Archive pour novembre, 2015
FRENCH BIBLE, REVELATION, THE THRONE OF THE LORD, PARIS
13 novembre, 2015BENOÎT XVI – ESCHATOLOGIE – L’ATTENTE DE LA PAROUSIE DANS L’ENSEIGNEMENT DE SAINT PAUL
13 novembre, 2015http://w2.vatican.va/content/benedict-xvi/fr/audiences/2008/documents/hf_ben-xvi_aud_20081112.html
BENOÎT XVI
AUDIENCE GÉNÉRALE
Mercredi 12 novembre 2008
ESCHATOLOGIE – L’ATTENTE DE LA PAROUSIE DANS L’ENSEIGNEMENT DE SAINT PAUL
Chers frères et sœurs,
Le thème de la résurrection, sur lequel nous nous sommes arrêtés la semaine dernière, ouvre une nouvelle perspective, celle de l’attente du retour du Seigneur, et nous conduit donc à réfléchir sur le rapport entre le temps présent, temps de l’Eglise et du Royaume du Christ, et l’avenir (éschaton) qui nous attend, lorsque le Christ remettra le Royaume au Père (cf. 1 Co 15, 24). Chaque discours chrétien sur les choses ultimes, appelé eschatologie, part toujours de l’événement de la résurrection: dans cet événement les choses ultimes sont déjà commencées et, dans un certain sens, déjà présentes. C’est probablement en l’an 52 que Paul a écrit la première de ses lettres, la première Lettre aux Thessaloniciens, où il parle de ce retour de Jésus, appelé parousie, avent, présence nouvelle, définitive et manifeste (cf. 4, 13-18). Aux Thessaloniciens, qui ont leurs doutes et leurs problèmes, l’Apôtre écrit ainsi: « Jésus, nous le croyons, est mort et ressuscité; de même, nous le croyons, ceux qui se sont endormis, Dieu, à cause de Jésus, les emmènera avec son Fils » (4, 14). Et il poursuit: « Les morts unis au Christ ressusciteront d’abord. Ensuite, nous les vivants, nous qui sommes encore là, nous serons emportés sur les nuées du ciel, en même temps qu’eux, à la rencontre du Seigneur. Ainsi, nous serons pour toujours avec le Seigneur » (4, 16-17). Paul décrit la parousie du Christ avec un ton très vif et avec des images symboliques qui transmettent cependant un message simple et profond: à la fin nous serons toujours avec le Seigneur. Tel est, au-delà des images, le message essentiel: notre avenir est « être avec le Seigneur »; en tant que croyants dans notre vie nous sommes déjà avec le Seigneur; notre avenir, la vie éternelle, est déjà commencé. Dans la deuxième Lettre aux Thessaloniciens Paul change la perspective; il parle des événements négatifs qui devront précéder l’événement final et conclusif. Il ne faut pas se laisser tromper – dit-il – comme si le jour du Seigneur était vraiment imminent, selon un calcul chronologique: « Frères, nous voulons vous demander une chose, au sujet de notre Seigneur Jésus Christ et de notre rassemblement auprès de lui: si on nous attribue une révélation, une parole ou une lettre prétendant que le jour du Seigneur est arrivé, n’allez pas aussitôt perdre la tête, ne vous laissez pas effrayer. Ne laissez personne vous égarer d’aucune manière » (2, 1-3). La suite de ce texte annonce qu’avant l’arrivée du Seigneur il y aura l’apostasie et que devra se révéler « l’homme de l’impiété », le « fils de perdition » (2, 3), qui n’est pas mieux défini et que la tradition appellera par la suite l’antéchrist. Mais l’intention de cette lettre de saint Paul est avant tout pratique; il écrit: « Et quand nous étions chez vous, nous vous donnions cette consigne: si quelqu’un ne veut pas travailler qu’il ne mange pas non plus. Or, nous apprenons que certains parmi vous vivent dans l’oisiveté, affairés sans rien faire. A ceux-la nous adressons dans le Seigneur Jésus Christ cet ordre et cet appel: qu’ils travaillent dans le calme pour manger le pain qu’ils auront gagné » (3, 10-12). En d’autres termes, l’attente de la parousie de Jésus ne dispense pas de l’engagement dans ce monde, mais au contraire crée une responsabilité devant le Juge divin à propos de nos actions dans ce monde. C’est justement ainsi que grandit notre responsabilité de travailler dans et pour ce monde. Nous verrons la même chose dimanche prochain dans l’évangile des talents, où le Seigneur nous dit qu’il nous a confié des talents à tous et que le Juge en demandera des comptes en disant: Avez-vous porté du fruit? L’attente du retour implique donc une responsabilité pour ce monde. La même chose et le même lien entre parousie – retour du Juge/Sauveur – et notre engagement dans notre vie apparaît dans un autre contexte et sous de nouveaux aspects dans la Lettre aux Philippiens. Paul est en prison et attend la sentence qui peut le condamner à mort. Dans cette situation il pense à sa future présence auprès du Seigneur, mais il pense aussi à la communauté de Philippes qui a besoin de son père, de Paul, et écrit: « En effet, pour moi, vivre c’est le Christ, et mourir est un avantage. Mais si, en vivant en ce monde, j’arrive à faire un travail utile, je ne sais plus comment choisir. Je me sens pris entre les deux: je voudrais bien partir pour être avec le Christ, car c’est bien cela le meilleur; mais, à cause de vous, demeurer en ce monde est encore plus nécessaire. J’en suis fermement convaincu; je sais donc que je resterai, et que je continuerai à être avec vous tous pour votre progrès et votre joie dans la foi. Ainsi, quand je serai de retour parmi vous, vous aurez en moi un nouveau motif d’orgueil dans le Christ Jésus » (1, 21-26). Paul n’a pas peur de la mort, au contraire: elle implique en effet d’être complètement avec le Christ. Mais Paul participe également des sentiments du Christ, qui n’a pas vécu pour lui-même, mais pour nous. Vivre pour les autres devient le programme de sa vie et démontre ainsi sa disponibilité parfaite à la volonté de Dieu, à ce que Dieu décidera. Il est surtout disponible, même à l’avenir, à vivre sur cette terre pour les autres, à vivre pour le Christ, à vivre pour sa présence vivante et ainsi pour le renouveau du monde. Nous voyons que cette présence auprès du Christ crée une grande liberté intérieure: liberté devant la menace de la mort, mais liberté aussi face à tous les engagements et toutes les souffrances de la vie. Il est simplement disponible pour Dieu et réellement libre. Et interrogeons nous à présent, après avoir examiné les différents aspects de l’attente de la parousie du Christ: quelles sont les attitudes fondamentales du chrétien face aux choses ultimes: la mort, la fin du monde? La première attitude est la certitude que Jésus est ressuscité, est avec le Père et est ainsi justement avec nous, pour toujours. Et personne n’est plus fort que le Christ, parce qu’il est avec le Père, parce qu’il est avec nous. Nous nous sentons ainsi plus sûrs, libérés de la peur. Cela était un effet essentiel de la prédication chrétienne. La peur des esprits, des divinités était répandue dans tout le monde antique. Et aujourd’hui également les missionnaires trouvent la peur des esprits, des puissance négatives qui nous menacent, mêlés à de nombreux éléments positifs des religions naturelles. Le Christ vit, a vaincu la mort et a vaincu tous ces pouvoirs. Nous vivons dans cette certitude, dans cette liberté, dans cette joie. C’est le premier aspect de notre vie concernant l’avenir. En deuxième lieu la certitude que le Christ est avec moi. Et comme dans le Christ le monde à venir est déjà commencé, cela nous donne aussi la certitude de l’espérance. L’avenir n’est pas un trou noir dans lequel personne ne s’oriente. Il n’en est pas ainsi. Sans le Christ, l’avenir est sombre même pour le monde d’aujourd’hui, il y a une grande crainte de l’avenir. Le chrétien sait que la lumière du Christ est plus forte, aussi vit-il dans une espérance qui n’est pas vague, dans une espérance qui donne de l’assurance et du courage pour affronter l’avenir. Enfin, la troisième attitude. Le Juge qui revient – il est juge et sauveur en même temps – nous a laissé l’engagement de vivre dans ce monde selon son mode de vie. Il nous a remis ses talents. Aussi notre troisième attitude est-elle: une responsabilité pour le monde, pour nos frères face au Christ, et en même temps également une certitude de sa miséricorde. Les deux choses sont importantes. Nous ne vivons pas comme si le bien et le mal étaient égaux, parce que Dieu seul peut être miséricordieux. Il serait trompeur de dire cela. En réalité, nous vivons dans une grande responsabilité. Nous avons nos talents, nous sommes chargés de travailler pour que ce monde s’ouvre au Christ, soit renouvelé. Mais même en travaillant et en sachant dans notre responsabilité que Dieu est un vrai juge, nous sommes également certains que ce juge est bon, nous connaissons son visage, le visage du Christ ressuscité, du Christ crucifié pour nous. Aussi pouvons-nous être sûrs de sa bonté et aller de l’avant avec un grand courage. Un autre élément de l’enseignement paulinien concernant l’eschatologie est celui de l’universalité de l’appel à la foi, qui réunit les Juifs et les Gentils, c’est-à-dire les païens, comme signe et anticipation de la réalité future, ce qui nous permet de dire que nous siégeons déjà dans les cieux avec Jésus Christ, mais pour montrer dans les siècles futurs la richesse de la grâce (cf. Ep 2, 6sq): l’après devient un avant pour mettre en évidence l’état de début de réalisation dans lequel nous vivons. Cela rend tolérables les souffrances du moment présent, qui ne sont cependant pas comparables à la gloire future (cf. Rm 8, 18). Nous marchons dans la foi et non dans une vision, et même s’il était préférable de partir en exil du corps et d’habiter auprès du Seigneur, ce qui compte en définitive, que l’on demeure dans le corps ou que l’on en sorte, est qu’on Lui soit agréables (cf. 2 Co 5, 7-9). Enfin, un dernier point qui peut nous paraître un peu difficile. Saint Paul en conclusion de sa première Lettre aux Corinthiens, répète et fait dire aux Corinthiens une prière née dans les premières communautés chrétiennes de la région palestinienne: Maranà, thà! qui signifie littéralement « Notre Seigneur, viens! » (16, 22). C’était la prière de la première chrétienté et le dernier livre du Nouveau Testament, l’Apocalypse, se termine lui aussi par cette prière: « Seigneur, viens! ». Pouvons-nous nous aussi prier ainsi? Il me semble que pour nous aujourd’hui, dans notre vie, dans notre monde, il est difficile de prier sincèrement pour que périsse ce monde, pour que vienne la nouvelle Jérusalem, pour que vienne le jugement dernier et le juge, le Christ. Je pense que si sincèrement nous n’osons pas prier ainsi pour de nombreux motifs, nous pouvons cependant également dire d’une manière juste et correcte, avec la première chrétienté: « Viens, Seigneur Jésus! ». Bien sûr nous ne voulons pas qu’arrive la fin du monde. Mais d’autre part, nous voulons également que se termine ce monde injuste. Nous voulons également que le monde soit fondamentalement changé, que commence la civilisation de l’amour, qu’arrive un monde de justice, de paix, sans violence, sans faim. Nous voulons tout cela: et comment cela pourrait-il arriver sans la présence du Christ? Sans la présence du Christ, un monde réellement juste et renouvelé n’arrivera jamais. Et même si d’une autre manière, totalement et en profondeur, nous pouvons et nous devons dire nous aussi, avec une grande urgence dans les circonstances de notre époque: Viens, Seigneur! Viens à ta manière, selon les manières que tu connais. Viens où règnent l’injustice et la violence. Viens dans les camps de réfugiés, au Darfour, au Nord-Kivu, dans de nombreuses parties du monde. Viens où règne la drogue. Viens également parmi ces riches qui t’ont oublié, qui vivent seulement pour eux-mêmes. Viens là où tu n’es pas connu. Viens à ta manière et renouvelle le monde d’aujourd’hui. Viens également dans nos cœurs, viens et renouvelle notre vie, viens dans notre cœur pour que nous-mêmes puissions devenir lumière de Dieu, ta présence. Prions en ce sens avec saint Paul: Maranà, thà! « Viens, Seigneur Jésus! ». Et prions pour que le Christ soit réellement présent aujourd’hui dans notre monde et le renouvelle.
HOMÉLIE 33E DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE
13 novembre, 2015http://www.homelies.fr/homelie,,4386.html
HOMÉLIE 33E DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE
dimanche 15 novembre 2015
Famille de Saint Joseph
La plus terrible pauvreté, la plus grande misère, n’est-elle pas l’ignorance de Dieu, qui nous prive du sens de notre existence, et nous condamne à nous mobiliser jour après jour pour une vie appelée à sombrer dans le néant ? Les esprits forts ne manquent pas pour affirmer à qui veut l’entendre que l’état d’enfance de l’humanité est dépassé, et que l’heure est venue pour l’homme d’affirmer enfin son autonomie absolue. Ni Dieu ni loi, de quelque nature qu’elle soit : exit la loi morale, exit les commandements d’un Dieu qui n’existe pas, exit la culpabilité, les tabous, toutes les entraves à la liberté. Mais voilà qu’après un temps d’euphorie et d’exaltation, ce petit Prométhée qui essaye de s’élever jusqu’au ciel pour s’emparer du trône de Dieu, est en train de s’écraser lamentablement sur terre. Qui ne voit que la soi-disant libération des mœurs ne conduit qu’à l’aliénation aux passions débridées, que le relativisme éthique étouffe tout idéal, et que l’athéisme conduit au désespoir, comme le confirme le nombre sans cesse grandissant de suicides ? Hélas, l’homme contemporain est trop orgueilleux pour avouer son erreur, revenir de son errance, et se convertir au Dieu de tendresse qui lui tend les bras ouverts de sa miséricorde. Pourtant, comme nous le rappelle la liturgie de ce dernier dimanche de l’année, il n’y a pas une minute à perdre : les temps sont courts : le Seigneur est proche. Au temps de la patience et du pardon succèdera celui de la justice, lorsque nos œuvres seront révélées au grand jour et que seuls échapperont au jugement ceux qui humblement lèveront les yeux vers celui qu’ils ont transpercés. D’aucun ne manquent pas d’ironiser, « accusant le Seigneur de retard » ; mais ne nous y trompons pas : « devant le Seigneur, un jour est comme mille, et mille ans sont comme un jour ; il ne retarde pas l’accomplissement de ce qu’il a promis, mais il use de patience envers nous, voulant que personne ne périsse, mais que tous arrivent au repentir » (2 P 3, 8-9). Au jour et à l’heure fixés, que « nul ne connait, pas même les anges dans le ciel, pas même le Fils, mais seulement le Père », « on verra le Fils de l’homme venir sur les nuées avec grande puissance et grande gloire » ; « en ce temps-là viendra le salut pour tous ceux dont le nom se trouvera dans le livre de Dieu », mais ceux qui auront refusé le pardon offert en Jésus-Christ, « s’éveilleront pour la honte et la déchéance éternelles » (1ère lect.). Sommes-nous en train de réactiver un genre littéraire suranné, largement utilisé par les prédicateurs d’un autre âge, et qui consiste à faire trembler de peur les pauvres fidèles afin d’étouffer leur joie de vivre, et de les amener à une soumission inconditionnelle aux clercs ? Pas du tout : la Parole de Dieu n’a guère changé, même si les styles de prédication ont évolué. Nous ne prêchons pas un Dieu terrible ni une religion de la peur, mais nous avertissons nos contemporains des malheurs qu’ils sont eux-mêmes en train de déclencher par leur mépris de la loi naturelle. De nos jours, les médias ne cessent de nous mettre en garde : si nous continuons à transgresser les lois de la biosphère, nous allons gravement hypothéquer l’avenir de la planète. Et pourquoi donc ce qui est vrai dans le domaine des lois naturelles de l’écologie, ne se vérifierait-il pas dans le domaine de la loi morale naturelle ? Hélas, il n’est pas pire sourd que celui qui ne veut pas entendre : nos contemporains se bouchent les oreilles à la voix de leur conscience, croyant pouvoir impunément transgresser les lois élémentaires de la vie naturelle. Le pape Benoît XVI le rappelait vigoureusement dans sa dernière Lettre encyclique : « La dégradation de l’environnement est en effet étroitement liée à la culture qui façonne la communauté humaine : quand l’ »écologie humaine » est respectée dans la société, l’écologie proprement dite en tire aussi avantage. Le point déterminant est la tenue morale de la société dans son ensemble. Si le droit à la vie et à la mort naturelle n’est pas respecté ; si la conception, la gestation et la naissance de l’homme sont rendues artificielles ; si des embryons humains sont sacrifiés pour la recherche, la conscience commune finit par perdre le concept d’écologie humaine et, avec lui, celui d’écologie environnementale. Exiger des nouvelles générations le respect du milieu naturel devient une contradiction, quand l’éducation et les lois ne les aident pas à se respecter elles-mêmes. Le livre de la nature est unique et indivisible, qu’il s’agisse de l’environnement comme de la vie, de la sexualité, du mariage, de la famille, des relations sociales, en un mot du développement humain intégral. Les devoirs que nous avons vis-à-vis de l’environnement sont liés aux devoirs que nous avons envers la personne considérée en elle-même et dans sa relation avec les autres. On ne peut exiger les uns et piétiner les autres. C’est là une grave antinomie de la mentalité et de la praxis actuelle qui avilit la personne, bouleverse l’environnement et détériore la société » (n° 51).
Qu’ajouter de plus, sinon un tout aussi vibrant appel à la conversion, à commencer par nous-mêmes ; car il n’est jamais trop tard. Nous le croyons : « Jésus-Christ, après avoir offert pour les péchés un unique sacrifice, s’est assis pour toujours à la droite de Dieu. Par son sacrifice unique, il a mené pour toujours à leur perfection ceux qui reçoivent de lui la sainteté » (2nd lect.). Les commandements de Dieu et de l’Eglise ne sont pas une ingérence dans notre vie privée personnelle, une menace pour notre autonomie, une aliénation de notre liberté ; mais au contraire les préceptes – qui interprètent la Parole de Dieu de manière à ce que nous puissions la mettre en pratique – sont des indications précieuses pour nous aider à découvrir le chemin d’une vie authentiquement humaine, d’une vie conforme au dessein de Dieu sur nous – dessein qui nous est révélé précisément par la loi naturelle inscrite dans notre humanité, confirmée et complétée par la révélation surnaturelle. Obéir à la loi naturelle, c’est obéir à notre propre humanité, c’est entrer plus avant dans notre propre vérité, et par le fait même, libérer notre libre-arbitre des aliénations que font peser sur elle les idéologies qui se succèdent et se contredisent de génération en génération : « le ciel et la terre passeront, seules les paroles de Jésus ne passeront pas ». Que l’Esprit Saint nous accorde l’intelligence spirituelle de notre pèlerinage sur cette terre, de sorte que nous puissions discerner toutes choses sur l’horizon de notre destinée éternelle. Nous pourrons alors prier avec le psalmiste : « Seigneur mon partage et ma coupe, de toi dépend mon sort. Je garde le Seigneur devant moi sans relâche ; il est à ma droite : je suis inébranlable. Mon cœur exulte, mon âme est en fête, ma chair elle-même repose en confiance : Tu ne peux m’abandonner à la mort ni laisser ton ami voir la corruption. Mon Dieu, j’ai fait de toi mon refuge. Tu m’apprends le chemin de la vie : Devant ta face débordement de joie ! A ta droite, éternité de délices ! » (Ps 15). Père Joseph-Marie
Icon of the Holy Trinity
12 novembre, 2015LES PROMESSES DIVINES FAITES À DAVID – LECTURE: PS 131, 1-10
12 novembre, 2015http://www.clerus.org/bibliaclerusonline/fr/bpo.htm
MERCREDI 14 SEPTEMBRE 2005: LES PROMESSES DIVINES FAITES À DAVID – LECTURE: PS 131, 1-10
1. Nous venons d’écouter la première partie du Psaume 131, un hymne que la Liturgie des Vêpres nous offre à deux moments distincts. Beaucoup d’exégètes pensent que ce chant a retenti lors de la célébration solennelle du transport de l’arche du Seigneur, signe de la présence divine au sein du peuple d’Israël, à Jérusalem, la nouvelle capitale choisie par David. Dans le récit de cet événement, tel qu’il nous est rapporté par la Bible, on lit que le roi David « dansait en tournoyant de toutes ses forces devant Yahvé, il avait ceint un pagne (efod) de lin. David et toute la maison d’Israël faisaient monter l’arche de Yahvé en poussant des acclamations et en sonnant du cor » (2S 6,14-15). D’autres chercheurs, en revanche, rapportent le Psaume 131 à une célébration commémorative de cet antique événement, après l’institution du culte dans le sanctuaire de Sion, qui est précisément l’oeuvre de David. 2. Notre hymne semble supposer une dimension liturgique: il était probablement utilisé au cours du déroulement d’une procession, en présence de prêtres et de fidèles, avec la participation d’un choeur. En suivant la Liturgie des Vêpres, nous nous arrêterons sur les dix premiers versets du Psaume, ceux qui viennent d’être proclamés. Au coeur de ce passage se trouve le serment solennel prononcé par David. En effet, on dit que celui-ci – après avoir surmonté le dur conflit avec son prédécesseur, le roi Saul – « fit serment à Yahvé, un voeu au puissant Jacob » (cf. Ps 131,2). Le contenu de cet engagement solennel, exprimé dans les versets 3-5, est clair: le souverain ne mettra pas pied dans le palais royal de Jérusalem, ne trouvera plus la tranquillité, ni le repos avant d’avoir trouvé une demeure pour l’arche du Seigneur. Et il s’agit d’une chose très importante, car elle démontre qu’au centre de la vie sociale d’une ville, d’une communauté, d’un peuple, il doit y avoir une présence qui évoque le mystère de Dieu transcendant, un espace spécifique pour Dieu, une demeure pour Dieu. L’homme ne peut pas bien marcher sans Dieu, il doit marcher avec Dieu dans l’histoire, et le temple, la demeure de Dieu, a le devoir de signaler de façon visible cette communion, cette attitude de se laisser guider par Dieu. 3. A ce point, après les paroles de David, apparaît, peut-être à travers les paroles d’un choeur liturgique, le souvenir du passé. En effet, on réévoque la découverte de l’arche dans les campagnes d’Iaar, dans la région d’Ephrata (cf. v. 6): elle était demeurée longtemps en ce lieu, après avoir été restituée par les Philistins à Israël, qui l’avait perdue au cours d’une bataille (cf. 1S 7,1 2S 6,2 2S 6,11). De la province, elle est donc amenée dans la future ville sainte, et notre passage se termine par une célébration festive qui voit, d’un côté, le peuple en adoration (cf. Ps 131,7 Ps 131,9), c’est-à-dire l’assemblée liturgique et, de l’autre côté, le Seigneur qui recommence à devenir présent et actif sous le signe de l’arche installée à Sion (cf. v. 8), et ainsi au coeur de son peuple. L’âme de la liturgie se trouve dans cette rencontre entre prêtres et fidèles, d’une part, et le Seigneur et sa puissance, de l’autre. 4. Scellant la première partie du Psaume 131, une acclamation de prière retentit en faveur des rois successeurs de David: « Par amour de David ton serviteur, n’écarte pas la face de ton consacré » (cf. v. 10). On voit donc le futur successeur de David, « ton consacré ». Il est facile d’entrevoir la dimension messianique de cette supplication, tout d’abord destinée à implorer un soutien pour le souverain juif face aux épreuves de la vie. Le terme « consacré » traduit en effet le terme hébreu « Messie »: le regard de l’orant va ainsi au-delà des événements du royaume de Judée et se projette vers la grande attente du « Consacré » parfait, le Messie qui sera toujours agréable à Dieu, aimé et béni par lui, et qui ne sera pas seulement d’Israël, mais sera le « consacré », le roi pour le monde entier. Lui, Dieu, est avec nous, et attend ce « consacré », venu ensuite dans la personne de Jésus Christ. 5. C’est cette interprétation messianique, pour le « consacré » futur, qui dominera dans la relecture chrétienne et qui s’étendra à tout le Psaume. Par exemple, l’application qu’Esychion de Jérusalem, un prêtre de la première moitié du V siècle, fera du verset 8 à l’incarnation du Christ est significative. Dans sa Deuxième Homélie sur la Mère de Dieu, il s’adresse ainsi à la Vierge: « A propos de toi et de Celui qui est né de toi, David ne cesse de chanter sur sa lyre: « Lève-toi, Yahvé, vers ton repos, toi et l’arche de ta force » (Ps 131,8) ». Qui est l’ »arche de ta force »? Esychion répond: « Bien évidemment la Vierge, la Mère de Dieu. Car si tu es la perle, elle est de bon droit l’arche; si tu es le soleil, la Vierge sera nécessairement appelée le ciel; et si tu es la Fleur incontaminée, alors la Vierge sera la plante incorruptible, le paradis d’immortalité » (Testi mariani del primo millennio, I, Roma 1988, pp. 532-533). Cette double interprétation me semble très importante. Le Christ est le « consacré ». Le Christ, le Fils de Dieu lui-même, s’est incarné. Et l’Arche de l’Alliance, la véritable demeure de Dieu dans le monde, qui n’est pas faite de bois mais de chair et de sang, c’est la Vierge qui s’offre elle-même au Seigneur comme Arche de l’Alliance et qui nous invite à être nous aussi une demeure vivante pour Dieu dans le monde. *** Je salue cordialement les pèlerins francophones présents ce matin. Puisse la Croix du Christ, signe de l’amour du Seigneur victorieux du mal et de la mort, vous appeler à devenir toujours plus des serviteurs de l’Évangile et de généreux artisans de paix et de fraternité !
LA BEAUTÉ – PAR SIMONE WEIL
12 novembre, 2015http://www.biblisem.net/citatio/citweil.htm
LA BEAUTÉ – PAR SIMONE WEIL
La beauté du monde n’est pas un attribut de la matière en elle-même. C’est un rapport du monde à notre sensibilité, cette sensibilité qui tient à la structure de notre corps et de notre âme. Le Micromégas de Voltaire, un infusoire pensant n’auraient aucun accès à la beauté dont nous nous nourrissons dans l’univers. Au cas où de tels êtres existeraient, il faut avoir foi que le monde serait beau aussi pour eux, mais ce serait une autre beauté. De toute manière, il faut avoir foi que l’univers est beau à toutes les échelles et, plus généralement, qu’il a la plénitude de la beauté par rapport à la structure corporelle et psychique de chacun des êtres pensants qui existent en fait et de tous les êtres pensants possibles. C’est même cette concordance d’une infinité de beautés parfaites qui fait le caractère transcendant de la beauté du monde. Néanmoins, ce quenous éprouvons de cette beauté a été destiné à notre sensibilité humaine.
La beauté du monde est la coopération de la Sagesse divine à la création. « Zeus a achevé toutes choses, dit un vers orphique, et Bacchus les a parachevées. » Le parachèvement, c’est la création de la beauté. Dieu a créé l’univers, et son Fils, notre frère premier-né, en a créé la beauté pour nous. La beauté du monde, c’est le sourire de tendresse du Christ pour nous à travers la matière. Il est réellement présent dans la beauté universelle. L’amour de cette beauté procède de Dieu descendu dans notre âme et va vers Dieu présent dans l’univers. C’est aussi quelque chose comme un sacrement. Il n’en est ainsi que de la beauté universelle. Mais, excepté Dieu, seul l’univers tout entier peut avec une entière propriété de termes être nommé beau. Tout ce qui est dans l’univers et moindre que l’univers peut être nommé beau seulement en étendant ce mot au delà de sa signification rigoureuse, aux choses qui ont indirectement part à la beauté, qui en sont des imitations. Toutes ces beautés secondaires sont d’un prix infini comme ouvertures sur la beauté universelle. Mais si on s’arrête à elles, elles sont au contraire des voiles elles sont alors corruptrices. Toutes enferment plus ou moins cette tentation, mais à des degrés très divers. Il y a aussi quantité de facteurs de séduction qui sont tout à fait étrangers à la beauté, mais à cause desquels, par manque de discernement, on nomme belles les choses où ils résident. Car ils attirent l’amour par fraude, et tous les hommes nomment beau tout ce qu’ils aiment. Tous les hommes, même les plus ignorants, même les plus vils, savent que la beauté seule a droit à notre amour. Les plus authentiquement grands le savent aussi. Aucun homme n’est au-dessous ni au-dessus de la beauté. Les mots qui expriment la beauté viennent aux lèvres de tous dès qu’ils veulent louer ce qu’ils aiment. Ils savent seulement plus ou moins bien la discerner. La beauté est la seule finalité ici-bas. Comme Kant a très bien dit, c’est une finalité qui ne contient aucune fin. Une chose belle ne contient aucun bien, sinon elle-même, dans sa totalité, telle qu’elle nous apparaît. Nous allons vers elle sans savoir quoi lui demander. Elle nous offre sa propre existence. Nous ne désirons pas autre chose, nous possédons cela, et pourtant nous désirons encore. Nous ignorons tout à fait quoi. Nous voudrions aller derrière la beauté, mais elle n’est que surface. Elle est comme un miroir qui nous renvoie notre propre désir du bien. Elle est un sphinx, une énigme, un mystère douloureusement irritant. Nous voudrions nous en nourrir, mais elle n’est qu’objet de regard, elle n’apparaît qu’à une certaine distance. La grande douleur de la vie humaine, c’est que regarder et manger soient deux opérations différentes. De l’autre côté du ciel seulement, dans le pays habité par Dieu, c’est une seule et même opération. Déjà les enfants, quand ils regardent longtemps un gâteau et le prennent presque à regret pour le manger, sans pouvoir pourtant s’en empêcher, éprouvent cette douleur. Peut-être les vices, les dépravations et les crimes sont-ils presque toujours ou même toujours dans leur essence des tentatives pour manger la beauté, manger ce qu’il faut seulement regarder. Ève avait commencé. Si elle a perdu l’humanité en mangeant un fruit, l’attitude inverse, regarder un fruit sans le manger, doit être ce qui sauve. « Deux compagnons ailés, dit une Upanishad, deux oiseaux sont sur une branche d’arbre. L’un mange les fruits, l’autre les regarde. » Ces deux oiseaux sont les deux parties de notre âme. C’est parce que la beauté ne contient aucune fin qu’elle constitue ici-bas l’unique finalité. Car ici-bas il n’y a pas du tout de fins. Toutes ces choses que nous prenons pour des fins sont des moyens. C’est là une vérité évidente. L’argent est un moyen d’acheter, le pouvoir est un moyen de commander. Il en est ainsi, plus ou moins visiblement, de tout ce que nous nommons des biens. La beauté seule n’est pas un moyen pour autre chose. Seule elle est bonne en elle-même, mais sans que nous trouvions en elle aucun bien. Elle semble être elle-même une promesse et non un bien. Mais elle ne donne qu’elle-même, elle ne donne jamais autre chose. Néanmoins, comme elle est l’unique finalité, elle est présente dans toutes les poursuites humaines. Bien que toutes pourchassent seulement des moyens, car tout ce qui existe ici-bas est seulement moyen, la beauté leur donne un éclat qui les colore de finalité. Autrement il ne pourrait pas y avoir désir, ni par conséquent énergie dans la poursuite. Pour l’avare du genre Harpagon, toute la beauté du monde est enfermée dans l’or. Et réellement l’or, matière pure et brillante, a quelque chose de beau. La disparition de l’or comme monnaie semble avoir fait disparaître aussi ce genre d’avarice. Aujourd’hui, ceux qui amassent sans dépenser cherchent du pouvoir. La plupart de ceux qui recherchent la richesse y joignent la pensée du luxe. Le luxe est la finalité de la richesse. Et le luxe est la beauté elle-même pour toute une espèce d’hommes. Il constitue l’entourage dans lequel seulement ils peuvent sentir vaguement que l’univers est beau de même que saint François, pour sentir que l’univers est beau, avait besoin d’être vagabond et mendiant. L’un et l’autre moyen seraient également légitimes si dans l’un et l’autre cas la beauté du monde était éprouvée d’une manière aussi directe, aussi pure, aussi pleine, mais heureusement Dieu a voulu qu’il n’en fût pas ainsi. La pauvreté a un privilège. C’est là une disposition providentielle sans laquelle l’amour de la beauté du monde serait facilement en contradiction avec l’amour du prochain. Néanmoins l’horreur de la pauvreté – et toute diminution de richesse peut être ressentie comme pauvreté, ou même le non-accroissement – est essentiellement l’horreur de la laideur. L’âme que les circonstances empêchent de rien sentir, même confusément, même à travers le mensonge, de la beauté du monde, est envahie jusqu’au centre par une espèce d’horreur. L’amour du pouvoir revient au désir d’établir un ordre parmi les hommes et les choses autour de soi, dans un ordre grand ou petit, et cet ordre est désirable par l’effet du sentiment du beau. Dans ce cas comme dans celui du luxe, il s’agit d’imprimer à un certain milieu fini, mais que souvent on désire continuellement accroître, un arrangement qui donne l’impression de la beauté universelle. L’insatisfaction, le désir d’accroissement, a précisément pour cause qu’on désire le contact de la beauté universelle, alors que le milieu qu’on organise n’est pas l’univers. Il n’est pas l’univers et il le cache. L’univers tout autour est comme un décor de théâtre. Valéry, dans le poème intitulé Sémiramis, fait très bien sentir le lien entre l’exercice de la tyrannie et l’amour du beau. Louis XIV, en dehors de la guerre, instrument d’accroissement du pouvoir, ne s’intéressait qu’aux fêtes et à l’architecture. La guerre elle-même d’ailleurs, surtout telle qu’elle était autrefois, touche d’une manière vive et poignante la sensibilité au beau. L’art est une tentative pour transporter dans une quantité finie de matière modelée par l’homme une image de la beauté infinie de l’univers entier. Si la tentative est réussie, cette portion de matière ne doit pas cacher l’univers, mais au contraire en révéler la réalité tout autour. Les oeuvres d’art qui ne sont pas des reflets justes et purs de la beauté du monde, des ouvertures directes pratiquées sur elle, ne sont pas à proprement parler belles elles ne sont pas de premier ordre leurs auteurs peuvent avoir beaucoup de talent, mais non pas authentiquement du génie. C’est le cas de beaucoup d’oeuvres d’art parmi les plus célèbres et les plus vantées. Tout véritable artiste a eu un contact réel, direct, immédiat avec la beauté du monde, ce contact qui est quelque chose comme un sacrement. Dieu a inspiré toute oeuvre d’art de premier ordre, le sujet en fût-il mille fois profane il n’a inspiré aucune des autres. En revanche, parmi les autres, l’éclat de la beauté qui recouvre certaines pourrait bien être un éclat diabolique. La science a pour objet l’étude et la reconstruction théorique de l’ordre du monde. L’ordre du monde par rapport à la structure mentale, psychique et corporelle de l’homme contrairement aux illusions naïves de certains savants, ni l’emploi des télescopes et des microscopes, ni l’usage des formules algébriques les plus singulières, ni même le mépris du principe de non-contradiction ne permettent de sortir des limites de cette structure. Ce n’est d’ailleurs pas désirable. L’objet de la science, c’est la présence dans l’univers de la Sagesse dont nous sommes les frères, la présence du Christ au travers de la matière qui constitue le monde. Nous reconstruisons nous-mêmes l’ordre du monde en image, à partir de données limitées, dénombrables, rigoureusement définies. Entre ces termes abstraits et par là maniables pour nous, nous nouons nous-mêmes des liens en concevant des rapports. Nous pouvons ainsi contempler dans une image, image dont l’existence même est suspendue à l’acte de notre attention, la nécessité qui est la substance même de l’univers, mais qui comme telle ne se manifeste à nous que par des coups. On ne contemple pas sans quelque amour. La contemplation de cette image de l’ordre du monde constitue un certain contact avec la beauté du monde. La beauté du monde, c’est l’ordre du monde aimé. Le travail physique constitue un contact spécifique avec la beauté du monde, et même, dans les meilleurs moments, un contact d’une plénitude telle que nul équivalent ne peut s’en trouver ailleurs. L’artiste, le savant, le penseur, le contemplatif doivent admirer réellement l’univers, percer cette pellicule d’irréalité qui le voile et en fait pour presque tous les hommes, à presque tous les moments de leur vie, un rêve ou un décor de théâtre. Ils le doivent, mais le plus souvent ne le peuvent pas. Celui qui a les membres rompus par l’effort d’une journée de travail, c’est-à-dire d’une journée où il a été soumis à la matière, porte dans sa chair comme une épine la réalité de l’univers. La difficulté pour lui est de regarder et d’aimer s’il y arrive, il aime le réel. C’est l’immense privilège que Dieu a réservé à ses pauvres. Mais ils ne le savent presque jamais. On ne le leur dit pas. L’excès de fatigue, le souci harcelant de l’argent et le manque de vraie culture les empêchent de s’en apercevoir. Il suffirait de changer peu de chose à leur condition pour leur ouvrir l’accès d’un trésor. Il est déchirant de voir combien il serait facile aux hommes dans bien des cas de procurer à leurs semblables un trésor, et comment ils laissent passer les siècles sans en prendre la peine. à l’époque où il y avait une civilisation populaire dont nous collectionnons aujourd’hui les miettes comme pièces de musée sous le nom de folklore, le peuple avait sans doute accès à ce trésor. La mythologie aussi, qui est très proche parente du folklore, en est un témoignage, si on en déchiffre la poésie. L’amour charnel sous toutes ses formes, de la plus haute, véritable mariage ou amour platonique, jusqu’à la plus basse, jusqu’à la débauche, a pour objet la beauté du monde. L’amour qui s’adresse au spectacle des cieux, des plaines, de la mer, des montagnes, au silence de la nature rendu sensible par ses mille bruits légers, aux souffles des vents, à la chaleur du soleil, cet amour que tout être humain pressent tout au moins vaguement un moment, c’est un amour incomplet, douloureux, parce qu’il s’adresse à des choses incapables de répondre, à de la matière. Les hommes désirent reporter ce même amour sur un être qui soit leur semblable, capable de répondre à l’amour, de dire oui, de se livrer. Le sentiment de beauté parfois lié à l’aspect d’un être humain rend ce transfert possible tout au moins d’une manière illusoire. Mais c’est la beauté du monde, la beauté universelle vers laquelle se dirige le désir. Simone WEIL, Attente de Dieu, 1950.
LA BEAUTÉ Quand on voit un être humain véritablement beau, ce qui est très rare, ou quand on entend le chant d’une voix vraiment belle, on ne peut pas se défendre de la croyance que derrière cette beauté sensible il y a une âme faite du plus pur amour. Très souvent c’est faux, et de telles erreurs causent souvent de grands malheurs. Mais pour l’univers, c’est vrai. La beauté du monde nous parle de l’Amour qui en est l’âme comme pourraient faire les traits d’un visage humain qui serait parfaitement beau et qui ne mentirait pas. Il y a malheureusement beaucoup de moments, et même de longues périodes de temps où nous ne sommes pas sensibles à la beauté du monde parce qu’un écran se met entre elle et nous, soit les hommes et leurs misérables fabrications, soit les laideurs de notre propre âme. Mais nous pouvons toujours savoir qu’elle existe. Et savoir que tout ce que nous touchons, voyons et entendons est la chair même et la voix même de l’Amour absolu. Encore une fois, il n’y a dans cette conception aucun panthéisme car cette âme n’est pas dans ce corps, elle le contient, le pénètre et l’enveloppe de toutes parts, étant elle-même hors de l’espace et du temps elle en est tout à fait distincte et elle le gouverne. Mais elle se laisse apercevoir par nous à travers la beauté sensible comme un enfant trouve dans un sourire de sa mère, dans une inflexion de sa voix, la révélation de l’amour dont il est l’objet. Ce serait une erreur de croire que la sensibilité à la beauté est le privilège d’un petit nombre de gens cultivés. Au contraire, la beauté est la seule valeur universellement reconnue. Dans le peuple, on emploie constamment le terme de beau ou des termes synonymes pour louer non seulement une ville, un pays, une contrée, mais encore les choses les plus imprévues, par exemple une machine. Le mauvais goût général fait que les hommes, cultivés ou non, appliquent souvent très mal ces termes mais c’est une autre question. L’essentiel, c’est que le mot de beauté parle à tous les coeurs. Simone WEIL, Intuitions pré-chrétiennes, 1951.
LA BEAUTÉ La beauté est un mystère elle est ce qu’il y a de plus mystérieux ici-bas. Mais elle est un fait. Tous les êtres en reconnaissent le pouvoir, y compris les plus frustes ou les plus vils, quoique fort peu en possèdent le discernement et l’usage. Elle est invoquée dans la plus basse débauche. D’une manière générale, tous les êtres humains emploient les mots qui se rapportent à elle pour désigner tout ce à quoi ils attachent à tort ou à raison une valeur, quelle que soit la nature de cette valeur. On croirait qu’ils regardent la beauté comme la valeur unique. Il n’y a ici-bas, à proprement parler, qu’une seule beauté, c’est la beauté du monde. Les autres beautés sont des reflets de celle-là, soit fidèles et purs, soit déformés et souillés, soit même diaboliquement pervertis. En fait, le monde est beau. Quand nous sommes seuls en pleine nature et disposés à l’attention, quelque chose nous porte à aimer ce qui nous entoure, et qui n’est fait pourtant que de matière brutale, inerte, muette et sourde. Et la beauté nous touche d’autant plus vivement que la nécessité apparaît d’une manière plus manifeste, par exemple dans les plis que la pesanteur imprime aux montagnes ou aux flots de la mer, dans le cours des astres. Dans la mathématique pure aussi, la nécessité resplendit de beauté. Sans doute l’essence même du sentiment de la beauté est-elle le sentiment que cette nécessité dont une des faces est contrainte brutale a pour autre face l’obéissance à Dieu. Par l’effet d’une miséricorde providentielle, cette vérité est rendue sensible à la partie charnelle de notre âme et même en quelque sorte à notre corps. Cet ensemble de merveilles est parachevé par la présence, dans les connexions nécessaires qui composent l’ordre universel, des vérités divines exprimées symboliquement. C’est la merveille des merveilles, et comme la signature secrète de l’artiste. Simone WEIL, Intuitions pré-chrétiennes, 1951.
LA BEAUTÉ Nous devons reproduire en nous l’ordre du monde. Là est la source de l’idée de microcosme et de macrocosme qui a tellement hanté le Moyen Âge. Elle est d’une profondeur presque impénétrable. La clef en est le symbole du mouvement circulaire. Ce désir insatiable en nous qui est toujours tourné vers le dehors et qui a pour domaine un avenir imaginaire, nous devons le forcer à se boucler sur soi-même et à porter sa pointe sur le présent. Les mouvements des corps célestes qui partagent notre vie en jours, en mois et en années sont notre modèle à cet égard, parce que les retours y sont tellement réguliers que pour les astres l’avenir ne diffère en rien du passé. Si nous contemplons en eux cette équivalence de l’avenir et du passé, nous perçons à travers le temps jusque dans l’éternité, et, étant délivrés du désir tourné vers l’avenir, nous le sommes aussi de l’imagination qui l’accompagne et qui est l’unique source de l’erreur et du mensonge. Nous avons part à la rectitude des proportions, où il n’y a aucun arbitraire, par suite aucun jeu pour l’imagination. Mais ce mot de proportion évoque sans doute aussi l’Incarnation. Simone WEIL, Intuitions pré-chrétiennes, 1951.
« SOYEZ SAINTS, CAR MOI, LE SEIGNEUR VOTRE DIEU, JE SUIS SAINT. »
11 novembre, 2015« SOYEZ SAINTS, CAR MOI, LE SEIGNEUR VOTRE DIEU, JE SUIS SAINT. »
18 février 2014 by P. Thomas Rosica Leave a Comment Septième dimanche du temps ordinaire Lévitique 19,1-2.17-18 1 Corinthiens 3,16-23 Matthieu 5,38-48
Les trois lectures d’aujourd’hui nous lancent trois appels : à être saints comme le Seigneur notre Dieu est saint; à ne pas nous laisser abuser par la sagesse de ce monde; à aimer nos ennemis et à prier pour ceux qui nous persécutent. Commençons notre réflexion, cette semaine, en considérant le passage du Lévitique (19, 1-2.17-18.) Dieu est le Saint et le Créateur de la vie humaine, et l’être humain est à la foi béni et lié par la parfaite sainteté de Dieu. C’est pourquoi toute vie humaine est sainte, sacrée et inviolable. D’après Lévitique 19,2, la sainteté de Dieu constitue un impératif incontournable du comportement moral: « Vous devrez être saints parce que moi, le Seigneur votre Dieu, je le suis! » Cet énoncé lourd de conséquences décrit admirablement la vocation de chaque homme et de chaque femme comme aussi toute la mission de l’Église à travers l’histoire : c’est l’appel à la sainteté. Soyez saints… La sainteté est une vérité qui imprègne toute l’ancienne alliance: Dieu est saint et appelle tout le monde à la sainteté. La loi mosaïque disait: « Soyez saints, car moi, le Seigneur votre Dieu, je suis saint. » La sainteté réside en Dieu et ce n’est que de Dieu qu’elle peut se communiquer au sommet de la création de Dieu : l’être humain. Nous sommes faits à l’image et à la ressemblance de Dieu, et la sainteté de Dieu, son « altérité absolue » a laissé son empreinte en chacune et chacun de nous. Les êtres humains deviennent les véhicules et les instruments de la sainteté de Dieu pour le monde. Cette sainteté est le feu de la Parole de Dieu, qui doit vivre dans nos cœurs et les embraser. C’est ce feu, ce dynamisme, qui va consumer le mal en nous et autour de nous, et faire éclater la sainteté en guérissant et en transformant la société et la culture qui nous entourent. Il n’y a que la sainteté pour éradiquer le mal ; la dureté n’y arrive pas. La sainteté inscrit dans la société une semence de guérison et de transformation. La sainteté est un mode de vie qui comporte engagement et activité. Loin de se cantonner dans la passivité, la sainteté consiste à choisir constamment d’approfondir sa relation à Dieu et à laisser ensuite cette relation privilégiée inspirer notre action dans le monde. La sainteté exige un changement radical de mentalité et d’attitude. En acceptant l’appel à la sainteté, nous faisons de Dieu l’objectif ultime de chaque aspect de notre vie. L’orientation fondamentale vers Dieu enveloppe et sous-tend notre rapport aux autres êtres humains. Soutenus par une vie de vertu et confirmés par les dons de l’Esprit Saint, nous sommes de plus en plus attirés par Dieu et par le moment où nous Le verrons face à face dans l’au-delà et où nous goûterons l’union parfaite avec Lui. Ici et maintenant, nous accédons à la sainteté en travaillant de notre mieux, en élevant patiemment nos enfants et en cultivant des relations constructives à la maison, à l’école et au travail. Si nous intégrons tout cela à notre réponse à l’amour de Dieu, nous sommes engagés sur la route de la sainteté. La révolution de la sainteté Les mots du Lévitique dans la première lecture d’aujourd’hui [19,2] prennent vie chez les saints et les bienheureux de notre tradition catholique. Cette multitude d’hommes et de femmes à travers l’histoire sont les vrais « révolutionnaires de la sainteté », comme l’a si bien dit le pape Benoît à la Journée mondiale de la Jeunesse 2005, à Cologne en Allemagne:
[http://www.vatican.va/holy_father/benedict_xvi/speeches/2005/august/documents/hf_ben-xvi_spe_20050820_vigil-wyd_fr.html]
« C’est le grand cortège des saints – connus ou inconnus -, par lesquels le Seigneur, tout au long de l’histoire, a ouvert devant nous l’Évangile et en a fait défiler les pages; c’est la même chose qu’il est en train de faire maintenant. Dans leur vie, comme dans un grand livre illustré, se dévoile la richesse de l’Evangile. Ils sont le sillon lumineux de Dieu, que Lui-même, au long de l’histoire, a tracé et trace encore… Les saints, avons-nous dit, sont les vrais réformateurs. Je voudrais maintenant l’exprimer de manière plus radicale encore: c’est seulement des saints, c’est seulement de Dieu que vient la véritable révolution, le changement décisif du monde. » La planification pastorale Dans sa Lettre apostolique Novo Millennio Ineunte publiée lors de la clôture du Grand Jubilé de l’an 2000, le pape Jean-Paul II invitait l’Église à « placer la programmation pastorale sous le signe de la sainteté », à exprimer « la conviction que, si le Baptême fait vraiment entrer dans la sainteté de Dieu au moyen de l’insertion dans le Christ et de l’inhabitation de son Esprit, ce serait un contresens que de se contenter d’une vie médiocre, vécue sous le signe d’une éthique minimaliste et d’une religiosité superficielle… Il est temps de proposer de nouveau à tous, avec conviction, ce « haut degré » de la vie chrétienne ordinaire: toute la vie de la communauté ecclésiale et des familles chrétiennes doit mener dans cette direction. » [n° 31] L’Église est « le foyer de la sainteté » et la sainteté est notre image la plus vraie, notre carte de visite la plus authentique et le meilleur cadeau que nous fassions au monde. C’est elle qui décrit le mieux ce que nous sommes et ce que nous nous efforçons de devenir. La vraie sagesse Dans la deuxième lecture d’aujourd’hui (1 Corinthiens 3,16-23), saint Paul, qui continue de réprimander les Corinthiens pour leurs divisions (v.1-4), rappelle à la communauté que les églises du Christ doivent demeurer pures et humbles (v.16-17). Se faire une haute opinion de sa propre sagesse, c’est se flatter; et se flatter, c’est se condamner à se leurrer. Ils se font illusion, ceux qui se flattent d’être des temples de l’Esprit Saint sans se soucier de leur sainteté personnelle ou de la paix et de la pureté de l’église. Si les Corinthiens étaient vraiment sages (v.18-20), ils auraient un point de vue tout à fait différent et ils percevraient les véritables relations entre tout ce qui existe dans le monde et toutes les personnes avec qui ils sont en rapport dans l’église. Paul attribue à toutes les personnes incluses dans l’univers théologique une position sur une échelle: Dieu, le Christ, les membres de l’église, les responsables de l’église. Lue de haut en bas, l’échelle exprime la propriété; lue de bas en haut, elle traduit l’obligation de servir. Ce tableau doit être complété par des énoncés analogues en 1 Co 8,6 et 1 Co 15,20-28. Les chrétiennes et les chrétiens sont saints par profession, et ils se doivent d’être purs et sans tache, dans leur cœur comme dans leur conversation. « Tu aimeras ton prochain… » Si nous réfléchissons au texte de l’Évangile d’aujourd’hui (Matthieu 25,38-48), Jésus ne nous enseigne pas à rester passifs en face d’un danger physique. Jésus enseigne que la violence peut engendrer la violence. Et si la non-résistance peut faire honte à notre adversaire et l’inciter à faire la paix, c’est la solution la meilleure. « Vous avez appris qu’il a été dit : œil pour œil, dent pour dent. Eh bien moi, je vous dis de ne pas riposter au méchant… » (Mt 5,38-39). En recourant à une métaphore, Jésus nous enseigne d’offrir l’autre joue, de donner non seulement notre tunique mais notre manteau, de ne pas répliquer violemment aux vexations d’autrui, et surtout, dit-il, « donne à qui te demande, ne te détourne pas de celui qui veut t’emprunter » (5,42). C’est le rejet radical de la loi tu talion dans la vie personnelle des disciples de Jésus, nonobstant le droit qu’a la société de protéger ses membres contre les méchants et de punir ceux qui ont porté atteinte aux droits des citoyens et à ceux de l’État. Jésus enseigne la dernière étape dans la quête de la perfection, celle qui représente le foyer dynamique de toutes les autres: « Vous avez appris qu’il a été dit: Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi. Eh bien moi, je vous dis: aimez vos ennemis, et priez pour ceux qui vous persécutent, afin d’être vraiment les fils de votre Père qui est dans les cieux; car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et tomber la pluie sur les justes et sur les injustes… » (5,43-45). En contraste avec l’interprétation habituelle de l’ancienne loi, qui identifiait le prochain à l’Israélite, et même à l’Israélite pieux, Jésus formule l’interprétation authentique du commandement de Dieu. Il y ajoute une dimension religieuse en faisant référence à la clémence et à la miséricorde du Père céleste qui traite bien tout le monde et qui est donc le modèle et l’exemple suprême de l’amour universel. Jésus conclut : « Vous donc, soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait » (5,48). Il demande à ses disciples la perfection de l’amour. L’amour est la synthèse de la loi nouvelle qu’il apporte. Cet amour va nous permettre de surmonter dans nos rapports à autrui l’opposition classique ami-ennemi. Né dans le cœur humain, il aura tendance à se transformer en diverses formes correspondantes de solidarité sociale, politique et même institutionnalisée. Le fruit de la non-violence, c’est l’amour Il y a des tas de gens mesquins qui n’ont jamais enfreint la loi, mais peuvent-ils vraiment servir de modèles aux chrétiens? Vous courrez toujours le risque de vous faire exploiter si vous vous montrez généreux. Si nous nous ouvrons à l’amour, nous pouvons fort bien nous faire blesser. Si nous partageons nos biens matériels, il se peut qu’on nous manipule. En aucun cas, nous n’avons l’obligation de nous laisser blesser ou manipuler; mais ça arrive à l’occasion. La seule façon de s’en prémunir absolument, c’est de se montrer méfiant, radin, cynique et égoïste. Mais rien de tout ça ne va avec l’amour, évidemment. Le fruit de la non-violence, c’est l’amour. Cet amour s’épanouit partout où des personnes se rencontrent, et, chaque fois, il révèle son origine divine. Cet amour renverse tous les obstacles. Il rapproche les étrangers et franchit les distances. Il comble les vides, guérit les malades et ressuscite les morts. Brisons, en nous-mêmes et dans notre collectivité, les modèles qui mènent à la violence, à la destruction et au non-amour. Si la violence nous paraît une option raisonnable, inventons-nous une autre logique. Si la violence est une machine qui dispose mécaniquement des gens que nous n’aimons pas, prions pour avoir le courage de saboter cette machine. Et si la violence est une chaîne dont nous sommes un maillon, soyons le premier maillon à céder. Les passages « obscurs » de la Bible En poursuivant notre réflexion sur Verbum Domini à la lumière du riche enseignement de l’Évangile d’aujourd’hui, arrêtons-nous au paragraphe n° 42 de l’Exhortation post-synodale consacrée à « La Parole de Dieu dans la vie et la mission de l’Église ». Dans le contexte de la relation entre l’Ancien et le Nouveau Testament, le Synode a aussi abordé le thème des pages de la Bible qui se révèlent obscures et difficiles en raison de la violence et de l’immoralité qu’elles contiennent parfois. À ce sujet, il faut avant tout tenir compte du fait que la Révélation biblique est profondément enracinée dans l’histoire. Le dessein de Dieu s’y manifeste progressivement et se réalise lentement à travers des étapes successives, malgré la résistance des hommes. Dieu choisit un peuple et l’éduque avec patience. La Révélation s’adapte au niveau culturel et moral d’époques lointaines et rapporte par conséquent des faits et des usages, par exemple des manœuvres frauduleuses, des interventions violentes, l’extermination de populations, sans en dénoncer explicitement l’immoralité. Cela s’explique par le contexte historique, mais peut surprendre le lecteur moderne, surtout lorsqu’on oublie les nombreux comportements «obscurs» que les hommes ont toujours eus au long des siècles, et cela jusqu’à nos jours. Dans l’Ancien Testament, la prédication des prophètes s’élève vigoureusement contre tout type d’injustice et de violence, collective ou individuelle, et elle est de cette façon l’instrument d’éducation donné par Dieu à son Peuple pour le préparer à l’Évangile. Il serait donc erroné de ne pas considérer ces passages de l’Écriture qui nous apparaissent problématiques. Il faut plutôt être conscient que la lecture de ces pages requiert l’acquisition d’une compétence spécifique, à travers une formation qui lit les textes dans leur contexte historico-littéraire et dans la perspective chrétienne qui a pour ultime clé herméneutique «l’Évangile et le Commandement nouveau de Jésus-Christ accompli dans le Mystère pascal». J’exhorte donc les chercheurs et les Pasteurs à aider tous les fidèles à s’approcher aussi de ces pages à travers une lecture qui fasse découvrir leur signification à la lumière du Mystère du Christ.
PAPE FRANÇOIS – (REMETS-NOUS NOS DETTES)
11 novembre, 2015PAPE FRANÇOIS - (REMETS-NOUS NOS DETTES)
AUDIENCE GÉNÉRALE
Place Saint-Pierre
Mercredi 4 novembre 2015
Chers frères et sœurs, bonjour !
L’assemblée du synode des évêques, qui s’est conclue récemment, a réfléchi à fond sur la vocation et la mission de la famille dans la vie de l’Église et de la société contemporaine. Cela a été un événement de grâce. À son terme, les pères synodaux m’ont remis le texte de leurs conclusions. J’ai voulu que ce texte soit publié, afin que tous puissent participer au travail qui les a occupés ensemble pendant deux ans. Ce n’est pas le moment d’examiner ces conclusions, sur lesquelles je dois moi-même méditer. Mais entre-temps, la vie continue, en particulier la vie des familles continue ! Vous, chères familles, êtes toujours en chemin. Et vous écrivez déjà continuellement dans les pages de la vie concrète la beauté de l’Évangile de la famille. Dans un monde qui devient parfois aride de vie et d’amour, vous parlez chaque jour du grand don que sont le mariage et la famille. Je voudrais souligner aujourd’hui cet aspect : que la famille est une grande école d’entraînement au don et au pardon réciproque sans lesquels aucun amour ne peut durer longtemps. Sans se donner et sans se pardonner, l’amour ne reste pas, il ne dure pas. Dans la prière qu’Il nous a lui-même enseignée — c’est-à-dire le Notre Père — Jésus nous fait demander au Père : « Pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés ». Et à la fin, il commente : « Car, si vous pardonnez aux hommes leurs fautes, votre Père céleste vous pardonnera aussi. Mais si vous ne pardonnez pas aux hommes, votre Père non plus ne pardonnera pas vos fautes » (Mt 6, 12 ; 14-15). On ne peut vivre sans se pardonner, ou tout au moins on ne peut vivre bien, en particulier en famille. Chaque jour, nous nous faisons du mal l’un à l’autre. Nous devons tenir compte de ces erreurs, dues à notre fragilité et à notre égoïsme. Mais ce qui nous est demandé, c’est de guérir immédiatement les blessures que nous nous provoquons, de retisser immédiatement les fils que nous brisons dans la famille. Si nous attendons trop, tout devient plus difficile. Et il y a un secret simple pour guérir les blessures et pour éliminer les accusations. C’est le suivant : ne pas laisser que la journée prenne fin sans se demander pardon, sans faire la paix entre époux et épouse, entre parents et enfants, entre frères et sœurs… Entre belle-fille et belle-mère ! Si nous apprenons à nous demander immédiatement pardon et à nous donner le pardon réciproque, les blessures guérissent, le mariage se fortifie, et la famille devient une maison toujours plus solide, qui résiste aux secousses de nos méchancetés petites et grandes. Et pour cela, il n’est pas nécessaire de se faire un grand discours mais une caresse suffit: une caresse, et tout est fini et recommence. Mais il ne faut pas finir la journée dans la guerre ! Si nous apprenons à vivre ainsi en famille, nous le faisons également en dehors, partout où nous nous trouvons. Il est facile de demeurer sceptique sur cela. De nombreuses personnes — même parmi les chrétiens — pensent que c’est une exagération. On dit : oui, ce sont de belles paroles, mais il est impossible de les mettre en pratique. Mais grâce à Dieu, il n’en est rien. En effet, c’est précisément en recevant le pardon de Dieu que, à notre tour, nous sommes capables de pardon envers les autres. Pour cela, Jésus nous fait répéter ces paroles chaque fois que nous récitons la prière du Notre-Père, c’est-à-dire chaque jour. Et il est indispensable que, dans une société parfois impitoyable, il y ait des lieux, comme la famille, où l’on peut apprendre à se pardonner les uns les autres. Le synode a ravivé notre expérience également à ce propos : la capacité de pardonner et de se pardonner fait partie de la vocation et de la mission de la famille. La pratique du pardon non seulement sauve les familles de la division, mais les rend capables d’aider la société à être moins mauvaise et moins cruelle. Oui, chaque geste de pardon répare la maison des fissures et renforce ses murs. Chères familles, l’Église est toujours à vos côtés pour vous aider à construire votre maison sur le roc dont a parlé Jésus. Et n’oublions pas ces paroles qui précèdent immédiatement la parabole de la maison : « Ce n’est pas en me disant : “Seigneur, Seigneur !” qu’on entrera dans le royaume des Cieux, mais c’est en faisant la volonté de mon Père qui est aux cieux ». Et il ajoute : « Ce jour-là, beaucoup me diront : “Seigneur, Seigneur, n’est-ce pas en ton nom que nous avons prophétisé, en ton nom que nous avons expulsé les démons ?”. Alors je leur déclarerai : “Je ne vous ai jamais connus” » (cf. Mt 7, 21-23). C’est une parole forte, cela ne fait aucun doute, qui a pour but de nous secouer et de nous appeler à la conversion. Je vous assure, chères familles, que vous serez capables de marcher toujours plus résolument sur le chemin des Béatitudes, en apprenant et en enseignant à vous pardonner réciproquement, dans toute la grande famille de l’Église croîtra la capacité de témoigner de la force rénovatrice du pardon de Dieu. S’il n’en était pas ainsi, nous ferions des prédications même très belles, et nous chasserions peut-être aussi quelque diable, mais à la fin, le Seigneur ne nous reconnaîtra pas comme ses disciples, parce que nous n’avons pas eu la capacité de pardonner et de nous faire pardonner des autres ! Les familles chrétiennes peuvent faire véritablement beaucoup pour la société d’aujourd’hui, et aussi pour l’Église. Pour cela, je désire qu’au cours du jubilé de la miséricorde, les familles redécouvrent le trésor du pardon réciproque. Prions afin que les familles soient toujours plus capables de vivre et de construire des voies concrètes de réconciliation, où personne ne se sente abandonné au poids de ses offenses. Dans cette intention, disons ensemble : « Notre Père, pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés ». [Disons-le ensemble : « Notre Père, pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés »].