»DIEU N’A PAS FAIT LA MORT » (SG 1-2)

http://www.bible-service.net/extranet/current/pages/212.html

 »DIEU N’A PAS FAIT LA MORT » (SG 1-2)

Sagesse 1-2 fait entendre l’opposition de deux discours sur l’existence, de deux philosophies de la justice. Le discriminant, c’est la position par rapport à la mort.  La Sagesse de Salomon est un livre tardif : on le date généralement de la fin du 1er siècle avant l’ère chrétienne. Attribué fictivement à Salomon, il est écrit par un Juif d’Alexandrie, ville d’Égypte où se vivait un dialogue permanent avec la culture grecque. Sagesse 1-2 font entendre, d’entrée de jeu, l’opposition de deux discours sur l’existence, de deux philosophies de la justice. Le discriminant de ces deux discours, c’est la position que l’on prend par rapport à la mort. La thèse du livre de la Sagesse est la suivante :  »Dieu n’a pas fait la mort, il ne prend pas plaisir à la perte des vivants. Car il a créé tous les êtres pour qu’ils subsistent et, dans le monde, les générations sont salutaires ; en elles il n’y a pas de poison funeste et la domination de l’Hadès ne s’exerce pas sur la terre. Car la justice est immortelle. » (1,13-15)

Le plaisir de Dieu La première phrase pose l’affirmation de base, qui se déploie ensuite en quatre temps. Tout d’abord, la mort ne relève pas du vouloir de Dieu. Ce premier déploiement de l’affirmation initiale est appuyé par la mise en évidence de l’intention divine : la finalité de l’acte de création est de poser toute réalité dans l’être, non de la destiner au néant. Ensuite, la mort n’est pas une fatalité inscrite dans les phénomènes de la génération, ni une nécessité originaire (un  »poison ») inscrite dans l’évolution des êtres. Les biologistes nous ont appris le lien qu’il y a entre la génération (sexuée) et la mort : ici, la génération est posée comme  »salutaire », c’est-à-dire comme possibilité d’être libérée de ce lien. De plus, la corruptibilité évidente de la vie n’est pas perçue comme provenant d’une cause initiale, inscrite originellement dans l’existence. Enfin, la mort n’a pas le pouvoir sur la terre. Ces trois déploiements de l’affirmation initiale sont appuyés par une dernière assertion : la justice est immortelle. En d’autres termes, nous sommes invités à comprendre la quête de la justice comme la racine du combat et de la victoire possible contre la fatalité de la mort. C’est précisément en contraste à cette invitation que va s’affirmer, dans la suite du texte, la position des impies.

La pensée dominante Le discours des impies (2,1-20) s’articule en trois moments, selon une logique parfaite. Le premier temps (v.1-5) pose une évidence : la vie humaine a une fin. Considérer sans faux-fuyant la mort fait de la vie quelque chose de peu d’importance, d’éphémère,  »qui se dissipe comme la brume matinale » : on reconnaît ici la  »vanité » du livre de Qohélet. Logiquement alors (v.6-9), il n’y a rien d’autre à faire que de  »profiter de la vie ».  »Jouissons des biens présents, profitons de la création » : c’est là une manière de  »prendre » la création, contre laquelle celle-ci se rebellera à la fin du chapitre 5. Enfin (v.10-20), le caractère logique – totalitaire ? – de cette philosophie s’achève dans l’élimination nécessaire de quiconque ne pense pas ainsi. La différence n’est pas tolérable :  »la vie du juste ne ressemble pas à celle des autres […] tuons-le ». L’élimination du juste ne vise pas autre chose qu’à museler toute opposition à la philosophie dominante. Cependant un doute s’infiltre en finale, la mise à mort étant posée comme une mise à l’épreuve de ses convictions :  »Voyons si ses paroles sont vraies… »

La mort n’est pas une fin Le chapitre 2 s’achève par un nouveau déploiement de la thèse qui ne répond pas au discours des impies mais progresse à partir de lui. Les impies considéraient la mort comme un événement totalitaire (une fin) dans l’expérience humaine ? Celle-ci peut échapper à l’emprise de la dégradation car l’homme est créé pour l’incorruptibilité ! Comment s’affranchir de la mort-dégradation ? Cela n’est pas encore dit. Enfin, il est avancé que la mort (mais laquelle : la mort-événement, ou la mort-dégradation ? les deux sans doute) est entrée dans le monde par la jalousie vis-à-vis de ce que  »Dieu possède en propre », et dont l’image se trouve en l’homme depuis la création. Qu’est-ce que Dieu possède en propre ? En tout cas, si la mort étend ses ravages dans le monde, c’est bien parce que certains appartiennent à son parti, et contribuent à sa domination, en particulier les impies. Sagesse 1-2 pose bien des questions qui restent ouvertes : il faut continuer à lire… Un seul point semble acquis. Si la mort règne sur notre existence, c’est parce qu’elle trouve des partisans parmi les hommes. Où se trouve alors la racine de l’immortalité, la capacité de lutter contre la corruption ? Il faudra bien, pour avancer, repenser la justice… et la sagesse.

Jean-Marie CARRIÈRE Article paru dans Le Monde la Bible n° 145  »Tombeaux et momies d’Égypte », (Bayard-Presse, sept-oct 2002) p. 72

Laisser un commentaire