L’EGLISE DE JÉRUSALEM SE SOUVIENT DU DON DE L’ESPRIT – FRÉDÉRIC MANNS

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L’EGLISE DE JÉRUSALEM SE SOUVIENT DU DON DE L’ESPRIT

FRÉDÉRIC MANNS

Studium Biblicum Franciscanum

Selon la volonté du St Père 1998 est l’année consacrée au St Esprit. L’Eglise-mère de Jérusalem née au Cénacle le jour de la Pentecôte ne peut ignorer cette date. On a pu reprocher à l’Eglise latine d’avoir ignoré l’Esprit trop longtemps, mais l’approche du Jubilé l’amène à un retour aux sources. Or la source de l’Eglise c’est l’Esprit.
Jérusalem est un microcosme unique en son genre. Non seulement toutes les Eglises y sont représentées, mais aussi tous les enfants d’Abraham. Faire Eglise à Jérusalem signifie travailler concrètement au dialogue oecuménique et inter-religieux. L’Esprit de Jésus est un esprit d’unité. C’est en mourant sur la croix pour rassembler les enfants de Dieu divisés que Jésus a donné l’Esprit.
L’an passé l’Eglise de Jérusalem avait cherché à répondre à la question de Jésus: Pour vous qui suis-je? Cette année elle profite du temps pascal pour se préparer à la Pentecôte et au don de l’Esprit. Une triple réfexion sera entreprise du 30 avril au 2 mai: après avoir scruté les Ecritures, un détour par la patristique permettra d’interroger la tradition chrétienne. Enfin la diversité des liturgies dans lesquelles l’Esprit continue à prier et à parler aux Eglises révèlera l’exégèse vécue par l’Eglise mère.
Tout d’abord un retour aux Ecritures s’impose. Ce sont elles qui nous enseignent que l’Esprit n’est pas seulement un souffle cosmique, mais qu’il est capable d’inspirer prophètes et les sages. Une lecture même rapide de la Bible montre qu’une grande inclusion littéraire délimite le livre sacré: au début du livre de la Genèse l’Esprit de Dieu plane sur les eaux et à la fin de l’Apocalypse un appel retentit: “L’Esprit et l’épouse disent: Viens Seigneur Jésus”. La finale de l’Apocalypse répond parfaitement au début de la Genèse. Toute l’Ecriture est ainsi mise sous la patronage de l’Esprit. Il faudrait ajouter: toute l’histoire du salut est éclairée par l’Esprit de Dieu. La clé qui ouvre les Ecritures et l’histoire du salut est l’Esprit. En d’autres termes, pour connaître l’Esprit il faut scruter les Ecritures. L’Esprit et la Parole entretiennent un rapport spécial.
La tradition chrétienne guidée par l’Esprit a sans cesse approfondi les Ecritures. Le fondateur de l’école biblique de Césarée, Origène, dans ses commentaires si riches et si instructifs, ouvre une ligne de pensée qui sera reprise en Orient, tandis qu’Augustin deviendra le chef de file de la tradition occidentale.
L’Eglise respire avec deux poumons. C’est à Jérusalem qu’on le découvre concrètement. Pour la tradition orientale l’Esprit est extase, sortie, don. Il est l’ouverture, le dynamisme de la charité divine qui se manifeste dans la création, la prophétie et dans l’incarnation du Fils de Dieu. Tandis que le Père est la source, le Fils la parole sortie du silence de Dieu, l’Esprit est le dynamisme divin. Le Père travaille dans la création par le moyen de ses deux mains que sont le Fils et l’Esprit selon l’expression de St Irénée (Adv. Haer. 1,22,1; 5,6,1). Ces deux mains sont inséparables dans leur action manifestatrice du Père et pourtant ineffablement distinctes. Le Verbe est en quelque sorte la main qui dégrossit l’oeuvre et l’Esprit la main qui la parfait. L’Esprit inonde la terre comme une eau bienfaisante qui unit les fidèles en une pâte, qui rafraîchit le sol et fait lever partout les moissons du Christ. L’Eglise répandue par toute la terre, appuyée sur l’Evangile, doit sa cohésion au même Esprit qui inspira les prophètes et qui, par les quatre évangélistes, souffle aux quatre coins du ciel la vie chrétienne. La gloire de l’homme c’est Dieu. Dieu se plaît à faire de l’homme le réceptacle de sa sagesse. La vie présente n’est que l’apprentissage de la vie incorruptible que donne l’Esprit.
Pour la tradition occidentale, représentée par St Augustin, l’Esprit est le lien d’unité entre l’aimé et l’aimant, étant lui-même l’amour. Il est le silence de la communion divine. Le Père et le Fils sont l’un pour l’autre, relatifs l’un à l’autre. L’Esprit est celui en qui ils s’unissent; s’accueillent et se reposent. L’Esprit brise la suffisance possible du face à face des deux premières figures. La tradition orientale lui a reconnu un rôle créateur et dynamique. Il est l’ouverture de la communion dynamique à ce qui n’est pas divin. Il est l’habitation de Dieu là où Dieu est en quelque sorte hors de lui-même. Aussi est-il appelé Amour. Il est l’extase de Dieu vers son autre, la créature. L’Esprit est en Dieu le terme de la communication substantielle.
Ces théologies diverses de l’Esprit sont vécues dans les liturgies des Eglises orientales et occidentales. La liturgie exploite la symbolique des couleurs lorsqu’elle prie l’Esprit. Le vêtement liturgique d’après la tradition arménienne rappelle que “le culte extérieur est l’image d’un ornement spirituel lumineux” (Nerses Shorali). L’Esprit revêt d’un vêtement celui qui s’approche de Dieu. Le christianisme médiéval a construit autour de la couleur rouge une théologie populaire de l’Esprit. La couleur, c’est d’abord de la lumière, tant sur le plan théologique que sur celui de la sensibilité. La couleur rouge c’est celle du sang et du vin, le sang de la vigne. C’est aussi celle du feu qui flambe et qui s’élance dans la nuit. Ce qui fait de la couleur rouge une source d’énergie christologique, c’est sa densité et sa concentration. C’est cette même couleur rouge qui suggère à la fois la Passion du Christ et qui symbolise l’Esprit. Tout se passe comme si c’était le même mystère qu’on insinuait avec la couleur rouge. Christologie et pneumatologie sont associées, bien que l’Esprit soit l’au-delà du Verbe. “Le Christ s’est offert dans un Esprit éternel”, affirme l’auteur de la lettre aux Hébreux 9,14. Dans le mystère de la Pentecôte le rouge-feu évoque les langues de feu qui descendirent sur les disciples. L’Esprit rend capable de parler. Le rouge est à la fois lumière et souffle, puissance et chaleur du feu. Il brille, éclaire et purifie.
Les liturgies orientales, qui célèbrent la divinisation de l’homme, renvoient à un autre symbole de l’Esprit: celui de l’eau. Dans le Christ Dieu a rassemblé l’humanité dispersée qui devient le corps du Christ. Le sang qui jaillit du côté transpercé du Christ enivre l’homme de ce grand amour. A l’unité du sang répond la diversité du feu, mais en fait le feu brûle déjà dans le sang. Le sang est chaud. L’Esprit est feu. C’est pourquoi le diacre verse dans le vin avant la communion un peu d’eau chaude pour symboliser le feu de l’Esprit.
La réflexion de l’Eglise de Jérusalem se veut oecuménique. Des évêques orthodoxes, arméniens, latins, coptes, syriens et melkites y participent. Elle se veut également inter-religieuse, puisqu’un juif et un musulman participent aux tables rondes. Le judaïsme connaît une théologie très variée de l’Esprit de Dieu ainsi que l’Islam qui dépend en partie du judéo-christianisme.
L’Esprit est la mémoire de l’Eglise, il est aussi son maître à penser. Il enseigne.
Le don messianique de l’Esprit a été annoncé sous forme d’onction. Cette onction est faite sur chaque chrétien lors de la confirmation et sur celui qui accepte au coeur de l’Église le sacerdoce ministériel. Le chrétien fait partie d’un peuple sacerdotal qui par le Christ peut offrir des sacrifices spirituels agréables à Dieu. L’Esprit lui confie la charge d’annoncer les merveilles que Dieu a réalisées lorsqu’il l’a fait passer à la vraie liberté des enfants de Dieu. L’Esprit ainsi conféré par le symbole de l’onction fait du chrétien un lutteur qui annonce l’évangile au milieu des plus grands obstacles. Cyrille de Jérusalem dans sa Catéchèse 18,3 rappelle que “de même que le pain eucharistique après l’épiclèse n’est plus du pain orinaire, mais le corps du Christ, le saint chrême n’est plus une huile ordinaire”.
Cyrille de Jérusalem, écrivait dans sa Catéchèse 16,1 “La grâce de l’Esprit est nécessaire si nous voulons parler de l’Esprit Saint. Car nous ne pouvons pas parler de façon adéquate de lui, mais nous pouvons le faire sans dégât, en nous limitant à ce qu’en disent les divines Ecritures”

 

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