Archive pour juin, 2015

LE PÈRE ET SES DONS. ASPECTS THÉOLOGIQUES, CHRISTOLOGIQUES ET ÉTHIQUES DES RÉFÉRENCES À DIEU PÈRE EN MT 5–7

3 juin, 2015

http://www.biblico.it/tesi/gabati.html

Thèses de doctorat

GABATI KIBETI Gabriel

LE PÈRE ET SES DONS. ASPECTS THÉOLOGIQUES, CHRISTOLOGIQUES ET ÉTHIQUES DES RÉFÉRENCES À DIEU PÈRE EN MT 5–7

(Mod.: Prof. Klemens STOCK)

L’importance qu’assume dans le vocabulaire théologique de Matthieu la désignation de Dieu comme Père nous oblige à examiner attentivement les textes évangéliques relatifs à ce lexique, en particulier ces textes où Jésus parle de Dieu comme le père des hommes à qui il révèle cette paternité divine, car cette désignation comme Père des hommes est plutôt rare dans l’évangile de Marc, de Luc et de Jean. La plupart des textes matthéens relatifs à cette désignation (“votre Père”, “ton Père”, “notre Père”) se trouvent en Mt 5-7 (16 références sur les 21 attestées dans cet évangile). Ces références à Dieu comme Père des hommes sont présentes dans tout le discours sur la montagne qui se conclut néanmoins par une référence à Dieu comme Père de Jésus (“mon Père” en Mt 7,21), l’unique de Mt 5-7. En insérant cette révélation de Dieu comme Père des disciples et des foules auditeurs de Jésus dans le contexte de l’annonce éthique de Mt 5-7, Matthieu montre que les exigences impératives présentées dans ce discours s’enracinent dans cette relation des disciples avec Dieu qui, par Jésus, devient “votre Père”. En effet, après avoir développé dans le prologue de son évangile le thème de la filiation divine de Jésus, Matthieu présente cette paternité divine à l’égard des hommes comme le don que Jésus, le Fils, fait à ses auditeurs en Mt 5-7.
En relevant les éléments qui caractérisent Dieu comme Père dans ce discours et en définissant le statut de celui qui le révèle comme Père (cf. Mt 11,27) et de ceux à qui il est révélé comme tel, cette thèse cherche de restituer à la relation établie par Jésus entre le Père et ses disciples son absolue centralité comme proposition d’une vie qui est expérimentée comme don et dans laquelle s’enracinent les exigences requises aux disciples destinataires de cette révélation. Les éléments littéraires et sémantiques pris en compte dans l’analyse de ces références à Dieu comme Père montrent que les exigences impératives relatives à l’agir des disciples ne se trouvent pas en Mt 5-7 en un contexte isolé, ou présentées pour elles-mêmes. Il y a toujours un don du Père qui précède l’agir des disciples, qui accompagne les disciples dans le présent et dans le futur, en leur indiquant le mode juste pour accueillir ce don et le rendre effectif dans leur vie.
En effet, au centre de ce discours dominé par les impératifs de l’agir requis aux disciples, Matthieu a placé l’enseignement sur la prière que les disciples doivent adresser à Dieu comme Père (Mt 6,9-13), prière accompagnée de la certitude de l’exaucement (Mt 6,8 ; 7,7-11). Lorsque l’orant cherche la relation avec Dieu dans la prière, il le rencontre comme Père. Prier le Père, c’est faire place à ses dons dans sa propre vie pour féconder l’agir requis. En Mt 5-7, la désignation de Dieu comme Père est avant tout la révélation faite aux disciples sur la bonté immense, sur l’amour et la sollicitude de Dieu qui s’est approché des disciples comme leur Père. Cette sollicitude du Père est exprimée entre autre dans l’exemple que le Père donne à ceux qui sont appelés à devenir ses fils, particulièrement en situation conflictuelle, d’où la présentation de Dieu comme le Père parfait (Mt 5,48). Ce faisant, le Père ouvre le chemin sur lequel les disciples doivent marcher. Enfin, par la sollicitude créative qui le caractérise, Dieu est un père qui prend soin des disciples et qui prévient leurs besoins (Mt 6,8 ; 6,26.32.33 ; 7,11).
Interpellés par les exigences qui naissent de cette relation avec Dieu comme leur Père, les disciples sont invités pour cela à être “transparents” du Père (Mt 5,16). En effet, comme “fils du Père”, ils trouvent dans leur Père le modèle (Mt 5,45.48), le motif (Mt 6,1-18) et la finalité (Mt 6,33) de la justice qui leur est requise, mais en même temps celui qui sanctionne leur agir (Mt 6,14.15 ; etc.). Les dons du Père obligent. C’est pour cela que la relation du disciple avec le Père ne s’épuise pas dans l’établissement d’une proximité spirituelle ou dans l’accomplissement d’une responsabilité éthique. Cette relation est suspendue tout entière au prononcé d’un verdict par lequel le Père communiquera par son Fils Jésus (Mt 7,21) la sentence d’accueil ou du rejet dans son royaume selon l’attitude que le disciple assume envers la volonté du Père que Jésus révèle dans ce discours (Mt 7,13-27).
En définitive, à travers cette étude des références à Dieu Père en Mt 5-7, cette dissertation doctorale cherche de montrer que l’accentuation éthique qui anime le premier évangile et que l’on peut voir en particulier dans l’insistance impérative de Mt 5-7, doit être comprise non point sur le mode d’une théologie des œuvres qui présenterait l’accueil dans la communion avec le Père comme la récompense de l’obéissance, mais fondamentalement à la manière d’une théologie de l’alliance qui allie l’exigence au don. De la sorte, seule l’obéissance peut bénéficier du don et permettre à celui-ci de porter des fruits pour la glorification du Père céleste.

BENOÎT XVI – ART ET LA PRIÈRE (2011)

3 juin, 2015

http://w2.vatican.va/content/benedict-xvi/fr/audiences/2011/documents/hf_ben-xvi_aud_20110831.html

BENOÎT XVI – ART ET LA PRIÈRE

AUDIENCE GÉNÉRALE

Castel Gandolfo

Mercredi 31 août 2011

Chers frères et sœurs,

Ces derniers temps, j’ai rappelé à plusieurs reprises la nécessité pour chaque chrétien de trouver du temps pour Dieu, pour la prière, parmi les nombreuses préoccupations qui remplissent nos journées. Le Seigneur lui-même nous offre de nombreuses occasions pour que nous nous souvenions de Lui. Aujourd’hui, je voudrais m’arrêter brièvement sur l’une des voies qui peuvent nous conduire à Dieu et nous aider également à le rencontrer: c’est la voie des expressions artistiques, qui font partie de la via pulchritudinis — «voie de la beauté» — dont j’ai parlé à plusieurs reprises et dont l’homme d’aujourd’hui devrait retrouver la signification la plus profonde.
Il vous est sans doute parfois arrivé, devant une sculpture ou un tableau, les vers d’une poésie ou en écoutant un morceau de musique, d’éprouver une émotion intime, un sentiment de joie, c’est-à-dire de ressentir clairement qu’en face de vous, il n’y avait pas seulement une matière, un morceau de marbre ou de bronze, une toile peinte, un ensemble de lettres ou un ensemble de sons, mais quelque chose de plus grand, quelque chose qui «parle», capable de toucher le cœur, de communiquer un message, d’élever l’âme. Une œuvre d’art est le fruit de la capacité créative de l’être humain, qui s’interroge devant la réalité visible, s’efforce d’en découvrir le sens profond et de le communiquer à travers le langage des formes, des couleurs, des sons. L’art est capable d’exprimer et de rendre visible le besoin de l’homme d’aller au-delà de ce qui se voit, il manifeste la soif et la recherche de l’infini. Bien plus, il est comme une porte ouverte vers l’infini, vers une beauté et une vérité qui vont au-delà du quotidien. Et une œuvre d’art peut ouvrir les yeux de l’esprit et du cœur, en nous élevant vers le haut.
Mais il existe des expressions artistiques qui sont de véritables chemins vers Dieu, la Beauté suprême, et qui aident même à croître dans notre relation avec Lui, dans la prière. Il s’agit des œuvres qui naissent de la foi et qui expriment la foi. Nous pouvons en voir un exemple lorsque nous visitons une cathédrale gothique: nous sommes saisis par les lignes verticales qui s’élèvent vers le ciel et qui attirent notre regard et notre esprit vers le haut, tandis que, dans le même temps, nous nous sentons petits, et pourtant avides de plénitude… Ou lorsque nous entrons dans une église romane: nous sommes invités de façon spontanée au recueillement et à la prière. Nous percevons que dans ces splendides édifices, est comme contenue la foi de générations entières. Ou encore, lorsque nous écoutons un morceau de musique sacrée qui fait vibrer les cordes de notre cœur, notre âme est comme dilatée et s’adresse plus facilement à Dieu. Il me revient à l’esprit un concert de musiques de Jean Sébastien Bach, à Munich , dirigé par Leonard Berstein. Au terme du dernier morceau, l’une des Cantate, je ressentis, non pas de façon raisonnée, mais au plus profond de mon cœur, que ce que j’avais écouté m’avait transmis la vérité, la vérité du suprême compositeur, et me poussait à rendre grâce à Dieu. A côté de moi se tenait l’évêque luthérien de Munich et, spontanément, je lui dis: «En écoutant cela, on comprend que c’est vrai; une foi aussi forte est vraie, de même que la beauté qui exprime de façon irrésistible la présence de la vérité de Dieu. Mais combien de fois des tableaux ou des fresques, fruit de la foi de l’artiste, dans leurs formes, dans leurs couleurs, dans leur lumière, nous poussent à tourner notre pensée vers Dieu et font croître en nous le désir de puiser à la source de toute beauté. Ce qu’a écrit un grand artiste, Marc Chagall, demeure profondément vrai, à savoir que pendant des siècles, les peintres ont trempé leur pinceau dans l’alphabet coloré qu’est la Bible. Combien de fois, alors, les expressions artistiques peuvent être des occasions de nous rappeler de Dieu, pour aider notre prière ou encore la conversion du cœur! Paul Claudel, célèbre poète, dramaturge et diplomate français, ressentit la présence de Dieu dans la Basilique Notre-Dame de Paris, en 1886, précisément en écoutant le chant du Magnificat lors de la Messe de Noël. Il n’était pas entré dans l’église poussé par la foi, il y était entré précisément pour chercher des arguments contre les chrétiens, et au lieu de cela, la grâce de Dieu agit dans son cœur.
Chers amis, je vous invite à redécouvrir l’importance de cette voie également pour la prière, pour notre relation vivante avec Dieu. Les villes et les pays dans le monde entier abritent des trésors d’art qui expriment la foi et nous rappellent notre relation avec Dieu. Que la visite aux lieux d’art ne soit alors pas uniquement une occasion d’enrichissement culturel — elle l’est aussi — mais qu’elle puisse devenir surtout un moment de grâce, d’encouragement pour renforcer notre lien et notre dialogue avec le Seigneur, pour nous arrêter et contempler — dans le passage de la simple réalité extérieure à la réalité plus profonde qu’elle exprime — le rayon de beauté qui nous touche, qui nous «blesse» presque au plus profond de notre être et nous invite à nous élever vers Dieu. Je finis par une prière d’un Psaume, le psaume 27: «Une chose qu’au Seigneur je demande, la chose que je cherche, c’est d’habiter la maison du Seigneur tous les jours de ma vie, de savourer la douceur du Seigneur, de rechercher son palais» (v. 4). Espérons que le Seigneur nous aide à contempler sa beauté, que ce soit dans la nature ou dans les œuvres d’art, de façon à être touchés par la lumière de son visage, afin que nous aussi, nous puissions être lumières pour notre prochain. Merci.

Iconostasis, Washington’s St Nicholas Cathedral

2 juin, 2015

 Iconostasis, Washington’s St Nicholas Cathedral dans images sacrée st-nicholas-8

https://ryanphunter.wordpress.com/tag/russian-iconography/

LA DESCENTE AUX ENFERS : POURQUOI ?

2 juin, 2015

http://www.revue-resurrection.org/La-descente-aux-enfers-pourquoi

LA DESCENTE AUX ENFERS : POURQUOI ?

P. MICHEL GITTON

Le « petit Credo », comme on dit parfois, le Credo baptismal, appelé aussi Credo des Apôtres, renferme un article particulièrement encombrant : « il est descendu aux enfers ». Certains vont jusqu’à le faire sauter, comme on le voit dans la traduction française du Rituel du baptême des enfants. Pensez donc ! Que vont comprendre les gens ? Déjà l’Enfer, au singulier, est un sujet sur lequel on n’ose guère s’étendre, mais toute cette mythologie entre la mort du Christ et sa Résurrection, sortie tout droit des Évangiles apocryphes, mérite-t-elle qu’on s’y arrête plus longtemps ?
La descente aux enfers n’est pourtant pas une affirmation mineure. Si on la comprend bien, elle ouvre des perspectives dans plusieurs directions :
1- la réalité de la mort du Seigneur : le Christ est bien mort d’une vraie mort d’homme ; il n’a pas connu seulement l’instant de la mort, l’arrêt des fonctions vitales et la séparation de l’âme et du corps ; il « a été mort », comme il le déclare lui-même plus tard (Ap 1,18) ; il a connu l’état redoutable et mystérieux de l’après-mort, cette attente comateuse, cette survie diminuée, que la Bible désigne sous le nom de Shéol ou d’Hadès ;
2 – la solidarité avec l’homme jusqu’au bout : il n’a pas seulement touché du bout du doigt notre condition humaine, il s’y est immergé profondément, et, par là même, il a rejoint toute humanité passée, présente et future, qui connaît le même sort ; il s’est mis au degré zéro de notre humanité, pour que plus aucune situation humaine ne soit en dehors de sa victoire ;
3 – l’universalité du salut : en descendant au Shéol, Jésus éclaire ce lieu de ténèbres et d’ennui des clartés de la vraie lumière ; il y rencontre des pans entiers d’humanité qu’il n’avait pas connus durant sa vie sur terre et leur propose le chemin du salut ; celui-ci n’est jamais une promotion automatique ou la récompense d’une vie vertueuse, c’est l’accueil de l’initiative divine à travers la main tendue du Christ ; or le Christ vient tendre la main à Adam et Ève, à tous ceux qui sont morts avant lui et il entraîne ceux qui l’acceptent vers le bonheur du paradis .
On s’étonne que cette vérité si essentielle à l’équilibre du mystère soit à ce point méconnue des chrétiens. Il y a à cela plusieurs raisons, sans doute. Énumérons-en quelques unes
La première réside dans les suites de la « démythologisation » initiée par Rudolf Bultmann. La vision d’un univers partagé en trois secteurs (terre/ciel/enfers) serait l’héritage d’une cosmologie mythique définitivement dépassée. Seule parlerait à l’homme moderne la présentation de la foi en terme de relations interpersonnelles. Depuis, nous avons appris que l’homme « moderne », frustré des représentations symboliques de la foi par une religion de plus en plus intellectualisée et moralisante, a cherché ailleurs la nourriture de son imagination, dans la science fiction, par exemple. C’est la grandeur de Tolkien d’avoir su intégrer dans une optique chrétienne le monde féerique des contes, avec le succès qu’on a vu. D’autre part, les représentations bibliques, qui donnent évidemment une forme spatiale et temporelle à des réalités d’un autre ordre (mais peut-on faire autrement ?), sont bien moins naïves qu’on ne l’imagine, et portent déjà toute une critique des univers magiques qui avaient cours à l’époque.
L’autre objection qu’on peut faire à « descente aux enfers », c’est qu’elle morcelle en épisodes successifs et en états disparates la seule espérance qui ressorte clairement des évangiles : l’attente de la Résurrection finale. On est heureusement en train d’en finir avec les limbes des petits enfants morts sans baptême, faudrait-il encore compter avec les « limbes des Pères », comme on a longtemps dit pour désigner les « enfers ». En séparant le sort des morts avant le Christ (les justes de l’Ancien Testament) et celui des hommes confrontés aujourd’hui à la Bonne Nouvelle prêchée à toutes les nations, et même simplement celui de toute l’humanité qui sera jugée sur l’amour au dernier jour (cf. Mt 25), on risque de perdre de vue que le seul horizon est celui de l’ultime clarification qui nous introduira dans la vie éternelle, lorsque le Seigneur reviendra.
Ne sommes-nous pas plutôt en état de le comprendre mieux ? La Résurrection, celle du Christ comme la nôtre, est la réponse de Dieu à l’obéissance de son serviteur. Ce n’est pas un coup de baguette magique qui viendrait de l’extérieur changer le cours des choses et l’orientation des cœurs. C’est l’homme réconcilié avec Dieu, rendu finalement conforme à sa vocation (ou, éventuellement, rebelle définitivement à cette orientation) que le Seigneur, dans la Résurrection, viendra prendre et conduire à une existence incorruptible, pour son bonheur ou son malheur. Le choix décisif, celui par lequel la liberté de l’homme se fixe dans son option ultime, est la condition requise antérieurement (quelque soit le sens qu’on donne à cette antériorité). Or ce choix ne peut résulter que d’une rencontre, et d’une rencontre avec le Jésus incarné, si nous voulons maintenir jusqu’au bout la certitude que nul ne sera sauvé que par la foi au Christ. La situation des morts avant le Christ et celle de tous les autres ne sont donc pas fondamentalement différentes. Le dogme de la descente aux enfers rend seulement pensable une évangélisation des laissés pour compte de l’évangélisation. Pour eux comme pour nous reste constante la séquence : choix décisif – attente de l’Heure – glorification (ou éventuellement réprobation), à l’image du Triduum pascal pour le Christ.
La seule différence est que le choix décisif a lieu post mortem pour les uns et ante mortem pour les autres. Mais cette différence même ne laisse pas d’être problématique dans la mesure où nous sommes bien ignorants de ce qu’est la mort en vérité, il nous faudrait savoir si elle est une limite sans épaisseur, ou si elle s’ouvre sur un processus. Dans ce dernier cas, la situation des morts avant le Christ qui l’ont rencontré dans l’état de mort n’est peut-être pas différent de celle que connaissent ceux qui aujourd’hui ont à répondre de leur vie devant lui, après un parcours où il n’a guère été présent à leur cœur, au moins en apparence. La descente aux enfers aurait dans ce cas une valeur permanente, et pas seulement liée au passé. C’est cette piste qu’explore avec prudence le P. Édouard-Marie dans le numéro qu’on va lire.
Mais, au préalable, les rédacteurs de Résurrection ont voulu mettre à la disposition du lecteur différents dossiers qui jalonnent ce numéro : étude sémantique sur les termes « enfer », « enfers », « limbes » etc.… (Georges Théry) ; dossier biblique (Guillaume Leclerc), dossier patristique (Matthieu Cassin).
On ne peut, sur ce sujet, se dispenser d’interroger la pensée du P. Urs von Balthasar, l’auteur du XXe siècle qui a le plus réfléchi à la descente aux enfers. C’est ce que fait notre collaborateur Jérôme Levie. Certes, la position du théologien suisse ne rallie pas tous les suffrages : l’identification qu’il introduit entre l’enfer et les enfers est en soi problématique, la vision de la rédemption qui la sous-tend trahit une influence luthérienne dont on peut largement discuter qu’elle soit celle du Nouveau Testament. N’empêche que les thèses du P. Balthasar ont contribué à rouvrir un débat théologique extrêmement fécond sur l’être-mort du Christ et le salut du monde. On ne saurait se passer de cet éclairage.
Il n’est pas inutile de situer l’affirmation de la descente aux enfers par rapport au dogme plus récent du Purgatoire, avec lequel on l’a souvent confondue, c’est ce que fait Jean Lédion, dans une brève synthèse qui renvoie au numéro jadis consacré par Résurrection à ce sujet.
Enfin, notre ami Jacques-Hubert Sautel nous présente une approche théologique et spirituelle concernant l’attitude à adopter face à la mort de nos proches, montrant comment il convient de respecter le mystère d’une vie et de ne pas trop vite la canoniser, même si l’on ne doit jamais désespérer du salut de nos frères.
Ces articles ne prétendent pas épuiser la matière. Il restera à débroussailler bien des allées pour rendre accessible à tous la croyance de l’Église en la venue du Christ mort aux enfers. Mais ce numéro y aura contribué.

P. Michel Gitton, Membre de la communauté apostolique Aïn Karem, directeur-gérant de Résurrection, prêtre du diocèse de Paris.

LETTRE SUR LA PRIÈRE – MONS. BRUNO FORTE

2 juin, 2015

http://www.clerus.va/content/clerus/en/biblioteca.html

LETTRE SUR LA PRIÈRE

MONS. BRUNO FORTE

Tu me demandes : pourquoi prier ? Je te réponds : pour vivre.

Oui : pour vivre vraiment, il faut prier. Pourquoi ? Parce que vivre, c’est aimer : une vie sans amour n’est pas une vie. C’est solitude vide, c’est prison et tristesse. Seul vit vraiment qui aime : et seul aime qui se sent aimé, rejoint et transformé par l’amour. Comme la plante ne peut épanouir son fruit si elle n’est rejointe des rayons du soleil, ainsi le cœur humain ne peut s’ouvrir à la vie vraie et pleine que s’il est touché par l’amour. Et l’amour naît de la rencontre et vit de la rencontre avec l’amour de Dieu, le plus grand et vrai de tous les amours possibles, davantage, l’amour au-delà de toutes nos définitions, toutes nos possibilités. Pour cela, qui prie vit, dans le temps et pour l’éternité. Mais celui qui ne prie pas ? Qui ne prie pas risque de mourir à l’intérieur, parce qu’il lui manquera un jour ou l’autre l’air pour respirer, la chaleur pour vivre, la lumière pour voir, la nourriture pour croître et la joie pour donner sens à la vie.
Tu me dis : mais moi, je ne sais pas prier ! Et tu me demandes : comment prier ? Je te réponds : commence par donner un peu de ton temps à Dieu. Au début, l’important ne sera pas que ce temps soit long, mais que tu le lui donnes fidèlement. Fixe toi-même un temps à donner chaque jour au Seigneur, et donne-le lui fidèlement chaque jour, quand tu as envie de le faire et quand tu n’en as pas envie. Cherche un lieu tranquille, où si possible il y ait quelque signe rappelant la présence du Seigneur (une croix, une icône, la Bible, le tabernacle avec la Présence eucharistique…). Recueille-toi en silence : invoque l’Esprit Saint, pour que ce soit Lui qui vienne crier en toi « Abba, Père ! ». Offre ton cœur à Dieu, même s’il est en tempête : n’aie pas peur de tout Lui dire, non seulement tes difficultés et ta douleur, ton péché et ton incrédulité, mais même ta rébellion et tes protestations, si tu les sens en toi.
Tout cela, mets-le entre les mains de Dieu : souviens-toi que Dieu est Père – Mère dans l’amour, qui tout accueille, tout pardonne, tout illumine, tout sauve. Écoute Son Silence : ne prétends pas avoir de suite la réponse. Persévère. Comme le prophète Élie, marche dans le désert vers la montagne de Dieu : et quand tu te seras approché de Lui, ne le cherche ni dans le vent, le tremblement de terre ou le feu, dans les signes de force ou de grandeur, mais dans la voix du silence subtil (cf. 1 R 19,12). Ne prétends pas t’emparer de Dieu, mais laisse Le passer dans ta vie et ton cœur, te toucher l’âme, se faire contempler par toi, même seulement de dos.
Écoute la voix de Son Silence. Écoute Sa Parole de vie : ouvre la Bible, médite-la avec amour, laisse la parole de Jésus te parler cœur à cœur ; lis les Psaumes, où tu trouveras l’expression de tout ce que tu voudrais dire à Dieu ; écoute les apôtres et les prophètes ; tombe amoureux de l’histoire des Patriarches, du peuple élu et de l’Église naissante, où tu rencontreras l’expérience de la vie vécue dans l’horizon de l’Alliance avec Dieu. Et quand tu auras écouté la Parole de Dieu, marche encore longtemps dans les sentiers du silence, laissant l’Esprit t’unir au Christ, Parole éternelle du Père. Laisse Dieu Père te modeler de Ses deux mains : le Verbe et l’Esprit Saint.
Au début, le temps passé à tout cela pourra te sembler trop long, ne jamais finir : persévère avec humilité, donnant à Dieu tout le temps que tu réussis à Lui donner, mais jamais moins que celui que tu as établi de pouvoir Lui donner chaque jour. Tu verras que de rendez-vous en rendez-vous ta fidélité sera récompensée, et tu te rendras compte que petit à petit le goût de la prière croîtra en toi, et ce qui au début te semblait inatteignable, deviendra toujours plus facile et beau. Tu comprendras alors que ce qui compte, ce n’est pas avoir des réponses, mais se mettre à la disposition de Dieu : et tu verras que ce que tu porteras dans la prière sera peu à peu transfiguré.
Ainsi, quand tu viendras prier avec le cœur en tempête, si tu persévères, tu t’apercevras qu’après avoir longtemps prié tu n’auras pas trouvé de réponses à tes demandes, mais ces mêmes demandes se seront dissoutes comme neige au soleil et dans ton cœur se fera une grande paix : la paix d’être dans les mains de Dieu et de te laisser docilement conduire par Lui, aux lieux que Lui a préparé pour toi. Alors, ton cœur refait à neuf pourra chanter le cantique nouveau, et le ‘Magnificat’ de Marie sortira spontanément de tes lèvres et sera chanté par l’éloquence de tes œuvres.
Sache, toutefois, que ne te manqueront pas en tout cela les difficultés : parfois, tu ne réussiras pas à faire taire le bruit qui est autour de toi et en toi ; parfois tu sentiras la fatigue ou même le dégoût de te mettre à prier ; ta sensibilité éclatera, et n’importe quel acte te semblera préférable à rester en prière devant Dieu, « perdant » ton temps. Tu sentiras, enfin, les tentations du Malin, qui cherchera par tous les moyens à te séparer du Seigneur, t’éloignant de la prière. Ne crains pas : les mêmes épreuves que tu vis, les saints les ont vécus avant toi, et souvent beaucoup plus pesantes que les tiennes. Toi, continue seulement à avoir foi. Persévère, résiste et souviens-toi que l’unique chose que nous pouvons vraiment donner à Dieu est la preuve de notre fidélité. Avec la persévérance tu sauveras ta prière, et ta vie.
Viendra l’heure de la « nuit obscure », où tout te sembleras aride et même absurde dans les choses de Dieu : ne crains pas. C’est l’heure où qui lutte avec toi est Dieu même : enlève de toi tout péché, par la confession humble et sincère de tes fautes et le pardon sacramentel ; donne à Dieu encore plus de temps, et laisse que l’heure de la nuit des sens et de l’esprit devienne pour toi l’heure de la participation à la Passion du Seigneur. À ce point, ce sera Jésus lui-même qui portera ta croix et te conduira avec lui vers la joie de Pâque. Tu ne t’étonneras pas, alors, d’aller jusqu’à considérer aimable cette nuit, parce que tu la verras transformée pour toi en nuit d’amour, inondée de la présence de l’Aimé, pleine du parfum du Christ, lumineuse de la lumière de Pâque.
N’aie donc pas peur, des épreuves et des difficultés dans la prière : souviens-toi seulement que Dieu est fidèle et qu’Il ne t’enverras jamais une épreuve sans te donner le moyen d’en sortir, et ne t’exposeras jamais à une tentation sans te donner la force de la supporter et la vaincre. Laisse-toi aimer par Dieu : telle une goutte d’eau qui s’évapore sous les rayons du soleil, et monte en haut, et retourne à la terre comme pluie féconde ou rosée consolatrice, ainsi laisse que tout ton être soit travaillé par Dieu, modelé par l’amour des Trois, absorbé en Eux et restitué à l’histoire comme un don fécond. Laisse que la prière fasse croître entre toi la liberté de toute peur, le courage et l’audace de l’amour, la fidélité aux personnes que Dieu t’a confié et aux situations dans lesquelles Il t’a mis, sans chercher des évasions ou des consolations bon marché. Apprend, en priant, à vivre la patience d’attendre les temps de Dieu, qui ne sont pas nos temps, et à suivre les voies de Dieu, qui si souvent ne sont pas nos voies.
Un don particulier que la fidélité à la prière t’offrira est l’amour des autres et le sens de l’Église : plus tu prieras, plus tu sentiras de miséricorde pour tous, plus tu voudras aider qui souffres, plus tu auras faim et soif de justice pour tous, spécialement les plus pauvres et faibles, plus tu accepteras de te charger des péchés des autres pour compléter en toi ce qui manque à la Passion du Christ pour tout Son Corps qui est l’Église. En priant, tu sentiras comme il est beau d’être dans la barque dans Pierre, solidaire avec tous, docile à la conduite des pasteurs, soutenu par la prière de tous, prêt à servir les autres avec gratuité, sans rien demander en échange. En priant, tu sentiras croître en toi la passion pour l’unité du Corps du Christ et de toute la famille humaine. La prière est l’école de l’amour, parce que c’est en elle que tu peux te reconnaître infiniment aimé et naître toujours de nouveau à la générosité qui prend l’initiative du pardon et du don sans calcul, au-delà de toute mesure de fatigue.
En priant, on apprend à prier, et on goûte les fruits de l’Esprit qui font vraie et belle la vie : « amour, joie, paix, patience, bienveillance, bonté, fidélité, douceur, maîtrise de soi » (Ga 5,22). En priant, on devient amour, et la vie acquiert le sens et la beauté pour laquelle elle a été voulue par Dieu. En priant, on reconnaît toujours plus l’urgence de porter l’Évangile à tous, jusqu’aux extrêmes confins de la terre. En priant, on découvre les infinis dons de l’Aimé et on apprend toujours plus à Lui rendre grâce en toutes choses. En priant, on vit. En priant, on aime. En priant, on loue. Et la louange est la joie et la paix plus grande que notre cœur inquiet, dans le temps et l’éternité.
Si je devais, alors, te souhaiter le don le plus beau, si je voulais le demander pour toi à Dieu, je n’hésiterai pas à Lui demander le don de la prière. Je le Lui demande : et toi, n’hésite pas à le demander à Dieu pour moi. Et pour toi. La paix de notre Seigneur Jésus Christ, l’amour de Dieu le Père et la communion de l’Esprit Saint soient toujours avec toi. Et toi en eux : parce que en priant tu entreras dans le cœur de Dieu, caché avec le Christ en Lui, entouré de Leur amour éternel, fidèle et toujours nouveau. Désormais tu le sais : qui prie avec Jésus et en Lui, qui prie Jésus ou le Père de Jésus ou invoque Son Esprit, ne prie pas un Dieu générique et lointain, mais prie en Dieu, dans l’Esprit, par le Fils, le Père. Et du Père, par Jésus, dans le souffle divin de l’Esprit, tu recevras tout don parfait, adapté à lui, et depuis toujours par lui préparé et désiré. Le don qui nous attend. Qui t’attend.

 

The last Supper

1 juin, 2015

The last Supper dans images sacrée Last-supper-from-Kremikovtsi

http://en.wikipedia.org/wiki/Easter#/media/File:Last-supper-from-Kremikovtsi.jpg

BENOÎT XVI : SAINT JUSTIN – PHILOSOPHE ET MARTYR – 1 JUIN

1 juin, 2015

http://w2.vatican.va/content/benedict-xvi/fr/audiences/2007/documents/hf_ben-xvi_aud_20070321.html

BENOÎT XVI

AUDIENCE GÉNÉRALE

Mercredi 21 mars 2007

SAINT JUSTIN – PHILOSOPHE ET MARTYR – 1 JUIN

Chers frères et sœurs,

Au cours de ces catéchèses, nous réfléchissons sur les grandes figures de l’Eglise naissante. Aujourd’hui, nous parlons de saint Justin, philosophe et martyr, le plus important des Pères apologistes du II siècle. Le terme « apologiste » désigne les antiques écrivains chrétiens qui se proposaient de défendre la nouvelle religion des lourdes accusations des païens et des Juifs, et de diffuser la doctrine chrétienne dans des termes adaptés à la culture de leur époque. Ainsi, chez les apologistes est présente une double sollicitude: celle, plus proprement apologétique, de défendre le christianisme naissant (apologhía en grec signifie précisément « défense »), et celle qui propose une sollicitude « missionnaire » qui a pour but d’exposer les contenus de la foi à travers un langage et des catégories de pensée compréhensibles par leurs contemporains.
Justin était né aux environs de l’an 100 près de l’antique Sichem, en Samarie, en Terre Sainte; il chercha longuement la vérité, se rendant en pèlerinage dans les diverses écoles de la tradition philosophique grecque. Finalement, – comme lui-même le raconte dans les premiers chapitres de son Dialogue avec Tryphon – un mystérieux personnage, un vieillard rencontré sur la plage de la mer, provoqua d’abord en lui une crise, en lui démontrant l’incapacité de l’homme à satisfaire par ses seules forces l’aspiration au divin. Puis il lui indiqua dans les anciens prophètes les personnes vers lesquelles se tourner pour trouver la voie de Dieu et la « véritable philosophie ». En le quittant, le vieillard l’exhorta à la prière, afin que lui soient ouvertes les portes de la lumière. Le récit reflète l’épisode crucial de la vie de Justin: au terme d’un long itinéraire philosophique de recherche de la vérité, il parvint à la foi chrétienne. Il fonda une école à Rome, où il initiait gratuitement les élèves à la nouvelle religion, considérée comme la véritable philosophie. En celle-ci, en effet, il avait trouvé la vérité et donc l’art de vivre de façon droite. Il fut dénoncé pour cette raison et fut décapité vers 165, sous le règne de Marc Aurèle, l’empereur philosophe auquel Justin lui-même avait adressé l’une de ses Apologies.
Ces deux œuvres – les deux Apologies et le Dialogue avec le Juif Tryphon – sont les seules qui nous restent de lui. Dans celles-ci, Justin entend illustrer avant tout le projet divin de la création et du salut qui s’accomplit en Jésus Christ, le Logos, c’est-à-dire le Verbe éternel, la raison éternelle, la Raison créatrice. Chaque homme, en tant que créature rationnelle, participe au Logos, porte en lui le « germe » et peut accueillir les lumières de la vérité. Ainsi, le même Logos, qui s’est révélé comme dans une figure prophétique aux juifs dans la Loi antique, s’est manifesté partiellement, comme dans des « germes de vérité », également dans la philosophie grecque. A présent, conclut Justin, étant donné que le christianisme est la manifestation historique et personnelle du Logos dans sa totalité, il en découle que « tout ce qui a été exprimé de beau par quiconque, nous appartient à nous chrétiens » (2 Apol. 13, 4). De cette façon, Justin, tout en contestant les contradictions de la philosophie grecque, oriente de façon décidée vers le Logos toute vérité philosophique, en justifiant d’un point de vue rationnel la « prétention » de vérité et d’universalité de la religion chrétienne. Si l’Ancien Testament tend au Christ comme la figure oriente vers la réalité signifiée, la philosophie grecque vise elle aussi au Christ et à l’Evangile, comme la partie tend à s’unir au tout. Et il dit que ces deux réalités, l’Ancien Testament et la philosophie grecque, sont comme les deux voies qui mènent au Christ, au Logos. Voilà pourquoi la philosophie grecque ne peut s’opposer à la vérité évangélique, et les chrétiens peuvent y puiser avec confiance, comme à un bien propre. C’est pourquoi mon vénéré prédécesseur, le Pape Jean-Paul II, définit Justin comme « pionnier d’une rencontre fructueuse avec la pensée philosophique, même marquée par un discernement prudent », car Justin, « tout en conservant même après sa conversion, une grande estime pour la philosophie grecque, [...] affirmait avec force et clarté qu’il avait trouvé dans le christianisme « la seule philosophie sûre et profitable » (Dialogue, 8, 1) » (Fides et ratio, n. 38).
Dans l’ensemble, la figure et l’œuvre de Justin marquent le choix décidé de l’Eglise antique pour la philosophie, la raison, plutôt que pour la religion des païens. Avec la religion païenne en effet, les premiers chrétiens refusèrent absolument tout compromis. Ils estimaient qu’elle était une idolâtrie, au risque d’être taxés d’ »impiété » et d’ »athéisme ». Justin en particulier, notamment dans sa première Apologie, conduisit une critique implacable à l’égard de la religion païenne et de ses mythes, qu’il considérait comme des « fausses routes » diaboliques sur le chemin de la vérité. La philosophie représenta en revanche le domaine privilégié de la rencontre entre paganisme, judaïsme et christianisme précisément sur le plan de la critique contre la religion païenne et ses faux mythes. « Notre philosophie… »: c’est ainsi, de la manière la plus explicite, qu’un autre apologiste contemporain de Justin, l’Evêque Méliton de Sardes en vint à définir la nouvelle religion (ap. Hist. Eccl. 4, 26, 7).
De fait, la religion païenne ne parcourait pas les voies du Logos mais s’obstinait sur celles du mythe, même si celui-ci était reconnu par la philosophie grecque comme privé de consistance dans la vérité. C’est pourquoi le crépuscule de la religion païenne était inéluctable: il découlait comme une conséquence logique du détachement de la religion – réduite à un ensemble artificiel de cérémonies, de conventions et de coutumes – de la vérité de l’être. Justin, et avec lui les autres apologistes, marquèrent la prise de position nette de la foi chrétienne pour le Dieu des philosophes contre les faux dieux de la religion païenne. C’était le choix pour la vérité de l’être, contre le mythe de la coutume. Quelques décennies après Justin, Tertullien définit le même choix des chrétiens avec la sentence lapidaire et toujours valable: « Dominus noster Christus veritatem se, non con-suetudinem, cognominavit – le Christ a affirmé être la vérité, non la coutume » (De virgin. vle. 1, 1). On notera à ce propos que le terme consuetudo, ici employé par Tertullien en référence à la religion païenne, peut être traduit dans les langues modernes par les expressions « habitude culturelle », « mode du temps ».
A une époque comme la nôtre, marquée par le relativisme dans le débat sur les valeurs et sur la religion – tout comme dans le dialogue interreligieux -, il s’agit là d’une leçon à ne pas oublier. Dans ce but, je vous repropose – et je conclus ainsi – les dernières paroles du mystérieux vieillard rencontré par le philosophe Justin au bord de la mer: « Prie avant tout pour que les portes de la lumière te soient ouvertes, parce que personne ne peut voir et comprendre, si Dieu et son Christ ne lui accordent pas de comprendre » (Dial. 7, 3).

« JE SUIS UN DIEU JALOUX…

1 juin, 2015

http://www.bible-service.net/extranet/current/pages/899.html

« JE SUIS UN DIEU JALOUX… « 

THÉOLOGIE

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« YAHVÉ EST UN DIEU JALOUX »…

« Tu ne prosterneras pas devant un autre dieu, / car Yhwh, Jaloux est son Nom. Il est un Dieu jaloux » (Ex 34,14). Cette formulation abrupte du premier commandement se situe à l’intérieur du petit ensemble législatif (Ex 34,11-26) intégré au récit du renouvellement d’alliance (Ex 34,10-28), de rédaction deutéronomiste, qui suit la trahison du veau d’or et la rupture d’alliance symbolisée par le bris des tables. Ex 34,14 fait partie de « ces paroles sur la base desquelles l’alliance est à nouveau conclue » (Ex 34,27). La formulation de cet interdit est incisive, comme le montre la disposition en chiasme (abcb’a') :

Yhwh (a) / Jaloux (b) / est son Nom (c) / un Dieu jaloux (b’) / Lui (a’)

Les parties externes (a et a’) se correspondent (« Yhwh », « Lui »), ainsi que les parties médianes (b et b’) avec la reprise du mot « jaloux ». Au centre : le terme « Nom ». Ce chiasme s’accompagne de trois procédés rhétoriques qui ne sont pas sans portée théologique : d’abord la mise en relief du nom de Yhwh par le biais d’un casus pendens ; ensuite l’inversion à l’intérieur de la première proposition : le prédicat « jaloux » placé avant le sujet, « le nom » ; enfin la correspondance entre Yhwh et « Lui ». Cette écriture soignée dit assez l’importance que le rédacteur veut donner à cette déclaration divine.
Arrêtons-nous d’abord au casus pendens : placé en tête, le nom divin Yhwh n’a pas de fonction grammaticale dans la phrase. Cette donnée est associée au fait que dans la première proposition, le prédicat est placé avant le sujet et qu’ainsi le terme « Nom » se trouve au milieu de la formulation. Or, dans la Bible, le Nom renvoie à la réalité de l’être même de Dieu. Il faut en conclure que le propre de Dieu est d’être » jaloux », ce que confirme la seconde proposition.
La correspondance entre Yhwh et le pronom « Lui » souligne avec force cette conclusion : non seulement Yhwh s’appelle « Jaloux », mais il est réellement un Dieu jaloux. Comme, en même temps, le Nom dit la présence pour la rencontre, la déclaration divine d’Ex 34,14b retentit comme un avertissement solennel, voire comme une menace. Dans le premier commandement du décalogue, Yhwh disait déjà : « Moi, Yhwh ton Dieu, je suis un Dieu jaloux » (Dt 5,9 ; Ex 20,5). Ex 34,14 renchérit sur cette déclaration déjà quelque peu subversive : le propre de Dieu est d’être jaloux.
En Ex 34, l’expression ‘él-qanna’ « Dieu jaloux », est donc rattachée, elle aussi, au premier commandement : le v. 14 vise le culte des « autres dieux » ; en Ex 34,15-16, la prostitution renvoie au service cultuel de ces mêmes dieux et, en Ex 34,17, l’interdiction des images concerne le culte des idoles. N’oublions pas cependant que le renouvellement d’alliance (Ex 34,10-28) à l’intérieur duquel ces prescriptions sont insérées a été rendu nécessaire par la rupture d’alliance, conséquence de l’érection du veau (Ex 32). Or, cette statue se veut une représentation de Yhwh : « Fête en l’honneur de Yhwh », proclame Aaron (Ex 32,5). Dans l’unité rédactionnelle d’Ex 32-34, cette image de Yhwh se trouve ainsi placée au rang des idoles païennes. Elle pervertit tellement la conception orthodoxe de Yhwh qu’elle équivaut pratiquement à une idolâtrie : la représentation a pour visée de maîtriser cette puissance imprévisible qu’est devenue Yhwh aux yeux des Israélites. C’est là « le grand péché d’Israël » (Ex 32,21.30-31), expression aussi rare que solennelle.
La présentation de Dieu qu’implique la formulation d’Ex 34,14 connote donc l’intolérance de Yhwh qui ne peut supporter de rivaux et qui refuse d’être rabaissé au rang d’une divinité païenne. Il ne faut pas pour autant oublier que cette formule « Yhwh, un Dieu jaloux » résonne dans un contexte de renouvellement d’alliance qui repose sur le pardon (34,9) et sur la miséricorde (34,5-7) que Yhwh vient de révéler dans la grande théophanie du Sinaï.

Bernard Renaud, SBEV / Éd. du Cerf, Cahier Évangile n° 149 (septembre 2009), « Un Dieu jaloux entrre colère et amour », pages 28-29. 

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