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LA LUMIÈRE, SYMBOLE RELIGIEUX ENTRE IMMANENCE ET TRANSCENDANCE – GIANFRANCO RAVASI
22 septembre, 2015http://www.cultura.va/content/cultura/fr/organico/cardinale-presidente/texts/lux.html
LA LUMIÈRE, SYMBOLE RELIGIEUX ENTRE IMMANENCE ET TRANSCENDANCE
Card. GIANFRANCO RAVASI
La lumière, archétype symbolique universel
Dans toutes les civilisations, la lumière est perçue non seulement comme un phénomène physique mais aussi comme un archétype symbolique doté d’un spectre infini de radiations métaphoriques, par dessus tout à caractère religieux. La première est de nature cosmologique : l’entrée de la lumière marque l’incipit absolu de l’être et de l’existence de tout le créé. Le commencement de la Bible, qui demeure encore le « grand code » de la culture occidentale, est en ce sens emblématique : Wayy’omer ʼelohȋm: Yehȋ ʼôr. Wayyehȋ ʼôr, « Dieu dit : “Que la lumière soit !” et la lumière fut ! » (Genèse 1,3). Un événement divin retentissant, une sorte de Big Bang transcendant génère une épiphanie lumineuse : le silence et les ténèbres du néant se déchirent pour permettre le fleurissement de la création.
Dans l’antique culture égyptienne elle-même, l’irisation de la lumière accompagne l’aube cosmique originelle. Elle est marquée par un grand nymphéa qui sort des eaux primordiales et enfante le soleil. Et cet astre deviendra le cœur même de la théologie pharaonique, en particulier à travers les divinités solaires d’Amon et Aton, lequel deviendra, avec Aménophis IV – Akhenaton (XIVème sc. av. Jésus-Christ), le centre d’une espèce de réforme monothéiste exaltée par le pharaon lui-même dans son splendide Hymne à Aton, le disque solaire.
D’une manière similaire, la théologie indienne archaïque du Rig-Veda considérait la divinité créatrice Prajapati comme un son primordial explosant en une myriade de lumières, de créatures, d’harmonies. Ce n’est pas un hasard si, dans un autre mouvement religieux provenant de la même région, son fondateur assumera le titre sacré de Bouddha, qui signifie précisément « l’illuminé ». Et pour en arriver à une époque historique plus proche de la nôtre, l’Islam lui-même choisira la lumière comme symbole théologique. Cela est d’autant plus vrai qu’une entière « sourate » du Coran, la XXIVème, a pour titre An-nûr, « la Lumière ». Un de ses versets connaîtra un énorme succès et une exégèse allégorique de grande profondeur dans la tradition « soufie » (en particulier chez le penseur mystique al-Ghazali du XI-XIIème)
Il s’agit du verset 35 qui clame ainsi : « Dieu est la Lumière des cieux et de la terre. Sa lumière est semblable à une lampe posée sur une niche. La lampe est dans un cristal, semblable à un astre de grand éclat et son combustible vient d’un olivier béni… Dieu est lumière sur lumière. Dieu guide celui qu’il aime vers Sa lumière. » Nous pourrions continuer longtemps cette liste d’exemples en nous référant aux multiples expressions culturelles et religieuses de l’Orient et de l’Occident qui adoptent, comme charnière théologique, un donné qui est à la racine commune de toute expérience humaine existentielle. La vie, en effet, est une « entrée dans la lumière » (c’est ainsi que de nombreuses langues définissent la naissance) ; elle consiste à vivre à la lumière du soleil, ou à être guidé dans la nuit par la lumière de la lune et des étoiles.
La lumière comme symbole “théo-logique”
Etant données les limites de notre analyse, nous nous contenterons maintenant de deux observations essentielles dans le but d’aider à percevoir la complexité de l’élaboration symbolique qui s’est construite sur cette réalité cosmique. D’un côté, nous approfondirons la dimension « théo-logique » de la lumière qui en fait une analogie pour parler de Dieu ; d’un autre coté, nous examinerons la dialectique « lumière-ténèbres » avec sa valeur morale et spirituelle. Nous illustrerons nos propos à partir de la Bible qui a produit, pour la culture occidentale, un « lexique » conceptuel et iconographique fondamental. Elle nous offre un paradigme systématique et général tout à fait exemplaire, doué d’une cohérence interne particulièrement significative. Les Ecritures judéo-chrétiennes ont été, entre autres, une référence culturelle capitale durant des siècles entiers, ce que reconnaissait un témoin irrécusable, le philosophe Friederich Nietzsche : « Entre ce que nous ressentons à la lecture des Psaumes et ce que nous éprouvons à la lecture de Pindare et Pétrarque, disait-il, il y a la même différence qu’entre la patrie et la terre étrangère… » (“Matériel préparatoire” pour Aurore).
A la différence des autres civilisations qui, dit d’une manière simplifiée, identifient la lumière (surtout solaire) avec la divinité elle-même, la Bible introduit une distinction significative : la lumière n’est pas Dieu, mais Dieu est lumière. Elle exclut ainsi une interprétation panthéiste réaliste, et elle introduit une perspective symbolique qui conserve la transcendance tout en affirmant une présence de la divinité dans la lumière, tout en demeurant cependant « œuvre de ses mains ». C’est ainsi que doivent être comprises les affirmations parsemées dans les écrits néotestamentaires attribuées à l’évangéliste Jean. Il y est dit : ho Theòs phôs estín, « Dieu est lumière » (1 Jn 1,8). C’est ainsi du reste que Christ lui-même s’autoproclame : egô eímì to phôs tou kósmou, « Je suis la lumière du monde » (Jn 8,12). Le chef d’œuvre littéraire et théologique qu’est le prologue de l’Evangile de Jean, va dans le même sens quand il présente le Lógos, le Verbe-Christ, comme « la véritable lumière qui illumine tout homme » (1,9).
Cette dernière expression est significative. La lumière est prise comme symbole de la révélation de Dieu et de sa présence dans l’histoire. D’un côté, Dieu est transcendant, ce qui est exprimé par le fait que la lumière est externe à nous, qu’elle nous précède, nous excède et nous dépasse. Dieu, cependant, est aussi présent et actif dans la création et dans l’histoire humaine, il s’y montre immanent, et ceci est illustré dans le fait que la lumière nous enveloppe, nous distingue, nous réchauffe et nous envahit. Voici pourquoi le fidèle lui-même devient lumineux : que l’on pense à Moïse irradié de lumière après avoir dialogué avec Dieu sur le sommet du Sinaï (Ex 34, 33-35). Le juste lui-même devient source de lumière une fois qu’il s’est laissé envelopper par la lumière divine, ainsi que Jésus l’affirme dans son célèbre « discours sur la montagne » : « Vous êtes la lumière du monde… Que votre lumière brille aux yeux des hommes » (Mt 5, 14.16).
Toujours dans cette même ligne, si la tradition pythagoricienne imaginait que les âmes des justes défunts se transformaient dans les étoiles de la Voie lactée, le livre biblique de Daniel assume peut-être cette intuition mais la libère de son réalisme immanentiste en la transformant en une métaphore éthico-eschatologique : « Les sages resplendiront comme la splendeur du firmament, eux qui ont rendu la multitude juste, comme les étoiles à tout jamais » (12,3). Dans le christianisme romain des premiers siècles – après que la date du 25 décembre ait été choisie pour fêter la naissance du Christ (cette date était celle de la fête païenne du dieu Soleil qui avait lieu au solstice d’hiver, au commencement de la croissance de la lumière, après son humiliation par l’obscurité hivernale) – on commencera à définir le chrétien, sur les inscription funéraires, comme un eliópais, un « fils du Soleil ». La lumière irradiée par le Christ-Soleil était, ainsi, destinée à envelopper aussi le chrétien.
Dans la tradition chrétienne successive, au contraire, une sorte de système solaire théologique va être élaboré : le Christ est le soleil ; l’Eglise est la lune qui brille d’une lumière réfléchie ; les chrétiens sont les astres, non dotés cependant d’une lumière propre mais illuminés par la lumière céleste suprême. Qu’il s’agisse d’une vision essentiellement symbolique et destinée à exalter la révélation et la communion entre la transcendance divine et la réalité humaine historique, apparaît évident dans un passage surprenant mais cohérent du dernier des livres de la Bible, l’Apocalypse. Une description de la cité idéale d’un futur eschatologique parfait y est faite à travers l’image de la Jérusalem nouvelle et céleste, et il y est proclamé : « Il n’y aura plus de nuit, nul n’aura besoin de la lumière du flambeau ni de la lumière du soleil, car le Seigneur répandra sur eux sa lumière » (22, 5). La communion de l’humanité avec Dieu sera alors totale et les symboles disparaîtront pour laisser place à la vérité de la rencontre dans le face à face éternel.
La dialectique lumière-ténèbres
Il est intéressant de noter que, dans le texte cité, il est fait mention de la fin de la nuit, et donc du rythme circadien. Il s’agit d’un tópos caractéristique de l’eschatologie (c’est-à-dire de la fin des temps), comme on le lit dans le livre du prophète Zacharie qui, quand il décrit l’achèvement de l’histoire, la représente comme « un jour unique : il n’y aura plus de jour et de nuit, mais à l’heure du soir brillera la lumière ». Actuellement, dans le cours de l’histoire, le rythme quotidien entre lumière et obscurité demeure, et il devient lui aussi un signe de nature éthico-métaphysique. Nous entendons parler de la dialectique de la lumière et des ténèbres qui apparaît déjà dans le texte déjà cité du livre de la Genèse. L’acte divin créateur, exprimé à travers l’image de la « séparation », met de l’ordre dans le « désordre » du néant : « Dieu vit que la lumière était chose bonne/belle, et Dieu sépara la lumière de la ténèbre. Dieu appela la lumière jour, et la ténèbre il l’appela nuit. »
La définition de la lumière comme réalité tôb est significative. Tôb est un adjectif hébraïque qui est tout à la fois éthique, esthétique et pratique, et il désigne pour cela quelque chose de bon, de beau et d’utile. Par contraste, dès lors, la ténèbre apparaît comme la négation de l’être, de la vie, du bien et de la vérité. Pour cette raison, alors que le zénith paradisiaque est immergé dans la splendeur de la lumière, le nadir infernal est enveloppé d’obscurité. C’est ce que l’on peut lire dans le livre biblique de Job où les enfers sont décris comme « le pays de ténèbre et d’ombre de mort, le pays où l’aurore est nuit noire, où l’ombre de mort couvre le désordre et la clarté y est nuit noire » (10, 21-22).
Pour la même raison, l’antithèse lumière-ténèbres se transforme en un paradigme moral et spirituel. C’est ce qui apparaît dans de nombreuses cultures et atteint son sommet dans l’hymne-prologue de l’Evangile de Jean déjà cité, où la lumière du Verbe divin « brille dans les ténèbres et les ténèbres ne l’ont pas vaincue » (1,5). Un peu plus loin, dans ce quatrième Evangile, il est écrit : « La lumière est venue dans le monde, mais les hommes ont préféré l’obscurité à la lumière… Quiconque fait le mal hait la lumière et ne vient pas à la lumière… Quiconque fait la vérité vient à la lumière » (Jn 3, 19-21). Et provenant de la communauté juive du Ier sc. av. J.C., un texte que l’on a découvert à Qumran le long des rives occidentales de la Mer morte, décrit « la guerre des fils de la lumière contre les fils des ténèbres », suivant un modèle symbolique constant pour définir le contraste entre le bien et le mal, entre les élus et les réprouvés.
Ce dualisme se reflète aussi dans l’opposition anges et démons, ou dans les principes opposés du yang et du yin, dans les divinités qui luttent entre elles comme le Marduk créateur et la Tiamat destructrice de la cosmologie babylonienne, come Ormuzd (ou Ahura Mazda) et Ahriman du culte mazdéen chez les Perses, ou encore comme Deva et Asura de l’hindouisme. Cette même dialectique acquiert une nouvelle forme dans l’horizon mystique, si l’on songe au thème de la « nuit obscure » introduit par le grand auteur mystique et poète espagnol du XVIème, saint Jean de la Croix. Dans ce cas, le tourment, l’épreuve et l’attente de la nuit de l’esprit sont comme le sein fécond qui précède la génération de la lumière de la révélation et de la rencontre avec Dieu.
En synthèse, nous pouvons partager l’affirmation d’Ariel, dans le Faust de Goethe : Welch Getöse bringt das Licht!, « Quel vacarme apporte la lumière ! » (II, acte I, v. 4671). Celle-ci, en effet, est un signe glorieux et vital, il est une métaphore sacrée et transcendante, mais il n’est pas inoffensif parce qu’il génère des tensions avec son contraire, la ténèbre, en se transformant en un symbole de la lutte morale et existentielle. Son irradiation, donc, du cosmos perce dans l’histoire, de l’infini descend dans le fini ; et c’est pour cela que l’humanité aspire à la lumière, comme dans le cri final que l’on attribue à ce même Goethe, Mehr Licht!, « plus de lumière » : en un sens physique à cause du fait de se voiler les yeux dans l’agonie, mais aussi dans un sens existentiel et spirituel d’aspiration à une épiphanie suprême de lumière. C’est ce qu’invoque l’antique poète juif des Psaumes : « Car chez toi est la fontaine de la vie, à ta lumière nous voyons la lumière ! » (Ps 36, 10).
JUDAÏSME ET FÊTES JUIVES , YOM KIPPOUR, JOUR DU GRAND PARDON – (EN 2015 LE 23 SEPTEMBRE)
22 septembre, 2015http://loicjerusalem.jimdo.com/juda%C3%AFsme-et-f%C3%AAtes-juives/yom-kippour/
JUDAÏSME ET FÊTES JUIVES , YOM KIPPOUR, JOUR DU GRAND PARDON – (EN 2015 LE 23 SEPTEMBRE)
Yom Kippour
(Source : un-echo-israel ; 09/07)
Loïc Le Méhauté
Dans la Bible
Les références bibliques de cette fête sont les livres du Lévitique (16. 29-34 ; 23. 27-32), et des Nombres (29. 7-11).
Ce jour est le jour annuel des expiations, d’où son nom hébreu « Yom ha-Kippourim » : « Le dixième jour de ce septième mois, ce sera le jour des expiations : vous aurez une sainte convocation (Miqra’qodesh), vous humilierez vos âmes, et vous offrirez à l’Éternel des sacrifices consumés par le feu. Vous ne ferez aucun ouvrage ce jour-là, car c’est le jour des expiations, où doit être faite pour vous l’expiation devant l’Éternel, votre Dieu [...]. Ce sera pour vous un shabbat, un jour de repos, et vous humilierez vos âmes ; dès le soir du neuvième jour jusqu’au soir suivant, vous célébrerez votre shabbat. » (Lv 23. 27-32). « C’est ici pour vous une loi perpétuelle : au septième mois, le dixième jour du mois, vous humilierez vos âmes, vous ne ferez aucun ouvrage, ni l’indigène, ni l’étranger qui séjourne au milieu de vous. Car en ce jour on fera l’expiation pour vous, afin de vous purifier : vous serez purifiés de tous vos péchés devant l’Éternel. Ce sera pour vous un shabbat, un jour de repos, et vous humilierez vos âmes. C’est une loi perpétuelle [...]. Il se fera une fois chaque année l’expiation pour les enfants d’Israël, à cause de leurs péchés. » (Lv 16. 29-34).
Dans le Temple, ce jour-là, on offrait en dehors des sacrifices perpétuels, quelques sacrifices spéciaux dont un bouc pour le sacrifice d’expiation : « Vous offrirez en holocauste, d’une agréable odeur à l’Éternel, un jeune taureau, un bélier, et sept agneaux d’un an sans défaut. Vous y joindrez l’offrande de fleur de farine pétrie à l’huile, trois dixièmes pour le taureau, deux dixièmes pour le bélier, et un dixième pour chacun de sept agneaux. Vous offriez un bouc en sacrifice d’expiation, outre le sacrifice des expiations, l’holocauste perpétuel et l’offrande, et les libations ordinaires. » (Nb 29. 11).
Dans ces trois textes sont regroupées les observances de ce jour très saint :
- Sainte convocation : Miqra’qodesh,
- Shabbat : vous ne ferez aucun ouvrage,
- Vous humilierez vos âmes : par le jeûne.
C’est le jour des expiations pour les enfants d’Israël : Yom ha-Kippourim.
Quand le Temple existait un sacrifice d’expiation était offert : un bouc expiatoire.
Dans le chapitre 16 du Lévitique nous avons la description de la présentation d’Aaron dans le Saint des Saints. Après s’être purifié et sanctifié il rentrait dans la présence de Dieu devant le propitiatoire. La première fois il y rentrait pour son expiation et celle de sa maison et la seconde fois pour l’expiation de toute l’assemblée d’Israël : « Il égorgera son taureau expiatoire. Il prendra un brasier plein de charbons ardents ôtés de dessus l’autel devant l’Éternel, et de deux poignées de parfum odoriférant en poudre ; il portera ces choses au delà du voile [...]. Il prendra le sang du taureau, et il fera l’aspersion avec son doigt sur le devant du propitiatoire vers l’orient [...]. Il égorgera le bouc expiatoire pour le peuple, et il portera le sang au delà du voile. Il fera avec ce sang comme il a fait avec le sang du taureau, il en fera l’aspersion sur le propitiatoire et devant le propitiatoire. » (Lv 19. 11-15).
A l’époque du Temple, cette rencontre de Dieu avec son représentant dans le Saint des Saints était la chose la plus sainte et la plus redoutable. Le Grand Prêtre (Cohen Gadol) devait respecter les ordonnances reçues par Moïse concernant sa sanctification et le rituel des sacrifices. Nous en avons un exemple tragique dans le récit de la mort des deux fils d’Aaron qui apportèrent devant l’Éternel du feu étranger : « Les fils d’Aaron, Nadab et Abihu, prirent chacun un brasier, y mirent du feu, et posèrent du parfum dessus ; ils apportèrent devant l’Éternel du feu étranger, ce qu’il ne leur avait point ordonné. Alors le feu sortit de devant l’Éternel, et les consuma : ils moururent devant l’Éternel. Moïse dit à Aaron : C’est ce que l’Éternel a déclaré, lorsqu’il a dit : Je serai sanctifié par ceux qui s’approchent de moi, et je serai glorifié en présence de tout le peuple. » (Lv 10. 1-2).
L’Alliance du Sinaï fut scellée dans le sang, au pied de la montagne : « Moïse, écrivit toutes les paroles de l’Éternel. Puis il se leva de bon matin ; il bâtit un autel au pied de la montagne [...]. Moïse prit la moitié du sang, qu’il mit dans des bassins, et il répandit l’autre moitié sur l’autel. Il prit le livre de l’alliance, et le lut en présence du peuple ; ils dirent : Nous ferons tout ce que l’Éternel a dit et nous obéirons. Moïse prit le sang, et il le répandit sur le peuple, en disant : Voici le sang de l’alliance que l’Éternel a faite avec vous selon toutes ces paroles. » (Ex 24. 4-8).
Ce concept biblique des sacrifices pour la rémission des péchés réside dans ce passage : « Car l’âme de la chair est dans le sang. Je vous l’ai donné sur l’autel, afin qu’il servit d’expiation pour vos âmes, car c’est par l’âme que le sang fait l’expiation » (Lv. 17. 11). C’est ce que nous dit l’épître aux Hébreux : « Et presque tout d’après la loi, est purifié avec du sang, et sans effusion de sang il n’y a pas de pardon. » (Hé 9. 22). Le sacrifice d’un animal, sacrifice d’expiation n’était qu’une offrande de substitution au sacrifice que chacun devait faire de lui-même.
Aujourd’hui, n’ayant plus de Temple ni de sacrifices d’expiations, il est considéré que la repentance et le jeûne suffisent pour effacer le péché du peuple.
Dans la tradition
Les Sages ont considéré que depuis la disparition des sacrifices, dans le Temple de Jérusalem, l’expiation pour les péchés est obtenue par Dieu lui-même. Le Midrash (Yalkut Shimoni) illustre ce point d’une façon pittoresque : « On demanda à la sagesse : ‘qu’elle est la punition pour le pécheur ?’ Elle a répondu : ‘Le mal persécutera la pécheur.’ La même question fut posée à la Prophétie et sa réponse fut : ‘L’âme qui pêche mourra.’ On a demandé à la Torah, qui répondit : ‘S’il apporte un sacrifice d’expiation, il sera pardonné.’ Quand on a demandé à Dieu, il dit : ‘Qu’il se repente et son péché lui sera pardonné.’ »
Le rabbin Yehouda ha-Nassi, le compilateur de la Mishna, va jusqu’à dire que la puissance de Kippour est telle que le jour lui-même purifie les péchés sans autres demandes de la part de l’homme. Il est évident que d’autres Sages ne sont pas d’accord avec lui. Il est considéré que si seulement une personne se repent il est purifié de ses péchés le Jour du Kippour.
La Bible met l’accent sur la repentance et c’est un thème principal des écrits prophétiques. Le livre entier de Jonas est consacré à la repentance. La possibilité de se repentir est ouverte à chaque homme : « La justice du juste ne le sauvera pas au jour de sa transgression ; et le méchant ne tombera pas par sa méchanceté le jour où il s’en détournera [...] » (Ez 33. 12).
La vraie repentance consiste en trois points principaux : le regret de son passé ; la résolution de ne pas répéter son péché dans le futur ; et de le confesser. Les sages considèrent que la repentance est réelle si le pêcheur ne répète pas son péché quand l’occasion de pécher se représente dans les mêmes circonstances.
Les sages (Yoma 86a-b) ont divisé la repentance en trois catégories : repentance par la souffrance ; repentance par la crainte ; et repentance par amour pour Dieu. Celle-ci a plus de mérite que les autres.
Comme nous l’avons vu dans les pages précédentes la repentance commence entre l’homme et son semblable. Le soir de Kippour, chaque membre de la congrégation se demande pardon pour tous les tords commis intentionnellement ou non.
Si le Jour de Kippour est une expérience personnelle, chaque homme luttant avec sa conscience, c’est aussi une journée importante sur la sphère nationale. Dans le Temple, le Grand Prêtre se tenait devant pour le peuple et intercédait pour le péché de tous. Yom Kippour est le jour quand Moïse est descendu du mont Sinaï avec les nouvelles Tables de la Loi après avoir obtenu le pardon en faveur du peuple d’Israël qui avait péché par le Veau d’or. Les Sages nous rapportent la tradition du deuxième Temple, d’attacher un fil de laine rouge à la porte du Temple. Si les sacrifices d’expiation pour le peuple étaient agrées par Dieu le fil devenait blanc.
Bien que la Bible ne développe pas le caractère pénitentiel de ce jour, d’autres textes bibliques insistent sur l’importance du jeûne (Ps 35. 13 ; Es 58. 3-5), et les Sages prescrivirent pour ce jour un jeûne complet. Le jeûne n’est pas seulement pour affliger notre âme mais un moyen pour transcender la limitation de notre corps physique. Cinq interdictions sont faites pour ce jour : jeûne total de nourriture et de boisson pendant 25 heures, abstention de bain, interdiction de porter des chaussures en cuir et abstention de relations conjugales. Ces interdictions ne s’appliquent pas aux personnes malades ou âgées, aux femmes enceintes et aux enfants. Ceux-ci seront tenus d’observer que le port des chaussures en toile ; ce n’est qu’à l’approche de la majorité qu’on les habitue peu à peu au jeûne.
On porte des vêtements blanc en signe de fête et pendant les prières on s’enveloppe du châle de prière comme d’un linceul, pour s’imaginer sa propre mort et comprendre l’impératif de la conversion (Teshuva) : la vie, le pardon. Il y a une sorte de dichotomie dans le Jour du Kippour : il est demandé d’humilier son âme et en même temps il est fait l’expiation pour les enfants d’Israël. S’humilier nous afflige mais en revanche le pardon qui nous purifie .nous remplit de joie.
Un bain rituel est souvent pratiqué la veille de Kippour ; cette purification est justifiée d’une part par la sainteté du jour, d’autre part par la Teshuva.
C’est un devoir que de manger et boire à satiété en signe de joie de voir arriver le moment du pardon et également pour supporter le jeûne et les prières du Kippour.
On commence la fête avant l’heure et par conséquent le repas doit finir 3/4 d’heure avant le coucher du soleil. Après la bénédiction du repas et la récitation du Psaume 126, on procède à l’allumage des bougies comme aux jours de fêtes, puis les parents bénissent leurs enfants avant de se rendre à la synagogue.
Le Jour de Kippour et le shofar
La Torah n’ordonne pas de sonner du shofar pendant le Jour de Kippour à l’exception de l’année du jubilé (Lv 25. 8-10). Mais depuis le Moyen Âge, c’est devenu une coutume que d’en sonner pour annoncer la fin du jeûne. Cette sonnerie n’a aucune signification liturgique.
A la fin du service religieux du Yom Kippour, la prière du Kaddish est récitée par le Hazzan et l’on sonne du shofar. Dans certaines communautés juives, un simple coup est sonné, tandis que dans d’autres l’on sonne le téqi’ah, shevarim, teru’ah, téqi’ah.
Plusieurs raisons sont invoquées pour sonner du shofar. La sonnerie nous rappelle l’année du Jubilé : « le dixième jour du septième mois, tu feras retentir les sons éclatants du shofar ; le jour des expiations, vous sonnerez de la trompette dans tout votre pays [...]. La cinquantième année sera pour vous le jubilé (yovel) » (Lv 25. 9), quand tout bien retournait à son propriétaire, ou chacun retournait dans son héritage, et que les esclaves étaient libérés. C’est une allusion au retour du peuple juif sur sa terre. C’est aussi une allusion au verset : « Dieu monte au milieu des cris de triomphe, l’Éternel s’avance au son de la trompette » (Ps 47. 6), quand Dieu descendit sur le mont Sinaï.
Au début du XXe siècle il était de coutume de sonner du shofar au Mur Occidental, malgré les interdictions des Britanniques, sur lesquels la Waqf musulmane faisait pression.
Quand la Vieille Ville de Jérusalem fut prise par les Forces de défenses israéliennes (Tsahal) en 1967, le rabbin S. Goren, alors grand chapelain des Armées, sonna du shofar au Mur Occidental symbolisant par cet acte le début de la Rédemption d’Israël.
La liturgie
L’office des cinq différentes prières dure environ treize heures. Ces prières sont : la veille au soir, Kol Nidré et arvit ; le matin, Shaharit et Moussaf ; l’après-midi, Minhah ; le soir, Né’ilah. L’office est celui du Shabbat et des Fêtes, outre ce qui est propre à Kippour.
Les prières du soir de Kippour commencent tôt et continuent tard le soir. La liturgie du Kippour commence par le chant Kol Nidré (Tous les Vœux), qui est une demande de pardon pour tous les vœux ou promesses énoncés par erreur. Par cette déclaration on proclame nuls et non avenus tous les vœux faits entre l’homme et Dieu : « Tous les vœux que nous pourrions faire depuis ce jour de Kippour jusqu’à celui de l’année prochaine, toute interdiction ou sentence d’anathème que nous prononcerions contre nous-mêmes, toute privation ou renonciation que, par simple parole, par vœux ou par serment, nous pourrions nous imposer, nous les rétractons d’avance ; qu’ils soient tous déclarés non valides, annulés, dissous, nuls et non avenus [...]. » (Livre des Prières).
Une des grandes prières de Kippour est la confession des péchés, nécessité pour la repentance, Teshuvah. Dans le Temple c’était le Grand Prêtre qui faisait la confession en posant ses deux mains sur le bouc. Aujourd’hui la confession doit être récitée par chaque participant. On confesse tous les péchés, même ceux que l’on n’a pas commis, car chacun est responsable de tous.
Le service se termine par la prière Anenou, Réponds-nous : « Réponds-nous, Seigneur, réponds-nous. Réponds-nous, notre Père, réponds-nous. Réponds-nous, notre Créateur, réponds-nous [...]. »
Aux services du matin et du midi, en plus des prières, on fait la lecture de la Torah (Lv 16 et 18 ; Nb 29. 7-11) et de la Haftarah (Is 57. 14 à 58. 14, et Jonas), et une prière pour les morts.
Le service Moussaf est caractérisé par le Seder ha-Avodah (l’ordonnance du service), qui fait mémoire du service du Grand Prêtre au Temple le jour de Kippour, seul jour où il rentrait dans le saint des Saints. Les détails du Seder ha-Avodah ont été préservés dans la Mishna, (Yoma 1,5) sur la base de Lévitique 16. Lorsque les prêtres et le peuple entendaient le Grand Prêtre prononcer le Nom ineffable, glorieux et redoutable, ils s’agenouillaient, se prosternaient et tombaient la face contre terre en disant : « Béni le Nom glorieux de son règne à jamais ! »
La liturgie du Yom Kippour comporte un office de clôture, Né’ilah, qui n’a pas d’équivalent dans l’année liturgique juive. Lorsque le jour de Kippour s’achève, le jugement tombe et le livre est scellé où seuls ceux qui ont fait Teshuvah sont inscrits. Ce soir on dit : « Scelle-nous au livre de Vie. » L’on supplie encore une dernière fois l’Éternel : « Ouvre-nous les portes des cieux au moment où les portails se ferment ! Car le jour décline, il va disparaître et le soleil se coucher. Entrons dans tes portails. » Cette supplication fait peut être référence aux portes du Temples qui se fermaient à l’heure où le soleil couchant jette ses derniers rayons sur les cimes des arbres. La cérémonie se termine à l’apparition des trois premières étoiles, peu de temps après la fermeture des portes du Temple.
L’office culmine et s’achève quand toute l’assemblée proclame : « Écoute Israël, le Seigneur notre Dieu, le Seigneur est UN » (Dt 6. 4) ; « Béni le Nom glorieux de son règne à jamais. Le Seigneur, c’est lui qui est Dieu » (1 R 18. 39).