CARDINAL RAVASI : « OUVRONS-NOUS AUX NON-CROYANTS », Apr 02, 2011

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CARDINAL RAVASI : « OUVRONS-NOUS AUX NON-CROYANTS »

Apr 02, 2011

Alors que le Vatican lance à Paris le parvis des Gentils, structure de rencontre entre catholiques et non-croyants, entretien exclusif avec le président du Conseil pontifical pour la culture en charge du projet.
« Je pense que l’Église devrait aujourd’hui ouvrir une sorte de parvis des Gentils, où les hommes puissent d’une certaine manière s’accrocher à Dieu, sans le connaître et avant d’avoir trouvé l’accès à son mystère. » La confidence est de Benoît XVI, lors de ses vœux de Noël 2009. Un parvis des Gentils ? L’expression, très cryptée, n’a rien à voir avec la gentillesse. Elle fait référence à l’existence, au sein de l’antique Temple de Jérusalem, d’une zone qui était réservée aux non-juifs (les « gentils », c’est-à-dire les ressortissants des « nations », d’après le mot latin gens, signifiant nation) qui souhaitaient s’approcher du lieu le plus sacré du judaïsme. Transposée au XXIe siècle, l’idée de Benoît XVI est de créer une zone de contact entre les catholiques et les non-croyants de bonne volonté. Le parvis des Gentils est d’abord un lieu où les interlocuteurs ne devront jamais se sentir récupérés ou enrégimentés, mais plutôt stimulés. Il comble une sorte de vide entre, d’un côté, la mission d’évangélisation de l’Église catholique et, de l’autre, son dialogue avec les autres religions.
Le pape a confié la réalisation de ce projet ambitieux au cardinal Gianfranco Ravasi, président du Conseil pontifical pour la culture, qui est chargé de faire vivre cette structure pérenne du Vatican avec des manifestations régulières à travers le monde. Cet Italien de 68 ans, déjà identifié comme un sérieux papabile, a déjà organisé en novembre 2009 la rencontre de 300 artistes avec le pape sous les voûtes de la chapelle Sixtine. Il nous explique l’ampleur de ce projet, qui sera lancé officiellement à Paris les 24 et 25 mars prochain:

Quel est le principe du parvis des Gentils ?
Nous souhaitons nous confronter, en tant que chrétiens, à ceux qui ont une vision du monde cohérente mais antithétique de la nôtre, et discuter ensemble des questions fondamentales qui concernent l’humanité. Ce sont les grandes interrogations sur la vie et la mort, la vérité et le mensonge, l’amour et la douleur, le bien et le mal, etc. Notre tentative est simplement de dialoguer avec des personnes intelligentes et de bonne volonté, et qui sont les porteurs de systèmes de pensée élaborés et établis, comme la psychanalyse ou le marxisme. Je pense à la psychanalyste Julia Kristeva, par exemple. C’est pourquoi, et bien que nous ayons été poussés à le faire, nous avons décidé de ne pas dialoguer avec les représentants de l’athéisme national-populaire comme Michel Onfray, Piergiorgio Odifreddi (Italie), Christopher Hitchens (Angleterre). Nous avons choisi de nous situer à un niveau plus élevé. Il y a des athées qui s’intéressent sérieusement à la question de la transcendance, parfois bien plus que certains croyants. Je pense à une prière de Zinoviev, qui s’adresse ainsi à Dieu : « Seigneur, je te supplie d’exister. »

Quels sont les domaines privilégiés du dialogue ?
Il y a deux domaines principaux : c’est le rapport entre la foi et l’art, et celui entre la foi et la science. En ce qui concerne la foi et l’art, nous sommes face à une évidence. Si la foi chrétienne n’avait pas existé, l’art européen n’aurait pas eu cette source qui l’a irrigué en toutes sortes de domaines, de l’architecture à la musique. Et cela continue. Je pense ici à ces grands architectes contemporains qui se montrent si inspirés quand ils construisent des lieux de culte : je pense à Tadao Ando, Renzo Piano, Mario Botta, Richard Meier, Santiago Calatrava.
Entre la foi et la science, les convergences sont moins évidentes. Il y a plutôt des conflits, non ?
Je vois deux domaines où les scientifiques, même athées, se retrouvent immédiatement confrontés à la transcendance : la médecine et la bioéthique. Et même un troisième : l’économie. Sans oublier les neuro­sciences. Les chercheurs dans ce domaine sont demandeurs du discours de l’Église sur l’âme humaine… Mais les disciplines plus fondamentales sont aussi concernées. À Cambridge, le cosmologue et mathématicien John Barrow fait intervenir le concept d’un « multivers ». Son propos consiste à dire qu’il faut dépasser la voie expérimentale pour se projeter dans la transcendance. Selon lui, la raison doit postuler qu’il existe un autre monde que l’on ne peut pas atteindre par les outils de la rationalité. Quant au paléontologue américain Stephen Jay Gould, disparu en 2002, il posait le principe du No-Ma (Non Overlapping Magisteria), à savoir qu’il y a « des magistères qui ne se chevauchent pas ». Foi et science se situent comme sur deux parallèles… qui peuvent entrer en résonance.
Si la science peut démontrer le comment des choses, la philosophie et les religions sont situées du côté de leur pourquoi. La science se propulse sur le niveau des phéno­mènes expérimentaux, selon un horizon calibré, mais Gould dit que ce niveau n’est pas celui de la connaissance ultime de l’homme. Notre pari du parvis des Gentils est de tenter de montrer que les disciplines par elles-mêmes ne sont pas exhaustives, que le réel est plus complexe qu’on ne l’imagine. C’est vrai aussi pour la théologie. La convocation des autres visions est nécessaire. La tentation d’exalter une vie de foi par elle-même, sans l’intelligence et la raison, mène à une impasse.
Votre dialogue ne s’intéresse donc qu’aux élites ? Que faites-vous pour les catholiques confrontés à l’incroyance et à l’athéisme dans leur vie quotidienne ?
L’objection est de taille. Il y a une demande forte pour aller dans ce sens. Je pense notamment à ce que disent les évêques du Celam, qui représentent les Églises de l’Amérique latine, qui nous demandent une approche plus populaire et pastorale. Même si notre choix est de partir du dialogue avec la culture, nous souhaitons aussi que la question soit reprise à la base, dans les paroisses, les diocèses. Avec les jeunes, en particulier. Par exemple, dans un domaine comme la question de l’évolution des espèces, l’école explique souvent les choses de façon à ridiculiser la foi, alors que l’on peut s’y prendre autrement. Mais je suis conscient des enjeux que pose l’athéisme populiste ou le fondamentalisme scientiste. En vue du prochain congrès eucharis­tique à Ancône, en Italie, des athées veulent établir une analyse scientifique du pain et du vin après la consécration, pour prouver que l’Église ment aux gens !
Croyez-vous vraiment que, dans le très grand public, les non-croyants s’intéressent au christianisme ?
Oui. C’est mon expérience. Je continue mon émission de télévision du dimanche matin à 9 heures, car les producteurs ne m’ont pas laissé partir. J’y parle toujours de la Bible ; les indices d’audience sont en hausse et, d’après les enquêtes, 25 % du public est non croyant. Je suis optimiste pour l’avenir. Nous portons une tradition énorme sur nos épaules, un héritage qui doit être relancé à nouveaux frais et peut répondre aux attentes des gens en matière de transcendance. Celle-ci n’est pas d’abord un concept théologique, mais une aspiration commune de l’humanité. Regretter l’absence de Dieu – ce que font tant de gens qui disent ne pas croire – n’est pas exactement la même chose que de postuler son inexistence. Dieu est l’Absent. Mais l’absence est bien différente du vide. L’absence est un signe de la transcendance… Nous allons vers l’éternité. L’homme ne peut jamais rester prisonnier de ce qu’il connaît de façon immanente.

http://www.lavie.fr/hebdo/2011/3417/cardinal-ravasi-ouvrons-nous-aux-non-croyants-23-02-2011-14289_202.php

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