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LE MONACHISME CHRÉTIEN EN OCCIDENT
7 septembre, 2015http://www.clio.fr/bibliotheque/le_monachisme_chretien_en_occident.asp
LE MONACHISME CHRÉTIEN EN OCCIDENT
IVAN GOBRY
Professeur honoraire de l’université de Reims Ancien membre du Conseil scientifique de l’université de la Citoyenneté européenne (Conseil de l’Europe) Ancien professeur à l’Institut Catholique de Paris
Le monachisme d’Occident est issu du monachisme d’Orient. Il est d’ailleurs presque aussi ancien que lui, puisque nous en trouvons des éléments dès le début du IIIe siècle. Cependant, il est, dans ses laborieuses origines, beaucoup moins vigoureux et plus clairsemé. Il lui faudra trois siècles pour s’étendre dans la moitié de l’empire où le latin est la langue véhiculaire… Son extension, sa diversité et son devenir nous sont expliqués par Ivan Gobry, dont l’ouvrage Les Moines en Occident fait autorité.
De la Gaule à l’Italie
Le monachisme occidental vit le jour en Gaule, mais dans une Gaule où le parler du clergé était encore le grec, puisque ses premiers évêques venaient d’Orient : à Lyon. Le premier monastère attesté en Occident est en effet celui de l’île Barbe (Insula Barbara) sur la Saône, au nord de la ville. En 202, quand éclata la persécution de Septime Sévère, qui provoqua le martyre de l’évêque Irénée et de neuf mille de ses fidèles, deux chrétiens, Étienne et Pérégrin, se réfugièrent sur cette île où ils vécurent en ermites ; rejoints bientôt par plusieurs compagnons, ils formèrent une communauté qui se donna pour supérieur un nommé Dorothée – nom qu’avait porté un célèbre père des déserts d’Égypte. Vers 240, cette communauté était assez connue pour qu’un riche propriétaire, Longin, lui fît bâtir un monastère en dur et une chapelle sous le vocable de Saint-André, culte populaire en Grèce. Les moines d’Occident devançaient les fondations de Byzance et de l’Égypte.
Il fallut attendre une vingtaine d’années pour voir élever, vers 260, le monastère d’Issoire, initiative de saint Austremoine, premier évêque d’Auvergne. Dès le début du IVe siècle, cette région nous apparaît parsemée d’implantations monastiques.
Ce fut alors seulement que le monachisme pénétra à Rome, un siècle après Lyon. En 307, sainte Aglaé, richissime propriétaire convertie au christianisme après des années de luxe et de débauche, édifia sur la via Latina un oratoire sur le corps du martyr Boniface, son amant qui l’avait imitée dans la conversion, et, à côté, un monastère où elle se retira et vécut dans la pénitence avec un certain nombre de ses servantes. Quelques années plus tard, en 313, Constantin promulguait le fameux édit de Milan, qui accordait la liberté de culte aux chrétiens, et les femmes de sa famille se dévouèrent à la cause monastique. Sainte Hélène, mère de l’empereur, fit construire à Trèves, l’une des capitales de l’Occident, une bâtisse pour abriter la communauté réunie par l’abbé Jean. Vers 342, à Rome même, Constantina, fille de Constantin, éleva près du mausolée qu’elle s’était préparé (et qu’on appela plus tard Sainte-Constance) une basilique et un monastère féminin dédiés à sainte Agnès.
Huit ans plus tard, Eusèbe, évêque de Verceil, devançant l’initiative de saint Augustin à Hippone, établissait près de sa cathédrale, à son retour d’Orient, une communauté de clercs. Il fut imité en 397 par Gaudence, évêque de Novare, qui avait appartenu à ce groupe informel, dans lequel il faut voir plutôt les premiers chanoines réguliers.
Le rôle déterminant de saint Anthanase
Ce fut surtout sous l’influence de ce patriarche d’Alexandrie que se propagea le monachisme en Occident. En 335, Constantin l’ayant exilé de son siège, il se réfugia à Trèves, où il vécut pendant deux ans, psalmodiant l’office divin avec quelques moines qu’il avait amenés avec lui. À cet exemple, un certain nombre de petits groupes érémitiques se constituèrent sur les bords de la Moselle ; le plus important fut celui qu’établit à Cardo saint Castor, et qui devint une importante communauté, régie par une règle qui ne fut sans doute pas rédigée.
Ce fut probablement à cette communauté, ou à une autre moins importante, qu’appartint saint Martin quand, en 341, il demanda son congé de l’armée pour se consacrer à Dieu ; jusqu’au jour où, accompagnant à Poitiers Maximin, évêque de Trèves, il y trouva un groupe d’ascètes dirigé par saint Hilaire, futur évêque de la ville, et s’y incorpora. Puis, après un voyage en Italie durant lequel il constitua deux ermitages, il retourna à Poitiers ; il fonda alors près de Ligugé un monastère de laïcs, puis, devenu archevêque de Tours, un monastère de clercs à Marmoutier (371). En 339, Athanase, de nouveau exilé, s’arrêta à Rome ; sous son influence, sainte Marcelle, une riche veuve, transforma son palais en monastère – exemple suivi en 380 par sainte Paule.
En 370, Évagre d’Antioche, ami de saint Jérôme, traduisit en latin la fameuse Vie de saint Antoine, première de toutes les hagiographies, rédigée par saint Athanase, et fit connaître ainsi en Occident la vie des monastères d’Égypte. Elle fut lue à Rome par un clerc irlandais, saint Kiaran, qui, en 402, retourna dans sa patrie, où il fonda à Saghir le premier monastère de l’île. Quand, trente ans plus tard, le Breton saint Patrick débarqua en Irlande, il trouva le vieil abbé entouré de ses fils, et l’ordonna évêque.
Le monachisme continua à s’implanter anarchiquement dans les Gaules : en 390 avec saint Théodule à Agaune, aujourd’hui Saint-Maurice en Valais ; en 394 avec saint Paulin à Nole, dans la région de Naples ; en 405 avec saint Honorat dans l’île de Lérins en Provence ; en 410 avec saint Budoc dans l’île des Lauriers au nord de l’Armorique ; en 422 avec saint Germain à Auxerre. Il est certain qu’un mouvement plus ample, mais constitué, lui aussi, de monastères isolés, se produisit en Italie ; à notre déconvenue, contrairement à ce qui eut lieu pour la Gaule, il ne trouva pas d’historiens, et nous ne le connaissons que par un ensemble d’allusions et de déductions. Heureusement, saint Grégoire le Grand, après avoir mentionné, dans ses Dialogues, quelques monastères du centre de l’Italie à la fin du Ve siècle, nous a laissé l’histoire de saint Benoît de Nursie.
Saint Benoît, l’artisan le plus important de l’expansion du monachisme
Il se retira en solitaire à Subiaco vers l’an 500 ; trois ans plus tard, il se trouvait à la tête d’une petite communauté. Pendant ce temps, saint Fintan fondait Cluan-Ednech en Irlande, saint Pol de Léon se faisait ermite en Armorique, saint Mars bâtissait Royat, saint Césaire établissait une communauté de clercs à Arles, saint Hilaire de Galliata élevait son monastère non loin de Ravenne ; et dans toute l’Italie florissaient des maisons religieuses semblables à celle de Subiaco. En 535, six ans après avoir transporté sa communauté grandissante dans les nouveaux locaux du Mont-Cassin, Benoît rédigea la règle qui en ordonnait la vie. Elle passa inaperçue. On connaissait d’ailleurs de nombreuses règles à l’est de la Gaule et dans le nord de l’Italie : celles des Quatre Pères, de Saint-Macaire, Règle orientale, écrites successivement à Lérins ; les Institutions de Cassien à Marseille ; les règles de Saint-Césaire à Arles, de Saint-Eugippe à Lucullanum près de Naples ; celle du Maître en un lieu ignoré d’Italie centrale. Dans les trente années qui suivirent la rédaction de la règle du Mont-Cassin parurent celles de Saint-Aurélien à Arles, de Tarnat et de Saint-Ferréol dans la vallée du Rhône… sans compter l’abondance des règles des abbayes de l’Irlande. Cependant, aucune ne subsista. Deux siècles après avoir timidement régi quelques monastères italiens, la règle de saint Benoît s’imposa à l’Occident entier.
Il y avait eu pourtant, dans l’intervalle, la règle de saint Colomban. Ce fameux moine irlandais, débarqué en 590 sur la côte d’Armorique, entre Saint-Malo et Cancale, avec douze compagnons, avait élevé dans la forêt vosgienne un triple monastère, Luxeuil-Anegray-Fontaines. Puis, chassé par Brunehaut, il avait pérégriné à travers les Alpes, pour aboutir finalement à Bobbio, au sud de Milan, où il bâtit une nouvelle abbaye et mourut bientôt (615). Lui et ses premiers disciples avaient établi dix monastères. Mais, après la mort de Colomban, plus de quatre-vingt-dix autres adoptèrent sa règle. On pouvait s’attendre à une plus grande extension ; or, cette règle était à la fois terrible et imprécise sur bien des points. Petit à petit, la règle de saint Benoît, bien plus équilibrée et humaine, lentement découverte, se substitua à elle. D’ailleurs, dès 628, on constate que, dans la plupart des monastères issus de Luxeuil, s’est constituée une règle mixte, qui associe des articles de la règle bénédictine à ceux de la règle colombanienne. Ainsi les plus célèbres : les congrégations de Saint-Wandrille, de Jumièges (fondée par saint Philibert), de Saint-Amand. Pendant ce temps, le moine Augustin, prieur de l’abbaye bénédictine Saint-André de Rome, envoyé par le pape saint Grégoire le Grand pour convertir les Anglo-Saxons, fondait le premier monastère bénédictin d’Angleterre et devenait archevêque de Cantorbéry (597). En un siècle, plus de cent autres s’y ajoutèrent. En 610, le concile de Rome, convoqué par Boniface IV, confirma la règle de saint Benoît pour tous les monastères d’Angleterre. En 745, le concile national des Francs, présidé par saint Boniface, archevêque de Mayence, décréta la soumission de tous les monastères du royaume à cette même règle.
L’épanouissement du monachisme occidental se poursuivit sous la protection de Pépin le Bref, de Charlemagne et de Louis le Pieux. Mais il fut bientôt victime de deux fléaux qui produisirent sa décadence. Le premier fut l’accaparement des abbayes par des laïcs, qui disposèrent du sort et des biens des religieux. L’autre fut l’invasion des Normands païens, puis des Sarrasins musulmans, qui ruinèrent la majorité des monastères et massacrèrent un grand nombre de moines.
De Cluny à Cîteaux et Clairvaux
Après la débâcle, le renouveau de la vie monastique fut l’œuvre de Cluny. Au départ, en 909, cette modeste formation, œuvre de Guillaume Ier d’Aquitaine, passa presque inaperçue. Mais la soif de vie religieuse était telle que Cluny, en deux siècles, créa ou s’unit à douze cents monastères, dont neuf cents en France. La nouveauté du gouvernement consistait dans une centralisation qui plaçait toutes les maisons de l’ordre sous l’autorité de l’abbé de Cluny. C’était donc la valeur personnelle de celui-ci qui décidait du respect de la règle et de l’élan de la ferveur dans l’ensemble de l’ordre. Or, durant deux siècles, les abbés qui se succédèrent furent des hommes exceptionnels. En outre, ils eurent des abbatiats d’une longue durée, ce qui leur permit de donner continûment leur marque à cette puissante réforme. Après le premier abbé, saint Bernon (909-927), cette durée alla croissant : saint Odon dirigea pendant quinze ans, saint Aymar pendant vingt-trois ans, saint Mayeul pendant vingt-neuf ans, saint Odilon (994-1049) pendant cinquante-cinq ans, saint Hugues (1049-1109) pendant soixante ans.
Après la mort de ce géant du monachisme, Cluny commença à donner des marques de déclin. Le flambeau fut repris par Cîteaux. Cette abbaye, bourguignonne comme Cluny, fut fondée en 1098 par saint Robert, abbé de Molesmes, qui voulait, avec quelques compagnons, vivre intensément la vie bénédictine dans le labeur et le dénuement. Ses successeurs à la tête de la jeune abbaye, saint Aubry (1099-1109), saint Étienne Harding (1109-1133), Raynard (1133-1151), furent dignes de lui et procurèrent à l’ordre nouveau une extension dans toute l’Europe, tout en s’employant à le garder dans sa ferveur.
Mais l’artisan le plus admirable de cette multiplication et de cette sainteté fut saint Bernard, premier abbé de Clairvaux, qui compte parmi les plus fameux génies du christianisme. Fondateur, il établit soixante-neuf monastères, qui à leur tour en créèrent plus de cent. Homme d’Église, il fut un zélé serviteur de la papauté dans les luttes qu’elle eut à soutenir contre le pouvoir temporel ; prédicateur, il laissa plus de quatre cents sermons d’une puissante éloquence ; théologien, il a été rangé parmi les docteurs de l’Église.
Du XIe et XIIe siècles, une floraison d’instituts pleins de la même ferveur
Le plus célèbre est l’ordre des Chartreux, fondé en 1084 par saint Bruno dans le massif alpin de la Grande Chartreuse, et qui associe dans le même monastère la vie érémitique à la vie cénobitique. Mais d’autres ont trouvé une place prestigieuse dans l’histoire. En Italie, ce furent l’ordre des Camaldules, institué en 1012 par saint Romuald à Camaldoli en Toscane ; l’ordre de Vallombreuse, fondé en 1046 par saint Jean Gualbert à Vallombrosa, en Toscane encore ; celui de Flore (1194), par le fameux abbé cistercien Joachim, qui fut inquiété par les autorités ecclésiastiques à cause de ses fantaisies théologiques ; celui de Monte Vergine, dans les Pouilles (1119) par saint Guillaume de Verceil ; celui de Pulsano (1118), dans la même région, par saint Jean de Matera.
L’Ouest de la France fut fertile en fondations, à l’origine des ermitages. Le principal inspirateur de ce mouvement fut le bienheureux Vital de Mortain, qui suscita en 1093 l’ordre de Savigny. À son exemple, saint Robert d’Arbrissel établit en 1099 l’ordre de Fontevraud, avec cette particularité que l’autorité de cet ordre mixte revint à l’abbesse de Fontevraud, les prieurés masculins lui étant soumis comme les féminins. Autre disciple de Vital, Géraud de Salles parsema le Sud-Ouest de petits monastères, qui constituèrent les éphémères congrégations de Cadouin, de Grandselve et de Dalon. Saint Étienne de Muret fonda dans le Limousin en 1078 l’ordre de Grandmont, qui compta cent cinquante et une maisons ; saint Étienne d’Obazine, dans la même région, vers 1130, celui d’Obazine. Tous ces instituts avaient en commun la pratique d’une terrible ascèse et d’une très grande pauvreté.
Au XIIIe siècle, les ordres mendiants suscitèrent l’enthousiasme et attirèrent une multitude de recrues. Ce fut certes, numériquement, au détriment des ordres monastiques ; mais ceux-ci gardèrent en bonne partie leur ferveur.
Un déclin amorcé au XVIe siècle et confirmé au XVIIIe siècle
Il en alla autrement quand, au début du XVIe siècle, deux événements leur portèrent un coup irréparable. L’un, externe, fut la Réforme qui, dans la moitié de l’Europe, confisqua les monastères, chassa ou massacra les religieux ; l’autre, interne, fut, en 1516 le concordat de Bologne entre Léon X et François Ier, qui laissait au roi de France la nomination des évêques et des abbés dans son royaume, où se trouvaient le plus grand nombre de monastères. Le roi, évidemment, ne nomma pas les prélats les plus saints, mais les plus ambitieux et les plus dévoués à sa personne, et il s’en suivit une décadence des instituts monastiques.
Un renouveau apparut au XVIIe siècle grâce à la création de nouvelles congrégations ferventes : chez les Cisterciens, celle d’Allemagne ; en France, celle de la Stricte Observance, au sein de laquelle brilla l’abbé de Rancé, réformateur de la Trappe ; chez les Bénédictins, les congrégations de Saint-Vanne et de Saint-Maur, toujours en France. Cet essor fut combattu au XVIIIe siècle par les gouvernements des pays latins, gagnés à la franc-maçonnerie, et anéantis, en France et en Italie, par la Révolution française. Le beau mouvement de restauration du XIXe siècle ne put relever ces ruines qu’en faible partie.
Ce court exposé historique ne permet pas de dresser un bilan de l’œuvre monastique en Occident, qui fut fondamentale non seulement dans le domaine spirituel, mais dans les domaines économique, culturel et caritatif.
Ivan Gobry
Janvier 2001
FÊTE DE LA NATIVITÉ DE MARIE – HOMÉLIE DU PAPE BENOÎT XVI, Mariazell 2007
7 septembre, 2015VOYAGE APOSTOLIQUE DU PAPE BENOÎT XVI EN AUTRICHE
À L’OCCASION DU 850 ANNIVERSAIRE
DE LA FONDATION DU SANCTUAIRE DE MARIAZELL
MESSE
HOMÉLIE DU PAPE BENOÎT XVI
Sanctuaire de Mariazell
Samedi 8 septembre 2007
Chers frères et sœurs,
Avec notre grand pèlerinage à Mariazell, nous célébrons la fête patronale de ce Sanctuaire, la fête de la Nativité de Marie. Depuis 850 ans, des personnes de divers peuples et nations se rendent ici, des personnes qui prient en apportant avec elles les désirs de leurs cœurs et de leurs pays, leurs préoccupations et leurs espérances les plus profondes. Mariazell est ainsi devenue pour l’Autriche, et bien au-delà de ses frontières, un lieu de paix et d’unité réconciliée. Nous faisons ici l’expérience de la bonté réconfortante de la Mère; ici, nous rencontrons Jésus Christ, à travers lequel Dieu est avec nous, comme l’affirme aujourd’hui le passage évangélique – Jésus, dont nous avons entendu dire dans la lecture du prophète Michée: Il sera la paix (cf. 5, 4). Aujourd’hui, nous nous inscrivons dans le grand pèlerinage séculaire. Nous faisons une halte devant la Mère du Seigneur et nous la prions: Montre-nous Jésus. Montre-nous, à nous pèlerins, Celui qui est à la fois le chemin et le but: la vérité et la vie.
Le passage évangélique, que nous venons d’écouter, ouvre encore davantage notre vision. Il nous présente l’histoire d’Israël à partir d’Abraham comme un pèlerinage qui, suivant des montées et des descentes, à travers des voies courtes et des voies longues, conduit enfin au Christ. La généalogie, avec ses figures lumineuses et obscures, avec ses succès et ses échecs, nous démontre que Dieu peut écrire droit également sur les lignes tortueuses de notre histoire. Dieu nous laisse notre liberté et, toutefois, il sait trouver dans notre échec des voies nouvelles pour son amour. Dieu n’échoue pas. Ainsi, cette généalogie est une garantie de la fidélité de Dieu; une garantie que Dieu ne nous laisse pas choir et une invitation à orienter notre vie toujours à nouveau vers Lui, à marcher toujours à nouveau vers le Christ.
Aller en pèlerinage signifie être orientés dans une certaine direction, marcher vers un objectif. Cela confère également au chemin et à ses difficultés une beauté qui leur est propre. Parmi les pèlerins de la généalogie de Jésus, certains avaient oublié l’objectif et voulaient se présenter eux-mêmes comme cet objectif. Mais le Seigneur a toujours suscité à nouveau également des personnes qui se sont laissées entraîner par la nostalgie de l’objectif, en orientant leur propre vie vers lui. L’élan vers la foi chrétienne, le début de l’Eglise de Jésus Christ a été possible, parce qu’existaient en Israël des personnes dont le cœur était en quête – des personnes qui ne se sont pas installées dans l’habitude, mais qui ont regardé au loin, à la recherche de quelque chose de plus grand: Zacharie, Elisabeth, Siméon, Anne, Marie et Joseph, les Douze et beaucoup d’autres. Leur cœur étant en attente, ils pouvaient reconnaître en Jésus Celui que Dieu avait envoyé et devenir ainsi le début de sa famille universelle. L’Eglise des nations est devenue possible car, que ce soit dans la région de la Méditerranée et dans la proche ou la moyenne Asie, là où arrivaient les Messagers de Jésus, il y avait des personnes en attente qui ne se contentaient pas de ce que tous faisaient et pensaient, mais qui cherchaient l’étoile qui pouvait leur indiquer la voie vers la Vérité même, vers le Dieu vivant.
Nous avons besoin de ce cœur inquiet et ouvert. C’est le noyau du pèlerinage. Aujourd’hui aussi, il ne suffit pas d’être et de penser en quelque sorte comme tous les autres. Le projet de notre vie va au-delà. Nous avons besoin de Dieu, de ce Dieu qui nous a montré son visage et ouvert son cœur: Jésus Christ. Jean, à juste titre, affirme qu’Il est le Fils unique de Dieu qui est dans le sein du Père (cf. Jn 1, 18); ainsi, Lui seul, du plus profond de Dieu lui-même, pouvait nous révéler Dieu – nous révéler également qui nous sommes, d’où nous venons et vers où nous allons. De nombreuses et grandes personnalités ont vécu, au cours de l’histoire, des expériences de Dieu belles et émouvantes. Elles restent cependant des expériences humaines, avec leur limites humaines. Lui seul est Dieu et donc Lui seul est le pont, qui met vraiment Dieu et l’homme en contact direct. Et donc, si nous chrétiens l’appelons l’unique Médiateur du salut valable pour tous, qui concerne chacun et dont, en définitive, tous ont besoin, cela ne signifie pas du tout un mépris des autres religions ni une absolutisation orgueilleuse de notre pensée, mais seulement que nous avons été conquis par Celui qui nous a intérieurement touchés et comblés de dons, afin que nous puissions à notre tour faire des dons également aux autres. De fait, notre foi s’oppose décidément à la résignation qui considère l’homme incapable de la vérité – comme si celle-ci était trop grande pour lui. Cette résignation face à la vérité est, selon ma conviction, le cœur de la crise de l’Occident, de l’Europe. Si, pour l’homme, il n’existe pas de vérité, celui-ci, au fond, n’est même pas capable de distinguer entre le bien et le mal. Les grandes et merveilleuses connaissances de la science deviennent alors ambiguës: elles peuvent ouvrir des perspectives importantes pour le bien, pour le salut de l’homme, mais également – et nous le voyons – devenir une menace terrible, la destruction de l’homme et du monde. Nous avons besoin de la vérité. Mais, certainement en raison de notre histoire, nous avons peur que la foi dans la vérité ne conduise à l’intolérance. Si cette peur, qui a ses bonnes raisons historiques, nous assaille, il est temps de tourner notre regard vers Jésus comme nous le voyons ici au Sanctuaire de Mariazell. Nous le voyons sous deux aspects: comme un enfant dans les bras de sa Mère et, au-dessus de l’autel principal de la Basilique, comme le crucifié. Ces deux images de la basilique nous disent: la vérité ne s’affirme pas à travers un pouvoir extérieur, mais elle est humble et ne se donne à l’homme qu’à travers le pouvoir intérieur du fait qu’elle est vraie. La vérité se démontre elle-même dans l’amour. Elle n’est jamais notre propriété, notre produit, de même que l’amour ne peut pas être produit, mais seulement se recevoir et se transmettre comme don. Nous avons besoin de cette force intérieure de la vérité. En tant que chrétiens, nous avons confiance dans cette force intérieure de la vérité. Nous en sommes les témoins. Nous devons la transmettre en don, de la même manière que nous l’avons reçue, de la même façon que celle-ci s’est donnée.
« Regarder vers le Christ » est la devise de cette journée. Cette invitation, pour l’homme en quête, se transforme toujours à nouveau en une question spontanée, une question adressée en particulier à Marie, qui nous a donné le Christ comme son Fils: « Montre-nous Jésus! ». Nous prions ainsi aujourd’hui de tout notre cœur; nous prions ainsi également en d’autres moments, intérieurement à la recherche du Visage du Rédempteur. « Montre-nous Jésus! ». Marie répond, en nous le présentant tout d’abord comme un enfant. Dieu s’est fait petit pour nous. Dieu ne vient pas avec la force extérieure, mais il vient dans l’impuissance de son amour, qui constitue sa force. Il se donne entre nos mains. Il nous demande notre amour. Il nous invite à devenir nous aussi petits, à descendre de nos trônes élevés et à apprendre à être des enfants devant Dieu. Il nous offre le « Toi ». Il nous demande d’avoir confiance en Lui et d’apprendre ainsi à vivre dans la vérité et dans l’amour. L’Enfant Jésus nous rappelle naturellement aussi tous les enfants du monde, à travers lesquels il veut venir à notre rencontre. Les enfants qui vivent dans la pauvreté; qui sont exploités comme soldats; qui n’ont jamais pu faire l’expérience de l’amour de leurs parents; les enfants malades et qui souffrent, mais aussi ceux qui sont joyeux et sains. L’Europe est devenue pauvre en enfants: nous voulons tout pour nous-mêmes, et peut-être n’avons-nous pas tellement confiance en l’avenir. Mais la terre ne sera privée d’avenir que lorsque s’éteindront les forces du cœur humain et de la raison illuminée par le cœur – quand le visage de Dieu ne resplendira plus sur la terre. Là où se trouve Dieu, là se trouve l’avenir.
« Regarder vers le Christ »: jetons encore brièvement un regard sur le Crucifié au-dessus de l’autel majeur. Dieu a racheté le monde non par l’épée, mais par la Croix. Mourant, Jésus ouvre les bras. C’est tout d’abord le geste de la Passion, avec lequel Il se laisse clouer pour nous, pour nous donner sa vie. Mais les bras étendus sont en même temps l’attitude de l’orant, une position que le prêtre prend lorsque, dans la prière, il ouvre les bras: Jésus a transformé la passion – sa souffrance et sa mort – en prière, et il l’a ainsi transformée en un acte d’amour envers Dieu et envers les hommes. C’est pourquoi les bras ouverts du Crucifié sont, à la fin, également un geste d’étreinte, avec lequel Il nous attire à Lui, il veut nous embrasser entre les mains de son amour. Ainsi, Il est une image du Dieu vivant, il est Dieu lui-même, nous pouvons nous confier à Lui.
« Regarder vers le Christ! ». Si nous le faisons, nous nous rendons compte que le christianisme est quelque chose de plus et de différent qu’un système moral, qu’une série de requêtes et de lois. Il est le don d’une amitié qui perdure dans la vie et dans la mort: « Je ne vous appelle plus serviteur, mais amis » (cf. Jn 15, 15), dit le Seigneur aux siens. Nous nous confions à cette amitié. Mais précisément parce que le christianisme est plus qu’une morale, il est justement le don d’une amitié, c’est pour cela qu’il contient également en lui une grande force morale dont nous avons tant besoin face aux défis de notre temps. Si avec Jésus Christ et avec son Eglise nous relisons de manière toujours nouvelle le décalogue du Sinaï, en pénétrant dans ses profondeurs, alors il se révèle à nous comme un grand enseignement, valable et permanent. Le Décalogue est tout d’abord un « oui » à Dieu, à un Dieu qui nous aime et nous guide, qui nous conduit et qui, toutefois, nous laisse notre liberté, plus encore, en fait une liberté véritable (les trois premiers commandements). C’est un « oui » à la famille (quatrième commandement), un « oui » à la vie (cinquième commandement), un « oui » à un amour responsable (sixième commandement), un « oui » à la solidarité, à la responsabilité sociale et à la justice (septième commandement), un « oui » à la vérité (huitième commandement) et un « oui » au respect des autres personnes et de ce qui leur appartient (neuvième et dixième commandements). En vertu de la force de notre amitié avec le Dieu vivant, nous vivons ce multiple « oui » et, dans le même temps, nous le présentons comme indicateur de l’itinéraire à cette époque du monde.
« Montre-nous Jésus! ». Avec cette requête à la Mère du Seigneur, nous nous sommes mis en marche vers ce lieu. Cette même question nous accompagnera lorsque nous reprendrons notre vie quotidienne. Et nous savons que Marie exauce notre prière: oui, à chaque moment, lorsque nous tournons notre regard vers Marie, elle nous montre Jésus. Ainsi, nous pouvons trouver le juste chemin, le suivre pas à pas, remplis de la certitude joyeuse que le chemin conduit à la lumière – à la joie de l’Amour éternel. Amen.