Archive pour juin, 2015
SUR LE SIXIÈME PSAUME – ÉCRIT PAR SAINT GRÉGOIRE DE NYSSE
22 juin, 2015http://www.coptipedia.com/ancien-testament/sur-le-sixieme-psaume.html
SUR LE SIXIÈME PSAUME
ÉCRIT PAR SAINT GRÉGOIRE DE NYSSE
Ceux qui s’avancent « de puissance en puissance » selon la bénédiction du prophète et disposent en leur cœur « ces glorieuses ascensions », lorsqu’ils saisissent une pensée bonne, sont conduits par elle à une pensée plus élevée grâce à laquelle se fait l’ascension de l’âme vers les hauteurs. Et ainsi toujours « tendu en avant », il n’arrêtera jamais la bonne ascension, celui qui est toujours guidé par de sublimes pensées vers la compréhension des puissances d’en haut.
Je vous ai dit cela, frères, en réfléchissant sur le sixième psaume, et en observant l’ordre logique et nécessaire d’après lequel après « celle qui hérite » a été ajoutée la Parole concernant l’octave. Or vous n’ignorez absolument pas le mystère de l’octave. Il ne convient pas, en effet, que la pensée de quelques-uns soit entraînée vers les opinions des juifs, qui ramènent la grandeur du mystère de l’octave à ce qui concerne les parties honteuses de notre corps et disent que par le nombre de l’octave sont indiquées la loi de la circoncision et la purification après l’accouchement (Lev 12).
Mais nous, qui avons appris du grand Paul, que « la Loi est spirituelle », même si ce nombre est contenu dans les lois indiquées, instituant pour l’homme la circoncision et pour la femme le sacrifice pour la purification, ni nous ne rejetons ni n’admettons humblement la Loi, puisque nous savons qu’en vérité le huitième jour a lieu la véritable circoncision, pratiquée avec un couteau de pierre. Tu comprends, sans doute possible, que par la pierre qui tranche l’impureté, est désignée « la pierre même qu’est le Christ » parole de vérité, et que cesse le flux sordide des embarras de la vie, une fois l’existence humaine transformée dans le sens du plus divin. Pour rendre manifeste à tous le sens de tels propos, je vais tenter, autant que je le pourrai, de donner plus de clarté à mon discours.
Le temps de cette vie, dans la première réalisation de la création, a été accompli en une seule semaine : la création des réalités commença avec le premier jour et la fin de la création s’acheva avec le septième. En effet, « il y eut » dit le prophète, « un jour » où furent créées les premières réalités ; puis, de la même façon, un second, les deuxièmes, et ainsi de suite jusqu’au sixième jour où tout fut créé. Le septième, qui est la fin de la création, a clos en lui le temps coextensif à la création du monde. Comme donc, ni aucun autre ciel n’a été fait depuis ce moment, ni aucune des parties du monde n’a été ajoutée à celles qui existent depuis le commencement mais que la création a été constituée en elle-même, demeurant dans ses dimensions sans augmentation ni diminution, ainsi aucun autre temps n’a existé en dehors de celui qui a été déterminé avec la création, mais la réalité du temps a été circonscrite dans la semaine de jours. C’est pourquoi, lorsque nous mesurons le temps avec les jours, partant d’un jour et fermant le nombre avec le septième, nous revenons à un jour, mesurant toute l’étendue du temps par le cycle des semaines jusqu’à ce que, une fois les réalités mobiles passées et le flux du devenir du monde arrêté, viennent, comme dit l’Apôtre, les choses qui ne sont plus agitées, que n’atteignent plus ni altération, ni changement, puisque cette création-là demeure toujours semblable à elle-même dans les siècles successifs. On y verra la vraie circoncision de la nature humaine dans le dépouillement de la vie corporelle et la vraie purification de la vraie souillure. Or la souillure de l’homme, c’est le péché engendré avec la nature humaine (car « ma mère m’a conçu dans le péché ») dont Celui qui a opéré la purification de nos péchés nous purifie alors entièrement, faisant disparaître de la nature des êtres tout ce qui est sanglant, sordide et incirconcis. C’est en ce sens que nous prenons la loi de l’octave qui purifie et circoncit : à la fin de ce temps septénaire, le huitième jour apparaîtra après le septième, appelé huitième parce qu’il vient après le septième, mais n’ayant plus après lui de successeur. Il demeure en effet à jamais unique sans être jamais interrompu par l’obscurité nocturne ; c’est un autre soleil qui le fait, celui qui rayonne de la véritable lumière, qui, une fois qu’il nous est apparu, comme l’Apôtre n’est plus caché par les couchants, mais embrassant tout dans sa vertu illuminatrice, éclaire de la lumière perpétuelle et sans alternance ceux qui en sont dignes, faisant même de ceux qui participent à cette lumière d’autres soleils, selon la parole de l’Évangile : « Alors les justes brilleront comme le soleil ».
Puisque donc, dans le psaume précédent, le prophète parle « pour celle qui reçoit l’héritage » et que l’héritage est préparé aux justes dans l’octave et, là aussi, le juste jugement de Dieu qui distribue selon le mérite de chacun, le prophète a eu raison d’associer au rappel de l’octave sa parole sur le repentir. Qui, en effet, en se rappelant le redoutable jugement du Christ, n’est pas aussitôt déchiré dans sa conscience et saisi par la crainte et l’angoisse ? Et même s’il se trouve conscient d’avoir passé sa vie à se rendre meilleur, cependant, ayant les yeux fixés sur la rigueur du jugement où même la moindre des fautes est examinée, il est saisi d’un effroi extrême dans la crainte de maux redoutables, puisqu’il ne sait quels seront pour lui l’issue et le terme du jugement. Voilà pourquoi, comme il a pour ainsi dire sous les yeux ces châtiments redoutables – la Géhenne, le feu ténébreux et le ver de la conscience qui ne meurt pas , qui suce interminablement l’âme par la honte et, en lui rappelant ses actes mauvais, ravive ses souffrances – il supplie désormais Dieu, priant pour n’être pas livré dans sa fureur à la rigueur du jugement, pour n’être pas soumis par sa colère à la correction de ses fautes. Car pour ceux qui ont été condamnés à la cruelle correction de ce châtiment redoutable, le jugement est selon la tradition oeuvre de fureur et de colère. Et c’est pourquoi, comme s’il se trouvait déjà dans la douleur, il reprend les paroles de ceux qui souffrent, pour qui ce qui est exercé pour le châtiment des impies est fureur et colère. Il dit alors : je n’attends pas que vienne sur moi avec les châtiments redoutables dus à cette fureur le jugement qui me convaincra de mes fautes cachées mais je devance en les confessant la nécessité de cette colère. Car ce que produit la douleur chez ceux qui sont châtiés, en rendant manifeste malgré eux les secrets de leur iniquité, c’est ce qu’obtient par elle-même la libre décision de se punir et de se châtier par repentir, de rendre publique le péché dissimulé dans le secret du cœur.
Donc, en disant : « Ne me châtie pas dans ta fureur, ne me corrige pas dans ta colère », il cherche logiquement recours en la miséricorde, en rapportant la raison du mal non pas tant à une libre décision qu’à la faiblesse de notre nature : Moi qui suis né dans le mal, soigne-moi par ta miséricorde de faible que j’étais, je suis devenu la proie des passions. Mais quelle faiblesse ? Mes os se sont disloqués, ont perdu leurs articulations. Or, les os, c’est la sage raison qui affermit l’âme : « Guéris-moi, Seigneur, car mes os sont bouleversés ». Et il interprète le sens figuré de l’expression en ajoutant : « Mon âme est toute bouleversée ». Pourquoi donc, dit-il, remets-tu à plus tard la guérison, « Toi, Seigneur ? Jusqu’à quand » vas-tu refuser d’accorder ta miséricorde ? Ne vois-tu pas la brièveté de la vie humaine ? Préviens, en convertissant mon âme, cette nécessité de notre vie, de peur que, quand la mort viendra, toute intention de me soigner soit inutile. Car il ne sera plus dans la mort, celui qui peut par le souvenir de Dieu soigner la maladie que provoque en lui le mal, puisque l’aveu a de la force sur terre mais que ce n’est pas le cas dans l’Hadès. Ensuite, comme si quelqu’un demandait : comment implores-tu la miséricorde pour la guérison des fautes ? De quelle manière fléchir la divinité ? Il répond : « Je me suis épuisé en gémissements », et je baignerai du flot de mes larmes « mon lit » où s’entasse le péché. Pourquoi ? Parce que, dit-il, « dans ma fureur mon oeil a été bouleversé », et pour cela je suis devenu quelqu’un de vieux et de moisi, parce que la fureur que mettent en moi mes adversaires a gangrené mon âme. Or, si la fureur, à elle seule, met tant de crainte en celui qui a commis une faute à cause d’elle, combien, à plus forte raison, désespéreront du salut ceux qui sont conscients en leur vie particulière non seulement des passions qui viennent de la fureur, mais aussi de tout ce que provoquent désir, cupidité, orgueil, amour de la gloire, envie et tout l’essaim restant des vices humains. C’est pourquoi s’adressant à tous ses adversaires, il dit « Écartez-vous de moi, vous tous, artisans d’iniquité » (Ps 6, 9).
Mais il indique, dans le verset suivant, le bon espoir d’un heureux résultat qui nous vient du repentir. Aussitôt, en effet, en même temps qu’il a présenté à Dieu ses paroles de repentir, venant à sentir la bienveillance de Dieu à son égard, il révèle la grâce et se réjouit du don qui lui est fait, en disant : « Le Seigneur a entendu ma supplication : le Seigneur a accueilli ma prière ». Afin donc que le bien qui lui est venu de son repentir puisse subsister à jamais pour lui et que, dans sa vie il n’ait pas besoin d’un second repentir, il demande que ses adversaires se détournent sous le fouet de la honte. Car celui qui a honte d’avoir commis le mal, en se laissant guider par la honte pour ne plus se porter aux mêmes actes, s’écartera à l’avenir d’expériences semblables. Telle est donc la logique d’une bonne ascension : le quatrième psaume a distingué le bien immatériel de la réalité corporelle et charnelle ; le cinquième a appelé par ses prières l’héritage d’un tel bien ; le sixième, par la mention de l’octave, a indiqué le moment de l’héritage ; l’octave a manifesté la peur du jugement : le jugement a averti les pécheurs que nous sommes de prévenir par le repentir le châtiment redoutable. Puis le repentir offert à Dieu avec raison a annoncé le gain qu’il nous procure en inspirant ces mots : « Le Seigneur a entendu la voix de celui qui se tournait en larmes vers lui. Après quoi pour que le bien puisse subsister sans changement pour nous à l’avenir, le Prophète appelle la disparition, sous l’effet de la honte, des pensées adverses. Car une pensée adverse et injuste ne peut s’éteindre que si la honte la fait disparaître : c’est un profond abîme que la honte éprouvée pour le mal qu’on a commis, puisqu’elle sépare, comme par un mur, le péché de l’homme. Disons donc : « Qu’ils soient honteux » et changent entièrement, tous mes adversaires. Les adversaires, ce sont visiblement « les gens de la maison » qui sortent de notre cœur et souillent l’homme. Quand ils se seront rapidement détournés sous l’effet de la honte, nous attend l’espérance de la gloire qui n’aboutit pas à la honte par grâce du Seigneur, à qui appartient la gloire pour l’éternité. Amen.
LE LIEU DU CŒUR – P. MICHEL GITTON
22 juin, 2015http://www.revue-resurrection.org/Le-lieu-du-coeur
LE LIEU DU CŒUR
P. MICHEL GITTON
L’homme intérieur, que le Seigneur appelle le « cœur », lorsqu’il aura enlevé les taches de rouille qui altéraient et détérioraient sa beauté, retrouvera la ressemblance de son modèle et il sera bon. (Grégoire de Nysse)
Au grand dam de ceux qui voudraient séparer par principe le plan naturel et le plan surnaturel, il faut dire et redire que l’homme ne se comprend pleinement que sous l’éclairage de la grâce. Il faudrait ajouter que l’expérience de la confession en dit plus sur la nature profonde de l’être humain que bien des analyses des sciences dites humaines. Ce n’est qu’au regard de Dieu, dans le dynamisme retrouvé d’une relation avec lui, que le su¬jet humain déploie les dimensions proprement personnelles de son être.
Pour étayer cette thèse, nous partirons de deux expériences caractéristiques des limites de notre liberté spirituelle, qui sont le poids des inhibitions dans l’agir moral et l’existence des distractions dans la vie d’oraison. Dans les deux cas, on constate que la liberté de l’homme, dans sa relation à Dieu, est entravée par quelque chose qui est de lui et qui pourtant n’est pas lui, qui n’est pas directement le péché, même si le péché a quelque chose à voir avec l’existence et le maintien de ces entraves.
L’expérience la plus courante de l’homme pécheur est celle de l’impuissance à vouloir : « Le bien que je veux, je ne le fais pas et le mal que je ne veux pas, je le fais. » (Romains 7,19) Et l’on connaît l’analyse décisive de saint Augustin sur cette liberté qui n’arrive pas à vouloir :
D’où vient ce prodige ? Quelle en est la cause ? L’âme donne des ordres au corps, et elle est obéie sur le champ. L’âme se donne à elle-même des ordres, et elle se heurte à des résistances. L’âme donne l’ordre à la main de se mouvoir, et c’est une opération si facile qu’à peine distingue-t-on l’ordre de son exécution. Et cependant, l’âme est âme et la main est corps. L’âme donne à l’âme l’ordre de vouloir ; l’une ne se distingue point de l’autre, et pourtant elle n’agit pas. D’où vient ce prodige ? Quelle en est la cause ? Elle lui donne l’ordre, dis-je, de vouloir ; elle ne le donnerait pas si elle ne voulait pas, et ce qu’elle ordonne ne se fait pas.
C’est qu’elle ne veut pas d’un vouloir total, et ainsi elle ne commande pas totalement. Elle ne commande que pour autant qu’elle veut, et, pour autant qu’elle ne veut pas, ses ordres ne reçoivent point l’exécution, car c’est la volonté qui donne l’ordre d’être à une volonté qui n’est rien d’autre qu’elle-même. C’est pourquoi elle ne commande pas pleinement, et de là vient que ses ordres sont sans effet. Car si elle était dans sa plénitude, elle ne se commanderait pas d’être, elle serait déjà. Ce n’est donc pas un prodige de vouloir partiellement et, partiellement, de ne pas vouloir : c’est une maladie de l’âme. [1]
À l’origine de cette entrave au vouloir, on ne trouve pas directement le péché, ni même la concupiscence, mais, plus simplement, ce que nous appellerons des habitus, des attitudes stables qui ne ressortissent pas directement à la volonté mais conditionnent les choix : dispositions héréditaires, traits de caractère, structures affectives issues de la petite enfance, effets de l’éducation, habitudes proprement dites engendrées par la répétition d’un même acte, pression du monde ambiant. L’homme qui s’excuse du mal commis en disant : « Je suis comme cela » n’a pas totalement tort et les sciences actuelles lui fournissent ample confirmation en lui révélant l’archéologie de son état.
Ces habitus ne sont pas tous mauvais, mais ont tous en commun le fait de n’être que très partiellement voulus, ou, quand ils résultent d’un choix, de ne plus l’être au moment où se présente la décision morale. Ils sont subis mais ne sont pas toujours également contraignants. Ils entraînent pourtant peu à peu la complicité de la volonté qui, plutôt que de « vouloir vouloir », préfère s’habituer pour mille raisons (paresse, vanité blessée, découragement devant l’effort mille fois repris et toujours infructueux) à consentir et à se laisser par là même engluer. [2] Chaque fois que l’effort a cessé et que la volonté s’est laissé réduire à l’automatisme des habitus, l’homme a perdu quelque chose de son humanité. On pourrait comparer cette évolution au vieillissement d’une plante dont la tige devient peu à peu ligneuse, et qui, perdant de sa souplesse, laisse circuler de plus en plus difficilement la sève. En réalité, le passage du mal subi au mal commis est toujours imperceptible et tout l’art du démon consiste à faire passer le second comme l’inévitable conséquence du premier, d’où la difficulté de définir le péché « originé » qui est la transition presque indiscernable entre notre faiblesse, conséquence du péché d’Adam, et notre péché actuel.
Néanmoins, sur cette terre au moins, l’immobilisation de la volonté ne peut pas être totale. La volonté, si serve qu’elle soit par rapport aux habitus, subsiste au plus profond de l’homme : il y a encore un filet de sève qui passe. C’est cette volonté, parfois terriblement amoindrie, que la grâce du Christ vient rejoindre, non pas en supprimant magiquement les habitus, ce qui ne résoudrait le problème qu’en apparence, mais en permettant à la volonté de vouloir s’en dissocier. Là où le démon souffle à l’homme que c’est peine perdue, qu’il est enfermé dans son impuissance et sa culpabilité, et qu’il est bien comme cela, le Christ réapprend à cet homme la liberté, même si c’est au prix d’une rééducation douloureuse. Dosant l’effort demandé à la mesure de ses forces [3], il lui montre que la marche est possible et que toute dissociation d’avec le mal est déjà une victoire, le rétablissement de la vie dans un organisme en proie à l’ankylose et à la mort. Au lieu de se battre avec l’inéluctable existence de nos habitus, il s’agit de repérer le point de sensibilité : là où le nœud n’est pas encore complètement serré, où la corde coulisse encore… Selon les cas et les individus, le point peut varier, mais il existe toujours cette décision — qui risque de passer inaperçue (dont le démon a intérêt à ce qu’elle reste inaperçue) — d’où dépend le maintien de notre esclavage ou le début de notre liberté.
C’est le rôle irremplaçable du sacrement de pénitence que de redonner à l’homme la possibilité de vouloir et d’avancer. Loin de le culpabiliser en le confrontant à un idéal de moralité irréalisable, il lui rend sa dignité en lui offrant la possibilité concrète de se désolidariser de ses fautes et d’accepter la lutte [4], puis de voir cet écart agrandi par l’effet de la grâce sacramentelle. Il y a là-dessus une anecdote célèbre qui en dit plus long qu’un discours : c’est l’histoire du vieux marin qui, à l’heure de mourir, n’arrivait pas à regretter certaines aventures galantes vécues au temps de sa jeunesse ; il se les rappelait encore avec tellement de plaisir que son confesseur désespérait de l’amener à la contrition. Après avoir essayé de lui représenter l’horreur du péché, il dut constater que le mourant était bien d’accord avec le principe, mais n’arrivait pas à sentir du regret. « Mais, au moins, regrettez-vous de ne pas regretter ? », finit-il par lui dire. « Oui, bien sûr », lui répondit l’autre : la condition était cette fois-ci suffisante pour lui donner l’absolution et celle-ci à son tour lui permit de regretter plus complètement ses fautes passées.
Là où le péché aboutit, selon la loi de l’entropie, à l’immobilisme, la grâce restaure le mouvement et permet à la liberté d’émerger ; le moi profond qui sommeille au fond de tout homme, enfin appelé par son nom, réveillé de son sommeil de mort, peut prendre progressivement (même si ce n’est pas sans rechutes) ses distances par rapport à la pression des déterminismes. Sans les méconnaître et sans jamais s’en affranchir totalement, il fraie sa voie personnelle sous le regard de Dieu.
On constate dans la vie des saints une souplesse retrouvée et surtout une lucidité plus grande, qui les amène à identifier le mal à sa racine dans les premières complaisances avec l’Ennemi. C’est pourquoi, à les entendre, la perfection est chose si simple, il n’y a qu’à vouloir (être pauvre, renoncé, obéissant…). Tout devient moyen d’aller à Dieu, parce que tout est immédiatement polarisé par lui. Les habitus n’ont pas disparu, mais on a appris à les connaître et à ruser avec eux ; on s’épargne moins et l’on ne cherche plus à se pelotonner frileusement dans d’équivoques compromis [5].
Ce que nous disons ici du combat moral rappelle à s’y méprendre la ré¬flexion des Pères du désert et des spirituels orientaux à propos de la prière. Partis d’une position assez platonicienne, qui attribue au corps l’existence des distractions, tandis que l’âme aspirerait naturellement à s’élever vers la contemplation, ils en vinrent à privilégier de plus en plus le cœur comme le lieu d’un éveil spirituel au terme duquel l’homme parvient à la prière ininterrompue [6]. Le changement est significatif : il ne s’agit pas de quitter son corps, comme si l’âme était plus immédiatement accordée à Dieu. En réalité, le psychisme porte lui aussi les séquelles du péché ; il est lui aussi « agi » : les pensées, au lieu d’être unifiées par la volonté qui veut retourner vers Dieu, possèdent plus ou moins leur autonomie et poursuivent leur course folle selon des lois qui nous échappent. Vouloir les combattre de front est là encore un rêve et un effort qui nous détourne finalement de Dieu, comme le soulignent nos auteurs.
Pour eux, c’est bien le Christ qui apporte la liberté, et de deux façons. En s’offrant à la contemplation, il arrache l’homme à la considération de soi-même et à l’illusion d’un recueillement qui ne serait qu’une technique de concentration. Tel est sans doute le sens le plus profond de la rumination du nom de Jésus [7]. De plus, par l’infusion de l’Esprit Saint, il éveille la personnalité spirituelle profonde (ce que l’on va justement appeler le cœur). Celle-ci se situe de toute évidence très au-delà des opérations psychologiques ordinaires : tout entière ramassée dans la volonté qui aime, elle peut alors assister aux distractions sans se laisser troubler par elles [8]. Elle transcende même, à la limite, l’alternance de la veille et du sommeil. On retrouverait chez les mystiques occidentaux des phénomènes comparables de sur-conscience, la « fine pointe » de l’âme dépassant l’émiettement des sensations fugitives, dans un regard simple sur le Christ ou la Trinité.
Avec ces cas limite, il nous faut peut-être comprendre que la vie spirituelle est fondamentalement passage du déterminisme à la liberté. L’homme, esclave du monde des choses dont il était censé être le maître, immergé dans le présent et le visible, se découvre, même au sein de la relation avec Dieu, dominé par le monde dont il a pris l’empreinte. En se risquant dans l’oraison, en acceptant de perdre pied, et de sortir d’un déroulement prévisible et maîtrisable, il introduit une première brèche par où va s’engouffrer la grâce. Découvrant l’humanité du Christ dans la pédagogie de ses manifestations, il est arraché à lui-même et perçoit une altérité à la fois toute proche — et donc perceptible pour lui — et riche de la richesse même de Dieu. À mesure qu’il avance dans cette contemplation, sa liberté se fortifie et l’homme devient capable de vouloir aimer, c’est-à-dire d’animer d’une intention le mouvement de sa prière, comme pour ces oraisons fréquentes et ardentes dont saint Augustin nous dit qu’elles sont comme autant de flèches lancées vers le ciel [9]. La prière ne se laisse plus arrêter par rien ; tout lui de¬vient prétexte et combustible : la fatigue, la distraction, l’ennui même, sont avoués et deviennent occasion de rebondissement. Même en l’absence de toute consolation sensible, l’orant fait appel à l’intelligence pour lui narrer les beautés du Christ. Si l’imagination défaille, il recourt au souvenir. Si l’es¬prit est décidément embrumé, il se servira de formules ou de prières vocales, mais jetées comme des cris de supplication vers celui qu’on aime. C’est ainsi que la prière échappe au psychologisme et devient effectivement le fil conducteur d’une vie.
Il faudrait, pour conclure, noter combien ces réflexions qui ne parlent que d’anthropologie impliquent une christologie, ou plus exactement en dérivent. Il est difficile de parler du cœur de l’homme sans avoir contemplé le Cœur du Christ. En l’occurrence, le modèle christologique englobe et dépasse le cas de l’homme pécheur. En Jésus, la personne divine saisit une nature humaine et la fait sienne. Par là, il montre la distance qui existe entre le dispositif créé (la nature) et l’usage qui en est fait (qui est du ressort de la personne). On pourrait dire que, avec le même équipement que nous, il réalise des performances supérieures, comme un musicien de génie qui tirerait d’un instrument ordinaire une mélodie sublime. Tout est dans la manière, c’est-à-dire dans le style personnel avec lequel sont utilisées les composantes de la nature humaine. Le Christ nous manifeste tout ce que l’Amour filial peut tirer de ce complexe de chair et d’intériorité qu’est l’homme. La distance proprement christique entre la personne et la nature fonde ainsi la possibilité d’un écart entre la liberté et les habitus de nature [10]. Et cela se vérifie d’abord dans l’humanité même du Christ. Son cœur d’homme, sous la mouvance de la personne divine du Verbe, expérimente l’essor d’une liberté personnelle au sein des déterminismes qu’il a accepté de partager avec nous sans jamais s’y réduire. Son vouloir, plus délié que le nôtre parce que plus parfaitement filial, a pu échapper à la sclérose qui limite notre possibilité d’autodétermination. C’est pourquoi le Christ manifeste des attitudes si nettement contrastées et une richesse psychologique qui ne se laisse réduire à aucun schéma a priori ou automatisme. Sa prière est immédiate¬ment dialogue, elle se situe d’emblée dans une relation acceptée et recherchée.
L’adoration du Cœur du Christ et de sa mystérieuse liberté est peut-être la clef de notre avancée dans la vie spirituelle et morale. Là où notre effort se relâche sans cesse et où notre liberté s’enlise peu ou prou, elle peut réchauffer notre élan, remettre en nous le désir et la force de ce combat ininterrompu dont se paye notre libération.
P. Michel Gitton, Membre de la communauté apostolique Aïn Karem, directeur-gérant de Résurrection, prêtre du diocèse de Paris.
COMMENTAIRES DE MARIE-NOËLLE THABUT, 21 JUIN 2015 – LIVRE DE JOB 38, 1. 8 – 11
19 juin, 2015COMMENTAIRES DE MARIE-NOËLLE THABUT, 21 JUIN 2015
PREMIERE LECTURE – LIVRE DE JOB 38, 1. 8 – 11
1 Le SEIGNEUR s’adressa à Job du milieu de la tempête et dit :
8 « Qui donc a retenu la mer avec des portes,
quand elle jaillit du sein primordial ;
9 quand je lui mis pour vêtement la nuée,
en guise de langes le nuage sombre ;
10 quand je lui imposai ma limite,
et que je disposai verrous et portes ?
11 Et je dis : Tu viendras jusqu’ici !
Tu n’iras pas plus loin,
ici s’arrêtera l’orgueil de tes flots ! »
LA CREATION TOUT ENTIERE EST DANS LA MAIN DE DIEU
Voilà un texte qui nous dit comment nos ancêtres imaginaient Dieu en train de créer le monde ! Il se trouve face à des masses d’eau mugissantes : d’un geste de la main, il les arrête « Tu viendras jusqu’ici ! Tu n’iras pas plus loin, ici s’arrêtera l’orgueil de tes flots ! » Et, pour les contenir, il installe des portes avec des verrous ; enfin, il saisit une écharpe de nuages qui traînait dans le ciel et il en fait un lange pour la mer enfin calmée, devenue un nourrisson tout faible entre ses mains.
Dans une civilisation qui a gardé la mémoire d’un déluge meurtrier, mais qui connaît aussi la sécheresse et la soif, la maîtrise de Dieu sur les eaux est la meilleure manière de dire sa Toute-Puissance. Et si le livre de Job dit que Dieu parle « du milieu de la tempête », c’est également une manière de dire qu’il est bien le seul être au monde à maîtriser la tempête au point de s’en servir comme d’un porte-voix !
A elle toute seule, cette mise en scène est déjà une réponse aux problèmes de Job ; car, on le sait bien, il y a dans nos vies des tempêtes de toute sorte, et celles qui se déroulent dans notre tête sont autrement plus graves que celles des océans. Or Job est en pleine tempête intérieure, justement.
Vous savez bien que le livre de Job ne prétend pas raconter une histoire vraie, il est classé parmi les livres de Sagesse : c’est donc une réflexion qui nous est proposée sur les grands problèmes de l’humanité. Le problème dont il s’agit ici, c’est celui qui nous secoue tous, un jour ou l’autre, le plus terrible de nos vies : ce qu’on appelle couramment le problème du mal : affrontés à la maladie, la souffrance, la mort, l’échec de nos rêves et de nos projets, spontanément, nous demandons des comptes à Dieu, parce que, d’une manière ou d’une autre, nous pensons qu’il est le grand responsable de nos malheurs.
C’est toute l’histoire du livre de Job. Il ressemble à un conte : il pourrait commencer par « il était une fois » : il était une fois un homme qui s’appelait Job ; il avait commencé sa vie dans le bonheur, la richesse, la réussite ; mais soudain, tous les malheurs s’abattent sur lui : la mort tragique de tous ses enfants, la misère la plus noire, la maladie, la déchéance physique…
Pourtant, jusque-là, il était un homme juste, fidèle au Seigneur, et donc, comme il se doit, tout allait bien pour lui. Mais alors, que s’est-il passé ? Désormais, se pose la question : pourquoi cette souffrance ? Pourquoi le sort s’acharne-t-il sur moi, qui suis un innocent ? Si j’avais des choses à me reprocher, je m’estimerais puni et ce serait justice, mais j’ai beau chercher, je n’ai rien à me reprocher… Ces questions, Job les pose directement à Dieu, il les pose et repose sans cesse.
Et le passage que nous venons d’entendre est le début de la réponse de Dieu ; ce n’est pas une explication de tout ce qui vient d’arriver à Job, ce n’est pas non plus un reproche pour avoir osé poser des questions à Dieu, non, c’est une réponse, mais inattendue, c’est le moins qu’on puisse dire.
Cette réponse se présente sous la forme d’un long discours de Dieu :
la première phrase dit « Qui est celui qui dénigre la providence par des discours insensés ? » (littéralement : « Qui obscurcit le plan de Dieu par des propos dénués de sagesse ? »).
La suite est une véritable hymne à la Création.
Il faudrait la relire en entier, je vous lis seulement l’introduction (c’est Dieu qui parle) : « Où est-ce que tu étais quand je fondai la terre ? Dis-le-moi puisque tu es si savant. Qui en fixa les mesures, le saurais-tu ? Ou qui tendit sur elle le cordeau ? En quoi s’immergent ses piliers, et qui donc posa sa pierre d’angle, tandis que les étoiles du matin chantaient en choeur et tous les Fils de Dieu crièrent hourra ? »
Et Dieu, doucement, tranquillement, mais fermement, remet, comme on dit, Job à sa place sur le thème : tu n’as pas créé le monde, tu n’as pas maîtrisé la mer (c’est notre texte d’aujourd’hui), tu ne maîtrises pas davantage la lumière, ni la neige, ni la grêle, ni aucun des phénomènes naturels, ni la marche des étoiles ; tu n’es pas non plus le maître des animaux, que sais-tu de leur nourriture, et de leur reproduction ?
NOTRE VIE EGALEMENT EST DANS LA MAIN DE DIEU
Devant cette avalanche d’évocations de tout ce qui nous échappe, Job ne trouve plus rien à dire : « Je ne fais pas le poids… Je mets la main sur ma bouche. » (Jb 40, 4).
Il reprend même la phrase du début, (cette fois, c’est Job qui parle) :
« Qui est celui qui dénigre la providence sans y rien connaître ? Eh oui ! J’ai abordé, sans le savoir, des mystères qui me confondent. » (Jb 42, 3). Ce qui prouve qu’il a bien entendu la leçon.
Cette prise de conscience de Job ne résout pas son problème, me direz-vous ; il est tout aussi malade, ses enfants sont bel et bien morts, il est le pestiféré sur son tas de fumier… et on peut se demander si il est d’humeur à s’émerveiller devant les beautés du monde ? Quand on a les yeux pleins de larmes, on ne voit plus rien…
Alors que signifie cette hymne à la grandeur de Dieu ? On croirait presque que Dieu se vante… C’est le moment de nous rappeler ce que dit Saint Paul : « Tout ce qui a été écrit jadis (sous-entendu dans la Bible) l’a été pour notre instruction, afin que, par la persévérance apportée par les Ecritures, nous possédions l’espérance. » (Rm 15, 4) ; Dieu ne se vante pas de son pouvoir, Dieu n’a pas besoin de notre admiration ; quand nous nous émerveillons devant sa Création, c’est à nous que cela fait du bien !
Si Dieu rappelle à Job son pouvoir, c’est pour le rassurer… Bien plus que d’exalter la grandeur du Tout-Puissant, il s’agit d’inciter la créature impuissante à la confiance. Puisque Dieu maîtrise la mer et les flots, puisqu’il leur impose sa loi, c’est qu’il en est le maître. Ce que l’auteur du livre de Job veut nous faire entendre ici, c’est : Confiance, vous êtes impuissants, peut-être, mais vous êtes dans la main de Dieu ; quelles que soient les tempêtes de votre existence, il ne les laissera pas vous submerger.
HOMÉLIE DU 12ÈME DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE
19 juin, 2015http://preparonsdimanche.puiseralasource.org/
HOMÉLIE DU 12ÈME DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE
21/06/2015
L’AUTRE RIVE
Pour comprendre ces textes d’aujourd’hui, il faut savoir que dans le monde de la Bible, la mer c’est le repère des forces du mal. Dans la première lecture, nous voyons Job qui est très douloureusement éprouvé par ce mal. Dieu lui répond en affirmant sa puissance sur la mer, et, à travers elle, sur tout ce qui détruit l’homme. Si nous lisons la suite de ce récit, nous découvrons que Job va retrouver une situation encore plus belle que celle qu’il avait au début. Comme Job, les hommes peuvent crier leur souffrance vers Dieu. La bonne nouvelle c’est qu’il ne nous laisse pas désespérés. Il vient vers nous.
Dans la seconde lecture, saint Paul nous invite à faire un pas de plus. En venant dans le monde, le Christ a pris sur lui toutes nos souffrances et nos péchés. Toute la vie de Paul a été transformée par la découverte de ce Jésus qui est mort pour tous les hommes en portant sur lui le poids du mal. Notre situation s’en trouve totalement modifiée. Si Jésus est mort pour nous, nous n’avons pas le droit de vivre enfermés dans note égoïsme. Nous devons accueillir la vie nouvelle qu’il nous a obtenue par sa Passion et sa mort. C’est une vie essentiellement caractérisée par un immense amour.
Dans l’Évangile, nous voyons Jésus qui invite ses disciples à passer vers « l’autre rive ». Nous devons comprendre ici que cette « autre rive » ce n’est pas seulement l’autre côté de la mer. C’est d’abord celle du monde païen. Jésus veut le rejoindre là où il en est pour le libérer des puissances du mal et lui annoncer la bonne nouvelle de l’Evangile. C’est une manière de dire qu’il n’est pas venu pour le seul peuple d’Israël mais aussi pour tous les hommes du monde entier. Il veut que tous aient la vie en abondance.
En lisant cet Évangile, nous pensons aux nombreux prêtres, religieux, religieuses et laïcs qui ont répondu à cet appel du Christ. Ils ont quitté leur famille, leurs amis, leur pays pour aller vers l’inconnu. Ils ont traversé les océans pour annoncer Jésus à des peuples qui ne le connaissaient pas. Et actuellement, nous voyons des prêtres Africains, Indiens ou autres qui ont également quitté leur pays pour venir nous évangéliser. La bonne nouvelle doit être annoncée à tous. Elle est en priorité pour les pauvres, les exclus, les malades, les prisonniers. Dieu les aime tous tels qu’ils sont, et il veut leur salut.
Quitter son pays pour rejoindre « l’autre rive » cela suppose une grande confiance. L’Évangile nous parle de la tempête et de la peur panique des disciples. En calmant cette tempête, le Christ affirme sa victoire sur les forces du mal. Il faut savoir que saint Marc écrit son Évangile bien après la résurrection du Christ (vers les années 60 – 70). Il s’adresse à des chrétiens persécutés et désemparés par cette tempête qui les accable. L’Église est un peu comme la barque de Pierre qui est en train de sombrer. Alors, ils appellent au secours : « Sauve-nous ! Nous périssons. » C’est aussi la prière de nombreux chrétiens d’aujourd’hui qui subissent la violence et la persécution. Mais Jésus est là et avec lui, les puissances du mal n’ont pas le dernier mot.
Si nous voulons rester fidèles à l’Évangile, nous serons exposés aux difficultés de notre temps : nous aurons à lutter contre le racisme, à prendre la défense des opprimés, à faire preuve de solidarité avec les plus pauvres. En affrontant le mal, les chrétiens peuvent se mettre en danger ou être tournés en dérision. Mais ils se rappellent qu’avec Jésus, il n’y a rien à craindre car il a vaincu toutes les formes de tempêtes. Avec lui, nous pouvons affronter les mêmes combats contre le mal et maîtriser toutes les tempêtes, celles de l’égoïsme, de la haine, de l’injustice et de la violence. Avec lui, nous avons la ferme assurance que c’est l’amour qui triomphera.
En ce jour, nous pouvons faire nôtre cette prière du chanteur Raymond Fau :
Tu es là au cœur de nos vies
Et c’est toi qui nous fais vivre
Tu es là au cœur de nos vies
Bien vivant, ô Jésus-Christ.
Sources : Revues Signes et Feu Nouveau, Guide Emmaüs des dimanches et fêtes (JP Bagot), Ta Parole est ma joie (J. Proux), Lectures bibliques des dimanches (A. Vanhoye, site des ADAP, Sous le figuier avec Nathanaël
Jean Compazieu, prêtre de l’Aveyron ( 21/06/2015)
Notre Père
18 juin, 2015JACOB : « JE NE TE LAISSERAI POINT ALLER, QUE TU NE M’AIS BÉNI. »
18 juin, 2015JACOB : « JE NE TE LAISSERAI POINT ALLER, QUE TU NE M’AIS BÉNI. »
ÉCRIT PAR PÈRE CHAROBIME YACOUB
Ma mère était stérile, et mon père Isaac pria pour elle. Alors le Seigneur l’exauça et le Seigneur dit à ma mère : Deux nations sont dans ton ventre, et deux peuples se sépareront à sortir de tes entrailles… (Genèse 25 :23)
Ma mère donna naissance à deux jumeaux. Le premier sortit entièrement roux, comme un manteau de poils, et son nom fut Esaü. Ensuite, je sortis, moi, et ma main tenait le talon d’Esaü. Alors, on m’appela Jacob, c’est-à-dire qui suit. Et l’inspiration divine dit de nous : Ces enfants grandirent. Esaü devint un habile chasseur, un homme des champs ; mais Jacob fut un homme tranquille, qui restait sous les tentes. Isaac aimait Esaü, parce qu’il mangeait du gibier ; et Rebecca aimait Jacob. (Genèse 25 :27)
Le Seigneur ne veut pas dire que j’étais parfait, car il a été dit de l’Homme : je suis né dans l’iniquité, et ma mère m’a conçu dans le péché. La perfection là est relative, par comparaison aux habitants méchants du lieu.
Malheureusement, je ne continuai pas à vivre cette vie de perfection, mais je m’éloignai de Dieu pour plusieurs années. Mais le Seigneur s’attendrit envers moi et accepta mon repentir, et Il changea mon nom de Jacob à Israël : le prince de Dieu. Mais comment cela se passa-t-il ?
Je pensais beaucoup : Pourquoi le droit d’aînesse n’était-il pas à moi ? Et je pensais : Pourquoi la succession des pères devait-elle être : Adam… Hénoc… Noé… Sem… Abraham… Isaac… Esaü ?
Pourquoi ne peut-elle pas être comme suit : Adam… Hénoc… Noé… Sem… Abraham… Isaac… Jacob ?
C’est-à-dire moi, Jacob, au lieu de mon frère Esaü.
Je remarquai que mon frère ne donnait pas d’importance à la prière et aux sacrifices. Il s’intéressait seulement aux repas délicieuses, aux habits luxueux et à la gloire au milieu de ses hommes.
Un jour, je cuisis un potage de lentilles, au goût et à l’odeur magnifiques. Soudain, Esaü vint du champ, tout fatigué, sans gibier et me dit tout de suite : Laisse-moi, je te prie, manger de ce roux, de ce roux-là, car je suis fatigué. Je lui dis alors : Vends-moi aujourd’hui ton droit d’aînesse. Il me dit : Voici, je m’en vais mourir ; à quoi me sert ce droit d’aînesse ? Et il me le jura. Et, je lui donnai du pain et du potage de lentilles, et il s’en alla, méprisant le droit d’aînesse dont je fus très joyeux. Ma conscience me faisait sentir des remords parfois : Où est l’amour ? Achètes-tu le droit d’aînesse avec un plat de lentilles ?
Mon père sut l’affaire et fut triste. Quant à ma mère, elle la soutint, car Esaü s’était marié à des femmes méchantes qui causèrent de l’amertume à Isaac et Rebecca, mes parents.
Après le droit d’aînesse, je commençai à penser à prendre la bénédiction. Mon père insistait à la donner à Esaü. Quant à ma mère, elle trouvait qu’elle était à moi car j’avais acheté le droit d’aînesse avec un plat de lentilles, et la bénédiction est à celui qui a le droit d’aînesse.
Mon père vieillit, et demanda à Esaü de lui chasser du gibier, et de lui faire un mets pour qu’il le bénisse avant qu’il meurt. (Genèse 27 :1) Ma mère entendit cela et me demanda – sachant le désir de mon coeur de prendre la bénédiction – de lui apporter deux chevreaux pour qu’elle en fasse pour mon père un mets pour qu’il me bénisse. Et elle m’habilla des vêtements luxueux d’Esaü, et elle mit sur mes mains et sur mon cou de la peau des chevreaux, car Esaü était poilu alors que j’étais lisse.
Je mentis à mon père, prétendant être Esaü, son aîné. Il me toucha alors et dit : La voix est la voix de Jacob, mais les mains sont les mains d’Esaü, et il ne me reconnut pas. Alors, il me bénit et dit : Que Dieu te donne de la rosée du ciel et de la graisse de la terre. (Genèse 27 :28)
Je fus heureux de la bénédiction. Ensuite, Esaü revint avec son gibier, et mon père fut saisi d’une violente émotion et lui dit : Ton frère est venu avec ruse, et a enlevé ta bénédiction… Esaü dit alors : N’as-tu point réservé de bénédiction pour moi ?… Bénis-moi aussi, mon père ! Et il éleva la voix, et pleura. Mon père lui dit alors : Ta demeure sera privée de la graisse de la terre et de la rosée du ciel, d’en haut,… Mais en errant librement cà et là, tu briseras son joug de dessus ton cou.
Esaü pensa à me tuer. Je m’enfuis alors chez mon oncle Laban, au nord d’Irac. En route, je vis une vision où il y avait une échelle sur laquelle les anges montaient et descendaient, et le Seigneur se tenait au dessus d’elle. Et le Seigneur me dit :… Voici, je suis avec toi, je te garderai (Genèse 28 :15) Cette vision était un appel au repentir.
Je voulus épouser Rachel, la fille de Laban mon oncle. Mais, il me trompa et me maria à sa fille aînée, Léa. Ensuite, j’épousai Rachel, Bilha et Zilpa et je récoltai ce que j’avais semé. J’eus 12 fils et une fille, Dina… Je gardai les troupeaux de Laban qui ne me fit pas justice et changea mon salaire dix fois. D’un truc du monde, je donnai les berbis chétives à Laban et je pris celles qui sont vigoureuses pour moi. Je m’enrichis beaucoup, et, enfin, je m’enfuis avec ma famille. Et, si Dieu n’était pas intervenu, Laban m’aurait fait du mal.
Je retournai à Canaan après presque 20 ans d’être étranger. J’envoyai des messagers à mon frère, Esaü, qui s’avança à ma rencontre avec 400 hommes.
A un lieu que je n’oublie point, qui s’appelle le gué de Jabbok, je demeurai seul après que toute ma famille eut passé le gué. Je sentis de la tristesse à cause de mon amour du monde et de ma dépendance de la sagesse humaine, loin de Dieu.
Soudain, je trouvai quelqu’un dont je ne pus connaître l’identité, qui luttait avec moi une lutte terrible, pendant toute cette nuit, jusqu’à ce que je perdis ma force complètement, et il me frappa à l’emboîture de la hanche sur la sciatique. Je le tins complètement, et j’entendis sa voix pour la première fois qui me dit : Laisse-moi aller, car l’aurore se lève. Là, je fus sûr que c’était le Seigneur. Je pleurai alors, me repentissant et disant : Je ne te laisserai point aller, que tu ne m’aies béni.
Il me dit : Quel est ton nom ? Je dis : Jacob. Il me dit alors : Ton nom ne sera plus Jacob, mais tu seras appelé Israël ; car tu as lutté avec Dieu et avec des hommes, et tu as été vainqueur. Je l’interrogeai alors à propos de son nom. Il dit : Pourquoi demandes-tu mon nom ? Et Il me bénit là. J’appelai le lieu du nom de Peniel, car j’ai vu Dieu face à face, et mon âme a été sauvée, et le soleil se leva pour moi, et je partis sur la route lumineuse du repentir.
LA PRIÈRE DU SEIGNEUR (1) (NOTRE PÈRE)
18 juin, 2015http://www.jardinierdedieu.com/article-la-priere-du-seigneur-1-107226908.html
LA PRIÈRE DU SEIGNEUR (1) (NOTRE PÈRE)
PUBLIÉ LE 24 AVRIL 2010 PAR JARDINIER DE DIEU
NOTRE PRIÈRE EST PUBLIQUE ET COMMUNAUTAIRE.
Avant tout, le Christ, Docteur de la paix et Maître de l’unité, n’a pas voulu que la prière soit individuelle et privée, comme si l’on ne priait que pour soi. Nous ne disons pas: « Mon Père, qui es aux cieux », ni : « Donne-moi aujourd’hui mon pain de ce jour». Chacun ne demande pas pour lui seul, que sa dette lui soit remise, qu’il ne soit pas soumis à la tentation et qu’il soit délivré du Mal. Notre prière est publique et communautaire, et quand nous prions, ce n’est pas pour un seul, mais pour tout le peuple, car nous, le peuple entier, nous ne faisons qu’un. Le Dieu de la paix et le Maître de la concorde, qui nous a enseigné l’unité, a voulu qu’un seul prie pour tous comme lui-même a porté tous les hommes en lui seul. Les trois jeunes Hébreux, jetés à la fournaise, ont observé cette loi de la prière. Lorsqu’ils priaient, leurs voix n’en faisaient qu’une, leurs esprits étaient accordés, ils n’avaient qu’un seul coeur. Nous pouvons croire ce que déclare l’Écriture en nous enseignant, comment ils priaient, elle donne un exemple que nous pouvons imiter dans nos prières, pour que nous puissions être exaucés comme eux: Alors, dit-elle, tous trois, d’une seule voix, chantaient un hymne et bénissaient Dieu. Ils priaient d’une seule voix, et pourtant le Christ ne leur avait pas encore enseigné à prier. Leur prière méritait d’être exaucée, elle fut efficace parce que la faveur du Seigneur était acquise à une prière pacifique, humble et spirituelle.
Nous voyons les Apôtres prier ainsi avec les disciples, après l’ascension du Seigneur: D’un seul coeur, ils participaient fidèlement à la prière, avec quelques femmes et Marie, la mère de Jésus, et avec ses frères. D’un seul coeur, ils participaient fidèlement à la prière : l’assiduité en même temps que la concorde de leur prière montrait que Dieu, qui fait habiter dans sa maison ceux qui ont un seul coeur, n’admet dans sa demeure éternelle que ceux qui prient d’un seul coeur.
Comme les mystères de la prière du Seigneur, frères bien-aimes, sont nombreux et profonds! Ils sont contenus dans de brèves paroles, mais avec quelle richesse de vertu spirituelle. Absolument rien n’est omis, parmi tout ce que nous pouvons demander dans la prière; dans ce condensé de l’enseignement divin : Priez ainsi, dit le Seigneur: Notre Père qui es aux cieux.
L’homme nouveau, régénéré et rendu à son Dieu par la grâce divine, commence par dire Père, parce que désormais il est devenu fils. Le Verbe, dit saint Jean, est venu chez les siens, et les siens ne l’ont pas reçu. Mais à tous ceux qui l’ont reçu, et qui croient en son nom, il leur a donné le pouvoir de devenir fils de Dieu. Celui qui a cru en son nom et qui est devenu fils de Dieu doit donc commencer à rendre grâce et à professer qu’il est fils de Dieu, en appelant son Père le Dieu qui est aux cieux.
Commentaire de Saint Cyprien sur la prière du Seigneur,La liturgie des heures, 1980, aelf, paris, p.p. 172-173