« LE CHRIST, LE PLUS BEAU DES HOMMES », PAR LE CARDINAL SCHÖNBORN

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« LE CHRIST, LE PLUS BEAU DES HOMMES », PAR LE CARDINAL SCHÖNBORN

Congrès des Mouvements ecclésiaux et Communautés nouvelles

1 juin 2006

ROME, Jeudi 1er juin 2006 (ZENIT.org) – « Le Christ, le plus beau des hommes » : c’est le thème de cette belle méditation du cardinal archevêque de Vienne, Christoph Schönborn, lors du congrès des Mouvements ecclésiaux et Communautés nouvelles qui se tient à Rocca di Papa en préparation à la célébration des premières vêpres de la Pentecôte autour de Benoît XVI samedi soir.

Frères et sœurs en Jésus Christ ! Nous nous préparons à la Pentecôte. Nous implorons la venue du Saint Esprit, Âme de l’Église et donateur de Vie (cf. CEC ). En plus, c’est aujourd’hui la fête de la Visitation de Marie auprès d’Élisabeth. Avec elle nous sommes invités à “méditer dans notre cœur” tous ces évènements dont le centre est le mystère du Christ (cf. Lc 2, 19-51). Je commence notre méditation avec un regard sur la fête de l’Ascension que nous venons de célébrer il y a six jours. Aux “hommes de Galilée” qui n’arrivent pas à détacher leur regard de la nuée qui cache Jésus en l’emportant, les anges disent : « Celui qui vous a été enlevé, ce même Jésus reviendra comme cela, de la même manière, dont vous l’avez vu partir vers le ciel » (Ac 1, 11). Il y a plus de 30 ans, – que le temps passe vite, et que la vie est brève !- je notais dans mon livre “L’Icône du Christ” au sujet de cette parole des anges : « Cette promesse du retour de ‘ce même Jésus, de la même manière, cette promesse confie à l’Église le soin de garder vivant le souvenir de sa Sainte Face, du visage de Celui qui, depuis, intercède pour nous auprès de son Père et notre Père. Cette promesse l’incite à confesser sa foi en l’avènement ultime du Seigneur. Or, l’icône est cette confession. Elle est le moyen terme, pour ainsi dire, entre l’Incarnation et l’Eschatologie puisqu’elle confesse la vérité des deux. Confessant en un même mouvement l’identité de Jésus de Nazareth, le Verbe incarné, et celle de son Seigneur qui reviendra juger les vivants et les morts, l’icône a sa place au cœur de la confession de foi de l’Église. Elle en est comme le résumé » (L’icône du Christ, Paris 20034, 139). L’icône du Christ : pour beaucoup de Chrétiens, la tradition orientale de l’icône, de sa peinture, de sa spiritualité, est devenue comme un point de ralliement, un point de rencontre pour tous les chrétiens. L’icône est quasi omniprésente dans l’Église, de l’Orient et de l’Occident. Son langage, sa symbolique, son rayonnement semble bien toucher les cœurs de beaucoup de nos contemporains. On s’est souvent interrogé pourquoi, de nos jours, l’art de l’icône a pu acquérir ce statut d’une expression privilégiée de la foi chrétienne. Il peut y avoir un aspect de “mode” (que certains orthodoxes reprochent aux chrétiens d’occident, ayant l’impression que leur tradition orientale soit “utilisée” abusivement par les occidentaux). Je pense qu’il y a quelque chose de plus profond. Le sensus fidei reconnaît dans la tradition iconique de l’Orient une sorte d’expression “canonique” de notre foi, une expression qui dépasse les modes et les fluctuations culturelles du langage artistique chrétien. L’icône n’est pas à-temporelle, elle connaît des variations stylistiques, des écoles, des “colorations culturelles”, elle n’est pas statique et immobile, comme on le lui a souvent reproché. Quel est donc le secret de son attrait, la clef de compréhension de son mystère, et la raison de sa grande stabilité d’expression ? Je pense que la raison ultime en est le Mystère du Christ lui-même, Verbe Incarné, Dieu fait homme, devenu “circonscriptible”, comme l’aime dire les saints défenseurs des images, S. Théodore le Studite et S. Nicéphore de Constantinople. Au-delà de toutes les influences culturelles, des attaches à des traditions iconographiques préchrétiennes, des variations artistiques il y a un fond commun, une source unique de l’art de l’icône : c’est le mystère de la Sainte Face du Christ Jésus. Il y a ce visage unique, il y a ce Jésus que les apôtres ont connu, avec qui ils ont mangé et bu, qu’ils ont vu transfiguré et bafoué, rayonnant de la gloire divine du Tabor, et flagellé et couronné d’épines. C’est ce visage unique, de Jésus, fils de Marie, Fils de Dieu, qui s’est gravé dans la mémoire de Pierre. C’est le regard de Celui que Pierre venait de renier, et qui le regardait d’une façon que rien au monde n’a pu enlever de la mémoire et du cœur de Pierre. Ce Jésus est le fondement de l’Icône, de sa fidélité (que certains caractérisent – plus exactement caricaturent – d’immobilisme), de son attrait inchangé. C’est parce que c’est l’icône du Christ, qu’elle attire. C’est parce que nous voulons voir le Christ que l’icône nous parle. C’est parce que les fidèles (et même souvent les non croyants) peuvent dire, en regardant une icône du Christ : « C’est Jésus ! » que l’icône leur parle. Ce n’est pas tant la qualité artistique, encore qu’elle soit importante et à ne pas négliger puisqu’elle est une vraie médiation pour la rencontre avec le Christ, ce n’est donc pas tant la hauteur de l’œuvre d’art qui compte, mais la force de la présence du Christ lui-même qui importe dans l’art de l’icône. Je n’entre pas ici dans les débats sur l’esthétique des icônes, sur l’aspect proprement artistique. Il y a pour cela de bonnes études savantes. J’attire votre attention sur un fait étonnant qui m’avait frappé quand j’étudiais la littérature du VIIIe et IXe siècle de la controverse iconoclaste, la grande lutte pour ou contre les saintes images en christianisme. En toute cette littérature je n’ai trouvé trace d’un débat esthétique. La question de la beauté des saintes images ne joue pratiquement pas de rôle. Du moins je n’en ai rien trouvé (cf. mon L’icône du Christ. Fondements théologiques, Paris 20034, 235). Comment expliquer cela ? J’en ai donné une première explication dans “L’icône du Christ” : « Cette absence de considérations esthétiques s’explique, nous semble-t-il, par le fait que, de part et d’autre, il n’était à aucun moment question de mettre en doute la légitimité de l’art comme tel. Le débat [de l’iconoclasme] portait uniquement sur l’extension de l’art au-delà du domaine profane, dans le domaine sacré » (loc. cit.). Les iconoclastes admettaient l’art, comme l’islam, mais il devait se limiter strictement au domaine profane. L’iconoclasme était, d’une certaine façon, une sécularisation radicale de l’art, une désacralisation de l’activité artistique, réduite au pur décor, à l’ornement de la vie profane. Mais derrière ce rejet de tout caractère de l’art il y a plus qu’une sécularisation de l’activité artistique. Il y a une certaine conception de ce qui est “chrétien” et donc de ce qu’est le Mystère du Christ. Il est significatif à cet égard de constater que tout le débat pour justifier l’art Chrétien, les images sacrées du Christ et de ses Saints, a tourné autour du Mystère du Christ. J’ai été frappé, en étudiant la controverse sur les images, par la netteté avec laquelle les défenseurs des images ont vu en ce débat non pas une question d’esthétique, mais avant tout christologique. Les pères du IIe Concile de Nicée (787) en étaient bien conscients. Pour eux, l’affirmation de la légitimité de l’icône du Christ était comme le sceau apposé à la confession de sa divinité (Nicée I) et de sa divino-humanité (Chalcédoine). L’Église Orthodoxe célèbre la victoire définitive des défenseurs des images en 843 comme “le triomphe de l’Orthodoxie”, célébré liturgiquement chaque année le premier dimanche de Carême. L’icône du Christ – résumé de la foi chrétienne ! Cela peut paraître exagéré. À regarder de plus près ce n’est nullement le cas. Permettez-moi de dire brièvement pourquoi, et cela en deux étapes. 1) Un nouveau regard À la fin de mon enquête sur les fondements théologiques de l’icône du Christ, je tirais cette conclusion : « Il y a une corrélation entre la vision du mystère divino-humain du Christ et la conception de l’art. En effet, l’Incarnation n’a pas seulement transformé la connaissance de Dieu, elle a également changé le regard de l’homme sur le monde, sur lui-même et sur ses activités dans le monde. Dès lors, l’activité créatrice des artistes ne pouvait pas ne pas être touchée, transformée par l’attrait du mystère de l’Incarnation. Si le Christ est venu pour renouveler l’homme tout entier, le recréer selon cette image dont il est lui-même le modèle, ne fallait-il pas que le regard, la sensibilité, la créativité des artistes soient, eux aussi, recréés à l’image de celui ‘pour qui tout a été créé’ ? Vu sous ce jour, l’effort pour cantonner l’art dans le ‘profane’ doit apparaître comme une crise profonde de la vision théocentrique du monde et de l’homme » (op.cit., 236).  Il y a une possibilité de vérification de cette thèse, qui est d’une actualité croissante : le rapport de l’Islam à l’art sacré. Je ne suis nullement spécialiste en cette matière, mais je fais confiance à des études compétentes. Si l’Islam rejette, en général, l’image anthropomorphique et ne laisse de la place qu’à l’ornement et surtout à l’écriture, cela n’est pas d’abord le résultat d’une théorie artistique et esthétique, mais la conséquence directe de sa vision du Dieu unique qui n’a, en ce monde, aucune similitude, que rien ne peut représenter, figurer, et même, d’une certaine façon, symboliser. J’ai été frappé, lors de mon voyage en Iran (2001), avec quelle insistance on m’a expliqué que je ne devais pas parler de l’homme-image de Dieu. Ce qui, pour la foi judéo-chrétienne, est une évidence, confirmée intensément par le mystère de l’Incarnation, que l’homme soit vraiment ad imaginem et similitudinem de son créateur, l’islam le rejette fermement. Dieu est unique et sans pareille : La Súrat al-Tawhíd (Cor. *CXII) que tout musulman prononce chaque jour, dit ceci : « Dis : il est Dieu, l’Un, Il est Dieu, l’Unique, Il n’a pas engendré, Il n’a pas été engendré. Il n’a nulle pareille » (plus exactement “nulle adéquation”). Il n’y a donc aucune représentation de Dieu dans le monde. L’aniconisme de l’Islam n’est pas d’abord une théorie esthétique. C’est une conséquence de la religion islamique d’un Dieu que rien ne peut représenter. Seule la lumière, dans la mosquée, le nikràb, serait, selon des connaisseurs, une évocation métaphorique du divin. Or la lumière est justement sans aucune forme ni figure (cf. Assadhullah Souren Melikien Chirrani, L’Islam, le Verbe et l’image, dans F. Boes pflug – N. Lossky [ed.] Nicée II. 787-1987. Douze siècles d’images religieuses, Paris 1987, 89-117). Il en est autrement de la foi chrétienne. Parce que le Créateur parle par sa créature, les traces du divin sont “lisibles”, non sans difficulté certes, mais réellement. C’est surtout l’homme, véritable lieu-tenant de Dieu dans sa création, qui est à l’image de Dieu. Son œuvre parle de Lui, surtout l’homme. L’interdiction de l’image dans l’Ancienne Alliance a un sens plus pédagogique qu’ontologique. Parce que le cœur de l’homme est une fabrique d’idoles, il fallait extirper toute tentation d’idolâtrie. Mais fondamentalement, Dieu se fait connaître par ses œuvres. C’est là la porte d’entrée de l’art sacré. Le Mystère divino-humain du Christ approfondit cet ordre de la création, lui donne sa stature définitive. Il y a vraiment un visage humain qui soit “l’icône du Dieu visible” (Col 1, 15). Parce que le Verbe s’est fait chair, parce que le Christ, de condition divine, a pris la condition d’esclave et a fait sienne son humanité concrète, les réalités humaines, les choses de ce monde sont devenues lieux de Sa présence, capables d’être son expression, sa trace, son langage. Pour moi, les tableaux du Carravaggio sont une manifestation exceptionnellement dense de ce fondement “divino-humain” de l’art qui s’est développé sur le sol chrétien. La madonna dei pelegrini de S. Agostino à Rome en est pour moi un exemple saisissant. Les pèlerins à genoux, pieds-nus (et pleins de poussière) devant cette matrone avec un enfant déjà trop grand pour être tenu dans les bras de sa mère : tout cela respire un réalisme “charnel” (dirait Charles Péguy) qui pourrait choquer (et qui a choqué) comme manquant de sens et de dimension sacrés. Or c’est précisément le réalisme de l’incarnation qui permet d’approcher le Saint, le Christ et sa Mère de cette façon si proche de la terre. La foi chrétienne en l’incarnation est à la source d’un art qui se penche avec tant d’attention sur les choses de la terre. J’ose penser que le grand développement de l’art, sacré et profane, en terre de chrétienté s’inspire (sans renier d’autres sources) avant tout de ce oui inouï à la terre qu’est l’Incarnation du Fils de Dieu. Ce Oui au concret, à la matière, au monde visible est à la racine de cette créativité explosive que connaît l’art d’Occident. J’admets bien volontiers que cette thèse mérite des approfondissements que nos groupes de travail pourront ébaucher. 2) Le Christ est la Beauté J’ose aller encore un peu plus loin. Nous connaissons l’enseignement classique sur les “transcendantaux”, le vrai, le bon, le beau. Tous ces attributs ne sont pas extérieurs à Dieu. Ils sont Dieu lui-même. Il est la Vérité et le Bien, il est Amour, il est Beauté. Vérité et Bonté, Amour et Beauté sont, comme disent les scholastiques, convertibles et coïncident avec l’Être même de Dieu. Toute beauté créée et une participation à la beauté infinie de l’être de Dieu. Si cela est vrai, il faut faire un pas de plus et dire que le Verbe, en se faisant chair, a pour ainsi dire “incarné” la bonté et l’amour, la vérité et la beauté infinie de Dieu. Le Christ est “le plus beau des enfants de l’homme” non pas à cause de ses qualités esthétiques particulières, mais parce qu’il est la beauté incarnée de Dieu. Tout son être est amour et vérité, bonté et beauté. S’il est donc vrai que le Christ peut dire de lui-même : « Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie », il peut tout aussi justement dire « Je suis la Beauté ». Le Christ peut dire de lui-même ce que seul Dieu peut dire : « Je suis ». L’Être, le Vrai et le Bien sont, selon le terme scholastique, “convertibles”. Si le Christ est la Vérité et la Bonté, il est aussi ce qui est leur splendeur : la Beauté : Splendor Veritatis, Splendor Boni ! Pour résumer ce deuxième pas de notre petite réflexion je dirai, en variant une parole de S. Irénée qui disait : « Le Christ, en venant, a apporté avec lui-même, toute nouveauté » : « Le Christ, en son Incarnation, a apporté avec lui toute Beauté. C’est Lui la mesure de la Beauté, c’est lui qui apporte, avec sa venue, un nouveau regard sur la beauté. Il est, pour ainsi dire, “le canon de la Beauté”. Il n’a pas seulement rétabli la beauté originelle de la création perdue et profanée par le péché et le mal, il a apporté, en sa propre personne, la source de toute beauté. De lui s’épanchent sur le monde les eaux vives de la beauté. Et toutes les beautés du monde, qu’elles soient beautés de la nature, de la vertu ou de l’art, sont des rayonnements de Sa Beauté. « Tu es le plus beau des hommes », cette parole du psaume royal, lue comme une annonce du Christ, ne veut pas dire que Jésus serait, selon des critères préétablis par une esthétique mondaine, le plus parfait modèle de beauté. « Tu es la source de toute beauté humaine ». En toi nous est révélé ce qu’est la beauté, et de toi nous recevons le regard pour la voir, les critères pour la discerner et la force pour l’imiter et la rayonner. 3) Le Christ nous entraîne sur le Chemin de Sa Beauté  Il nous faut donc regarder, contempler le Christ, source de la Beauté divine, rendue accessible par son Incarnation. J’ose vous proposer une conviction qui est une intuition dont je crois qu’elle se vérifie de mille manières : « Là où est le Christ, là est la beauté ». Là où les cœurs, les esprits, les vies s’ouvrent au Christ, là les vannes de la beauté s’ouvrent et se déversent comme des flots vivifiants sur un monde avili par le péché, défiguré par la laideur du mal. Depuis 2000 ans cela se vérifie, et je pense que tout le sens de notre colloque préparatoire à la rencontre de la Pentecôte a ce sens : regarder comment les semences de beauté que sème le Christ, croissent et portent du fruit. Il faudra d’abord se pencher sur ce qui est le plus beau fruit de la Beauté du Christ : la Sainteté. Il n’y a de plus forte évidence de la Vérité et de la Bonté divino-humaine du Christ que cette voie lactée, cette nuée lumineuse des saints sans nombre que le Christ a entraînée à sa suite. Il n’y a rien de plus beau au monde que la Sainteté. Des saints on peut dire ce que l’épître aux Hébreux dit du Christ : ils sont comme le “resplendissement de sa gloire” (Hebr 1, 3). Je pense qu’il suffit de le dire pour qu’on se rende à l’évidence. À maintes reprises le Cardinal Ratzinger, grand ami et connaisseur de la tradition franciscaine, a attiré l’attention sur ce fait impressionnant : le Poverello d’Assise, en ne cherchant qu’à suivre le Christ pauvre et humilié, a provoqué, non seulement un grand mouvement spirituel dans l’Église. Il a aussi suscité une traînée lumineuse de beauté artistique. Giotto, Cimabue, pour ne mentionner que ces deux-là, figurent pour une véritable explosion de créativité artistique qui constitue, jusqu’à nos jours, le plus grand trésor artistique de l’Europe, et j’ose dire, du monde. Le Christ, en suscitant par son Esprit, tant de sainteté, est aussi la source vive de tant de beauté artistique. Comment peut-on fermer les yeux devant cette évidence ? Dans sa pièce « Fratello del Nostro Dio » sur le Saint Frère Albert, Karol Wojtiła, le vénéré pape Jean-Paul II, parle de « cette autre beauté, celle de la miséricorde ». Comment ne pas voir cette évidence : le Christ a donné au monde “cette autre beauté, celle de la miséricorde”. Que serait notre monde sans la réalité de la miséricorde ? Parce que nous en vivons tous, consciemment ou inconsciemment, nous risquons de ne plus voir à quel point la beauté de la miséricorde rayonne en notre monde de dureté et d’inhumanité, à partir de ce foyer inépuisable d’amour qu’est le cœur de Jésus. Qu’il suffise ici pour la suite de nos travaux d’avoir indiqué ces trois voies lumineuses de la Beauté du Christ : la Sainteté, l’art qui en est inspiré et la miséricorde qui en rayonne. Pour conclure je vous propose d’abord un texte de S. Augustin, commentant le Psaume 44 (45), le verset 3 : « Tu es beau, le plus beau des enfants des hommes ». Il y a d’autres passages que nous pourrions citer, surtout ce texte très fort du commentaire de S. Augustin à la première lettre de S. Jean, parlant des deux textes bibliques apparemment contradictoires, celui du Psaume 45 (44), que nous venons de citer, et celui du 4ème Chant du Serviteur qui était « sans beauté ni éclat pour attirer nos regards, sans apparence qui nous aurait séduits, objet de mépris, abandonné des hommes, homme de douleurs… » (Is. 53, 2-3). Le Saint-Père les a admirablement commentés, dans un message au Meeting des Peuples à Rimini en 2002. Il y aurait bien d’autres textes des Pères sur le contraste entre ces deux oracles prophétiques, qu’il nous suffise de citer celui des Enarrationes in Ps 44 de S. Augustin : « même là, si tu veux considérer la miséricorde qui l’a fait s’incarner, il est beau ». Est beau ce qui est du Christ : c’est ainsi que nous pouvons résumer ce texte de S. Augustin. C’est beau parce que c’est du Christ. Parce que tout en Lui rayonne la justice, la miséricorde, l’amour. Comment rendre plus évidente cette affirmation ? Le Padre Pio était-il beau ? Sans doute non, selon les critères du monde ; sans doute oui selon la beauté du Christ. Sorin Dumitescu, un artiste exquis (et un éditeur courageux), peintre d’icônes contemporaines, a publié un calendrier avec douze photos en grand plan de Starez roumains orthodoxes. La beauté de ces vieux visages aux rides profondes, est une preuve éclatante de ce qu’est la beauté du Christ. Je pourrais multiplier les exemples, et vous aussi. Je m’arrête là avec deux questions qui m’inquiètent : 1) Pourquoi tant d’art sacré de nos jours est si laid ? Le musée du Vatican pour l’art sacré moderne me laisse perplexe et même interdit. Que s’est-t-il passé pour que l’art sacré soit si loin de ses grandes expressions du passé ? Est-ce la crise générale de l’art, de la culture de notre temps ? Faut-il réapprendre à trouver les expressions du Mystère du Christ chez des artistes qui peuvent sembler loin de la foi ? Y a-t-il des signes d’une reprise authentique de l’art inspiré par le mystère du Christ ? 2) Pourquoi la liturgie a-t-elle tellement perdu du sens de la beauté ? Pourquoi tant de mauvais goût dans tout ce qui entoure la célébration du Mystère de la foi ? Ne devrait-il pas générer la plus belle des beautés ? D’où vient ce “paupérisme”, ce “misérabilisme” dans tant de nos expressions liturgiques ? Est-ce la perte du sens du sacré ? Ou est-ce plus profondément un affaiblissement de la présence, de la perception du Mystère du Christ ? Manquons-nous d’enracinement dans le Christ, source de la Beauté, Beauté-même ? Deux questions qui ne laissent dans la perplexité. Il ne faut pas les esquiver, il ne faut pas non plus s’en laisser emprisonner. Car il se peut que la beauté du Christ soit cachée dans la pauvreté de nos expressions culturelles. Peut-être faut-il creuser plus profondément, pour retrouver la source de la Beauté. Elle ne cesse de couler, mais elle peut être plus cachée, plus obscure en ces temps d’obscurcissement. Laissez-moi terminer avec un souvenir-clef pour moi : [ Dominique Pomeau, lors d’un colloque sur l’art sacré au Mans : “C’est la messe” ]   Oui, le Christ est là, toute sa Beauté est là, cachée sous le voile des pauvres signes de ses sacrements ; enfoui sous le tas de nos misères pécheresses, mais réellement présent. À nous d’aller à sa recherche, de creuser pour trouver la source vive dans les déserts de notre temps. La beauté du Christ est là. J’ose paraphraser une parole du Seigneur : N’allez pas dire : elle est ici, elle est là. Ma beauté est au milieu de vous !                                     

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