Archive pour juillet, 2015

CHEMINS MISTIQUES – PAUL AGAËSSE.

13 juillet, 2015

http://www.cheminsmystiques.fr/HISTOIRE/5.1-4.etoilement.htm#_Toc254814273

CHEMINS MISTIQUES

PAUL AGAËSSE.

Paul Agaësse offre plutôt une réflexion profonde sur notre rapport avec Dieu que son expérience mystique [87] :
µSaint Augustin, Commentaire de la Première épitre de saint Jean, SC 75, Cerf, 1984 :
(43) Si Dieu prend l’initiative du salut de l’homme, c’est qu’il appartient à l’amour de commencer, de n’être pas déterminé par autre chose que lui-même, mais de trouver en soi le principe de son acte. Non qu’il soit aveugle, il est au contraire tout pénétré de sagesse, mais il est à lui-même sa propre clarté et sa propre justification, son mérite et sa récompense, son principe et sa fin. L’amour en Dieu n’est pas déterminé par le besoin ou le manque : il ne trouve aucun avantage utilitaire en celui qui en est l’objet, il n’est pas moyen pour obtenir autre chose, pour atteindre une perfection qui ne serait pas déjà possédée. Cet amour est à lui-même sa propre raison d’être. Saint Augustin va jusqu’à dire que cette gratuité et cette sorte d’indépendance de l’amour explique que Dieu soit le vrai maître, le seul maître. Sa transcendance suprême est celle d’un amour qui aime pour aimer, sans tirer aucun avantage de ceux qui sont aimés : “Celui-là est le vrai maître qui ne cherche rien de nous… Il ne cherche rien de nous, il nous a cherchés alors que nous ne le cherchions pas.
(45) Dieu justifie, non parce qu’il feint de ne pas voir la faute, ni même parce qu’il l’efface en quelque sorte négativement, mais parce qu’en nous communiquant la charité, qui est sa Vie et son Essence, il nous rend semblables à lui…
Augustin est donc en droit de conclure : « Si tu aimes ton frère que tu vois, par le fait même tu verras aussi (50) Dieu, car tu verras la charité et Dieu habite en elle » (V, 7) … Il s’agit d’une invasion transformante de Dieu en nous, d’une présence active par laquelle Dieu, dès ici-bas, nous rend semblables à lui en nous initiant à son propre acte d’aimer et nous prépare à la vision face à face. Cette connaissance est encore obscure, elle est susceptible de progrès, car la charité n’est pas parfaite en nous. Mais elle est de même nature que la vision béatifique, puisque Dieu est la source de cet acte qui dépasse nos forces naturelles. Elle lui est homogène, comme la grâce est homogène à la gloire, car, même dans l’au-delà, l’homme ne verra Dieu qu’en participant à son acte d’aimer. Dieu n’est pas comme un objet qui apparaît dans un lieu où il n’était pas et qui commencerait alors à être connu. Non. La connaissance de Dieu est liée à la purification et à la transformation du connaissant et la vision sera parfaite quand la ressemblance de l’âme avec Dieu, par la croissance en elle de la charité, sera devenue parfaite.
(52) L’homme n’imite pas Dieu de l’extérieur, comme on copie un modèle. Il l’imite, parce qu’il reçoit de lui l’impulsion qui le pousse à aimer. / Tirons au clair toutes les conséquences de cette doctrine. L’homme veut aimer Dieu. Mais il ne peut l’aimer qu’avec un amour qu’il reçoit de lui : or cet amour qu’il reçoit de Dieu, gratuit comme celui de Dieu, c’est l’amour de ses frères. Dieu ne peut être objet d’amour que parce qu’il en est la source : répondre à son amour, c’est nous laisser envahir par lui, aimer avec lui et comme lui.
(53) L’homme commence à être heureux, parce qu’il commence à devenir semblable à Dieu en aimant comme lui, gratuitement…
“Le désir de Dieu”, (choix de notes manuscrites en suppl. à Vie Chrétienne no 233) :
[34-35] Dire que nous sommes créés, c’est dire: « Nous ne sommes rien par nous-mêmes. » Mais, d’une façon corrélative et aussi catégorique, c’est dire en même temps : « Nous avons un prix Infini, puisque nous sommes faits par Dieu.,, Il n’y a dans l’humilité de l’acte de foi aucune dépréciation, s’il y a dépossession. … / Nous consentons à nous dépouiller de tout ce que nous avons, nous reconnaissons que Dieu est le bienfaiteur et le donateur. Mais nous avons comme le sentiment qu’il doit y avoir une sorte de « reste», un domaine qui nous appartient en propre parce qu’il est comme notre centre, qu’il nous constitue et s’identifie à nous-mêmes. Qu’on l’appelle le « moi », la personne ou la liberté, peu importe. II y a toujours pour l’homme une tentation, plus ou moins consciente, de se retrancher dans ses propres limites et de circonscrire son propre domaine. Cela nous semble presque essentiel, ne serait-ce que pour nous distinguer de Dieu. / Mais c’est là une illusion. Ce n’est pas nous qui nous posons en face de Dieu, comme si nous commencions d’abord à exister sans Lui, indépendamment de Lui. C’est Dieu qui nous pose en face de Lui. Dans l’acte même par lequel nous nous reconnaissons autres que Dieu, il y a la reconnaissance que cette altérité même vient de Lui. … / Oubliant que la grâce n’est pas quelque chose qui s’ajoute à la liberté, mais ce qui la fonde, nous nous figurons en droit de protester : « Laisse-nous faire quelque chose ! Tu es le Tout-puissant et je veux bien Te servir. Mais je Te demande un coin d’ombre où je sois enfin chez moi, un peu de vacances, queltiues heures de liberté rien qu’humaine! » Or cela n’a pas de sens, parce que nous ne pouvons pas sortir de la volonté de Dieu pour Le rejoindre par un acte qui serait purement nôtre. L’épreuve de la foi, c’est précisément l’expérience de cette pauvreté absolue…
[36] Mais dans notre protestation même est impliquée la réponse. Si l’homme n’a pas le droit de se détacher un seul instant de Dieu, d’échapper à son regard, de vouloir quelque chose que Dieu ne voudrait pas avant lui, c’est qu’il a du prix aux yeux de Dieu. C’est qu’il naît à chaque instant d’une pensée, d’un vouloir de Dieu. En raison de cette dépendance fondamentale, il ne peut pas être un étranger pour Dieu, pas plus que Dieu n’est un étranger pour lui. La pensée de Dieu et son action entrent dans la définition de l’homme, dans tous ses gestes, dans toutes ses décisions. L’homme ne rejoint pas Dieu de l’extérieur, jamais. Il n’y a pas d’affrontement d’un plus fort et d’un plus faible qui se seraient rencontrés par hasard. Non, l’homme est tout entier de Dieu. Cette relation le constitue : « Quelque chose a surgi qui s’origine au sein de la volonté profonde, ultime et enveloppante de la divinité, là où le Père dispose de sa Parole » (U. von Balthasar).
[36] C’est parce que je suis néant que je puis être dans la joie. Si j’étais quelque chose par moi-même, je pourrais [37] désespérer : comment rejoindre Dieu ? Mais si tout ce que je suis vient de Lui, alors ce qui vient de Dieu et ne cesse de venir de Lui peut faire retour à son origine
“La grâce du moment présent”, Christus, mai 1997 :
Il peut sembler étonnant que ce que nous avons à imiter en Jésus-Christ, ce soit précisément ce qu’il y a en lui de plus haut, de plus intime, de plus mystérieux : cette vie de Fils de Dieu dans le détail et le quotidien d’une vie humaine. Mai c’est [97] justement que le chrétien, par la grâce de l’incarnation, est devenu fils de Dieu et que la vie divine l’atteint et lui est communiqué à chaque instant. … c’est dans le moment présent que se rejoignent l’éternel et le temps, la grâce offerte par Dieu et l’acte libre de l’homme…. [102] Le moment présent est donc, comme le dit encore le Père de Caussade, l’ouverture par laquelle l’abîme de la volonté divine entre en nous.
“Gratuité”, Dict. de Spir., vol. 6, col. 787 à 800 :
[791] Dieu nous a aimés le premier. – “En ceci consiste son amour : ce n’est pas nous qui avons aimé Dieu, mais c’est Lui nous a aimés le premier”, II Jean. Cette priorité signifie d’abord que Dieu est l’auteur de tout être et de tout bien créés … / Pour essayer de le comprendre, reportons-nous au don initial, qui n’est pas le plus élevé, mais qui est la condition de tous les autres : la création. Inévitablement, quand nous parlons de don, nous distinguons entre le bienfait et celui qui le reçoit. Or, quand il s’agit de création, cette opposition signifie sans doute que la nature possédée est distincte du sujet quj la possède, puisque celui-ci ne se donne pas 1’être, mais elle ne signifie pas que le sujet préexistait à sa création. Il n’y a pas seulement don fait à quelqu’un, mais don qui suscite et fait être ce quelqu’un. Nous ne pouvons pas essayer de nous dépouiller de tout ce que nous avons reçu pour isoler un reliquat, un support, si pauvre soit-il, qui ne serait pas don de Dieu. Même notre “moi”, notre personnalité, notre liberté, bref tout ce qu’il y a en nous de plus autonome et de plus intime est encore don de Dieu. … L’homme se mettrait en état de recevoir la grâce. / Mais ce serait affirmer qu’il y a de notre part une initiative qui ne vient pas de Dieu, mettre une limite à la gratuité de ses dons, inverser la relation de la créature au Créateur. Non seulement l’homme ne peut pas prétendre à la grâce comme à un dû, ni la récupérer par ses propres forces quand il l’a perdue, mais il n’est pas capable de se préparer à la recevoir ni de la désirer. / Il n’y a pas de mouvement spirituel, même inchoatif, qui aille de l’homme à Dieu, si ce mouvement n’est pas prévenu et porté par la démarche de Dieu qui vient vers l’homme.

[796] Le plus grand obstacle à la vie spirituelle est le refus de la grâce, la confiance exclusive de l’homme en ses vertus et en ses mérites, la prétention d’être juste par lui-même et de se sauver par ses seuls efforts. L’attitude de l’homme qui se complaît dans ses vertus et celle de l’homme qui s’enferme dans sa misère, l’orgueil et le désespoir, procèdent d’une même volonté de se suffire.
“Liberté, libération, IV Expérience des mystiques”, Dict. de Spir., vol. 9, col. 824 à 838 :
[830] La naissance et la consommation de la liberté humaine trouvent donc leur source dans la transcendance de Dieu, dans ce mystère d’amour qui fait que, gratuitement, il décide de communiquer sa propre vie aux esprits qu’il crée, de leur donner accès à son amour et à sa sainteté. Du côté de l’homme, elles se fondent sur son néant, autrement dit sur l’acceptation de n’être rien par soi, ce qui le rend propre à tout recevoir de Dieu, son être initial comme le mouvement par lequel il va vers lui : la vie divine afflue là où le vide est plus grand. De sorte que le mystique fait l’épreuve, concrètement et continuellement, de l’identité de la confession « Toi seul es saint » et de l’exigence « Parce que je suis saint, tu seras saint ».
/ … Le fond de l’attitude mystique est donc passivité, consentement à laisser Dieu agir. Le « vouloir et le faire », la capacité et l’exercice, tout procède de la liberté divine. Néanmoins, cette dépendance fonde l’autonomie; cette capacité et cet exercice sont réellement nôtres, l’amour reçu de Dieu devient notre amour pour lui. Dieu fait vouloir, mais ne dispense pas de vouloir. Il fait agir librement.
[834] Toutefois, précisément parce que l’homme n’est pas capable d’emblée d’accéder à l’union parfaite, cette vie comporte des seuils, et les mystiques distinguent une purification active, par laquelle la volonté se détache du créé, et une purification passive, où elle subit l’action de Dieu au point de n’être plus qu’un consentement à le laisser agir. / Cette distinction surprend, puisque l’action divine est toujours transcendante à l’action humaine, qu’elle la suscite et la fonde. …. A travers l’appropriation [835] de biens finis, ce que cherche l’homme pécheur, c’est sa propre indépendance, une valorisation de son « moi », une auto-suffisance, une sécurité qui repose sur ce qu’il croit posséder … / Le remède pour que la volonté retrouve son vrai mouvement, qui est aspiration vers Dieu, est d’être « sevrée », de tout ce qui nourrit l’égoïsme, de renoncer à toute complaisance en quelque bien créé que ce soit, et par là d’établir les puissances spirituelles dans le vide.
[837] Trouver en un autre toute sa raison d’être, être soi en sortant de soi, être saisi pour saisir, ne donner qu’en recevant, ne recevoir que pour donner sans rien altérer et sans rien réserver, tel est le caractère extatique de l’amour. Dieu, en se donnant, lui qui est amour substantiel, fait que son amour pour nous devienne amour pour lui. Il est l’origine et le terme…

NOTRE JOIE ET NOTRE ESPÉRANCE – per Saint Silouane l’Athonite

11 juillet, 2015

http://www.pagesorthodoxes.net/mere-de-dieu/md-silouane.htm

NOTRE JOIE ET NOTRE ESPÉRANCE

per Saint Silouane l’Athonite

Lorsque l’âme est toute pénétrée par l’amour de Dieu, oh ! comme tout est bon alors, comme tout est rempli de douceur et de joie ! Mais, même alors, on n’échappe pas aux afflictions, et plus grand est l’amour, plus grandes sont les afflictions. La Mère de Dieu n’a jamais péché, même par une seule pensée, et elle n’a jamais perdu la grâce, mais, elle aussi, eut à endurer de grandes afflictions. Quand elle se tenait au pied de la Croix, sa peine était vaste comme l’océan. Les douleurs de son âme étaient incomparablement plus grandes que celles d’Adam lorsqu’il fut chassé du Paradis, parce que son amour était, lui aussi, incomparablement plus grand que celui d’Adam. Et si elle resta en vie, c’est uniquement parce que la force du Seigneur la soutenait, car le Seigneur voulait qu’elle voie sa Résurrection, et qu’après son Ascension elle reste sur terre pour consoler et réjouir les Apôtres et le nouveau peuple chrétien.
Nous ne parvenons pas à la plénitude de l’amour de la Mère de Dieu, et c’est pourquoi nous ne pouvons pas non plus pleinement comprendre sa douleur. Son amour était parfait. Elle aimait immensément son Dieu et son Fils, mais elle aimait aussi d’un grand amour les hommes. Et que n’a-t-elle pas enduré lorsque ces hommes, qu’elle aimait tant et pour lesquels jusqu’à la fin elle voulait le salut, crucifièrent son Fils bien-aimé ?
Nous ne pouvons pas le comprendre, car notre amour pour Dieu et pour les hommes est trop faible.
Comme l’amour de la Mère de Dieu n’a pas de mesure et dépasse notre compréhension, de même sa douleur est immense et impénétrable pour nous.
Ô Vierge Toute-Pure, Mère de Dieu, dis-nous, à nous tes enfants, comment, lorsque tu vivais sur la terre, tu aimais ton Fils et ton Dieu. Comment ton esprit se réjouissait-il en Dieu, ton Sauveur ?
Comment regardais-tu son merveilleux Visage, à la pensée qu’il est celui que servent avec crainte et amour toutes les Puissances célestes ?
Dis-nous, que ressentait ton âme lorsque tu tenais dans tes bras l’Enfant divin ? Comment L’as-tu élevé ? Quelles furent les douleurs de ton âme lorsque avec Joseph tu le cherchas pendant trois jours à Jérusalem ? Quels tourments as-tu endurés lorsque le Seigneur fut livré à la crucifixion et mourut sur la Croix ?
Dis-nous quelle fut ta joie à la Résurrection, ou quelle langueur remplit ton âme après l’Ascension du Seigneur ?
Nos âmes désirent connaître ta vie avec le Seigneur sur la terre ; mais toi, tu n’as pas voulu mettre tout cela par écrit, et c’est dans le silence que tu as enveloppé ton secret.
J’ai vu de nombreux miracles et bien des gestes de tendresse de la part du Seigneur et de la Mère de Dieu, mais je ne puis rien donner en retour pour toute cette bonté.
Que pourrai-je donner à la Toute-Sainte Souveraine pour la remercier de n’avoir pas éprouvé d’aversion pour moi qui étais enfoncé dans le péché, mais de m’avoir visité et de m’avoir exhorté avec clémence ? Je ne l’ai pas vue, mais le Saint Esprit m’a donné de la reconnaître d’après ses paroles remplies de grâce. Mon esprit se réjouit et mon âme se tourne vers elle avec tant d’amour que la simple invocation de son nom est douce à mon coeur.
Un jour que j’écoutais à l’église la lecture des prophéties d’Isaïe, aux mots : Lavez-vous et vous serez purs (Is 1,16), il me vint la pensée :  » Peut-être la Mère de Dieu a-t-elle péché une fois, serait-ce en pensée.  » Et, chose étonnante, dans mon cœur, en même temps que la prière, une voix me dit clairement :  » La Mère de Dieu n’a jamais péché, même en pensée.  » Ainsi, dans mon cœur, l’Esprit Saint témoignait de sa pureté. Mais, durant sa vie terrestre, elle gardai, elle aussi, une certaine implénitude et était sujette à des erreurs, mais non à des péchés. On peut le voir dans l’Évangile, lorsque, revenant de Jérusalem, elle ne savait pas où était son Fils et le chercha avec Joseph pendant trois jours (Lc 2, 44-46).
Mon âme est dans la crainte et dans le tremblement lorsque je songe à la Gloire de la Mère de Dieu. Mon intelligence est insuffisante, mon coeur est pauvre et faible, mais mon âme est dans la joie et désire écrire à son sujet au moins quelques mots. Mon âme craint une telle entreprise, mais l’amour me presse à ne pas cacher ma reconnaissance pour sa miséricorde.
La Mère de Dieu n’a pas mis par écrit ses pensées, ni son amour pour son Dieu et son Fils, ni les douleurs de son âme au moment de la Crucifixion, car nous n’aurions de toute façon pas pu les comprendre. Son amour pour Dieu est en effet plus fort et plus ardent que l’amour des Séraphins et des Chérubins ; et toutes les Puissances célestes des Anges et des Archanges sont frappées d’étonnement à son sujet.
Bien que la vie de la Mère de Dieu soit comme voilée par un silence sacré, le Seigneur de notre Église orthodoxe nous a cependant donné de savoir que son amour embrasse le monde entier, que, dans l’Esprit Saint, elle voit tous les peuples de la terre et que, tout comme son Fils, elle a de la compassion pour tous les hommes.
Oh ! si nous pouvions savoir comme la Toute-Sainte aime ceux qui gardent les commandements du Christ, et comme elle a compassion et souffre pour ceux qui ne se corrigent pas ! J’en ai fait l’expérience moi-même. Je ne mens pas, je parle devant la Face du Dieu que mon âme connaît : en esprit, je connais la Vierge Toute-Pure. Je ne l’ai pas vue, mais le Saint Esprit m’a donné de la connaître ainsi que son amour pour nous. Sans sa miséricorde, il y a longtemps que j’aurais péri ; mais elle voulut me visiter et m’exhorter à ne plus pécher. Elle me dit :  » Je n’aime pas voir ce que tu fais.  » Ses paroles étaient calmes et douces, mais elles agirent avec force sur mon âme. Plus de quarante ans ont passé depuis, mais mon âme ne peut oublier ces paroles remplies de douceur. Je ne sais pas ce que je donnerai en retour pour son amour envers moi et comment je pourrai remercier la Mère du Seigneur.
Elle est, en vérité, notre protectrice auprès de Dieu, et son nom suffit pour réjouir l’âme. Mais tout le Ciel et toute la terre se réjouissent de son amour.
Merveille incompréhensible ! Elle vit aux Cieux et contemple constamment la Gloire de Dieu, nais elle n’oublie cependant pas les pauvres que nous sommes et couvre de sa protection tous les peuples de la terre.
C’est sa Mère Très-Pure que le Seigneur nous a donnée. Elle est notre joie et notre espérance. Elle est notre mère selon l’esprit, et elle est proche de nous selon la nature, comme être humain ; et toute âme chrétienne s’élance vers elle avec amour.

Extrait du livre de l’Archimandrite Sophrony,
Starets Silouane, Moine du Mont Athos,
Éditions Présence, 1973.

Jésus et les disciples d’Emmaüs

10 juillet, 2015

Jésus et les disciples d'Emmaüs dans images sacrée

http://sdbnews.blogspot.it/2012/04/homily-for-3d-sunday-of-easter-april-22.html

DEUXIEME LECTURE – LETTRE DE SAINT PAUL AUX EPHÉSIENS 1, 3–14 – MARIE-NOËLLE THABUT,

10 juillet, 2015

http://www.eglise.catholique.fr/approfondir-sa-foi/la-celebration-de-la-foi/le-dimanche-jour-du-seigneur/commentaires-de-marie-noelle-thabut/#Deuxieme_lecture

COMMENTAIRES DE MARIE-NOËLLE THABUT, 12 JUILLET 2015

DEUXIEME LECTURE – LETTRE DE SAINT PAUL AUX EPHÉSIENS 1, 3 – 14

3 Béni soit Dieu, le Père de notre Seigneur Jésus Christ !
Il nous a bénis et comblés
des bénédictions de l’Esprit, au ciel, dans le Christ.
4 Il nous a choisis, dans le Christ, avant la fondation du monde,
pour que nous soyons saints, immaculés
devant lui, dans l’amour. .
5 Il nous a prédestinés
à être, pour lui, des fils adoptifs par Jésus, le Christ.
Ainsi l’a voulu sa bonté,
6 à la louange de gloire de sa grâce,
la grâce qu’il nous donne dans le Fils bien-aimé.
7 En lui, par son sang,
nous avons la rédemption,
le pardon de nos fautes.
C’est la richesse de la grâce
8 que Dieu a fait déborder jusqu’à nous
en toute sagesse et intelligence.
9 Il nous dévoile ainsi le mystère de sa volonté,
selon que sa bonté l’avait prévu dans le Christ :
10 pour mener les temps à leur plénitude,
récapituler toutes choses dans le Christ
celles du ciel et celles de la terre.
11 En lui, nous sommes devenus
le domaine particulier de Dieu,
nous y avons été prédestinés
selon le projet de celui qui réalise tout ce qu’il a décidé :
12 il a voulu que nous vivions
à la louange de sa gloire,
nous qui avons d’avance espéré dans le Christ.
13 En lui, vous aussi, après avoir écouté la parole de vérité,
l’Evangile de votre salut,
et après y avoir cru,
vous avez reçu la marque de l’Esprit Saint.
Et l’Esprit promis par Dieu
14 est une première avance sur notre héritage,
en vue de la rédemption que nous obtiendrons,
à la louange de sa gloire.

LE « DESSEIN BIENVEILLANT » DE DIEU
Voilà peut-être la plus belle prédication de l’histoire chrétienne ! On pourrait l’appeler « L’hymne de jubilation » de Paul : dans le texte grec, ces douze versets ne forment qu’une seule phrase d’action de grâce ; Paul y déploie la grande fresque du projet de Dieu, et il nous invite à nous associer à sa contemplation émerveillée. Ce projet que nous avons pris l’habitude (avec la traduction oecuménique TOB) d’appeler « le dessein bienveillant de Dieu » est de rassembler l’humanité au point de ne faire qu’un seul Homme en Jésus-Christ, à la tête de la création tout entière : « Dieu nous a fait connaître le dessein bienveillant qu’il a d’avance arrêté en lui-même pour mener les temps à leur accomplissement : réunir l’univers entier sous un seul chef, le Christ, ce qui est dans les cieux et ce qui est sur la terre. »
Première bonne nouvelle, Dieu a un projet sur nous et sur l’ensemble de la création ; l’histoire humaine a donc un sens, ce qui veut dire à la fois direction et signification ; pour les croyants, les années ne se succèdent pas toutes pareilles, notre histoire avance vers son accomplissement : nous allons, comme dit Paul, vers « la plénitude des temps ». Ce projet, nous ne l’aurions pas deviné tout seuls, c’est un « mystère » pour nous, car il nous dépasse infiniment, alors Dieu nous le révèle.
« Dieu nous a remplis de sagesse et d’intelligence en nous dévoilant le mystère de sa volonté ».
Dans le vocabulaire de Paul, un mystère n’est pas un secret que Dieu garderait jalousement pour lui ; au contraire, c’est son intimité à laquelle il nous convie. Il nous fait découvrir une autre sagesse, une autre intelligence que les nôtres, sous-entendu sa sagesse à lui, son intelligence à lui.
Deuxième bonne nouvelle, cette volonté de Dieu n’est qu’amour :
les mots « bénédiction, amour, grâce, bienveillance » parsèment le texte ; c’est également le sens de l’expression « à la louange de sa gloire » qui revient trois fois comme un refrain (v. 6, 12, 14).
En réalité, la première fois, il faudrait traduire : « à la louange de la gloire de sa grâce » :
c’est-à-dire que Dieu sera reconnu comme le Dieu de la grâce, ce qui veut dire « le Dieu dont l’amour est gratuit ». Déjà, le prophète Jérémie savait dire que « les projets de Dieu ne sont que des projets de paix et non de malheur » (Jr 29, 11) ; depuis la venue du Christ, nous savons mieux encore ce qu’est la volonté de Dieu : le Dieu qui n’est qu’amour (la communion trinitaire structure le texte) veut nous faire entrer dans son intimité : ce qui veut dire que nous pouvons toujours, en toutes circonstances, souhaiter « que sa volonté soit faite » : parce qu’elle n’est que bonne !

PAR LUI, AVEC LUI, ET EN LUI
Troisième insistance de ce texte : ce projet de Dieu s’accomplit à travers le Christ ; celui-ci est cité de nombreuses fois dans ces quelques lignes : tout advient « par lui, avec lui, et en lui », comme dit la liturgie : « Dieu nous prédestinés à être pour lui des fils adoptifs, par Jésus le Christ. » (v. 5). Au vrai sens du terme, le centre du monde, le centre de l’histoire humaine (l’alpha et l’oméga), c’est Jésus-Christ. Lui, le « Fils bien-aimé » en qui nous sommes « comblés de la grâce du Père » (v. 6), lui en qui nous serons tous réunis quand « viendra la plénitude des temps » (v. 10), lui en qui nous avons écouté cette Bonne Nouvelle (v. 13), lui par qui nous avons reçu « la marque de l’Esprit Saint » (v. 13). De toute évidence, ce rôle prééminent du Christ était prévu de toute éternité, dès « avant la fondation du monde » (v. 4). Le « mystère de sa volonté, ce que Dieu prévoyait dans le Christ pour le moment où les temps seraient accomplis… c’était de saisir l’univers entier… » Paul parle pourtant bien de « rédemption » au sens de libération (v. 7), mais le projet de la rédemption est second ; Dieu a de toute éternité projeté de faire de nous ses fils, et c’est seulement parce que nous manquons sans cesse le but que nous avons besoin d’être sauvés.
Providentiellement, la liturgie de ce dimanche nous fait chanter le psaume 84/85 qui est une variation sur le même thème ; et c’est peut-être bien le meilleur écho à la méditation de Paul : « J’écoute : que dira le SEIGNEUR Dieu ? Ce qu’il dit, c’est la paix pour son peuple. Son salut est proche de ceux qui le craignent, et la gloire habitera notre terre. Amour et vérité se rencontrent, justice et paix s’embrassent ; la vérité germera de la terre et du ciel se penchera la justice. Le SEIGNEUR donnera ses bienfaits, et notre terre donnera son fruit. La justice marchera devant lui, et ses pas traceront le chemin. »
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Complément
Une toute petite note pour ceux qui s’intéressent à l’histoire des textes : Paul connaissait bien la communauté d’Ephèse où il a séjourné deux ou trois ans : or, curieusement, on ne trouve dans la Lettre aux Ephésiens aucune allusion à des relations personnelles de l’auteur avec les destinataires ; par ailleurs, les thèmes abordés et le style employé témoignent d’une nette évolution par rapport aux écrits antérieurs de l’apôtre ; tout cela pousse certains spécialistes à penser que la lettre aux Ephésiens serait l’oeuvre non de Paul mais d’un de ses très proches disciples qui aurait rassemblé la pensée de son maître peu après sa mort, donc dans les années 70.

 

HOMÉLIE DU 15ÈME DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE – APPELÉS ET ENVOYÉS

10 juillet, 2015

http://preparonsdimanche.puiseralasource.org/

HOMÉLIE DU 15ÈME DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE – APPELÉS ET ENVOYÉS

« Nul n’est prophète dans son pays ». Jésus a donc quitté la synagogue de son village. Quelques siècles plus tôt, le prophète Amos avait été chassé de son pays et de son temps. Vingt siècles plus tard, de nombreux chrétiens doivent quitter leur région parce qu’ils y sont persécutés, ou simplement parce qu’à cause de leur foi, ils ne peuvent trouver du travail.
La première lecture nous parle du prophète Amos. Il n’est pas le bienvenu dans le sanctuaire de Béthel. Ses paroles sur le droit et la justice dérangent les affaires du prêtre Amazias. Quand on dénonce des « magouilles », il faut s’attendre à des représailles. Amazias voudrait neutraliser Amos et le renvoyer d’où il vient. Mais Amos lui répond que c’est Dieu qui l’a appelé et envoyé. En écoutant cette lecture, nous nous disons qu’il faudrait aujourd’hui des prophètes comme Amos. Ils auraient beaucoup à dire contre tous ces politiques véreux, ces commerçants tricheurs, ces juges achetés. Notre pape François a des paroles très fortes pour dénoncer tout ce qui détruit l’homme. La Parole de Dieu passe avant tout. Elle ne peut être enchaînée par aucun ordre établi, aucune politique. Dieu ne peut supporter de voir ses enfants souffrir des injustices, de la violence et de l’intolérance.
L’apôtre Paul a lui aussi été saisi par le Seigneur pour annoncer l’Évangile. Aujourd’hui, il rend grâce au Seigneur pour le chemin parcouru. Toute sa vie et tout son être sont vraiment imprégnés de cet amour qui est en Jésus. Cette lecture est un hymne au Christ qui nous a comblés de ses bénédictions. Il nous a obtenu le pardon des péchés. Il nous a dévoilé le mystère de la foi. Il nous a donné la sagesse et l’intelligence pour le comprendre. Il nous a donné l’Église pour garder le message et guider notre marche. Cet hymne s’adresse aussi à nous aujourd’hui pour nous aider à aimer le Christ et l’Église. Le Christ est là au cœur de nos vies. Il ne cesse de nous envoyer pour être témoins de son amour.
Dans l’Évangile, nous lisons que Jésus envoie ses disciples deux par deux sur les routes du monde. Ils doivent partir avec un minimum d’équipement. Il est inutile de s’encombrer de choses secondaires. Le vrai missionnaire doit s’attacher à l’essentiel. Rien pour séduire, rien pour attirer, simplement aller à la rencontre des gens pour annoncer la bonne nouvelle, et surtout ne jamais oublier que le Seigneur se sert de ce qui est faible pour réaliser des merveilles.
L’envoi des Douze par Jésus n’est pas seulement l’envoi des apôtres. Le chiffre 12, nombre des apôtres choisis par Jésus, évoque les douze tribus d’Israël. C’est donc le peuple de Dieu tout entier. A travers les Douze, c’est toute l’Église que Jésus envoie en mission. Nous sommes tous concernés. Et pour comprendre ce que le Seigneur attend de nous, il nous faut revenir à l’Évangile : « Etant partis, ils prêchèrent qu’il fallait se convertir, et ils chassaient beaucoup de démons, faisaient des onctions d’huile sur les malades et les guérissaient » (Marc 6/12-13).
Prêcher qu’il faut se convertir, ce n’est pas seulement faire des sermons, c’est profiter de toutes les occasions pour annoncer l’Évangile. Cette annonce se fait d’abord par le témoignage d’une vie évangélique. Si notre vie n’est pas en accord avec ce que nous voulons annoncer, c’est un mensonge. Bien sûr, la Parole sera toujours nécessaire. Mais elle ne sera pas nécessairement la vocation de tous. Par contre, tous les chrétiens sont appelés à donner le témoignage d’une vie en accord avec l’Évangile. S’ils appellent à la conversion, ils doivent commencer par eux-mêmes. Tout cela se trouve résumé dans cette parole de Jésus : « Convertissez-vous et croyez à ‘Évangile » (Marc 1/5)
« Chasser les démons… » Nous pensons aux exorcistes qui ont reçu cette mission. Jésus est venu vaincre les puissances du mal. Mais il ne veut pas le faire sans nous. Il veut nous associer à son combat contre le mal. Il met en nous sa puissance d’Amour, sa puissance de sainteté. Il nous envoie pour lutter avec lui contre tout ce qui empêche l’homme d’être à l’image de Dieu.
Faire des onctions d’huile sur les malades pour les guérir… Nous pensons bien sûr à l’huile du sacrement des malades. Dans ce cas, c’est le prêtre qui est appelé. Mais nous ne devons pas oublier que cet appel à entourer les malades s’adresse à tous les baptisés. Il s’agit d’être là auprès de celui qui souffre, prendre le temps de l’écouter et de le réconforter. Si nous allons vers eux avec Jésus et Marie, nos visites deviennent des visitations. Tous ne sont pas guéris physiquement, mais quand on est rempli de l’amour qui est en Dieu, ça change tout.
En ce jour, Seigneur, tu veux nous ramener à l’essentiel. Libère nous de tout ce qui nous encombre. Que la force de ta parole et le souffle de ton Esprit nous rendent disponibles pour être les témoins et les messagers de ton message d’amour et de réconciliation.
Sources : revues Signes et Feu Nouveau – Au service de la Parole (Bernard Prévost) – Lectures d’Évangile d’un vieux prêtre de Montpellier – Guide Emmaüs des dimanches et fêtes (JP Bagot) – Homélies Année B (A. Brunot) – Homélies du dimanche (Mgr Léon soulier) – Homélies de l’année liturgique B (S. Faivre).

Jean Compazieu, prêtre de l’Aveyron ( 12/07/2015)

El Greco, Saint Benedict of Nursia

9 juillet, 2015

El Greco, Saint Benedict of Nursia dans images sacrée el+greco+st+benedict

http://idlespeculations-terryprest.blogspot.it/2014/07/saint-benedict-of-nursia-by-el-greco.html

JEAN-PAUL II, VISITE PASTORALE À CASCIA ET À NURSIE – 1980 – HOMÉLIE

9 juillet, 2015

https://w2.vatican.va/content/john-paul-ii/fr/homilies/1980/documents/hf_jp-ii_hom_19800323_norcia.html

VISITE PASTORALE À CASCIA ET À NURSIE (ITALIE) – 1980

HOMÉLIE DU PAPE JEAN-PAUL II

Nursie (Italie)

Dimanche 23 mars 1980

1. Gloire à toi, Christ, Verbe de Dieu.

Gloire à toi chaque jour dans cette période bienheureuse qu’est le Carême. Gloire à toi, aujourd’hui, jour du Seigneur et cinquième dimanche après le Carême.
Gloire à toi, Verbe de Dieu, qui t’es fait chair, qui t’es manifesté par ta vie et qui as accompli ta mission sur terre par ta mort et ta résurrection.
Gloire à toi, Verbe de Dieu, qui pénètres au plus intime des cœurs humains et qui leur montres la route du salut.
Gloire à toi dans chaque lieu de la terre.
Gloire à toi dans cette péninsule comprise entre les sommets des Alpes et la Méditerranée. Gloire à toi dans tous les lieux de cette région bienheureuse ; gloire à toi dans chaque ville et dans chaque village où déjà, depuis presque deux mille ans, les habitants t’écoutent et cheminent dans ta lumière.
Gloire à toi, Verbe de Dieu, Verbe du Carême qui est le temps de notre salut, de la miséricorde et de la pénitence.
Gloire à toi pour un fils illustre de cette terre.
Gloire à toi, Verbe de Dieu, qu’ici, dans cette localité appelée Nursie, un fils de cette terre — connu de toute l’Église et du monde entier sous le nom de Benoît — a écouté pour la première fois et accueilli comme lumière de sa vie et également de celle de ses frères et sœurs.
Verbe de Dieu qui ne passera jamais, voici que sont maintenant passés mille cinq cents ans depuis la naissance de Benoît, ton confesseur et moine, fondateur d’ordre, patriarche de l’Occident, patron de l’Europe.
Gloire à toi, Verbe de Dieu.

2. Vous me permettrez, chers frères et sœurs d’insérer ces expressions de vénération et d’action de grâces dans les paroles de la liturgie d’aujourd’hui, liturgie du Carême. La vénération et l‘action de grâces sont la raison de notre présence ici aujourd’hui, celle de mon pèlerinage avec vous, dans ce lieu de la naissance de saint Benoît, pour la célébration du mille cinq centième anniversaire de sa naissance.
Nous savons que l’homme vient au monde grâce à ses parents. Nous confessons que venu dans le monde par l’intermédiaire de parents terrestres qui sont le père et la mère il renaît à la grâce du baptême en s’immergeant dans l’amour du Christ crucifié, pour recevoir la participation à cette vie que le Christ lui-même a révélée par sa résurrection. Par la grâce reçue dans le baptême, l’homme participe à la naissance éternelle du fils par le père puisqu’il devient fils adoptif de Dieu : fils dans le Fils.
On ne peut pas ne pas rappeler cette vérité humaine et chrétienne au sujet de la naissance de l’homme aujourd’hui, à Nursie, sur le lieu de la naissance de saint Benoît. En même temps on peut et on doit dire qu’avec lui, naissait, dans un certain sens, une nouvelle époque, une nouvelle Italie, une nouvelle Europe. L’homme vient toujours au monde dans des conditions historiques déterminées ; le Fils de Dieu aussi est devenu fils de l’homme à une certaine période du temps et c’est grâce à elle qu’il a donné naissance aux temps nouveaux qui sont venus après lui. De la même manière Benoît est né à une certaine époque historique à Nursie et c’est grâce à la foi dans le Christ qu’il a obtenu « la justice qui vient de Dieu » (Ph 3, 9), et qu’il a su inoculer cette justice dans les âmes de ses contemporains et de ses descendants.
3. L’année où, selon la tradition, Benoît vint au monde l’année 480, suit de très près une date fatidique ou plutôt fatale pour Rome : je fais allusion à l’année 476 où, avec l’envoi à Constantinople des insignes impériaux, l’empire romain d’Occident, après une longue période de décadence, connaît sa fin officielle. En cette année s’écroulait une certaine structure politique, c’est-à-dire un système qui avait fini par conditionner, durant près d’un millénaire, le cheminement et le développement de la civilisation humaine dans l’espace du bassin méditerranéen tout entier.
Le Christ lui-même est venu dans le monde selon les coordonnées — temps, lieu, milieu, conditions politiques, etc. — créées par ce même système. La chrétienté aussi, dans l’histoire glorieuse et douloureuse de « la première Église », que ce soit à l’époque des persécutions ou à celle de liberté qui a suivi, s’est développée dans le cadre de l’ « ordo romanus », même si elle s’est développée dans un certain sens « malgré » cet « ordo », en ce qu’elle avait sa propre dynamique qui la rendait indépendante de cet ordre et qui permettait de vivre une vie « parallèle » à son développement historique.
Même le soi-disant édit de Constantin en 313 n’a pas fait dépendre l’Église de l’Empire : s’il lui a reconnu la juste liberté « ad extra » après les sanglantes répressions de l’âge antérieur, il ne lui a pas donné cette liberté « ad intra » qui lui était aussi nécessaire et, qui, en conformité avec la volonté de son fondateur, découle de manière indéfectible de l’impulsion de vie qui lui a été communiquée par l’Esprit. Même après cet événement important, qui marque la paix religieuse, l’empire romain a continué à se désagréger : pendant que le système impérial, en Orient, pouvait se renforcer, même par des transformations considérables, en Occident, il s’est affaibli progressivement pour différentes raisons internes et externes dont le choc des migrations des peuples et, dans une certaine mesure, il n’a plus eu la force de survivre.
4. C’est un fait que lorsque saint Benoît est venu au monde, ici à Nursie non seulement « le monde antique s’en allait vers sa fin » (Krasinki, Irydion), mais en réalité ce monde avait déjà été transformé : les « tempora christiana » avaient pris sa place. Rome qui, pendant un temps, avait été le témoin principal de sa puissance et la ville de sa plus grande splendeur était devenue la « Rome chrétienne ». Dans un certain sens, elle avait été vraiment la ville où s’était identifié l’Empire. La Rome des Césars était désormais dépassée. Elle était demeurée la Rome des apôtres. La Rome de Pierre et de Paul, la Rome des martyrs dont la mémoire était encore relativement fraîche et vive. Et à travers cette mémoire, la conscience de l’Église et le sens de la présence du Christ auquel tant d’hommes et de femmes n’avaient pas hésité à rendre leur témoignage par le sacrifice de leur vie, étaient vifs.
Voici donc que Benoît naît à Nursie et grandit dans ce climat particulier où la fin de la puissance terrestre parle à l’âme le langage des réalités ultimes, pendant qu’en même temps le Christ et l’Évangile parlent d’une autre aspiration, d’une autre dimension de la vie, d’une autre justice, d’un autre royaume.
Benoît de Nursie grandit dans ce climat. Il sait que la pleine vérité sur la signification de la vie humaine, saint Paul l’a exprimée quand il a écrit dans la lettre aux Philippiens : « Oubliant le chemin parcouru, je vais droit de l’avant, tendu de tout mon être, et je cours vers le but, en vue du prix que Dieu nous appelle à recevoir là-haut, dans le Christ Jésus. » (Ph 3, 13-14.)
Ces paroles ont été écrites par l’apôtre des nations, le pharisien converti, qui avait donné de cette manière le témoignage de sa conversion et de sa foi. Ces paroles révélées contiennent aussi la vérité qui retourne à l’Église et à ’humanité au cours de différentes étapes de l’histoire. Dans cette étape où le Christ a appelé Benoît de Nursie, ces paroles préfiguraient l’annonce d’une époque qui a été précisément l’époque de la grande aspiration « vers le haut » derrière le Christ crucifié et ressuscité, précisément comme l’écrit saint Paul : « Le connaître, lui, avec la puissance de sa résurrection et la communion à ses souffrances, lui devenir conforme dans l’amour, afin de parvenir si possible à ressusciter d’entre les morts. » (Ph 3, 10-11.)
Ainsi donc, au-delà de l’horizon de la mort qu’a subi tout le monde construit sur la puissance temporelle de Rome et de l’Empire, émerge cette nouvelle aspiration : l’aspiration « vers le haut », suscitée par le défi de la vie nouvelle, le défi porté à l’homme par le Christ en même temps que l’espérance de la résurrection future. Le monde terrestre — le monde des puissants et des défaites de l’homme — est devenu le monde visité par le Christ de Dieu, le monde soutenu par la croix dans la perspective du futur définitif de l’homme qui est l’éternité : le règne de Dieu.
5.b> Benoît a été pour sa génération, et encore davantage pour les générations qui ont suivi, l’apôtre de ce règne et de cette aspiration. Cependant, le message qu’il a proclamé par toute sa règle de vie semblait — et semble encore aujourd’hui — quotidien, commun et presque moins « héroïque » que celui que les apôtres et les martyrs ont laissé sur les ruines de la Rome antique.
En réalité, c’est le même message de vie éternelle, révélé à l’homme dans le Christ Jésus, même s’il est prononcé dans le langage des temps désormais différents. L’Église relit toujours le même Évangile — Verbe de Dieu qui ne passe pas — dans le contexte de la réalité humaine qui change. Benoît a su interpréter avec perspicacité et de manière certaine les signes des temps de l’époque, quand il a écrit sa règle dans laquelle l’union de la prière et du travail devenait pour ceux qui l’auraient acceptée le principe de l’aspiration à l’éternité.
« Ora et labora » était pour le grand fondateur du monachisme occidental la même vérité que celle que l’apôtre proclame dans la lecture d’aujourd’hui lorsqu’il affirme avoir accepté de tout perdre pour le Christ : « Je tiens tout désormais pour désavantageux au prix du gain suréminent qu’est la connaissance du Christ Jésus mon Seigneur. Pour lui, j’ai accepté de tout perdre, je regarde tout comme déchet, afin de gagner le Christ et d’être trouvé en lui. » (Ph 3, 8-9.)
En lisant les signes des temps Benoît a vu qu’il était nécessaire de réaliser le programme radical de la sainteté évangélique, exprimée par les paroles de saint Paul, dans une forme ordinaire, dans les dimensions de la vie quotidienne de tous les hommes. Il était nécessaire que l’héroïque devint normal, quotidien, et que le normal et le quotidien deviennent héroïques. De cette manière, père des moines, législateur de la vie monastique en Occident, il est devenu également indirectement le pionnier d’une nouvelle civilisation. Partout où le travail humain conditionnait le développement de la culture, de l’économie, de la vie sociale, il lui ajoutait le programme bénédictin de l’évangélisation qui unissait le travail à la prière et la prière au travail.
Il faut admirer la simplicité de ce programme et, en même temps, son universalité. On peut dire que ce programme a contribué à la christianisation des nouveaux peuples du continent européen et, en même temps, il s’est trouvé également à la base de leur histoire nationale, d’une histoire qui compte plus d’un millénaire.
De cette manière, saint Benoît est devenu le patron de l’Europe au cours des siècles : bien avant qu’il le soit proclamé par le Pape Paul VI.
6. Il est le patron de l’Europe en notre époque. Il l’est non seulement en considération de ses mérites particuliers envers ce continent, envers son histoire et sa civilisation. Il l’est aussi en considération de la nouvelle actualité de sa figure à l’égard de l’Europe contemporaine.
On peut détacher le travail de la prière et en faire l’unique dimension de l’existence humaine. L’époque d’aujourd’hui porte en elle cette tendance. Elle se différencie de celle de Benoît de Nursie parce qu’alors l’Occident regardait derrière lui en s’inspirant de la grande tradition de Rome et du monde antique. Aujourd’hui, l’Europe a derrière elle la terrible Seconde Guerre mondiale et les changements importants qui ont suivi sur la carte du globe et qui ont limité la domination de l’Occident sur d’autres continents. L’Europe, dans un certain sens, est retournée à l’intérieur de ses frontières.
Cependant, ce qui est derrière nous ne constitue pas l’objet principal de l’attention et de l’inquiétude des hommes et des peuples. Cet objet ne cesse d’être ce qui est devant nous.
Vers quoi chemine l’humanité entière liée par les multiples liens des problèmes et des dépendances réciproques qui s’étendent à tous les peuples et à tous les continents ?
Vers quoi chemine notre continent et en lui tous ses peuples et ses traditions qui décident de la vie et de l’histoire de tant de pays et de nations ?

Vers quoi chemine l’homme ?
La société et les hommes au cours de ces quinze siècles qui nous séparent de la naissance de saint Benoît de Nursie sont devenus les héritiers d’une grande civilisation, les héritiers de ses victoires mais aussi de ses défaites, de ses lumières mais aussi de ses obscurités.
On a l’impression d’une priorité de l’économie sur la morale, d’une priorité du temporel sur le spirituel.
D’une part, l’orientation presque exclusive vers la consommation des biens matériels enlève à la vie humaine son sens le plus profond. D’autre part, le travail est devenu, dans de nombreux cas, une contrainte aliénante pour l’homme, soumis aux collectifs, et il se détache, presque malgré lui, de la prière, enlevant à la vie humaine sa dimension transcendante.
Parmi les conséquences négatives d’un semblable barrage aux valeurs transcendantes, il y en a une qui est aujourd’hui préoccupante d’une manière particulière : elle consiste dans le climat toujours plus diffus des tensions sociales qui, si fréquemment, dégénèrent en épisodes absurdes de violence terroriste et atroce. L’opinion publique en est profondément secouée et troublée. Seul le recouvrement de la conscience de la dimension transcendante du destin humain peut concilier l’engagement pour la justice et le respect pour le caractère sacré de chaque vie humaine innocente. C’est pour cela que l’Église italienne se recueille aujourd’hui dans une prière particulière et pleine de tristesse.
On ne peut pas vivre pour l’avenir sans comprendre que le sens de la vie est plus grand que celui du temporel, que ce sens est au-dessus de ce temporel. Si la société et les hommes de notre continent ont perdu l’intérêt pour ce sens, ils doivent le retrouver. Peuvent-ils, dans ce but, revenir quinze siècles en arrière ? Au temps où naquit saint Benoît de Nursie ?
Non, ils ne le peuvent pas. Le sens de la vie, ils doivent le retrouver dans le contexte de notre temps Ce n’est pas possible autrement. Ils ne doivent pas et ils ne peuvent pas retourner au temps de Benoit, mais ils doivent retrouver le sens de l’existence humaine tel qu’il était vécu par Benoît. C’est seulement alors qu’ils vivront pour l’avenir. Ils travailleront pour l’avenir. Ils mourront dans la perspective de l’éternité.
Si mon prédécesseur Paul VI a appelé saint Benoît de Nursie le patron de l’Europe, c’est parce qu’il pouvait aider à ce sujet l’Église et les nations d’Europe. Je souhaite de tout cœur que ce pèlerinage d’aujourd’hui sur les lieux de sa naissance puisse servir à cette cause.

BENOÎT XVI: SAINT BENOÎT DE NURSIE – 11 JUILLET

9 juillet, 2015

http://w2.vatican.va/content/benedict-xvi/fr/audiences/2008/documents/hf_ben-xvi_aud_20080409.html

BENOÎT XVI

AUDIENCE GÉNÉRALE

Mercredi 9 avril 2008

SAINT BENOÎT DE NURSIE – 11 JUILLET

Chers frères et sœurs,

Je voudrais parler aujourd’hui de saint Benoît, fondateur du monachisme occidental, et aussi Patron de mon pontificat. Je commence par une parole de saint Grégoire le Grand, qui écrit à propos de saint Benoît: « L’homme de Dieu qui brilla sur cette terre par de si nombreux miracles, ne brilla pas moins par l’éloquence avec laquelle il sut exposer sa doctrine » (Dial. II, 36). Telles sont les paroles que ce grand Pape écrivit en l’an 592; le saint moine était mort à peine 50 ans auparavant et il était encore vivant dans la mémoire des personnes et en particulier dans le florissant Ordre religieux qu’il avait fondé. Saint Benoît de Nursie, par sa vie et par son œuvre, a exercé une influence fondamentale sur le développement de la civilisation et de la culture européenne. La source la plus importante à propos de la vie de ce saint est le deuxième livre des Dialogues de saint Grégoire le Grand. Il ne s’agit pas d’une biographie au sens classique. Selon les idées de son temps, il voulut illustrer à travers l’exemple d’un homme concret – précisément saint Benoît – l’ascension au sommet de la contemplation, qui peut être réalisée par celui qui s’abandonne à Dieu. Il nous donne donc un modèle de la vie humaine comme ascension vers le sommet de la perfection. Saint Grégoire le Grand raconte également dans ce livre des Dialogues de nombreux miracles accomplis par le saint, et ici aussi il ne veut pas raconter simplement quelque chose d’étrange, mais démontrer comment Dieu, en admonestant, en aidant et aussi en punissant, intervient dans les situations concrètes de la vie de l’homme. Il veut démontrer que Dieu n’est pas une hypothèse lointaine placée à l’origine du monde, mais qu’il est présent dans la vie de l’homme, de tout homme.
Cette perspective du « biographe » s’explique également à la lumière du contexte général de son époque: entre le V et le VI siècle, le monde était bouleversé par une terrible crise des valeurs et des institutions, causée par la chute de l’Empire romain, par l’invasion des nouveaux peuples et par la décadence des mœurs. En présentant saint Benoît comme un « astre lumineux », Grégoire voulait indiquer dans cette situation terrible, précisément ici dans cette ville de Rome, l’issue de la « nuit obscure de l’histoire » (Jean-Paul II, Insegnamenti, II/1, 1979, p. 1158). De fait, l’œuvre du saint et, en particulier, sa Règle se révélèrent détentrices d’un authentique ferment spirituel qui transforma le visage de l’Europe au cours des siècles, bien au-delà des frontières de sa patrie et de son temps, suscitant après la chute de l’unité politique créée par l’empire romain une nouvelle unité spirituelle et culturelle, celle de la foi chrétienne partagée par les peuples du continent. C’est précisément ainsi qu’est née la réalité que nous appelons « Europe ».
La naissance de saint Benoît se situe autour de l’an 480. Il provenait, comme le dit saint Grégoire, « ex provincia Nursiae » – de la région de la Nursie. Ses parents, qui étaient aisés, l’envoyèrent suivre des études à Rome pour sa formation. Il ne s’arrêta cependant pas longtemps dans la Ville éternelle. Comme explication, pleinement crédible, Grégoire mentionne le fait que le jeune Benoît était écoeuré par le style de vie d’un grand nombre de ses compagnons d’étude, qui vivaient de manière dissolue, et qu’il ne voulait pas tomber dans les mêmes erreurs. Il voulait ne plaire qu’à Dieu seul; « soli Deo placere desiderans » (II Dial. Prol. 1). Ainsi, avant même la conclusion de ses études, Benoît quitta Rome et se retira dans la solitude des montagnes à l’est de Rome. Après un premier séjour dans le village d’Effide (aujourd’hui Affile), où il s’associa pendant un certain temps à une « communauté religieuse » de moines, il devint ermite dans la proche Subiaco. Il vécut là pendant trois ans complètement seul dans une grotte qui, depuis le Haut Moyen-âge, constitue le « coeur » d’un monastère bénédictin appelé « Sacro Speco ». La période à Subiaco, une période de solitude avec Dieu, fut un temps de maturation pour Benoît. Il dut supporter et surmonter en ce lieu les trois tentations fondamentales de chaque être humain: la tentation de l’affirmation personnelle et du désir de se placer lui-même au centre, la tentation de la sensualité et, enfin, la tentation de la colère et de la vengeance. Benoît était en effet convaincu que ce n’était qu’après avoir vaincu ces tentations qu’il aurait pu adresser aux autres une parole pouvant être utile à leur situation de besoin. Et ainsi, son âme désormais pacifiée était en mesure de contrôler pleinement les pulsions du « moi » pour être un créateur de paix autour de lui. Ce n’est qu’alors qu’il décida de fonder ses premiers monastères dans la vallée de l’Anio, près de Subiaco.
En l’an 529, Benoît quitta Subiaco pour s’installer à Montecassino. Certains ont expliqué ce déplacement comme une fuite face aux intrigues d’un ecclésiastique local envieux. Mais cette tentative d’explication s’est révélée peu convaincante, car la mort soudaine de ce dernier n’incita pas Benoît à revenir (II Dial. 8). En réalité, cette décision s’imposa à lui car il était entré dans une nouvelle phase de sa maturation intérieure et de son expérience monastique. Selon Grégoire le Grand, l’exode de la lointaine vallée de l’Anio vers le Mont Cassio – une hauteur qui, dominant la vaste plaine environnante, est visible de loin – revêt un caractère symbolique: la vie monastique cachée a sa raison d’être, mais un monastère possède également une finalité publique dans la vie de l’Eglise et de la société, il doit donner de la visibilité à la foi comme force de vie. De fait, lorsque Benoît conclut sa vie terrestre le 21 mars 547, il laissa avec sa Règle et avec la famille bénédictine qu’il avait fondée un patrimoine qui a porté des fruits dans le monde entier jusqu’à aujourd’hui.
Dans tout le deuxième livre des Dialogues, Grégoire nous montre la façon dont la vie de saint Benoît était plongée dans une atmosphère de prière, fondement central de son existence. Sans prière l’expérience de Dieu n’existe pas. Mais la spiritualité de Benoît n’était pas une intériorité en dehors de la réalité. Dans la tourmente et la confusion de son temps, il vivait sous le regard de Dieu et ne perdit ainsi jamais de vue les devoirs de la vie quotidienne et l’homme avec ses besoins concrets. En voyant Dieu, il comprit la réalité de l’homme et sa mission. Dans sa Règle, il qualifie la vie monastique d’ »école du service du Seigneur » (Prol. 45) et il demande à ses moines de « ne rien placer avant l’Œuvre de Dieu [c'est-à-dire l'Office divin ou la Liturgie des Heures] » (43, 3). Il souligne cependant que la prière est en premier lieu un acte d’écoute (Prol. 9-11), qui doit ensuite se traduire par l’action concrète. « Le Seigneur attend que nous répondions chaque jour par les faits à ses saints enseignements », affirme-t-il (Prol. 35). Ainsi, la vie du moine devient une symbiose féconde entre action et contemplation « afin que Dieu soit glorifié en tout » (57, 9). En opposition avec une réalisation personnelle facile et égocentrique, aujourd’hui souvent exaltée, l’engagement premier et incontournable du disciple de saint Benoît est la recherche sincère de Dieu (58, 7) sur la voie tracée par le Christ humble et obéissant (5, 13), ne devant rien placer avant l’amour pour celui-ci (4, 21; 72, 11) et c’est précisément ainsi, au service de l’autre, qu’il devient un homme du service et de la paix. Dans l’exercice de l’obéissance mise en acte avec une foi animée par l’amour (5, 2), le moine conquiert l’humilité (5, 1), à laquelle la Règle consacre un chapitre entier (7). De cette manière, l’homme devient toujours plus conforme au Christ et atteint la véritable réalisation personnelle comme créature à l’image et à la ressemblance de Dieu.
A l’obéissance du disciple doit correspondre la sagesse de l’Abbé, qui dans le monastère remplit « les fonctions du Christ » (2, 2; 63, 13). Sa figure, définie en particulier dans le deuxième chapitre de la Règle, avec ses qualités de beauté spirituelle et d’engagement exigeant, peut-être considérée comme un autoportrait de Benoît, car – comme l’écrit Grégoire le Grand – « le saint ne put en aucune manière enseigner différemment de la façon dont il vécut » (Dial. II, 36). L’Abbé doit être à la fois un père tendre et également un maître sévère (2, 24), un véritable éducateur. Inflexible contre les vices, il est cependant appelé à imiter en particulier la tendresse du Bon Pasteur (27, 8), à « aider plutôt qu’à dominer » (64, 8), à « accentuer davantage à travers les faits qu’à travers les paroles tout ce qui est bon et saint » et à « illustrer les commandements divins par son exemple » (2, 12). Pour être en mesure de décider de manière responsable, l’Abbé doit aussi être un personne qui écoute « le conseil de ses frères » (3, 2), car « souvent Dieu révèle au plus jeune la solution la meilleure » (3, 3). Cette disposition rend étonnamment moderne une Règle écrite il y a presque quinze siècles! Un homme de responsabilité publique, même à une petite échelle, doit toujours être également un homme qui sait écouter et qui sait apprendre de ce qu’il écoute.
Benoît qualifie la Règle de « Règle minimale tracée uniquement pour le début » (73, 8); en réalité, celle-ci offre cependant des indications utiles non seulement aux moines, mais également à tous ceux qui cherchent un guide sur leur chemin vers Dieu. En raison de sa mesure, de son humanité et de son sobre discernement entre ce qui est essentiel et secondaire dans la vie spirituelle, elle a pu conserver sa force illuminatrice jusqu’à aujourd’hui. Paul VI, en proclamant saint Benoît Patron de l’Europe le 24 octobre 1964, voulut reconnaître l’œuvre merveilleuse accomplie par le saint à travers la Règle pour la formation de la civilisation et de la culture européenne. Aujourd’hui, l’Europe – à peine sortie d’un siècle profondément blessé par deux guerres mondiales et après l’effondrement des grandes idéologies qui se sont révélées de tragiques utopies – est à la recherche de sa propre identité. Pour créer une unité nouvelle et durable, les instruments politiques, économiques et juridiques sont assurément importants, mais il faut également susciter un renouveau éthique et spirituel qui puise aux racines chrétiennes du continent, autrement on ne peut pas reconstruire l’Europe. Sans cette sève vitale, l’homme reste exposé au danger de succomber à l’antique tentation de vouloir se racheter tout seul – une utopie qui, de différentes manières, a causé dans l’Europe du XX siècle, comme l’a remarqué le Pape Jean-Paul II, « un recul sans précédent dans l’histoire tourmentée de l’humanité » (Insegnamenti, XIII/1, 1990, p. 58). En recherchant le vrai progrès, nous écoutons encore aujourd’hui la Règle de saint Benoît comme une lumière pour notre chemin. Le grand moine demeure un véritable maître à l’école de qui nous pouvons apprendre l’art de vivre le véritable humanisme.

Santi Aquila e Priscilla

8 juillet, 2015

Santi Aquila e Priscilla dans images sacrée

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BENOÎT XVI – LES ÉPOUX PRISCILLE ET AQUILAS – JUILLET 8

8 juillet, 2015

http://w2.vatican.va/content/benedict-xvi/fr/audiences/2007/documents/hf_ben-xvi_aud_20070207.html

BENOÎT XVI

AUDIENCE GÉNÉRALE

Mercredi 7 février 2007

LES ÉPOUX PRISCILLE ET AQUILAS – JUILLET 8

Chers frères et soeurs,

En faisant un nouveau pas dans cette sorte de galerie de portraits des premiers témoins de la foi chrétienne, que nous avons commencée il y a quelques semaines, nous prenons aujourd’hui en considération un couple d’époux. Il s’agit des conjoints Priscille et Aquilas, qui se trouvent dans le groupe des nombreux collaborateurs qui ont entouré l’apôtre Paul, que j’avais déjà brièvement mentionnés mercredi dernier. Sur la base des informations en notre possession, ce couple d’époux joua un rôle très actif au temps des origines post-pascales de l’Eglise.
Les noms d’Aquilas et de Priscille sont latins, mais l’homme et la femme qui les portent étaient d’origine juive. Cependant, au moins Aquilas provenait géographiquement de la diaspora de l’Anatolie septentrionale, qui s’ouvre sur la Mer Noire – dans la Turquie actuelle -, alors que Priscille, dont le nom se trouve parfois abrégé en Prisca, était probablement une juive provenant de Rome (cf. Ac 18, 2). C’est en tout cas de Rome qu’ils étaient parvenus à Corinthe, où Paul les rencontra au début des années 50; c’est là qu’il s’associa à eux car, comme nous le raconte Luc, ils exerçaient le même métier de fabricants de toiles ou de tentes pour un usage domestique, et il fut même accueilli dans leur maison (cf. Ac 18, 3). Le motif de leur venue à Corinthe avait été la décision de l’empereur Claude de chasser de Rome les Juifs résidant dans l’Urbs. L’historien Romain Suétone nous dit, à propos de cet événement, qu’il avait expulsé les Juifs car « ils provoquaient des tumultes en raison d’un certain Crestus » (cf. « Les vies des douze Césars, Claude », 25). On voit qu’il ne connaissait pas bien le nom – au lieu du Christ, il écrit « Crestus » – et qu’il n’avait qu’une idée très confuse de ce qui s’était passé. Quoi qu’il en soit, des discordes régnaient à l’intérieur de la communauté juive autour de la question de savoir si Jésus était ou non le Christ. Et ces problèmes constituaient pour l’empereur un motif pour expulser simplement tous les juifs de Rome. On en déduit que les deux époux avait déjà embrassé la foi chrétienne à Rome dans les années 40, et qu’ils avaient à présent trouvé en Paul quelqu’un non seulement qui partageait cette foi avec eux – que Jésus est le Christ – mais qui était également un apôtre, appelé personnellement par le Seigneur Ressuscité. La première rencontre a donc lieu à Corinthe, où ils l’accueillent dans leur maison et travaillent ensemble à la fabrication de tentes.
Dans un deuxième temps, ils se rendirent en Asie mineure, à Ephèse. Ils jouèrent là un rôle déterminant pour compléter la formation chrétienne du juif alexandrin Apollos, dont nous avons parlé mercredi dernier. Comme il ne connaissait que de façon sommaire la foi chrétienne, « Priscille et Aquilas l’entendirent, ils le prirent à part et lui exposèrent avec plus d’exactitude la Voie de Dieu » (Ac 18, 26). Quand, à Ephèse, l’Apôtre Paul écrit sa Première Lettre aux Corinthiens, il envoie aussi explicitement avec ses propres salutations celles d’ »Aquilas et Prisca [qui] vous saluent bien dans le Seigneur, avec l’Eglise qui se rassemble chez eux » (16, 19). Nous apprenons ainsi le rôle très important que ce couple joua dans le milieu de l’Eglise primitive: accueillir dans leur maison le groupe des chrétiens locaux, lorsque ceux-ci se rassemblaient pour écouter la Parole de Dieu et pour célébrer l’Eucharistie. C’est précisément ce type de rassemblement qui est appelé en grec « ekklesìa » – le mot latin est « ecclesia », le mot français « église » – qui signifie convocation, assemblée, regroupement. Dans la maison d’Aquilas et de Priscille, se réunit donc l’Eglise, la convocation du Christ, qui célèbre là les saints Mystères. Et ainsi, nous pouvons précisément voir la naissance de la réalité de l’Eglise dans les maisons des croyants. Les chrétiens, en effet, jusque vers le III siècle, ne possédaient pas leurs propres lieux de culte: dans un premier temps, ce furent les synagogues juives, jusqu’à ce que la symbiose originelle entre l’Ancien et le Nouveau Testament ne se défasse et que l’Eglise des Gentils ne soit obligée de trouver sa propre identité, toujours profondément enracinée dans l’Ancien Testament. Ensuite, après cette « rupture », les chrétiens se réunissent dans les maisons, qui deviennent ainsi « Eglise ». Et enfin, au III siècle, naissent de véritables édifices de culte chrétien. Mais ici, dans la première moitié du I et du II siècle, les maisons des chrétiens deviennent véritablement et à proprement parler des « églises ». Comme je l’ai dit, on y lit ensemble les Saintes Ecritures et l’on célèbre l’Eucharistie. C’est ce qui se passait, par exemple, à Corinthe, où Paul mentionne un certain « Gaïus vous salue, lui qui m’a ouvert sa maison, à moi et à toute l’Eglise » (Rm 16, 23), ou à Laodicée, où la communauté se rassemblait dans la maison d’une certaine Nympha (cf. Col 4, 15), ou à Colosse, où le rassemblement avait lieu dans la maison d’un certain Archippe (cf. Phm 1, 2).
De retour à Rome, Aquilas et Priscille continuèrent à accomplir cette très précieuse fonction également dans la capitale de l’Empire. En effet, Paul, écrivant aux Romains, envoie précisément ce salut: « Saluez Prisca et Aquilas, mes coopérateurs dans le Christ Jésus; pour me sauver la vie ils ont risqué leur tête, et je ne suis pas seul à leur devoir de la gratitude: c’est le cas de toutes les Eglises de la gentilité; saluez aussi l’Eglise qui se réunit chez eux » (Rm 16, 3-5). Quel extraordinaire éloge des deux conjoints dans ces paroles! Et c’est l’apôtre Paul lui-même qui le fait. Il reconnaît explicitement en eux deux véritables et importants collaborateurs de son apostolat. La référence au fait d’avoir risqué la vie pour lui est probablement liée à des interventions en sa faveur au cours d’un de ses emprisonnements, peut-être à Ephèse même (cf. Ac 19, 23; 1 Co 15, 32; 2 Co 1, 8-9). Et le fait qu’à sa gratitude, Paul associe même celle de toutes les Eglises des gentils, tout en considérant peut-être l’expression quelque peu excessive, laisse entrevoir combien leur rayon d’action a été vaste, ainsi, en tous cas que leur influence en faveur de l’Evangile.
La tradition hagiographique postérieure a conféré une importance particulière à Priscille, même s’il reste le problème de son identification avec une autre Priscille martyre. Dans tous les cas, ici, à Rome, nous avons aussi bien une église consacrée à Sainte Prisca sur l’Aventin que les catacombes de Priscille sur la Via Salaria. De cette façon se perpétue la mémoire d’une femme, qui a été certainement une personne active et d’une grande valeur dans l’histoire du christianisme romain. Une chose est certaine: à la gratitude de ces premières Eglises, dont parle saint Paul, doit s’unir la nôtre, car c’est grâce à la foi et à l’engagement apostolique de fidèles laïcs, de familles, d’époux comme Priscille et Aquilas, que le christianisme est parvenu à notre génération. Il ne pouvait pas croître uniquement grâce aux Apôtres qui l’annonçaient. Pour s’enraciner dans la terre du peuple, pour se développer de façon vivante, était nécessaire l’engagement de ces familles, de ces époux, de ces communautés chrétiennes, et de fidèles laïcs qui ont offert l’ »humus » à la croissance de la foi. Et c’est toujours et seulement ainsi que croît l’Eglise. En particulier, ce couple démontre combien l’action des époux chrétiens est importante. Lors-qu’ils sont soutenus par la foi et par une forte spiritualité, leur engagement courageux pour l’Eglise et dans l’Eglise devient naturel. Leur vie commune quotidienne se prolonge et en quelque sorte s’élève en assumant une responsabilité commune en faveur du Corps mystique du Christ, ne fût-ce qu’une petite partie de celui-ci. Il en était ainsi dans la première génération et il en sera souvent ainsi.
Nous pouvons tirer une autre leçon importante de leur exemple: chaque maison peut se transformer en une petite Eglise. Non seulement dans le sens où dans celle-ci doit régner le typique amour chrétien fait d’altruisme et d’attention réciproque, mais plus encore dans le sens où toute la vie familiale sur la base de la foi, est appelée à tourner autour de l’unique domination de Jésus Christ. Ce n’est pas par hasard que dans la Lettre aux Ephésiens, Paul compare la relation matrimoniale à la communion sponsale qui existe entre le Christ et l’Eglise (cf. Eph 5, 25-33). Nous pourrions même considérer que l’Apôtre façonne indirectement la vie de l’Eglise tout entière sur celle de la famille. Et en réalité, l’Eglise est la famille de Dieu. Nous honorons donc Aquilas et Priscille comme modèles d’une vie conjugale engagée de façon responsable au service de toute la communauté chrétienne. Et nous trouvons en eux le modèle de l’Eglise, famille de Dieu pour tous les temps.

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