BENOÎT XVI – SOLENNITÉ DE LA FÊTE.DIEU (2007)
MESSE ET PROCESSION EUCHARISTIQUE À LA BASILIQUE DE SAINTE MARIE MAJEURE
EN LA SOLENNITÉ DE LA FÊTE.DIEU
HOMÉLIE DU PAPE BENOÎT XVI
Parvis de la Basilique Saint-Jean-de-Latran
Chers frères et sœurs!
Il y a quelques instants, nous avons chanté dans la Séquence: « Dogma datur christianis / quod in carnem transit panis / et vinum in sanguinem – C’est un dogme pour les chrétiens: / que le pain se change en son corps, / que le vin devient son sang ». Aujourd’hui, nous réaffirmons avec une grande joie notre foi dans l’Eucharistie, le Mystère qui constitue le cœur de l’Eglise. Dans la récente Exhortation post-synodale Sacramentum caritatis, j’ai rappelé que le Mystère eucharistique « est le don que Jésus Christ fait de lui-même, nous révélant l’amour infini de Dieu pour tout homme » (n. 1). C’est pourquoi la fête du Corpus Domini est une fête particulière et constitue un rendez-vous de foi et de louange pour chaque communauté chrétienne. C’est une fête qui a trouvé son origine dans un contexte historique et culturel précis: elle est née dans le but bien précis de réaffirmer ouvertement la foi du Peuple de Dieu en Jésus Christ vivant et réellement présent dans le Très Saint Sacrement de l’Eucharistie. C’est une fête instituée pour adorer, louer et rendre grâce publiquement au Seigneur, qui « continue de nous aimer « jusqu’au bout », jusqu’au don de son corps et de son sang » (Sacramentum caritatis, n. 1).
La célébration eucharistique de ce soir nous reconduit à l’atmosphère spirituelle du Jeudi Saint, le jour où le Christ, la veille de sa Passion, institua la Très Sainte Eucharistie au Cénacle. Le Corpus Domini constitue ainsi une reprise du mystère du Jeudi Saint, presque en obéissance à l’invitation de Jésus de « proclamer sur les toits » ce qu’Il nous a dit dans le creux de l’oreille (cf. Mt 10, 27). Les Apôtres reçurent le don de l’Eucharistie du Seigneur dans l’intimité de la Dernière Cène, mais il était destiné à tous, au monde entier. Voilà pourquoi il doit être proclamé et exposé ouvertement, afin que chacun puisse rencontrer « Jésus qui passe », comme cela avait lieu sur les route de Galilée, de Samarie et de Judée; afin que chacun, en le recevant, puisse être guéri et renouvelé par la force de son amour. Chers amis, tel est l’héritage perpétuel et vivant que Jésus nous a laissé dans le Sacrement de son Corps et de son Sang. Un héritage qui demande d’être constamment repensé, revécu, afin que, comme le dit le vénéré Paul VI, il puisse « imprimer son efficacité sans limites sur tous les jours de notre vie mortelle » (Audience générale du 24 mai 1967, Insegnamenti, V [1967], p. 779).
Toujours dans l’Exhortation post-synodale, en commentant l’exclamation du prêtre après la consécration: « Il est grand le mystère de la foi! », j’observais: à travers ces paroles, il « proclame le mystère qui est célébré et il manifeste son émerveillement devant la conversion substantielle du pain et du vin en corps et en sang du Seigneur Jésus, réalité qui dépasse toute compréhension humaine » (n. 6). Précisément parce qu’il s’agit d’une réalité mystérieuse qui dépasse notre compréhension, nous ne devons pas nous étonner si, aujourd’hui encore, de nombreuses personnes ont du mal à accepter la présence réelle du Christ dans l’Eucharistie. Il ne peut en être autrement. Il en fut ainsi depuis le jour où, dans la synagogue de Capharnaüm, Jésus déclara publiquement être venu pour nous donner en nourriture sa chair et son sang (cf. Jn 6, 26-58). Ce langage apparut « dur » et de nombreuses personnes se retirèrent. A l’époque, comme aujourd’hui, l’Eucharistie demeure « un signe de contradiction » et ne peut manquer de l’être, car un Dieu qui se fait chair et se sacrifie pour la vie du monde met en crise la sagesse des hommes. Mais avec une humble confiance, l’Eglise fait sienne la foi de Pierre et des autres Apôtres, et proclame avec eux, tout comme nous proclamons: « Seigneur, à qui irons-nous? Tu as les paroles de la vie éternelle » (Jn 6, 68). Renouvelons nous aussi ce soir la profession de foi dans le Christ vivant et présent dans l’Eucharistie. Oui, « c’est un dogme pour les chrétiens, / que le pain se change en son corps / que le vin devient son sang ».
A son point culminant, la Séquence, nous a fait chanter: « Ecce panis angelorum, / Factus cibus viatorum: / vere panis filiorum – Le voici, le pain des anges, / il est le pain de l’homme en route, / le vrai pain des enfants de Dieu ». Et par la grâce du Seigneur, nous sommes ses enfants. L’Eucharistie est la nourriture réservée à ceux qui, dans le Baptême, ont été libérés de l’esclavage et sont devenus ses enfants; c’est la nourriture qui les soutient sur le long chemin de l’exode à travers le désert de l’existence humaine. Comme la manne pour le peuple d’Israël, ainsi, pour chaque génération chrétienne, l’Eucharistie est la nourriture indispensable qui la soutient tandis qu’elle traverse le désert de ce monde, asséché par les systèmes idéologiques et économiques qui ne promeuvent pas la vie, mais lui portent atteinte; un monde où domine la logique du pouvoir et de l’avoir plutôt que celle du service et de l’amour; un monde où triomphe souvent la culture de la violence et de la mort. Mais Jésus vient à notre rencontre et nous confère la certitude: Lui-même est « le pain de la vie » (Jn 6, 35.48). Il nous l’a répété dans les paroles du Chant à l’Evangile: « Je suis le pain vivant, descendu du ciel. Qui mangera ce pain vivra à jamais » (Jn 6, 52).
Dans le passage évangélique que nous venons de proclamer, saint Luc, nous rapportant le miracle de la multiplication des cinq pains et des deux poissons avec lesquels Jésus nourrit la foule « dans un endroit désert », conclut en disant: « Ils mangèrent et furent tous rassasiés » (cf. Lc 9, 11b-17). Je voudrais souligner en premier lieu ce « tous ». Le désir du Seigneur est, en effet, que chaque être humain se nourrisse de l’Eucharistie, car l’Eucharistie est pour tous. Si, dans le Jeudi Saint, est souligné la relation étroite qui existe entre la Dernière Cène et le mystère de la mort de Jésus sur la croix, aujourd’hui fête du Corpus Domini, avec la procession et l’adoration commune de l’Eucharistie, l’attention est attirée sur le fait que le Christ s’est immolé pour l’humanité tout entière. Son passage entre les maisons et dans les rues de notre ville sera pour ceux qui y habitent un don de joie, de vie immortelle, de paix et d’amour.
Dans le passage évangélique, un second élément saute aux yeux: le miracle accompli par le Seigneur contient une invitation explicite à offrir à chacun sa propre contribution. Les deux poissons et les cinq pains indiquent notre contribution pauvre mais nécessaire, qu’Il transforme en don d’amour pour tous. « Le Christ, encore aujourd’hui, – ai-je écrit dans l’Exhortation post-synodale mentionnée – continue à exhorter ses disciples à s’engager personnellement » (n. 88). L’Eucharistie est donc un appel à la sainteté et au don de soi à nos frères, car « la vocation de chacun de nous consiste véritablement à être, avec Jésus, pain rompu pour la vie du monde » (ibid.).
Notre Rédempteur nous adresse cette invitation en particulier à nous, chers frères et sœurs de Rome, réunis sur cette Place historique autour de l’Eucharistie: je vous salue tous avec affection. Mon salut s’adresse avant tout au Cardinal-Vicaire et aux Evêques auxiliaires, aux autres vénérés Frères Cardinaux et Evêques, ainsi qu’aux nombreux prêtres et diacres, aux religieux et aux religieuses, et aux nombreux fidèles laïcs. Au terme de la Célébration eucharistique, nous nous rassemblerons en procession, comme pour porter idéalement le Seigneur Jésus à travers toutes les rues et les quartiers de Rome. Nous le plongerons, pour ainsi dire, dans le quotidien de notre vie, afin qu’Il marche où nous marchons, afin qu’Il vive où nous vivons. Nous savons, en effet, comme nous l’a rappelé l’Apôtre Paul dans la Lettre aux Corinthiens, que dans toute Eucharistie, également dans celle de ce soir, nous « annonçons la mort du Seigneur jusqu’à ce qu’il vienne » (cf. 1 Co 11, 26). Nous marchons sur les routes du monde en sachant qu’Il est à nos côtés, soutenus par l’espérance de pouvoir un jour le voir à visage découvert dans la rencontre définitive.
En attendant, dès à présent, nous écoutons sa voix qui répète, comme nous le lisons dans le Livre de l’Apocalypse: « Voici, je me tiens à la porte et je frappe; si quelqu’un entend ma voix et ouvre la porte, j’entrerai chez lui pour souper, moi près de lui et lui près de moi » (Ap 3, 20). La fête du Corpus Domini veut rendre perceptible, en dépit de notre surdité intérieure, le Seigneur qui frappe à notre porte. Jésus frappe à la porte de notre cœur et nous demande d’entrer non seulement l’espace d’un jour, mais pour toujours. Nous l’accueillons avec joie, en élevant vers Lui l’invocation commune de la Liturgie: « O bon Pasteur, notre vrai pain, / ô Jésus, aie pitié de nous, [...] Toi qui sais tout et peux tout / toi qui sur terre nous nourris, conduis-nous au banquet du ciel / en compagnie de tes saints ». Amen!
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