ANTOINE BLOOM – LA PRIÈRE DE JÉSUS
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ANTOINE BLOOM
» Seigneur Jésus-Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi, pécheur » – méditer avec la prière de Jésus
LA PRIÈRE DE JÉSUS
Ceux qui ont lu les Récits d’un pèlerin russe connaissent bien cette courte prière : « Seigneur Jésus-Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi, pécheur », indéfiniment répétée.
Les Récits d’un pèlerin russe sont l’histoire d’un homme qui voulait apprendre à prier sans cesse (1 Th 5, 17). Comme l’homme dont l’expérience nous est relatée est un pèlerin, une grande partie de ses caractéristiques psychologiques ainsi que la manière dont il a appris et pratiqué la prière sont conditionnées par un certain genre de vie, ce qui ôte à cet ouvrage une partie de l’universalité qui aurait pu être la sienne ; et, pourtant, il demeure la meilleure introduction possible à cette prière qui est l’un des plus grands trésors de l’Église orthodoxe.
La prière en question est profondément enracinée dans l’esprit de l’Évangile, et ce n’est pas en vain que :es grands maîtres de l’Orthodoxie y ont toujours vu le résumé de tout l’Évangile. C’est pourquoi la Prière de Jésus ne peut être utilisée avec tout son sens que par celui qui appartient à l’Évangile, qui est membre de Église du Christ.
Tout le message, et plus encore toute la réalité de l’Évangile, sont contenus dans le nom, dans la personne de Jésus.
Si vous prenez la première moitié de la prière, vous verrez comment elle exprime notre foi au Seigneur : « Seigneur Jésus-Christ, Fils de Dieu. » Au coeur de cette formule nous trouvons le nom de Jésus ; c’est le nom devant qui tout genou doit fléchir (Is 45, 23), et quand nous le prononçons, nous attestons l’événement historique de l’incarnation. Nous affirmons que Dieu, le Verbe de Dieu, co-éternel au Père, s’est fait homme, et que la plénitude de la divinité a habité parmi nous, corporellement, en sa personne.
Pour reconnaître en cet homme de Galilée, en ce prophète d’Israël, le Verbe de Dieu fait chair, Dieu fait homme, nous devons être guidés par l’Esprit, car c’est l’Esprit de Dieu qui nous révèle à la fois l’incarnation et la seigneurie du Christ. Nous l’appelons Christ, et nous affirmons par là qu’en lui furent accomplies les prophéties de l’Ancien Testament. Affirmer que Jésus est le Christ implique que toute l’histoire de l’Ancien Testament est nôtre, que nous l’acceptons comme la vérité de Dieu. Nous l’appelons Fils de Dieu parce que nous savons que le Messie attendu par les Juifs, l’homme qui fut appelé « fils de David » par Bartimée, est le Fils de Dieu incarné. Ces mots résument tout ce que nous savons, tout ce que nous croyons au sujet de Jésus-Christ, par l’Ancien comme par le Nouveau Testament et par l’expérience de l’Église à travers les âges. En ces quelques mots, nous faisons une profession de foi complète et parfaite.
Mais il ne suffit pas de faire cette profession de foi, il ne suffit pas de croire. Les démons aussi croient, et tremblent (Je 2, 19). La foi ne suffit pas à assurer le salut, elle doit conduire à une relation vraie avec Dieu ; ainsi, après avoir professé, dans son intégrité, avec précision et clarté, notre foi en la seigneurie et en la personne, en l’historicité et en la divinité du Christ, nous nous plaçons en face de lui, dans le juste état d’esprit « Aie pitié de moi, pécheur. »
Ces mots « aie pitié » sont utilisés dans toutes les Églises chrétiennes et, dans l’Orthodoxie, ils sont la réponse du peuple à toutes les demandes suggérées par le prêtre. Notre traduction moderne « aie pitié » est courte et insuffisante. Le mot grec que nous trouvons dans l’Évangile et dans les liturgies primitives est eleison.
Eleison est de la même racine que elaion, qui signifie à la fois olivier et huile d’olive. Si nous cherchons dans l’Ancien et le Nouveau Testament les passages se rapportant à ce thème fondamental, nous le trouverons présent dans nombre de paraboles et d’événements qui nous aideront à nous faire une idée plus juste de sa signification plénière. Nous trouvons l’image de l’olivier dans la Genèse. Après le déluge, Noé désireux de savoir s’il y a quelque part une terre émergée, envoie successivement plusieurs oiseaux ; l’un d’eux, une colombe – et il est significatif que ce soit une colombe – rapporte un petit rameau d’olivier. Ce rameau d’olivier apprend à Noé et à tous ceux qui sont avec lui dans l’arche que la colère de Dieu a cessé, que Dieu offre à l’homme une deuxième chance. Tous les occupants de l’arche pourront s’établir de nouveau sur la terre ferme, et tenter de vivre ; et jamais plus peut-être, s’ils font ce qu’il faut pour cela, ils ne subiront la colère divine.
Dans le Nouveau Testament, dans la parabole du bon Samaritain, l’huile d’olive adoucit et guérit. Dans l’onction des rois et des prêtres de l’Ancien Testament, c’est également de l’huile que l’on verse sur leur tête, image de la grâce de Dieu qui descend et se répand sur eux (Ps 133, 2), leur donnant une force nouvelle pour accomplir ce qui est au-delà des capacités humaines. Le roi est appelé à se tenir sur le seuil, entre la volonté des hommes et la volonté de Dieu, et il est appelé à conduire son peuple vers l’accomplissement de la volonté divine ; le prêtre également se tient sur ce seuil, pour y proclamer la volonté de Dieu, et plus encore pour agir au nom de Dieu, prononcer les décrets de Dieu, appliquer la décision de Dieu.
L’huile évoque donc d’abord la fin de la colère divine, la paix que Dieu offre à ceux qui s’étaient dressés contre lui ; elle nous parle ensuite de cette guérison que Dieu opère en nous afin de nous rendre capables de vivre et de répondre à notre vocation ; et comme il sait que nous ne sommes pas capables, par nos propres forces, d’accomplir ni sa volonté ni les lois de notre propre nature de créatures, il répand sur nous sa grâce avec abondance (Rm 5, 20). Il nous donne la faculté de faire ce que nous ne pourrions faire sans lui.
Les mots slavons milost et pomiluy ont la même racine que ceux qui expriment la tendresse, l’affection, et lorsque nous prononçons les mots eleison, « aie pitié de nous », pomiluy, nous ne demandons pas seulement à Dieu d’éloigner de nous sa colère, nous demandons l’amour.
Si nous revenons au texte de notre prière « Seigneur Jésus-Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi, pécheur, nous constatons que les premiers mots expriment avec exactitude et pureté la foi évangélique au Christ, en l’incarnation historique du Verbe de Dieu ; et que la fin de la prière exprime toute la complexité et la richesse des relations d’amour entre Dieu et ses créatures.
La Prière de Jésus est connue d’innombrables orthodoxes pour qui elle représente soit une méthode habituelle de prière, soit une dévotion surérogatoire, une invocation brève qui peut être utilisée à tout moment et en toute situation.
De nombreux auteurs ont mentionné les aspects physiques de la prière, les exercices respiratoires, l’attention accordée aux battements du coeur et autres traits secondaires. La Philocalie est pleine d’instructions détaillées sur la prière du coeur, et comporte même des références à la technique soufite. Des Pères, anciens et modernes, ont traité du sujet, et sont toujours arrivés à la même conclusion : ne vous risquez jamais aux exercices physiques sans être guidés de façon stricte par un père spirituel.
Ce qui est d’usage général, ce qui nous a été donné par Dieu, c’est la véritable prière, la répétition de mots sans effort physique – pas même les mouvements (le la langue – et dont on peut user systématiquement en vue d’aboutir à une transformation intérieure. Plus que toute autre prière, la Prière de Jésus vise à nous situer en présence de Dieu sans autre pensée que celle du miracle consistant en ce que nous soyons là et Dieu avec nous, car dans l’usage de cette prière il n’est rien ni personne que Dieu et nous.
L’usage de la prière est double, c’est un acte d’adoration comme toute prière, et, au niveau ascétique, c’est un objet qui nous permet de concentrer notre attention sur la présence de Dieu.
C’est une prière de bonne compagnie, amicale, toujours à notre disposition, et très personnelle en dépit de ses répétitions monotones. Dans la joie comme dans la douleur elle est, lorsqu’elle est devenue habituelle, un stimulant de l’âme, la réponse à tout appel de Dieu.
Les mots de saint Syméon le Nouveau Théologien, s’appliquent à tous ses effets possibles en nous : « Ne vous souciez pas de ce qui viendra ensuite, vous le découvrirez quand cela viendra. »
Antoine Bloom
Prière vivante, Cerf
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