LE BAL DE L’OBÉISANCE – MADELEINE DELBREL

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LE BAL DE L’OBÉISANCE

MADELEINE DELBREL

Dans le livre bien connu,  » Nous autres gens des rues  » p. 69, Madeleine Delbrel écrit ce poème qui nous dit si bien comment nous sommes conduits par l’Esprit. Et quand on est au bal, il ne reste qu’à danser !

 » Nous avons joué de la flûte et vous n’avez pas dansé. « 
C’est le 14 juillet.
Tout le monde va danser.
Partout, depuis des mois, des années, le monde danse.
Plus on y meurt, plus on y danse.
Vagues de guerres, vagues de bal.

Il y a vraiment beaucoup de bruit.
Les gens sérieux sont couchés.
Les religieux récitent les matines de saint Henri, roi.
Et moi je pense à l’autre roi,
Au roi David qui dansait devant l’Arche.

Car s’il y a beaucoup de saintes gens qui n’aiment pas danser,
Il y a beaucoup de saints qui ont eu besoin de danser,
Tant ils étaient heureux de vivre
Sainte Thérèse avec ses castagnettes,
Saint jean de la Croix avec un Enfant jésus dans les bras,
Et saint François, devant le pape.
Si nous étions contents de vous, Seigneur,
Nous ne pourrions pas résister
A ce besoin de danser qui déferle sur le monde,
Et nous arriverions à deviner
Quelle danse il vous plaît de nous faire danser
En épousant les pas de votre Providence.
Car je pense que vous en avez peut-être assez
Des gens qui, toujours, parlent
De vous servir avec des airs de Capitaines,
De vous connaître avec des airs de professeurs,
De vous atteindre avec des règles de sport.
De vous aimer comme on s’aime dans un vieux ménage.

Un jour où vous aviez un peu envie d’autre chose,
Vous avez inventé saint François,
Et vous en avez fait votre jongleur.
A nous de nous laisser inventer
Pour être des gens joyeux qui dansent leur vie avec vous.

Pour être un bon danseur, avec vous comme ailleurs,
il ne faut pas savoir où cela mène.
Il faut suivre, être allègre, être léger,
Et surtout ne pas être raide.
Il ne faut pas vous demander d’explications
Sur les pas qu’il vous plait de faire.
Il faut être comme un prolongement,
Agile et vivant de vous,
Et recevoir par vous la transmission du rythme de l’orchestre.
Il ne faut pas vouloir à tout prix avancer,
Mais accepter de tourner, d’aller de côté.
Il faut savoir s’arrêter et glisser au lieu de marcher.
Et cela ne serait que des pas imbéciles
Si la musique n’en faisait une harmonie.

Mais nous oublions la musique de votre esprit,
Et nous faisons de notre vie un exercice de gymnastique;
Nous oublions que, dans vos bras, elle se danse,
Que votre Sainte Volonté
Est d’une inconcevable fantaisie,

Et qu’il n’est de monotonie et d’ennui
Que pour les vieilles âmes
Qui font tapisserie
Dans le bal joyeux de votre amour.

Seigneur, venez nous inviter.
Nous sommes prêts à vous danser cette course à faire,
Ces comptes, le dîner à préparer, cette veillée où l’on aura sommeil. Nous sommes prêts à vous danser la danse du travail,
Celle de la chaleur, plus tard celle du froid.
Si certains airs sont souvent en mineur, nous ne vous dirons pas Qu’ils sont tristes;
Si d’autres nous essoufflent un peu, nous ne vous dirons pas
Qu’ils sont époumonants.
Et si des gens nous bousculent, nous le prendrons en riant,
Sachant bien que cela arrive toujours en dansant.

Seigneur, enseignez-nous la place
Que, dans ce roman éternel amorcé entre vous et nous,
Tient le bal singulier de notre obéissance.

Révélez-nous le grand orchestre de vos desseins,
Où ce que vous permettez jette des notes étranges
Dans la sérénité de ce que vous voulez.
Apprenez-nous à revêtir chaque jour
Notre condition humaine
Comme une robe de bal, qui nous fera aimer de vous
Tous ses détails comme d’indispensables bijoux.

Faites-nous vivre notre vie,
Non comme un jeu d’échecs où tout est calculé,
Non comme un match où tout est difficile,
Non comme un théorème qui nous casse la tête,
Mais comme une fête sans fin où votre rencontre se renouvelle, Comme un bal, comme une danse,
Entre les bras de votre grâce,
Dans la musique universelle de l’amour.
Seigneur, venez nous inviter. 

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