LA CROIX : ÉCHEC DE LA SAGESSE HUMAINE, SCANDALE ET FOLIE
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LA CROIX : ÉCHEC DE LA SAGESSE HUMAINE, SCANDALE ET FOLIE
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« Eh bien nous, nous proclamons un Christ crucifié, scandale pour les Juifs, folie pour les Grecs », affirme saint Paul
Échec de la sagesse humaine
La première étape met en crise toutes les prétentions humaines à la sagesse pour leur opposer la croix. Le verset 21 offre une expression condensée de l’échec de la sagesse : « puisque plongé dans la sagesse de Dieu, le monde n’a pas reconnu Dieu grâce à la sagesse de Dieu… ». Ni les œuvres de la création, ni la raison accordée à l’être humain lui-même n’ont conduit les hommes à reconnaître Dieu créateur ; ils n’ont su, dit la Lettre aux Romains, ni le glorifier ni lui rendre grâce ! Au contraire, les hommes ont fait des œuvres la création et de leur propre sagesse un objet d’idolâtrie sur lequel ils ont refermé la main. Aussi la sagesse des hommes affolée de son propre pouvoir s’est-elle recourbée sur elle-même et s’est-elle affaissée.
Dès lors, Dieu a choisi l’antithèse, l’opposé absolu de la sagesse, « la folie de la proclamation » qui appelle les hommes à la foi : « c’est par la folie de la proclamation que Dieu a jugé bon de sauver ceux qui croient ». Folie qui renvoie dos-à-dos toutes les grandes traditions philosophiques et religieuses que l’humanité avait jusqu’alors parcourues : « Puisque les Juifs demandent des signes et les Grecs recherchent une sagesse… ». Les Grecs et les Juifs, dans la bouche du juif Paul, sont les deux parties constitutives de l’humanité. Or, les uns sont en quête de sagesse : la recherche de la connaissance et de la vérité occupe la philosophie grecque depuis des siècles, la raison y cherche une maîtrise du monde ; les autres réclament des signes : les Juifs attendent que la puissance de Dieu qui s’est manifestée jadis dans un acte spectaculaire de délivrance « à main forte et à bras étendu » se déploie à nouveau dans une intervention décisive, sauvant le peuple élu que distinguent les marques dans la chair.
« Eh bien nous, nous proclamons un Christ crucifié, scandale pour les Juifs, folie pour les Grecs ». Toutes les tentatives humaines pour s’assurer un pouvoir sur le monde et sur l’être humain, les tentations symétriques et opposées que sont pour les uns la recherche d’une sagesse supérieure qui sauve, pour les autres la certitude d’une élection qui les sépare pour leur donner la terre, tout cela revient à mettre la main sur Dieu et sur l’avenir de l’humanité. Tout cela, dit Paul, Dieu le balaie au nom d’une folie qui est celle de la croix et qu’il est chargé de proclamer.
Le scandale et la folie
Les deux mots sont lourds de sous-entendus, l’un dans le monde juif, l’autre dans le monde grec.
Nous avons réduit le scandale soit à son étymologie (la pierre que le pied heurte et qui fait tomber), soit à sa dimension sociale (ce qui heurte les représentations communes). Mais la croix est d’abord pour le monde juif un scandale d’ordre religieux. Dans la Lettre aux Galates, où Paul se bat contre la tentation judaïsante, il explicite le scandale : « Christ est devenu pour nous malédiction, car il est écrit : « maudit quiconque est pendu au bois »» (Ga 3,13). La citation de Dt 21,23 rappelle que pour la loi juive la pendaison est malédiction de Dieu : un Messie pendu au bois, un Messie crucifié est plus qu’une contradiction dans les termes, l’expression s’apparente au blasphème, et atteint l’image même de Dieu.
Symétriquement, pour le monde grec, la croix est objet d’horreur, moins par la cruauté du supplice que par l’ignominie de la condition sociale qu’elle évoque : c’est le supplice des esclaves et des criminels, le supplice humiliant par excellence. Un Messie crucifié est l’inverse de tout ce que la sagesse grecque dans sa quête de connaissance et d’intelligence peut rechercher. C’est une folie, et Paul n’emploie pas le terme grec de mania, cette folie envoyée par les dieux, qui peut caractériser le poète, voire le sage ou même le philosophe ; non, il choisit la môria, le contraire de l’intelligence spéculative ou pratique, la stupidité de la bête brute. Si la violence des termes et des représentations nous échappe largement, elle n’échappait pas aux Corinthiens : tout ce qu’ils avaient espéré comme avancée vers le monde de la connaissance, vers la seigneurie grecque de la raison, tout est balayé et renvoyé à la stupidité brute de la croix !
© Roselyne Dupont-Roc, Cahier Évangile n° 166, Le mystère de la croix, p. 11-12.
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