dans l’épître aux Romains 11,29 : « Les dons gratuits et l’appel de Dieu sont irrévocables. » Les implications de cette ouverture allaient être importantes : non seulement la préparation des consciences à la démarche de repentance vis-à-vis du peuple juif, mais aussi l’affirmation des racines juives du christianisme et du lien vivant et privilégié qu’il doit entretenir avec son « frère aîné ». Le Père Jean Dujardin, dans son livre L’Église catholique et le peuple juif 1, relate tout ce parcours accompli en présentant les documents officiels qui en témoignent. Mais d’autres implications se faisaient entrevoir dès le début, qui expliquent la réserve de beaucoup de catholiques et notamment des patriarches des Églises orientales : la mise en cause de l’antijudaïsme séculaire entraîne une mise en cause de la Tradition, qui, dans le catholicisme, est une des deux sources de la révélation, avec la Bible. Côté protestant, un grand travail a été également accompli depuis la fin de la seconde guerre mondiale dans les différents pays d’Europe. Entre 1996 et 2000, la communion ecclésiale de Leuenberg, qui réunit depuis 1973 les Églises luthériennes et réformées d’Europe, a élaboré un document Église et Israël 2, dans lequel sont reconnues « les interprétations fautives de certaines affirmations et traditions bibliques », responsables pour une grande part de la malveillance des chrétiens à l’égard du peuple d’Israël. Le chapitre 11 de l’épître aux Romains est également sollicité pour rappeler les racines juives du christianisme, la pérennité de l’élection du peuple juif, et encourager les uns et les autres à la connaissance mutuelle et au dialogue. De ce fait la relation au judaïsme ne peut être considérée comme relevant du seul rapport externe du christianisme avec les autres religions, mais comme nécessaire à la compréhension interne que l’Église a d’elle-même. Cette affirmation est essentielle et a des conséquences à la fois théologiques et ecclésiologiques majeures, car elle suggère qu’un christianisme qui voudrait effacer ou refouler son lien avec le judaïsme d’hier mais aussi d’aujourd’hui se trahirait lui-même.

Devoirs du christianisme vis-à-vis du judaïsme et vis-à-vis de lui-même Tout en attendant les réponses du judaïsme à ce travail de réparation et de reconnaissance, le christianisme se doit de mener à bien le défi qu’il s’est lancé concernant sa relation nouvelle au judaïsme. Son premier devoir est d’ordre herméneutique et apologétique. Il s’agit de faire en sorte que les avancées théologiques réalisées par les groupes de chercheurs soient communiquées à la base et aient un impact sur les esprits. Ceci se fait à travers la formation, la catéchèse, l’enseignement biblique, la liturgie. C’est à ce niveau qu’il convient de rappeler un travail réalisé par une commission de l’Amitié judéo-chrétienne de France sur l’évangile de Jean : il s’agit d’une nouvelle traduction du mot « juif » dans l’évangile de Jean, visant à remettre en contexte ce qui apparaît souvent à la lecture comme une accusation sans appel des juifs en général 3. Et une nouvelle commission examine maintenant les liturgies chrétiennes et les lectionnaires, avec ce même souci d’analyse du rapport chrétien au judaïsme et de nouvelle pédagogie. Car c’est au niveau de la vie des Églises et des communautés que se situe l’épreuve de vérité. Y a-t-il un nouveau regard sur les juifs, sur le judaïsme, et en quoi le dialogue judéo-chrétien peut-il l’enrichir ? Cette question nous renvoie à deux autres questions : la formation des responsables d’enseignement et de prédication. Quels moyens se donnent les Églises pour assurer cette formation ? la baisse de fréquentation des Églises fait que de nombreuses personnes élevées dans le christianisme échappent aujourd’hui à son influence et à son enseignement. C’est ce que constate, avec beaucoup de justesse, Catherine Challier dans le livre écrit avec Marc Faessler Judaïsme et christianisme, l’écoute en partage : « La déchristianisation ne constitue-t-elle pas une donnée significative pour le dialogue entre un juif et un chrétien ? Des esprits qui ont reçu une culture religieuse chrétienne – ou juive d’ailleurs – dans leur enfance, puis s’en sont détachés afin de penser au diapason des valeurs du siècle, demeurent souvent peu disposés à chercher une pensée qui appelle à la vie et au dialogue derrière les préjugés dont ils restent héritiers sur leur Église ou sur le judaïsme 4. » Il y a donc aujourd’hui un énorme chantier à réaliser pour faire connaître les fruits du dialogue judéo-chrétien, mais il faut réaliser que cette communication doit se faire au-delà même des Églises chrétiennes, dans l’espace public. La télévision peut en être un outil performant, notamment le cadre des émissions religieuses du dimanche matin, qui sont très regardées par un public ne se rendant pas souvent aux offices, de même que sont écoutées les émissions religieuses sur France-Culture. Par ailleurs, l’Amitité judéo-chrétienne prépare pour l’automne prochain une semaine qui concentrera un certain nombre de rencontres et d’événements. Mais l’enjeu reste la sensibilisation de la jeunesse et la médiatisation auprès d’un large public. Un exemple dynamique a été donné par l’Amitié judéo-musulmane qui a su fêter joyeusement sa naissance il y a deux ans et organiser une sorte de tour de France. Mais le travail théologique doit également se poursuivre pour comprendre la vocation d’Israël et du judaïsme telle que celui-ci la conçoit. Jusqu’à présent, les travaux réalisés côté chrétien ont veillé à rendre justice au judaïsme mais aussi à ce que cet acte de justice ne touche pas vraiment au cœur de la révélation chrétienne. Or l’affirmation que la relation au judaïsme ne relève pas d’une relation extérieure mais affecte la compréhension que l’Église a d’elle-même conduit obligatoirement le christianisme à se repenser lui-même par rapport au judaïsme. Pour faire l’expérience de la vérité juive il ne suffit pas d’avoir abandonné les termes traditionnels et méprisants d’aveuglement et d’endurcissement. Il faut aller plus loin en remplaçant par exemple le mot « endurcissement » par « fidélité », et le mot « aveuglement » par « lucidité ». Il n’est de véritable dialogue judéo-chrétien qui n’interroge en profondeur la foi chrétienne, et qui ne comporte donc un risque pour elle. Le Cardinal Ratzinger, bien avant d’être pape, déclarait dans son livre L’Unique Alliance de Dieu et le pluralisme des religions : « La question demeure posée : la foi chrétienne, si on lui laisse sa gravité intérieure et sa dignité, est-elle apte, non seulement à tolérer le judaïsme mais, bien plus, à l’accepter dans sa mission historique ? Ou bien en est-elle incapable ? Peut-il y avoir une réconciliation réelle, sans abandon de la foi, ou toute réconciliation est-elle liée à un tel abandon 5 ? » Et le Cardinal dénonçait le piège qui consisterait à relativiser les grandes affirmations christologiques pour faciliter le dialogue ou éviter les questions fondamentales. Ceci dit, poser la vérité de la doctrine chrétienne en préalable permet-il d’opérer le renversement qui consiste à penser, non seulement le judaïsme par rapport au christianisme, mais également le christianisme par rapport au judaïsme ? Affirmer l’enracinement du christianisme dans le judaïsme relève d’un travail historique et exégétique nécessaire et prometteur. Mais cela ne suffit pas à rendre compte de la fraternité interne et de la complémentarité des vocations juive et chrétienne aujourd’hui. Nous ne pouvons rejouer de manière artificielle la scène primitive d’une sorte de judéo-christianisme retrouvé, et qui balaierait à la fois vingt siècles d’histoire et la simple question de la vérité en théologie. Autrement dit nous ne pouvons faire comme si nous étions les premiers chrétiens de l’histoire ou du mythe. Mais si nous acceptons pleinement la question théologique que le judaïsme nous pose sur la révélation chrétienne, nous faisons l’expérience d’une sorte de kénose 6 du christianisme, ou de nuit de la foi chrétienne, comme si nous ne savions plus rien du Christ. Cette proposition peut effrayer si l’on en saisit les conditions et l’enjeu, mais en même temps elle nous ramène au lieu d’humilité de la spiritualité chrétienne la plus profonde. Et n’est-ce pas là que le christianisme a aujourd’hui rendez-vous avec lui-même ? Dans son dialogue avec le judaïsme il s’agirait donc pour le christianisme d’interroger, dans une totale bonne foi, la non-conversion des juifs au christianisme, et la non-reconnaissance de Jésus comme Messie. Cette non-conversion et cette non-reconnaissance, au-delà des raisons historiques, sociologiques, religieuses, deviendraient un lieu théologique où le christianisme pourrait s’interroger lui-même et sur lui-même. Un lieu théologique où le christianisme, en faisant l’expérience de la vérité juive, ferait l’épreuve de sa propre vérité, laquelle ne relève pas des catégories logiques du vrai et du faux, mais de la fécondité symbolique, spirituelle et éthique. Mais pour faire l’expérience de la vérité juive il ne suffit pas d’avoir abandonné les termes traditionnels et méprisants d’aveuglement et d’endurcissement. Il faut aller plus loin en remplaçant par exemple le mot « endurcissement » par « fidélité », et le mot « aveuglement » par « lucidité ». En même temps qu’ils expriment le respect, ces deux mots font jaillir la grande question : quelle force de vérité, quelle promesse y avait-il à sauver, et à assurer, au point que pendant des siècles, à travers persécutions, exils, inquisition, extermination, cette fidélité juive perdure et maintienne vivants l’héritage et la transmission de la Parole du Dieu des Pères ? Le maître pharisien Gamaliel du Livre des Actes nous l’a enseigné, il ne peut être question seulement d’un trésor humain ethnographique ou religieux à sauvegarder, car ce qui vient des hommes disparaît avec le temps. Or l’enjeu de la fidélité juive est théologique : c’est le maintien de la vocation juive au milieu des nations et pour elles. Et cela peut s’exprimer justement en terme de lucidité – le contraire de l’aveuglement attribué à la synagogue. Mais de quelle lucidité s’agit-il ? La naissance de la foi chrétienne a été baignée de la lumière eschatologique d’un Christ ressuscité annonçant l’accomplissement final des temps. Loin d’être assignée aux questions de la cité politique et de l’histoire, l’Église primitive a eu pour mission de préparer l’avènement du Règne de Dieu. Les premiers chrétiens vivaient dans la perspective du Jour du Seigneur, c’est-à-dire d’un retour du Christ imminent. Les lettres de l’apôtre Paul en témoignent suffisamment : ils étaient en marche pour le Règne de Dieu, et non pour traverser l’histoire ou même la faire, comme ce fut finalement le cas pour le christianisme. Par rapport à cette vocation du christianisme qui doit témoigner de la lumière révélée dans le Christ, la vocation juive peut être comprise comme une vocation à la lucidité face au temps et à l’histoire. Alors la fidélité qui l’accompagne se présente comme fidélité au Dieu présent dans l’histoire, et imprimant sa marque dans le temps par le don de la Torah et du chabbat. C’est à entrer dans la compréhension de cette lucidité juive et de cette fidélité chabbatique que le chrétien est invité aujourd’hui. Cela signifie qu’il prête pleinement attention à ce que le dépassement déclaré de la loi par la grâce l’a conduit à méconnaître : à savoir l’intime et indestructible union entre la loi et la grâce. Mais s’il peut s’atteler à cette tâche, qui est comme l’apprentissage d’un autre regard, c’est en acceptant humblement que ce regard lui manque, et que tant qu’il lui manquera, il n’aura pas compris le judaïsme.

Chances offertes au christianisme par le dialogue judéo-chrétien Aujourd’hui, on peut penser que l’expérience de la vérité juive, ici traduite en termes de lucidité et de fidélité, offre au christianisme un lieu privilégié où il peut se ressaisir lui-même en revenant sur sa propre genèse et sa propre théologisation : comment est-on passé de la révélation chrétienne aux affirmations doctrinales, et comment aujourd’hui opérer une lecture inversée des affirmations doctrinales à la révélation ? Le vis-à-vis de la pensée midrachique – qui est commentaire et non systématisation – peut constituer un nouvel outil pour repenser, différemment, la relation d’interprétation aux Écritures et à la révélation. De plus le rôle de la tradition dans le judaïsme interroge forcément celui qu’elle a dans le catholicisme, et qu’elle n’a pas dans le protestantisme. Et ce dernier devrait se sentir encouragé à réexaminer les grands principes mis en avant par la Réforme, à savoir « l’Écriture seule, la Grâce seule au moyen de la Foi seule ». De principes libérateurs nés dans un contexte violemment polémique, ne sont-ils pas devenus parfois des dogmes qui nous enferment dans une vision restrictive de la vie de l’homme avec Dieu ? Entrer dans la compréhension chabbatique, rencontrer vraiment l’esprit de la Loi juive, pourrait nous permettre de découvrir « la loi de foi » comme l’a suggéré le Rabbin Rivon Krygier dans sa conférence du 5 juin 2006 à Montpellier : « Paul et Israël, du retranchement à la greffe ». Il y invitait juifs et chrétiens à « se dépêtrer de la doctrine unijambiste de la justification par la grâce seule ou par les œuvres seules, pour célébrer conjointement, avec Paul et Hillel, celle de la loi de foi. Dès lors, disait-il, l’Église pourrait se rattacher à une doctrine du salut “par le Christ seul”, comme la Synagogue au salut “par la Tora seule” sans se désavouer l’une l’autre puisque aussi bien, elles incluent en leur cœur, en dénominateur commun, l’impératif de l’amour et l’espérance de la délivrance, nourris de la conviction que nous sommes venus au monde, non pour y mourir mais pour y naître ». Alors il serait enfin possible, après tant de siècles, d’abandonner la logique de dissociation qu’exprime le mot « retranchement » pour s’atteler à la logique d’association pressentie dans le mot « greffe ». Enfin Paul le chrétien pourrait se réconcilier avec Paul le juif. feuille Florence Taubmann

Intervention à l’Assemblée générale de l’Association Judéo-Chrétienne de France, le 22 mai 2005