MARIE-NOËLLE THABUT – EVANGILE – SELON SAINT LUC 21, 25-28, 34-36
Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, dimanche 29 novembre 2015
EVANGILE – SELON SAINT LUC 21, 25-28, 34-36
En ce temps-là, Jésus parlait à ses disciples de sa venue : 25 « Il y aura des signes dans le soleil, la lune et les étoiles. Sur terre, les nations seront affolées et désemparées par le fracas de la mer et des flots. 26 Les hommes mourront de peur dans l’attente de ce qui doit arriver au monde, car les puissances des cieux seront ébranlées. 27 Alors, on verra le Fils de l’homme venir dans une nuée, avec puissance et grande gloire. 28 Quand ces événements commenceront, redressez-vous et relevez la tête, car votre rédemption approche.
34 Tenez-vous sur vos gardes, de crainte que votre coeur ne s’alourdisse dans les beuveries, l’ivresse et les soucis de la vie, et que ce jour-là ne tombe sur vous à l’improviste 35 comme un filet ; il s’abattra, en effet, sur tous les habitants de la terre entière. 36 Restez éveillés et priez en tout temps : ainsi vous aurez la force d’échapper à tout ce qui doit arriver, et de vous tenir debout debout devant le Fils de l’homme. »
LE STYLE APOCALYPTIQUE Si on prend ces lignes au pied de la lettre, il y a de quoi frémir ! Mais nous avons déjà rencontré des textes de ce genre : on dit qu’ils sont de style « apocalyptique » et nous savons bien qu’il ne faut pas les prendre au premier degré ! Le malheur, c’est que, aujourd’hui, le mot « apocalypse » a très mauvaise presse ! Pour nous, il est synonyme d’horreur… alors que c’est tout le contraire ! Commençons donc par redonner au mot « apocalyptique » son vrai sens : on se rappelle que « apocaluptô », en grec, signifie « lever le voile », c’est le même mot que « re-velare » (en latin) – révéler en français ! Il faut traduire « texte apocalyptique » par « texte de révélation ». Ils révèlent la face cachée des choses. Le genre apocalyptique a au moins quatre caractéristiques tout-à-fait particulières : Premièrement, ce sont des livres pour temps de détresse, généralement de guerre et d’occupation étrangère doublée de persécution ; c’est particulièrement vrai pour le livre de Daniel au deuxième siècle avant notre ère : dans ce cas, ils évoquent les persécuteurs sous les traits de monstres affreux ; et c’est pour cela que le mot « apocalypse » a pu devenir synonyme de personnages et d’événements terrifiants. Deuxièmement, parce qu’ils sont écrits en temps de détresse, ce sont des livres de consolation : pour conforter les croyants dans leur fidélité et leur donner, face au martyre, des motifs de courage et d’espérance. Et ils invitent les croyants justement à tenir bon. Troisièmement, ils « dévoilent », c’est-à-dire « lèvent le voile », « révèlent », la face cachée de l’histoire. Ils annoncent la victoire finale de Dieu : de ce fait, ils sont toujours tournés vers l’avenir ; malgré les apparences, ils ne parlent pas d’une « fin du monde », mais de la transformation du monde, de l’installation d’un monde nouveau, du « renouvellement » du monde. Quand ils décrivent un chamboulement cosmique, ce n’est qu’une image symbolique du renversement complet de la situation. En résumé, leur message c’est « Dieu aura le dernier mot ». Ce message de victoire, nous l’avions entendu dimanche dernier dans le livre de Daniel. Il annonçait que le Fils de l’homme qui n’est autre que le peuple des Saints du Très-Haut verrait un jour ses ennemis vaincus et recevrait la royauté universelle. Quatrièmement, dans l’attente de ce renouvellement promis par Dieu, ils invitent les croyants à adopter une attitude non pas d’attente passive, mais de vigilance active : le quotidien doit être vécu à la lumière de cette espérance. Ces quatre caractéristiques des livres apocalyptiques se retrouvent dans notre évangile d’aujourd’hui. Parole pour temps de détresse, elle décrit des signes effrayants, langage codé pour annoncer que le monde présent passe : « Il y aura des signes dans le soleil, la lune et les étoiles… le fracas de la mer et de la tempête… les puissances des cieux seront ébranlées ». Parole de consolation, elle invite les croyants à tenir bon : « Votre rédemption (traduisez votre libération) approche ». Parole qui « lève le voile », « révèle », la face cachée de l’histoire, elle annonce la venue du Fils de l’homme. Jésus reprend ici cette promesse par deux fois, et visiblement il s’attribue à lui-même ce titre de « Fils de l’homme », manière de dire qu’il prend la tête du peuple des Saints du Très-Haut,1 c’est-à-dire des croyants : « Alors on verra le Fils de l’homme venir dans la nuée avec une grande puissance et une grande gloire. » … « Vous serez jugés dignes d’échapper à tout ce qui doit arriver et de paraître debout devant le Fils de l’homme. »
LE DEFI DES CROYANTS Enfin, dans l’attente de ce renouvellement promis par Dieu, notre texte invite les croyants à adopter une attitude non pas d’attente passive, mais de vigilance active : « Quand ces événements commenceront, redressez-vous et relevez la tête. »… « Tenez-vous sur vos gardes, de crainte que votre coeur ne s’alourdisse… restez éveillés et priez en tout temps… » « Relever la tête », c’est bien un geste de défi, comme Jérémie nous y invitait dans la première lecture, le défi des croyants. Le mot « croyants » n’est pas employé une seule fois ici, mais pourtant il est clair que Luc oppose d’un bout à l’autre deux attitudes : celle des croyants et celle des non-croyants qu’il appelle les nations ou les autres hommes. « Sur terre, les nations seront affolées… les hommes mourront de peur… mais vous, redressez-vous et relevez la tête » sous-entendu car vous, vous êtes prévenus et vous savez le sens dernier de l’histoire humaine : l’heure de votre libération a sonné, le mal va être définitivement vaincu. Il reste une chose paradoxale dans ces lignes : le Jour de Dieu semble tomber à l’improviste sur le monde et pourtant les croyants sont invités à reconnaître le commencement des événements ; en fait, et cela aussi fait partie du langage codé des Apocalypses, ce jour ne semble venir soudainement que pour ceux qui ne se tiennent pas prêts. Rappelons-nous les paroles de Paul aux Thessaloniciens : « Le Jour du Seigneur vient comme un voleur dans la nuit. Quand les gens diront : quelle paix, quelle sécurité !, c’est alors que la ruine fondra sur eux comme les douleurs sur la femme enceinte, et ils ne pourront y échapper. Mais vous, frères, vous n’êtes pas dans les ténèbres, pour que (de sorte que) ce jour vous surprenne comme un voleur. Tous, en effet, vous êtes fils de la lumière, fils du jour… » (1 Th 5, 2 – 5). Paul, comme Luc, type bien deux attitudes différentes. Comme dans toutes les autres lectures de ce dimanche, les Chrétiens sont donc invités ici à une attitude de témoignage : le témoignage de la foi auquel nous invitait le prophète de la première lecture dans une situation apparemment sans issue, à vues humaines ; le témoignage de l’amour dans la lettre aux Thessaloniciens : « Que le Seigneur vous donne à l’égard de tous les hommes un amour de plus en plus intense et débordant » ; le témoignage de l’espérance alors que tout semble s’écrouler dans cet évangile : « Redressez-vous et relevez la tête… Vous serez dignes… de paraître debout devant le Fils de l’homme ». « Les hommes mourront de peur », mais vous, vous serez debout parce que vous savez que « rien, ni la vie, ni la mort… ne peut nous séparer de l’amour de Dieu révélé dans le Christ » (Rm 8, 39). Ce triple témoignage, voilà bien le défi chrétien. Beau programme pour cet Avent qui commence ! —————————- Note 1 – On sait que dans le livre de Daniel, le Fils d’homme est en réalité un personnage collectif, le « peuple des saints du Très-Haut »
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