Archive pour le 23 novembre, 2015
LE PÈRE MICHEL-MARIE, UNE SOUTANE DANS LE MARSEILLE PROFOND (4.12.2012) – par Sandro Magister
23 novembre, 2015http://chiesa.espresso.repubblica.it/articolo/1350378?fr=y
LE PÈRE MICHEL-MARIE, UNE SOUTANE DANS LE MARSEILLE PROFOND (4.12.2012)
La vie, l’œuvre et les miracles d’un curé dans une ville de France. Qui a fait refleurir la foi là où elle s’était desséchée
par Sandro Magister
ROME, le 4 décembre 2012 – Le titre de cet article est celui-là même que le journal « Avvenire » a donné à un reportage qui a été réalisé à Marseille par son envoyée spéciale Marina Corradi, sur les traces du curé d’un quartier situé derrière le Vieux Port. Un curé dont les messes sont célébrées dans une église pleine à craquer de fidèles. Qui confesse tous les jours jusqu’à une heure avancée de la soirée. Qui a baptisé un très grand nombre de convertis. Qui porte constamment la soutane de manière à ce que tout le monde puisse le reconnaître comme prêtre, même de loin. Michel-Marie Zanotti-Sorkine est né en 1959 à Nice, dans une famille en partie russe, en partie corse. Dans sa jeunesse, il chante dans les cabarets de Paris, mais ensuite, les années passant, la vocation sacerdotale, qu’il avait ressentie dès l’enfance, renaît en lui avec vigueur. Il a pour guides le père Joseph-Marie Perrin, qui fut le directeur spirituel de Simone Weil, et le père Marie-Dominique Philippe, fondateur de la Communauté Saint-Jean. Il fait ses études à l’Angelicum, la faculté de théologie des dominicains, à Rome. Il est ordonné prêtre en 2004 par le cardinal Bernard Panafieu, alors archevêque de Marseille. Il écrit des livres, dont le dernier est intitulé « Au diable la tiédeur » et dédié aux prêtres. Il est curé de la paroisse Saint-Vincent-de-Paul. Et dans cette paroisse située en haut de la Canebière, une rue qui monte du Vieux-Port entre des immeubles et des magasins négligés, où l’on rencontre de nombreux clochards, immigrés, roms, et où les touristes ne s’aventurent pas, dans un Marseille et dans une France où la pratique religieuse est presque partout réduite au minimum, le père Michel-Marie a fait refleurir la foi catholique. Comment ? Marina Corradi l’a rencontré. Et elle raconte. Ce reportage a été publié le 29 novembre dans « Avvenire », le quotidien de la conférence des évêques d’Italie. C’est le premier d’une série ayant pour objectif de présenter des témoins de la foi, connus ou non, capables de faire naître l’étonnement évangélique chez ceux qui les rencontrent. __________
« LE PAPE A RAISON : TOUT DOIT RECOMMENCER À PARTIR DU CHRIST »
par Marina Corradi
Cette soutane noire qui voltige sur la Canebière, au milieu d’une foule plus maghrébine que française, fait se retourner les gens. Tiens, un prêtre, et habillé comme autrefois, dans les rues de Marseille. Un homme brun, souriant, mais qui a pourtant quelque chose de réservé, de monacal. Et quelle histoire que la sienne ! Il a chanté dans des cabarets à Paris, cela ne fait que huit ans qu’il a été ordonné prêtre et depuis lors il est curé ici, à la paroisse Saint-Vincent-de-Paul. Mais, en réalité, son histoire est encore plus compliquée que cela : Michel-Marie Zanotti-Sorkine, 53 ans, descend d’un grand-père juif russe, immigré en France, qui fit baptiser ses filles avant la guerre. Elles échappèrent à l’Holocauste et l’une d’elles a mis au monde le père Michel-Marie. En revanche, du côté paternel, celui-ci est à moitié corse et à moitié italien. (On pense : quel mélange bizarre et l’on regarde son visage avec étonnement, en essayant de comprendre ce que peut être un homme qui a en lui un tel nœud de racines). Mais si, un dimanche, on entre dans son église pleine à craquer de fidèles et si l’on écoute parler du Christ avec des mots simples de tous les jours ; si l’on observe la religieuse lenteur avec laquelle il élève l’hostie, dans un silence absolu, on se demande qui est ce prêtre et ce qui, en lui, fascine et fait revenir à la foi des gens qui s’en étaient éloignés. Enfin il est là, en face de vous, dans son presbytère blanc, claustral. Il a l’air plus jeune que son âge ; il n’a pas ces rides d’amertume qui, avec le temps, marquent le visage d’un homme. Il se dégage de lui une paix, une joie qui étonne. On voudrait lui demander tout de suite : mais qui êtes-vous ? Devant un repas frugal, il évoque sa vie toute entière en quelques indications. Deux parents merveilleux. La mère, baptisée mais catholique seulement de manière formelle, accepte que son fils aille à l’église. La foi lui est transmise « par un vieux prêtre, un salésien en soutane noire, un homme d’une foi généreuse, démesurée ». Le désir, à huit ans, d’être prêtre. À treize ans, il perd sa mère : « La douleur m’a ravagé. Et pourtant je n’ai jamais douté de Dieu ». L’adolescence, la musique, et cette belle voix. Les pianos-bars de Paris pourraient sembler peu adaptés au discernement d’une vocation religieuse. Et pourtant, tandis que la décision mûrit lentement, les pères spirituels de Michel-Marie lui disent de rester dans le monde des nuits parisiennes : parce que là aussi, il faut qu’il y ait un signe. Mais la vocation finit par se faire pressante. Et en 1999, alors qu’il a 40 ans, son désir d’enfant se réalise : il devient prêtre, et en soutane, comme le vieux salésien. Pourquoi la soutane ? « Pour moi – répond-il en souriant – c’est une tenue de travail. Elle est destinée à constituer un signe pour ceux qui me rencontrent et avant tout pour ceux qui ne sont pas croyants. Habillé de cette façon, je suis reconnaissable comme prêtre, tout le temps. Ainsi, dans la rue, je mets à profit toutes les occasions de créer de nouvelles amitiés. Mon père, me dit un homme, où est le bureau de poste ? Je lui réponds : Venez, je vous accompagne. Tout en marchant, nous bavardons et je découvre que les enfants de cet homme ne sont pas baptisés. Je finis par lui dire de me les amener et bien souvent, par la suite, je baptise ces enfants. Je fais tout ce que je peux pour que mon visage montre une humanité bonne. L’autre jour – raconte-t-il en riant – dans un bar, un vieil homme m’a demandé sur quels chevaux parier et je lui en ai conseillé. J’ai demandé pardon à la Sainte Vierge, à qui j’ai dit en moi-même : tu sais, c’est pour devenir l’ami de cet homme. Comme le disait un prêtre qui a été mon maître quand on lui demandait comment convertir les marxistes : ‘Il faut devenir leur ami’ ». Ensuite, à l’église, sa messe est austère et belle. Le prêtre affable de la Canebière est un prêtre rigoureux. Pourquoi donne-t-il tant de soin à la liturgie ? « Je veux que tout soit magnifique autour de l’eucharistie. Je veux que, au moment de l’élévation, les gens comprennent qu’Il est là, vraiment. Ce n’est pas du théâtre, ce n’est pas de la pompe superflue : c’est habiter le Mystère. Le cœur a besoin, lui aussi, de ressentir ». Il insiste beaucoup sur la responsabilité du prêtre et dans l’un de ses livres – il en a écrit plusieurs et écrit encore, parfois, des chansons – il affirme qu’un prêtre dont l’église est vide doit s’interroger et dire : « C’est à nous que le feu fait défaut ». Et d’expliquer : « Le prêtre est un ‘alter Christus’, il est appelé à refléter en lui le Christ. Cela ne signifie pas nous demander à nous-mêmes la perfection, mais être conscients de nos péchés, de notre misère, afin d’être en mesure de comprendre tous ceux qui se présentent au confessional et de leur pardonner ». Le père Michel-Marie est tous les soirs dans son confessional, avec une parfaite ponctualité, à cinq heures, toujours. (Les gens, dit-il, doivent savoir que le prêtre est là, en tout cas). Puis il reste à la sacristie jusqu’à onze heures, afin d’accueillir quiconque désirerait s’y rendre : « Je veux donner le signe d’une disponibilité illimitée ». À en juger par le défilé ininterrompu de fidèles, le soir, on dirait que cela fonctionne. Comme une demande profonde qui émerge de cette ville apparemment lointaine. Que veulent-ils ? « La première chose, c’est de s’entendre dire : tu es aimé. La seconde : Dieu a un projet sur toi. Il faut qu’ils se sentent non pas jugés, mais accueillis. Il s’agit de leur faire comprendre que le seul qui puisse changer leur vie, c’est le Christ. Et Marie. Selon moi, il y a deux choses qui permettent un retour à la foi : l’amour de Marie et l’apologétique passionnée, qui touche le cœur ». « Ceux qui viennent me trouver – poursuit-il – me demandent avant tout une aide humaine et je m’efforce de leur apporter toute l’aide possible. En n’oubliant pas que le mendiant a besoin de manger mais qu’il a également une âme. À la femme offensée je dis : envoie-moi ton mari, je vais lui parler. Mais il y a aussi beaucoup de gens qui viennent me dire qu’ils sont tristes, qu’ils vivent mal… Alors je leur demande : depuis combien de temps ne vous êtes-vous pas confessé ? Parce que je sais que le péché pèse et que la tristesse du péché tourmente. Je suis arrivé à la conviction que ce qui fait souffrir beaucoup de gens, c’est le manque de sacrements. Le sacrement, c’est le divin à la portée de l’homme : et sans cette nourriture, on ne peut pas vivre. Je vois la grâce opérer et les personnes changer ». Des journées données totalement, dans la rue ou au confessional, jusqu’à la nuit. Où trouve-t-il les forces nécessaires ? Lui – presque pudiquement, comme on parle d’un amour – évoque un rapport profond avec Marie, la confiance absolue qu’il a en elle : « Marie, c’est l’acte de foi total, dans l’abandon sous la Croix. Marie, c’est la compassion absolue. C’est la pure beauté offerte à l’homme ». Et il aime le chapelet, l’humilité du chapelet, ce prêtre de la Canebière : « Souvent, pendant je confesse, je récite le chapelet, ce qui ne m’empêche pas d’écouter ; lorsque je donne la communion, je prie ». On est intimidé en l’écoutant. Mais alors, tous les prêtres devraient faire preuve d’un dévouement absolu, presque comme des saints ? « Je ne suis pas un saint et je ne crois pas que tous les prêtres doivent être saints. Mais ils peuvent être des hommes bons. Les gens seront attirés par la bonté présente sur leur visage ». A-t-il des problèmes, dans ces rues caractérisées par une très forte présence de musulmans immigrés ? Non, dit-il simplement : « Ils ont du respect pour moi et pour cette soutane ». À l’église, il accueille tout le monde avec joie : « Y compris les prostituées. Je leur donne la communion. Qu’est-ce que je devrais leur dire ? Devenez d’honnêtes femmes avant d’entrer ici ? Le Christ est venu pour les pécheurs et j’ai la crainte, si je refuse un sacrement, qu’un jour il puisse me demander d’en rendre compte. Mais est-ce que nous connaissons encore la puissance des sacrements ? Je me demande si nous n’avons pas trop bureaucratisé l’admission au baptême. Je pense au baptême de ma mère juive qui, pour ce qui est de la demande de mon grand-père, fut un acte purement formel : et pourtant, de ce baptême est venu un prêtre ». Et la nouvelle évangélisation ? « Voyez-vous – dit-il en prenant congé, dans son presbytère – plus je vieillis et plus je comprends ce que dit Benoît XVI : tout recommence vraiment à partir du Christ. Nous ne pouvons que remonter à la source ». Plus tard, on l’entrevoit au loin, dans la rue, avec sa soutane noire que son pas rapide met en mouvement. « Je la porte – a-t-il dit – afin d’être reconnu par quelqu’un que, sans cela, je ne rencontrerais peut-être jamais. Par cet inconnu, qui m’est extrêmement cher ».
BENOÎT XVI – SAINT COLOMBAN, UN SAINT « EUROPÉEN » – 23 NOVEMBRE
23 novembre, 2015http://w2.vatican.va/content/benedict-xvi/fr/audiences/2008/documents/hf_ben-xvi_aud_20080611.html
BENOÎT XVI
AUDIENCE GÉNÉRALE
Mercredi 11 juin 2008
SAINT COLOMBAN, UN SAINT « EUROPÉEN » – 23 NOVEMBRE
Chers frères et sœurs,
Aujourd’hui, je voudrais parler du saint abbé Colomban, l’Irlandais le plus célèbre du bas Moyen-Age: il peut à juste titre être appelé un saint « européen », parce que comme moine, missionnaire et écrivain, il a travaillé dans divers pays de l’Europe occidentale. Avec les Irlandais de son époque, il été conscient de l’unité culturelle de l’Europe. Dans une de ses lettres, écrite vers l’an 600 et adressée au Pape Grégoire le Grand, on trouve pour la première fois l’expression « totius Europae – de toute l’Europe », avec une référence à la présence de l’Eglise sur le continent (cf. Epistula I, 1). Colomban était né vers 543 dans la province de Leinster, dans le sud-est de l’Irlande. Eduqué chez lui par d’excellents maîtres qui l’orientèrent vers l’étude des arts libéraux, il s’en remit ensuite à la conduite de l’abbé Sinell de la communauté de Cluain-Inis, dans le nord de l’Irlande, où il put approfondir l’étude des Saintes Ecritures. A l’âge de vingt ans environ, il entra dans le monastère de Bangor dans le nord-est de l’île, où se trouvait l’abbé Comgall, un moine très célèbre pour sa vertu et sa rigueur ascétique. En pleine harmonie avec son abbé, Colomban pratiqua avec zèle la discipline sévère du monastère, en menant une vie de prière, d’ascèse et d’études. Il y fut également ordonné prêtre. La vie à Bangor et l’exemple de l’abbé influèrent sur la conception du monachisme que Colomban mûrit avec le temps et diffusa ensuite au cours de sa vie. A l’âge d’environ cinquante ans, suivant l’idéal ascétique typiquement irlandais de la « peregrinatio pro Christo », c’est-à-dire de se faire pèlerin pour le Christ, Colomban quitta l’île pour entreprendre avec douze compagnons une œuvre missionnaire sur le continent européen. En effet, nous devons avoir à l’esprit que la migration de peuples du nord et de l’est avait fait retomber dans le paganisme des régions entières déjà christianisées. Autour de l’an 590, le petit groupe de missionnaires accosta sur la côte bretonne. Accueillis avec bienveillance par le roi des Francs d’Austrasie (la France actuelle), ils demandèrent uniquement une parcelle de terre non-cultivée. Ils obtinrent l’antique forteresse romaine d’Annegray, en ruine et abandonnée, désormais recouverte par la forêt. Habitués à une vie de privation extrême, les moines réussirent en quelques mois à construire sur les ruines le premier monastère. Ainsi, leur réévangélisation commença a avoir lieu tout d’abord à travers le témoignage de leur vie. En même temps que la nouvelle culture de la terre, commença également une nouvelle culture des âmes. La renommée de ces religieux étrangers qui, en vivant de prière et dans une grande austérité, construisaient des maisons et défrichaient la terre, se répandit très rapidement en attirant des pèlerins et des pénitents. Beaucoup de jeunes demandaient à être accueillis dans la communauté monastique pour vivre, à leur manière, cette vie exemplaire qui renouvelle la culture de la terre et des âmes. Très vite la fondation d’un second monastère fut nécessaire. Il fut édifié à quelques kilomètres de distance, sur les ruines d’une antique ville thermale, Luxeuil. Le monastère allait ensuite devenir le centre du rayonnement monastique et missionnaire de tradition irlandaise sur le continent européen. Un troisième monastère fut érigé à Fontaine, à une heure de route plus au nord. Colomban vécut pendant environ vingt ans à Luxeuil. C’est là que le saint écrivit pour ses disciples la Regula monachorum – qui fut pendant un certain temps plus répandue en Europe que celle de saint Benoît -, qui trace l’image idéale du moine. C’est la seule règle monastique irlandaise ancienne aujourd’hui en notre possession. Il la compléta avec la Regula coenobialis, une sorte de code pénal pour les infractions des moines, avec des punitions assez surprenantes pour la sensibilité moderne, et qui ne s’expliquent que par la mentalité de l’époque et du contexte. Avec une autre œuvre célèbre intitulée De poenitentiarum misura taxanda, écrite également à Luxeuil, Colomban introduisit sur le continent la confession et la pénitence privées et répétées; elle fut appelé la pénitence « tarifée » en raison de la proportion entre la gravité du péché et le type de pénitence imposée par le confesseur. Ces nouveautés éveillèrent le soupçon des évêques de la région, un soupçon qui se transforma en hostilité lorsque Colomban eut le courage de les critiquer ouvertement en raison des mœurs de certains d’entre eux. L’occasion saisie pour manifester ce différend fut la dispute sur la date de Pâques: l’Irlande suivait en effet la tradition orientale en opposition avec la tradition romaine. Le moine irlandais fut convoqué en 603 à Chalon-sur-Saône pour rendre compte devant un synode de ses habitudes relatives à la pénitence et à la Pâque. Au lieu de se présenter au synode, il envoya une lettre dans laquelle il minimisait la question en invitant les Pères synodaux à discuter non seulement du problème de la date de Pâques, un problème mineur selon lui, « mais également de toutes les règles canoniques nécessaires que beaucoup – chose plus grave – ne respectent pas » (cf. Epistula II, 1). Dans le même temps, il écrivit au Pape Boniface IV – comme quelques années plus tôt, il s’était adressé à Grégoire le Grand (cf. Epistula I) – pour défendre la tradition irlandaise (cf. Epistula III). Intransigeant comme il l’était sur toute question morale, Colomban entra par la suite en conflit avec la maison royale, parce qu’il avait reproché avec dureté au roi Théodoric ses relations adultérines. Il en naquit un réseau d’intrigues et de manœuvres au niveau personnel, religieux et politique qui, en l’an 610, se traduisit par un décret d’expulsion de Luxeuil contre Colomban et tous les moines d’origine irlandaise, qui furent condamnés à un exil définitif. Ils furent escortés jusqu’à la mer et embarqués aux frais de la cour vers l’Irlande. Mais le navire s’échoua non loin de la plage et le capitaine, y voyant un signe du ciel, renonça à l’entreprise et, de peur d’être maudit par Dieu, ramena les moines sur la terre ferme. Ceux-ci au lieu de rentrer à Luxeuil, décidèrent d’entamer une nouvelle œuvre d’évangélisation. Ils s’embarquèrent sur le Rhin et remontèrent le fleuve. Après une première étape à Tuggen près du lac de Zurich, ils se rendirent dans la région de Bregenz près du lac de Constance pour évangéliser les Allemands. Mais peu de temps après, Colomban, à cause d’événements politiques peu favorables à son œuvre, décida de traverser les Alpes avec la plupart de ses disciples. Seul un moine du nom de Gallus demeura; à partir de son monastère se développera ensuite la célèbre abbaye de Saint-Gall, en Suisse. Arrivé en Italie, Colomban trouva un accueil bienveillant auprès de la cour royale lombarde, mais il dut immédiatement affronter de grandes difficultés: la vie de l’Eglise était déchirée par l’hérésie arienne qui prévalait encore chez les Lombards et par un schisme qui avait éloigné la majeure partie des Eglises d’Italie du Nord de la communion avec l’Evêque de Rome. Colomban prit place avec autorité dans ce contexte, en écrivant un libelle contre l’arianisme et une lettre à Boniface IV pour le convaincre d’effectuer certains pas décisifs en vue d’un rétablissement de l’unité (cf. Epistula V). Lorsque le roi des Lombards, en 612 ou 613, lui assigna un terrain à Bobbio, dans la vallée de la Trebbia, Colomban fonda un nouveau monastère qui allait par la suite devenir un centre de culture comparable à celui très célèbre de Montecassino. C’est là qu’il finit ses jours: il mourut le 23 novembre 615 et c’est à cette date qu’il est fêté dans le rite romain jusqu’à nos jours. Le message de saint Colomban se concentre en un ferme rappel à la conversion et au détachement des biens terrestres en vue de l’héritage éternel. Avec sa vie ascétique et son comportement sans compromis face à la corruption des puissants, il évoque la figure sévère de saint Jean Baptiste. Son austérité, toutefois, n’est jamais une fin en soi, mais ce n’est que le moyen de s’ouvrir librement à l’amour de Dieu et de répondre avec tout son être aux dons reçus de Lui, en reconstruisant ainsi en lui l’image de Dieu, en défrichant dans le même temps la terre et en renouvelant la société humaine. Je cite de ses Instructiones: « Si l’homme utilise correctement cette faculté que Dieu a accordée à son âme, alors il sera semblable à Dieu. Rappelons-nous que nous devons lui rendre tous les dons qu’il a déposés en nous lorsque nous étions dans la condition originelle. Il nous a enseigné la manière de le faire avec ses commandements. Le premier d’entre eux est celui d’aimer le Seigneur de tout notre cœur, parce qu’il nous a aimés lui le premier, depuis le commencement des temps, avant même que nous venions à la lumière de ce monde » (cf. Instr. XI). Ces paroles, le saint irlandais les incarna réellement dans sa propre vie. Homme de grande culture – il composa également des poésies en latin et un livre de grammaire -, il se révéla riche de dons de grâce. Il fut un inlassable bâtisseur de monastères ainsi qu’un prédicateur pénitentiel intransigeant, en dépensant toute son énergie pour nourrir les racines chrétiennes de l’Europe en train de naître. Avec son énergie spirituelle, avec sa foi, avec son amour pour Dieu et pour le prochain, il devint réellement un des Pères de l’Europe: il nous montre encore aujourd’hui où sont les racines desquelles peut renaître notre Europe.