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SAINTE-TRINITÉ (31/5) : COMMENTAIRE
29 mai, 2015SAINTE-TRINITÉ (31/5) : COMMENTAIRE
PORT SAINT NICOLAS
À une époque où l’on avait un peu oublié que chaque messe (sa prière eucharistique en particulier) était une prière au Père par Jésus dans son Esprit, s’imposa une fête de la Trinité. Elle se répandit à partir de 1030 et fut officialisée pour l’Église universelle en 1334. On ne sait exactement pourquoi elle fut placée au dimanche suivant la Pentecôte ; probablement voulut-on synthétiser l’oeuvre des trois personnes divines après avoir, pendant le Temps pascal, célébré l’action de chacune.
L’intention était bonne : réveiller chez les fidèles le sens d’un Dieu qui s’est révélé de trois manières éminemment personnalisées. Or ce besoin est tout aussi actuel aujourd’hui où les uns s’adressent au dieu plat de Voltaire, le créateur du monde, et où les autres naviguent entre trois dieux dont ils ne savent exactement comment, malgré tout, en faire un seul.
Notre temps a cependant un atout : plus sensible à l’Écriture qu’aux abstractions du moyen-âge finissant, il peut, à l’occasion de cette fête, retrouver Dieu tel que le décrit la Bible et que la liturgie le célèbre : le Père qui envoie son Fils réaliser un plan d’amour que l’Esprit de Jésus nous communique aujourd’hui dans l’Église. Bible et liturgie nous parlent d’un Dieu qui vient à nous de trois manières éminemment personnalisées. Celles-ci, à leur tour, nous font pressentir que Dieu n’est pas le « célibataire qui s’ennuie derrière les étoiles », mais que, à l’intérieur de lui-même, il y a une richesse d vie, un échange, un toi-et-moi qui nous font retenir le souffle avant de nous en faire chanter l’admirable accord. C’est ce que nous appelons le mystère de la Trinité, un seul Dieu en trois personnes, ce mot personne n’ayant pas le sens actuel de trois individus. Tertullien emploie le mot latin « persona » en pensant aux masques utilisés dans le théâtre ancien comme amplificateurs. Mais les mots humains sont tous piégés.
Ce que la liturgie nous donne au long de son année en doses homéopathiques est donc, aujourd’hui, célébré dans toute sa richesse. Même si le peuple chrétien ne saisit pas tout avec précision (et quel théologien oserait y prétendre !), une espèce d’instinct surnaturel lui a toujours fait aimer cette fête qui lui réjouit le cœur.
L’amour est le thème majeur qui parcourt les lectures. Ici pas de vérités abstraites ni de concepts théologiques. Le texte inspiré nous aide à pénétrer avec émerveillement dans ce que l’on appelle le mystère : non le mystérieux, l’obscur, mais l’éclat si violent que notre cœur ne peut le capter entièrement, un peu comme nos yeux ne sauraient sonder le soleil. Laissons-nous prendre par l’amour qui vibre à l’intérieur de Dieu pour, à notre tour, le répandre dans un don de nous-mêmes qui en sera le reflet.
Première lecture : Dt 4,32-34.39-40
Prouver l’existence de Dieu est superflu à Israël, quand il a les preuves éclatantes que Dieu l’a choisi, est venu le prendre au milieu d’autres nations, à travers des épreuves, des signes et des prodiges… par des exploits. Tu as vu le Seigneur faire tout cela pour toi. Vois comme il prend soin de toi. Vraiment, il est ton Dieu.
Compare, interroge. Est-il un peuple qui ait entendu comme toi la voix de Dieu ? Va chercher ailleurs… si tu trouves. Et reviens, fier de ta foi.
D’ailleurs, tous les autres dieux sont des faux : argent, puissance, forces occultes… Le Seigneur est Dieu… et il n’y en a pas d’autre.
Ce n’est pas encore la révélation trinitaire telle que nous la donnera Jésus. Mais ce n’est déjà plus le dieu de Voltaire, l’être suprême perdu dans sa solitude. C’est le Dieu qui t’a choisi, est venu te prendre. Ton Dieu !
Tu lui es lié par tant de bienfaits reçus. Réponds-lui en gardant tous les jours les commandements et ordres du Seigneur, dont le plus grand, l’unique est : Tu aimeras.
Psaume : Ps 32
Toi, peuple choisi, race sacerdotale, chante le Seigneur. Dans la grandeur de la création, vois la puissance du créateur : Il a fait les cieux, l’univers, par la seule force de sa parole, le souffle de sa bouche.
Vois surtout sa sollicitude pour toi : Dieu veille sur ceux qui le craignent (le vénèrent), qui mettent leur espoir en son amour. Il est pour toi un appui sûr, un bouclier qui te protège. Il nous donne mieux que les bonheurs humains – la joie profonde de notre cœur.
Deuxième lecture : Rm 8,14-17
Un des sommets de la Lettre aux Romains. Et une des plus belles explications trinitaires. Sans théorie, là, directement : nous sommes enfants, fils du Père, comme Jésus. Nous pouvons dire à Dieu, comme son Fils : « Abba », mot encore plus audacieux que Père et que l’on pourrait traduire par papa. Et cela est l’oeuvre de l’Esprit, c’est lui qui nous communique ce qu’est Jésus. Il est l’Esprit de communion. Conséquence de cette filiation : plus de religions d’esclaves qui agissent sous le coup de la crainte, des gens qui ont encore peur ou qui se contentent de « ce qu’il faut faire », qui croient acheter Dieu avec leurs prestations de service. Mais une relation à Dieu faite de confiance et de liberté, qui aime sans chercher à capitaliser vertus et mérites, et qui fait plus que ce qui est seulement commandé. Cette filiation nous fait participer à tout ce qu’a le Christ, ciel compris : nous sommes héritiers avec le Christ. En as-tu vraiment conscience, chrétien complexé, traînant les pieds, inodore, incolore ?
Vocation magnifique, mais aussi exigeante : cette filiation doit être prise au sérieux, être fils comme Jésus, c’est aller le même chemin que lui : souffrir avec lui pour être avec lui dans la gloire.
Evangile : Mt 28,16-20
On s’attendrait, en cette année B du cycle où domine l’évangile de Marc, à un extrait de celui-ci sur les trois Personnes divines. Mis à part le récit du baptême de Jésus, on chercherait en vain un passage où elles soient mentionnées. C’est que le plus ancien des évangiles n’a pas encore une théologie très élaborée. On a donc choisi, pour la commodité, la finale de Matthieu qui présente une formule trinitaire explicite.
Les onze disciples (le douzième, Judas, s’était pendu) s’en allèrent en Galilée. A la montagne, celle des béatitudes où Jésus avait exposé son discours-programme, la montagne symbolique de la nouvelle Alliance, le nouveau Sinaï, là même où avait commencé le ministère de Jésus, là aussi commence celui de l’Eglise.
Quand ils virent Jésus glorieux, la divinité transparaissant dans tout son être, ils se prosternèrent, en signe d’adoration.
Mais certains eurent des doutes. Ils n’arrivent pas encore à croire à l’inouï. La petite phrase se perd ensuite dans l’ensemble de récit, mais elle suffit pour nous rappeler que la foi est lente, ardue. Quand l’un nage dans la mystique, l’autre patauge dans les difficultés de croire.
Jésus s’approcha d’eux. Il se fait si proche qu’il va leur communiquer quelque chose de lui-même. Le moment est solennel, indiqué par le « il leur adressa la parole », littéralement « il parla en disant ». Quelque chose d’important se passe. Et, de fait, Jésus donne à ses disciples son testament spirituel. En trois vagues :
Il affirme son pouvoir : tout pouvoir m’a été donné. Depuis sa résurrection, Jésus a une nouvelle « fonction ». Le Père lui a confié le gouvernement du monde. Un pouvoir total. Sur tout : au ciel et sur la terre. Plus loin, il sera encore question de toutes les nations, de tous les jours. Jésus est, par sa résurrection, le Pantocrator, le chef de tout.
Puis il délègue ses pouvoirs à son Église. Allez donc ! De toutes les nations (et non plus seulement du peuple juif) faites des disciples : préparez-les à la foi ; baptisez-les au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit. On reconnaît facilement la formule avec laquelle on baptisait dès les temps apostoliques. Apprenez-leur à garder tous les commandements que je vous ai donnés, à vivre la foi intégralement.
Baptisez-les au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit. C’est plus qu’une nomenclature. Le nom désigne la puissance, la force vitale qui se communique. Le Père, au baptême, fait de nous ses fils, nous devenons frères du Fils unique, l’Esprit nous met en communion avec le Père et le Fils, il nous fait « communier » entre nous.
Ce texte atteste que, dès les débuts de l’Eglise, on baptisait selon une formule trinitaire où l’on plongeait trois fois le catéchumène dans l’eau, en lui demandant de « confesser » les Personnes divines. Cette coutume est rapportée par d’autres écrits, la Tradition apostolique, par exemple.
Par le saint baptême, nous entrons dans la « famille divine ». Qui donc le comprendrait sans trembler de vénération et de joie ! Se réalise ce que Jésus disait lors de ses adieux : « Si quelqu’un m’aime, mon Père l’aimera et nous viendrons à lui et nous établirons chez lui notre demeure » (Jn 14,23) – « Moi en eux comme toi en moi » (Jn 17,21.23). Voir, d’ailleurs, tout l’admirable et mystique discours des adieux (Jn 14-17).
Entrant dans la famille divine, nous entrons aussi dans la famille ecclésiale qui voudrait et devrait être une réplique faible, mais réelle, de cet échange amoureux à l’intérieur de Dieu.
Enfin, nos familles et nos communautés peuvent et devraient se voir comme un écho de cette famille divine : plusieurs dans un seul amour.
HOMÉLIE DE LA FÊTE DE LA SAINTE TRINITÉ – 31/05/2015
29 mai, 2015http://preparonsdimanche.puiseralasource.org/
HOMÉLIE DE LA FÊTE DE LA SAINTE TRINITÉ – 31/05/2015
DIEU PÈRE, FILS ET SAINT ESPRIT
Nous célébrons aujourd’hui la fête de la Sainte Trinité. C’est celle de Dieu Amour qui nous invite à partager son amour, à recevoir son amour généreux et à y répondre. On a écrit des gros livres de théologie sur ce grand mystère. Mais ils sont tous très loin de lé réalité. Un jour, saint Augustin marchait le long de la mer et cherchait à comprendre ce mystère. Sur son chemin, il rencontre un enfant qui avait creusé un trou dans le sable. Avec une cuillère, il cherchait à y mettre toute l’eau de la mer. Augustin, lui dit que c’est impossible. L’enfant lui répond : « Oui, c’est vrai, mais j’aurai fini avant que vous ne commenciez à comprendre cette histoire de Trinité. Ce mystère est si grand et le cerveau si petit. »
Nous devons donc nous contenter de ce que nous dit la Bible. Cette révélation s’est faite très progressivement. Dans la première lecture, nous voyons Dieu s’adresser au peuple élu. Il lui fait mesurer toute l’étendue de la générosité divine. Il a vu la misère de son peuple esclave en Egypte. Il lui a fait passer la Mer Rouge. Il l’a conduit dans sa longue marche à travers le désert. Au moment où ce texte est écrit, les hébreux se préparent à entrer dans la Terre promise. La bonne nouvelle c’est que Dieu n’est pas celui qu’on croit. Il n’est pas le Dieu vengeur qui cherche à nous prendre en défaut. Il se révèle comme le Dieu libérateur qui fait alliance avec son peuple.
Cette bonne nouvelle vaut aussi pour nous aujourd’hui. Dieu voit la misère de son peuple. Il voit celle des chrétiens persécutés en Irak, en Syrie et dans de nombreux autres pays. Il voit la misère des hommes et des femmes qui sont traités comme des machines sur leur lieu de travail. Il voit la souffrance de ceux et celles qui sont accablés par la misère. Et bien sûr, il n’oublie pas les malades, les prisonniers, les exclus. Il continue à nous dire son désir de libérer son peuple. Et il compte sur nous pour que nous donnions le meilleur de nous-mêmes à cette mission.
Dans la seconde lecture, saint Paul va plus loin. Il nous dit que nous sommes adoptés par Dieu. Nous sommes devenus des fils et nous pouvons l’appeler Père. Quand nous pensons à la puissance de Dieu, nous risquons d’éprouver un sentiment de peur et d’avoir une attitude d’esclave. Mais saint Paul intervient pour nous rassurer : Non, il ne faut pas avoir peur de Dieu : L’Esprit que vous avez reçu ne fait pas de vous des esclaves, des gens qui ont encore peur ». Dieu a voulu nous introduire dans sa vie intime. Nous sommes ses enfants bien-aimés, des frères du Christ. Cela s’est réalisé grâce à l’action de l’Esprit Saint.
L’Évangile nous rapporte le dernier rendez-vous des disciples avec Jésus. C’est l’envoi en mission : « Allez ! De toutes les nations faites des disciples. Baptisez-les au nom du Père, et du Fils et du Saint Esprit. » Il est hors de question de rester plantés là, avec d’éternelles questions sur le tombeau vide. Il est urgent de comprendre que Pâques n’est pas une fin mais un commencement. Tout ce que Jésus a pu faire ou dire au cours de sa vie terrestre était une préparation à cette nouvelle aventure des hommes. Avec la première alliance, Dieu ne s’adressait qu’au petit peuple d’Israël ; la nouvelle alliance est annoncée et offerte à tous les peuples du monde entier.
Ce qui nous est demandé, ce n’est pas de faire des adeptes mais des disciples du Christ. Nous ne devons pas nous comporter comme des propriétaires de la Parole révélée mais comme des serviteurs. Il n’est pas question d’enrôler mais de baptiser. Le baptême que nous avons reçu nous a plongés dans cet océan d’amour qui est en Dieu Père, Fils et Saint Esprit. La bonne nouvelle de l’Évangile est une histoire d’amour qui n’est jamais achevée, une histoire d’amour toujours nouvelle et toujours ouverte.
Il nous appartient d’être les témoins passionnés de cette histoire d’amour. Pour cette mission, nous ne sommes pas seuls. Le Seigneur nous nourrit de sa Parole et de son Corps. Il est toujours là pour nous donner force et courage en vue de la mission. Et Marie, notre maman du ciel ne cesse de nous redire : « Faites tout ce qu’il vous dira. »
Cette grande mission nous dépasse. Elle peut nous faire peur. Mais le Seigneur nous a promis d’être avec nous tous les jours et jusqu’à la fin du monde. En ce jour, nous le supplions : Garde-nous fidèles à ton amour. Donne-nous force et courage pour en témoigner tous les jours auprès de ceux que tu mets sur notre route. Amen
Sources : Revues liturgiques Signes et Feu Nouveau, Homélies du dimanche (Mgr Léon Soulier), Lectures d’Evangile d’un vieux prêtre de Montpellier, Lectures bibliques des dimanches (A. Vanhoye)
LES CARACTÉRISTIQUES DE LA DOCTRINE DE ST GRÉGOIRE DE NAREK, PAR LE CARD. AMATO
28 mai, 2015LES CARACTÉRISTIQUES DE LA DOCTRINE DE ST GRÉGOIRE DE NAREK, PAR LE CARD. AMATO
LE SENS DU PÉCHÉ, LA TRINITÉ, LES SACREMENTS ET LA VIERGE MARIE
ROME, 15 AVRIL 2015 (ZENIT.ORG) STAFF REPORTER
La doctrine du saint arménien Grégoire de Narek se distingue dans quatre domaines particuliers : le sens du péché et des limites de l’homme, la réflexion sur le mystère de la Sainte Trinité, la défense de l’efficacité surnaturelle des sacrements et la dévotion à la Vierge Marie, explique le cardinal Amato lors de la messe de proclamation du saint comme docteur de l’Église, dimanche dernier, 12 avril 2015, en la basilique Saint-Pierre.
Au début du rite de la proclamation présidée par le pape François, le cardinal Angelo Amato, préfet de la Congrégation pour les causes des saints, a adressé quelques paroles, saluant « l’extraordinaire figure de saint Grégoire de Narek, semeur d’espérance et artisan de paix », dans le contexte du centenaire du génocide arménien.
A.K.
Allocution du cardinal Amato
Très Saint-Père,
Dès les premiers siècles de l’ère chrétienne, l’Esprit Saint a allumé en Orient tant d’étoiles, c’est-à-dire des hommes saints et sages qui, par l’exemple de leur vie et leur enseignement, ont ouvert la voie à la connaissance des mystères de Dieu et à la rencontre avec Jésus Christ.
Environ cent ans après l’attribution du titre de docteur de l’Église universelle à un autre fils de l’Église d’Orient, saint Ephrem le Syrien († 373), aujourd’hui, Très Saint-Père, nous vous demandons d’attribuer le même titre à saint Grégoire de Narek, maître et gloire du peuple arménien.
Ce grand théologien, mystique et poète, transmit son expérience spirituelle et religieuse par sa vie et son enseignement dogmatique, diffusant la théologie par la voie de la beauté.
La profondeur des idées théologiques du saint, la nouveauté de sa pensée et la vigueur de son verbe poétique ont toujours été appréciées au niveau populaire et par les hommes de culture. Il fut comparé de plus en plus à des pères de l’Église comme saint Jean Chrysostome, saint Ephrem le Syrien ou saint Grégoire l’Illuminateur. Son œuvre pénétra peu à peu tous les domaines de la vie religieuse et de la culture arménienne : la poésie, l’enluminure, la musique, l’hagiographie, la liturgie et le folklore. Sa constante popularité est encore aujourd’hui liée à son livre de méditations et de prières, que l’auteur a appelé « Livre des Lamentations », et connu populairement sous le nom de Narek. Après l’Évangile, ce texte est le plus vénéré et le plus répandu en Arménie. Très Saint-Père, la doctrine de saint Grégoire de Narek se distingua dans quatre domaines en particulier :
- le sens du péché et des limites de l’homme, incapable de parler de Dieu et avec Dieu sans la méditation de la Parole incarnée;
- la réflexion dogmatique sur le mystère de la Très Sainte Trinité, où il voyait se refléter l’âme humaine mais surtout une analogie avec les trois vertus théologales;
- la défense de l’efficacité surnaturelle des sacrements et leur rôle de transmission et de médiation dans l’Église, réaffirmant l’importance de la grâce divine et de la vie intérieure, par comparaison avec les tendances hérétiques des Thondrakiens, qui prétendaient remonter aux origines du christianisme reniant la hiérarchie, les sacrements, l’église et la liturgie;
- la dévotion à la Vierge Marie, la Panaghia, « Celle qui n’est que sainteté », la « Toute Sainte », exaltant « l’invulnérabilité absolue de la très Sainte Deipara par rapport au péché », en plus de son rôle de médiatrice, comme « pont entre Dieu et l’homme ».
Pour toutes ces raisons, les saints pasteurs de l’Église arménienne se sont adressés plusieurs fois aux souverains pontifes, leur demandant de proclamer saint Grégoire de Narek Docteur de l’Église universelle. Récemment, la Congrégation pour la doctrine de la foi a donné son avis positif sur l’eminens doctrina du candidat. Les consultants théologiens et, dans un deuxième temps, la séance plénière de la Congrégation pour les causes ont relevé dans le magistère du saint les notes qui étaient demandées pour le proclamer Docteur de l’Église. A l’audience qui m’a été accordée le 21 février 2015, Votre Sainteté a pris acte favorablement de l’avis des cardinaux et évêques.
Très Saint-Père, nous ne saurions négliger, pour finir, une circonstance qui rend notre demande encore plus riche de sens et de valeur: la célébration, cette année, du premier centenaire du massacre, le « grand mal » qui frappa très cruellement le peuple arménien. Dans ce contexte brille encore plus l’extraordinaire figure de saint Grégoire de Narek, semeur d’espérance et artisan de paix.
Traduction de Zenit, Océane Le Gall
III. LA SOUFFRANCE DANS LA RÉVÉLATION CHRÉTIENNE
28 mai, 2015http://www.cenaclesauges.ch/diary9/57SensSouffrance.htm
III. LA SOUFFRANCE DANS LA RÉVÉLATION CHRÉTIENNE
· Le problème de la souffrance est un des grands défis de l’existence humaine, spécialement pour le croyant. P. RICOEUR relevait bien l’aporie à laquelle conduit la présence du mal et de la souffrance dans le monde: «Comment peut-on affirmer ensemble, sans contradiction, les trois propositions suivantes: Dieu est tout-puissant; Dieu est absolument bon; pourtant le mal (et la souffrance) existe» [1].
· Le croyant qui endure une souffrance intolérable est souvent tourmenté par ces questions: Pourquoi Dieu nous fait-il souffrir ? Si ce n’est pas lui qui a créé la souffrance, d’où vient-elle ? Est-elle voulue ou permise par Dieu? Est-elle une conséquence du péché? Mais alors, Dieu serait-il impuissant devant ce mal que l’homme aurait introduit dans le monde ? Faut-il lutter contre la souffrance, ou au contraire la rechercher ? Quel sens un chrétien peut-il lui donner ? Quelle lumière Jésus-Christ est-il venu apporter à propos de la souffrance ?
1. LA QUESTION DE L’ORIGINE DE LA SOUFFRANCE
· Le Catéchisme de l’Église Catholique essaie d’exprimer la raison de la présence du mal physique et de la souffrance dans le monde. Ce mal résulte d’un univers en croissance, en état d’enfantement : «Pourquoi Dieu n’a-t-il pas créé un monde aussi parfait qu’aucun mal ne puisse y exister? Selon sa puissance infinie, Dieu pourrait toujours créer quelque chose de meilleur. Cependant dans sa sagesse et sa bonté infinies, Dieu a voulu créer un monde « en état de cheminement » vers sa perfection ultime. Ce devenir comporte, dans le dessein de Dieu, avec l’apparition de certains êtres, la disparition d’autres, avec le plus parfait aussi le moins parfait, avec les constructions de la nature aussi les destructions. Avec le bien physique existe donc aussi le mal physique, aussi longtemps que la création n’a pas atteint sa perfection» [2].
· Considérant l’homme comme un ami, Dieu l’a fait co-créateur de ce monde en croissance, collaborateur de cette œuvre progressive. Toute l’évolution du monde jusqu’à son accomplissement est comme un long accouchement; ainsi que le dit St Paul, «toute la création jusqu’à ce jour gémit en travail d’enfantement» (Rm 8, 22). La souffrance due au mal physique est un fait inhérent à notre monde en croissance. Elle n’est pas voulue directement par Dieu en tant que telle, ni conséquence du péché originel. Elle est voulue indirectement, c’est-à-dire intégrée par le Créateur dans un projet d’ensemble qui part d’un état rudimentaire pour aller vers un achèvement, vers une plénitude.
· Quant à la présence du mal moral, cause de tant de souffrances, il reste lié à la liberté de l’homme (abus), ou plutôt au mésusage de la liberté humaine.
2. ANCIEN TESTAMENT: LA SOUFFRANCE, PUNITION DU PÉCHÉ ?
Dans l’AT, plusieurs essais de réponse ont été donnés au pourquoi du mal et de la souffrance. On peut percevoir une progression de la compréhension dans ces réponses :
· Il faut préciser que pendant plusieurs siècles, on n’a pas fait la distinction entre les causes premières et les causes secondes: puisque Dieu est Tout Puissant, et qu’il a la maîtrise sur tout l’univers, la souffrance n’échappe pas à son pouvoir. C’est donc lui qui la provoque. Ceci est exprimé très nettement dans certains textes: « Je façonne la lumière et crée les ténèbres, je fais le bonheur et provoque le malheur » (Is 45, 7)
· Le texte de la création de l’homme dans la Genèse veut nous dire que c’est l’homme qui est à l’origine du mal moral dans le monde ; ce texte n’est pas tout à fait une réponse au pourquoi de la souffrance.
· La première réponse a été celle de la rétribution collective: lorsque des membres du peuple pêchent, c’est l’ensemble du peuple qui est puni et qui souffre. Lorsque les parents commettent des fautes, la punition retombe sur les enfants et petits enfants (Dt 5,9-10); cf. l’adage: « Les parents ont mangé des raisins verts, et les enfants ont les dents agacées » (Ez 18, 2).
· Plus tard, lors de l’exil à Babylone, on a pris conscience de l’injustice de cette interprétation: il n’est pas juste que les innocents payent pour les coupables. Ezéchiel et Jérémie remettra en cause le fameux adage (Ez 18, 1-8), et introduira le principe de la rétribution individuelle. Celui qui a péché subira lui-même les conséquences de ces crimes. (Jr 31, 29-30)
· Mais cette réponse s’avérera insuffisante, et le livre de Job la remettra radicalement en cause. Il y a des justes, des innocents qui souffrent, et ils ne peuvent donc pas subir la conséquence de leurs propres péchés. Le livre de Job, qui est une longue interrogation sur le sens de la souffrance, contestera le lien direct entre le péché et la souffrance. Job remettra en cause le principe qui se retrouvait dans plusieurs écrits vétéro-testamentaires identifiant la souffrance avec la punition du péché. Dieu confirmera d’ailleurs que la souffrance de Job, qui a un caractère d’épreuve, est celle d’un innocent.
Néanmoins, Dieu reprochera à Job de prétendre comprendre des choses qui le dépassent: « Qui est celui qui défigure la providence par des propos insensés. Ceins donc tes reins comme un brave: je vais t’interroger, tu m’instruiras ! Où étais-tu quand j’ai fondé la terre? Dis-le-moi puisque tu sembles si savant ! » (Jb 38, 2-3). Si Job ne peut comprendre les mystères de la création, qui sont pourtant à sa portée, combien plus il ne peut comprendre la providence divine qui est au-delà de la compréhension humaine.
S’il est vrai que beaucoup de souffrances sont des conséquences du péché (mal commis, injustices, violences…), il n’est pas juste d’affirmer que toute souffrance est provoquée par le péché, et encore moins de conclure que celui qui souffre est coupable.
· Le quatrième chant du Serviteur souffrant, dans le Deutéro-Isaïe, interprété par le NT comme une prophétie de la mission du Christ, dresse un portrait du juste innocent portant les souffrances et les péchés des multitudes. (Is 52, 13 – 53, 12)
On ne sait pas très bien qui est ce serviteur souffrant visé par Isaïe : on l’identifie parfois à un membre fidèle du peuple de Dieu déporté à Babylone. Il peut aussi représenter le petit reste de ceux qui sont restés fidèles au Seigneur dans ce peuple. Le peuple juif, lors de l’holocauste au cours de la dernière guerre mondiale s’est reconnu en ce serviteur souffrant. Chacun d’entre nous, endurant une épreuve douloureuse qui apparaît disproportionnée ou injuste peut s’y reconnaître.
· A partir du deuxième siècle avant Jésus-Christ, le pourquoi de la souffrance des innocents va être cherché de plus en plus au-delà de l’horizon humain. Une part de la souffrance humaine reste incompréhensible indépendamment de la vie éternelle à laquelle l’homme est appelé.
3. LA SOUFFRANCE ET L’ACTIVITÉ MESSIANIQUE DU CHRIST
PAUL CLAUDEL: « Dieu n’est pas venu supprimer la souffrance, il n’est même pas venu pour l’expliquer. Il est venu pour la remplir de sa présence » (Le Heurtoir, p. 33) Il est venu la vivre avec nous, à nos côtés. Il s’est fait solidaire de nos souffrances. Il est même venu les prendre sur lui.
Par rapport au lien entre la souffrance et le mal commis, Jésus confirme que la souffrance n’est pas forcément une conséquence directe des fautes humaines (Cf. Jn 9, 2-3 Aveugle né ; tour effondrée). Il ne niera pourtant pas tout lien entre la souffrance et le mal moral (Guérison paralytique…). Jésus lui-même endurera les pires tourments, victime innocente de la malice des hommes.
· Quelle lumière Jésus a-t-il apporté sur la souffrance humaine ? On peut examiner trois niveaux différents: son enseignement à propos de la souffrance; son attitude concrète vis à vis de la souffrance de ses proches; et enfin sa propre façon de l’assumer.
A. L’enseignement du Christ par rapport à la souffrance
L’enseignement du Christ par rapport à la souffrance touche 2 niveaux : le premier concerne la souffrance du prochain, et le deuxième la souffrance personnelle.
- La souffrance du prochain: La Parabole du Jugement dernier dans l’Évangile de Mathieu présente comme condition d’entrée dans le Royaume d’avoir subvenu aux besoins des frères et sœurs souffrants de la faim, de la soif, de l’exil, du dénuement, de la maladie et de l’emprisonnement, car c’est Jésus qui souffrait en eux (Mt 25, 31-46).
- La souffrance personnelle: Les Béatitudes déclarent heureux ceux qui endurent quelque souffrance que ce soit à cause du Christ – la pauvreté, l’affliction, la faim et la soif, les persécutions, les insultes et les calomnies -, car ils seront héritiers du Royaume (Mt 5, 3-12). D’autre part, Jésus demande à celui qui veut être son disciple de renoncer à lui-même, de prendre sa croix et de le suivre. Il n’a pas caché à ses disciples qu’ils seront en proie à l’épreuve, à la souffrance, à la persécution.
Il y a donc dans le message de Jésus d’une part une invitation à lutter contre la souffrance du prochain et d’autre part un appel à accepter sa propre souffrance. On retrouvera ce double aspect, qui sera précisé, dans l’attitude du Christ face à la souffrance.
B. L’attitude du Christ face à la souffrance
· Jésus a manifesté face à la souffrance de tous ceux qu’il côtoyait une grande compassion et miséricorde, et a engagé, durant tout son ministère, une lutte contre toute forme de détresse. Comme le dit Jean-Paul II, «le Christ s’est fait sans cesse proche du monde de la souffrance humaine. Il « a passé en faisant le bien et en guérissant » (Ac 10, 38), et son action le portait en premier lieu vers ceux qui souffraient et ceux qui attendaient de l’aide. Il guérissait les malades, consolait les affligés, donnait à manger aux affamés, délivrait les hommes de la surdité, de la cécité, de la lèpre, du démon, de divers handicaps physiques, trois fois il a rendu la vie à un mort. Il était sensible à toute souffrance humaine, tant du corps que de l’âme» (SD 16). Le sommaire qui précède le Sermon sur la montagne résume bien la dimension caritative de l’activité messianique de Jésus: «Il parcourait toute la Galilée, enseignant dans leurs synagogues, proclamant la Bonne Nouvelle du Royaume et guérissant toute maladie et toute langueur dans le peuple» (Mt 4, 23). Il est intéressant de noter que l’on ne voit jamais Jésus, dans les Évangiles, infliger une souffrance à quelqu’un ou demander d’offrir ses souffrances à Dieu.
· Un autre sommaire succédant au Sermon sur la montagne montre que la solidarité de Jésus face à la souffrance ne s’est pas réduite à œuvrer pour en atténuer l’ampleur, mais qu’il a pris sur lui-même toutes nos souffrances: «Le soir venu, on lui présenta beaucoup de démoniaques; il chassa les esprits d’un mot, et il guérit tous les malades, afin que s’accomplit l’oracle d’Isaïe le prophète: Il a pris nos infirmités et s’est chargé de nos maladies» (Mt 8, 16-17). La citation biblique est d’Is 53, 4: « C’était nos souffrances qu’il portait, nos douleurs dont il était chargé. »
Dans ce passage de l’Evangile, nous voyons Jésus guérir, délivrer de la souffrance et du mal, et en même temps il est dit, par la citation du chant du Serviteur souffrant d’Isaïe, que Jésus prend sur lui ces souffrances pour nous en guérir. Si l’incarnation et toute la vie du Christ peuvent être décrites comme l’œuvre de Dieu venant prendre sur lui les souffrances des hommes, cette référence biblique renvoie spécialement à la Passion, où le Fils de Dieu se charge volontairement de tout notre mal et toutes nos souffrances. On peut dire avec M. ZUNDEL que «Dieu, en son Fils crucifié, assume toute la détresse humaine; que la croix du Christ, c’est justement le cri poussé à la face du monde, pour dire aux hommes de tous les temps, que Dieu a partie liée avec tout homme, qu’Il est flagellé dans nos tortures, qu’Il saigne dans nos blessures, qu’Il transpire dans nos sueurs, qu’Il gémit dans nos solitudes, qu’Il pleure dans nos larmes.» [3] Ce n’est pas une conception doloriste de la souffrance qu’il faut retenir de l’attitude de Jésus face à la souffrance, mais une solidarité, une compassion (= souffrir avec).
C. Comment Jésus a-t-il vécu lui-même la souffrance?
· Ayant assumé notre condition humaine mortelle, semblable à nous en toutes choses hormis le péché, Jésus devait nécessairement passer par la souffrance et la mort (Cf. Rm 8, 3; Ph 2, 7), se faisant ainsi solidaire de toute l’humanité.
Les Évangiles donnent peu de détails sur la façon avec laquelle Jésus a abordé la souffrance. Ils permettent de dire qu’il ne l’a pas recherchée, qu’elle lui répugnait et qu’il l’a même parfois esquivée, tant que son heure n’était pas venue [4]. La proximité de la souffrance a suscité en lui le trouble (Jn 12, 27); elle lui fait subir effroi, angoisse et tristesse mortelle (Mc 14, 33-34 et //), au point de suer des gouttes de sang (Lc 22, 44). Au cœur de la souffrance, en plus de l’abandon de ses apôtres, il a même vécu le sentiment d’être abandonné de son Père ( Mt 27, 46 et //).
On peut affirmer que Jésus n’a pas abordé la souffrance stoïquement ou impassiblement, mais de manière profondément humaine, et tout homme souffrant peut se reconnaître en lui.
Mais il n’a pas non plus reculé devant elle, il ne s’est pas laissé détourné de sa mission, même s’il savait ce qui risquait de lui en coûter.
Même dans la détresse extrême, le Christ a manifesté l’abandon à son Père. (Mt 26, 39.42 et //; Lc 23, 46) Son amour miséricordieux, plus fort que toute la haine qui se déployait contre lui, a manifesté le pardon à ses bourreaux (Lc 23, 34), c’est-à-dire à tous les hommes de l’histoire responsables aussi bien de la souffrance de Dieu que de l’homme. La souffrance, au lieu de conduire à la haine, a été ainsi sublimée en amour.
4. LIEN ENTRE LE SALUT ET LA SOUFFRANCE
Le lien entre le salut opéré par le Christ et la souffrance peut être exprimé par deux formules: Jésus nous sauve de la souffrance, et Jésus nous sauve par sa souffrance [5].
A. Jésus nous sauve de la souffrance
· Si « sauver » signifie entre autres libérer du mal, et que le mal comporte un lien étroit avec la souffrance, le salut est par conséquent lié étroitement au problème de la souffrance (cf. SD 14). Cette libération de la souffrance comporte une double dimension, eschatologique et historique:
- Jésus ne nous délivre pas seulement de la souffrance dans son sens temporel, mais «la souffrance dans son sens fondamental et définitif» (SD 14). Le Christ sauve ainsi l’être humain de la perdition, du mal définitif, de la souffrance définitive. Dans l’au-delà, pour ceux qui auront accueilli le salut, la souffrance sera complètement anéantie. Les guérisons de Jésus sont le signe de cette victoire définitive de Dieu sur la souffrance.
- Mais le Christ, par la rédemption, n’atteint pas seulement le mal et la souffrance eschatologiques, mais aussi «dans leur dimension temporelle et historique» (SD 15). Si l’on ne peut établir un lien direct entre souffrance et péché, il n’en demeure pas moins que, comme je l’ai déjà dit, une des causes principales de souffrances est le mal commis, et ce dernier est presque toujours à l’origine de souffrances. Le salut opéré par Jésus-Christ, dans la mesure où il est accueilli par les hommes, s’il transforme déjà le monde présent, s’il fait déjà reculer le mal, ne peut pas ne pas faire régresser aussi la souffrance humaine.
B. Jésus nous sauve aussi par sa souffrance.
J’insiste sur aussi, car le Christ nous sauve également par son incarnation, son enfance (cf. François de Sales), son ministère, son enseignement, ses miracles, et surtout par sa résurrection. La Croix de Jésus, tout comme la souffrance qui lui est liée, est le lieu privilégié, mais pas unique, du salut; et surtout, le mystère du salut chrétien est incompréhensible indépendamment de la résurrection. Dans les siècles passés, dans un certain dolorisme, on a trop lié le salut à la souffrance.
Mais il faut quand même dire quel rôle à joué la souffrance de Jésus dans la Rédemption. Dans sa vie, et spécialement dans sa passion, le Christ a pris sur lui toute souffrance, toute maladie et toute infirmité. Comprenons-nous bien: ce n’est pas la douleur, en tant que sensation, qui est salutaire [6]. C’est l’attitude de Jésus face à la souffrance, c’est-à-dire l’amour extrême déployé au sein de l’épreuve, qui nous sauve. Par cet amour, Jésus introduit le salut dans la souffrance elle-même: cette difficile réalité humaine a été transformée, a pris une dimension nouvelle: Elle a été liée à l’amour qui crée le bien, en le tirant même du mal (cf. SD 18). Cela ne veut pas dire que la souffrance devienne un bien – elle reste un mal à combattre -, mais la Croix manifeste qu’il est possible de tirer du bien même de ce mal.
La souffrance, quand elle est intense, est difficilement compatible à l’amour: lorsqu’elle est provoquée volontairement, elle est le fruit de la haine; d’autre part, celui qui subit la souffrance est guetté par le risque de haine envers celui qui en est l’auteur (ou envers son bouc émissaire, lorsque cet auteur n’est pas connu). Il est difficile d’aimer dans la souffrance.
On peut repérer une sorte de cercle vicieux entre la haine qui provoque la souffrance, la souffrance qui à son tour provoque la haine. Jésus est venu casser ce cercle vicieux en liant la souffrance à l’amour, en introduisant le pardon envers les bourreaux dans cette chaîne fatale.
Ce qui semble nier l’amour, Jésus s’en sert pour manifester l’amour. Il s’en sert pour montrer que l’amour est plus fort: plus fort que le mal, plus fort que la souffrance, plus fort que la mort elle-même. Il vient rompre ainsi tout fatalisme. La souffrance a été ainsi vaincue par l’amour. Le Christ est venu nous apprendre à faire émerger l’amour de la souffrance. Toutes nos souffrances, nos épreuves, nos échecs peuvent être convertis en moyens d’aimer plus.
Le peuple d’Israël attendait de Dieu qu’il vienne sauver les hommes par la force, par la puissance, du moins dans le sens où nous l’entendons couramment. Or, Dieu a refusé cette voie triomphaliste: le salut s’est opéré par la faiblesse, au travers de la souffrance, c’est-à-dire à travers une expérience humaine des plus fragilisantes et réduisant à une apparente impuissance. Si le salut s’est opéré en Jésus-Christ par cette voie étroite qui désamorce toute tentation de puissance ou de triomphalisme, il continuera à s’opérer à travers les chrétiens par cette voie privilégiée. Jésus a suscité la «naissance de la force dans la faiblesse» (SD 23). Cette faiblesse restera la voie royale pour que se répande dans le monde la force du salut. D’autre part, cette force dans la faiblesse est signe que les faiblesses de toutes les souffrances humaines peuvent être imprégnées de la puissance de Dieu (cf. SD 23).
Je crois que tout le bien qui s’est réellement fait dans l’Histoire de l’Église s’est fait dans la faiblesse. IL n’est pas le fruit du triomphalisme.
5. PARTICIPER AUX SOUFFRANCES DU CHRIST ? [7]
Il s’agit d’abord de participer, communier à la vie du Christ; conséquence indirecte, communier aux souffrances qui lui sont liées.
En tant que chrétiens, nous sommes appelés à continuer la mission du Christ, à participer à son œuvre, à communier à sa vie. Cela aura malheureusement comme conséquence que nous aurons aussi à communier aux épreuves, à la souffrance qui en découlent. Nous sommes invités à imiter Jésus qui n’a pas cherché la souffrance – il l’a parfois esquivée -, qui a combattu celle de ses proches, mais qui ne s’est pas laissé détourner de sa mission, quitte à subir la persécution, la souffrance et la mort. Si Jésus durant sa vie s’est chargé de toute blessure, de toute maladie, de toute détresse, il demande aux chrétiens de faire de même, dans la mesure de leurs forces.
- Les chrétiens ont pour mission, à l’image du Bon Samaritain qui reste le modèle d’attitude face à la souffrance du prochain, de venir en aide à celui qui est éprouvé, («le charger sur sa propre monture» Lc 10, 34), et de tenter de soulager aussi bien ses douleurs que ses souffrances morales. La souffrance devient ainsi occasion de libérer en l’homme ses capacités de compassion, ses capacités d’aimer. Prendre sur soi la souffrance du prochain signifie ainsi lutter contre la souffrance et ses causes, venir en aide à celui qui est écrasé par l’épreuve, qui ploie sous le fardeau, quitte à prendre ce dernier sur ses propres épaules.
- Les chrétiens sont appelés à annoncer et à vivre authentiquement l’Évangile, à lutter de façon déterminée pour la justice et la paix dans le monde, au risque de subir comme Jésus la persécution, l’épreuve, la souffrance. La voie de l’amour et de la justice est une voie étroite (Cf. Mt 7, 13-14), souvent à contre courant de la route large usuellement empruntée, voie qui suscite des oppositions, de la haine et des persécutions. L’apôtre le prédisait: «Tous ceux qui veulent vivre dans le Christ avec pitié seront persécutés» (2 Tm 3, 12). (intérieurement ou extérieurement)
- Les chrétiens sont encore invités à accepter [8] et à vivre comme Jésus, non sans angoisse ou peine, les souffrances de l’existence liées aux maladies, aux accidents ou à toute autre cause, lorsqu’elles ne peuvent être soulagées suffisamment, en croyant que cet amour qui se déploie au cœur de cette épreuve porte le monde.
6. LA RÉSURRECTION, LUMIÈRE ULTIME SUR LA SOUFFRANCE
La Passion de Jésus n’est en réalité qu’une facette du mystère du salut qui ne s’achève que dans la résurrection du Christ. C’est seulement à la lumière de celle-ci que la souffrance prend réellement son sens:
- La résurrection est le signe que de toute souffrance peut émerger la vie, à l’image des douleurs de l’enfantement. Elle n’en est pas seulement le signe, mais la réalisation. La passion du Christ, transfigurée par sa résurrection, devrait donner au chrétien la certitude qu’il n’existe pas de situation humaine qui n’ait été atteinte par cette force du salut et où Dieu ne puisse venir le rejoindre.
- La résurrection est le rappel, la promesse et la certitude de la destinée promise à tout homme: nous sommes prédestinés à ressusciter avec le Christ, à partager sa béatitude et sa gloire éternelle. La résurrection du Christ est à la fois le modèle (prototype) et la cause de notre propre résurrection. Elle est promesse et certitude que toute souffrance est appelée à être transfigurée dans une proportion sans mesure en un bonheur éternel [9].
- C’est la résurrection qui permet de donner une valeur à la souffrance (qui n’en a pas en soi), en permettant au chrétien de la remplir de l’amour victorieux du Christ.
III. PISTES DE RÉFLEXION
· Le message biblique sur la souffrance humaine m’apparaît-il comme quelque chose de libérateur, une consolation, ou à l’inverse m’apparaît-il comme quelque chose de moralisant, pesant ? (un message positif ou négatif, une bonne ou mauvaise nouvelle ?). Si c’est un message plutôt négatif, essayer de voir pourquoi. Comment pourrais-je modifier cette perception ?
· Est-ce que reçois cette Révélation comme une « obligation » de souffrir, de renoncer à moi-même, de porter ma croix, pour compléter dans ma chair ce qui manque aux épreuves du Christ ?
· Est-ce que je reçois plutôt ce message biblique comme une consolation d’un Dieu qui est venu prendre sur lui nos infirmités et nos souffrances ?
· Est-il pour moi une invitation à la solidarité, à la compassion (cum patire = souffrir avec), une invitation à lutter contre la souffrance ?
· Autres….
· Je peux méditer sur cette phrase de Pie XII : « L’acceptation de la douleur physique n’est qu’une manière, parmi d’autres, de signifier ce qui constitue l’essentiel: la volonté d’aimer Dieu et de le servir en toutes choses. C’est dans la perfection de cette disposition volontaire que consiste avant tout la qualité de la vie chrétienne et de son héroïsme »
DISCOURS DE PIE XII SUR LA LÉGITIMITÉ DU SOULAGEMENT DE LA DOULEUR CHEZ LES CHRÉTIENS
· Si Pie XII rappelle que l’acceptation de la douleur physique peut constituer un devoir grave, lorsque des valeurs importantes sont en jeu, il admet que le chrétien n’est «jamais obligé de la vouloir pour elle-même; il la considère comme un moyen plus ou moins adapté, suivant les circonstances, au but qu’il poursuit» (DA 45). L’être humain garde un droit de maîtrise sur la douleur physique: «L’homme conserve, même après la chute, le droit de dominer les forces de la nature, de les utiliser à son service, et donc de mettre à son profit toutes les ressources qu’elle lui offre pour éviter et supprimer la douleur physique» (DA 44).
· Le fait d’éviter la souffrance physique ne s’oppose pas nécessairement à l’idéal chrétien d’héroïsme, à la volonté de participer à la passion du Christ. La vie du chrétien «est toujours sous le signe de la Croix du Christ, que la souffrance y soit présente ou non, qu’il la supporte ou l’évite par des moyens licites [...]. L’acceptation de la douleur physique n’est qu’une manière, parmi d’autres, de signifier ce qui constitue l’essentiel: la volonté d’aimer Dieu et de le servir en toutes choses. C’est dans la perfection de cette disposition volontaire que consiste avant tout la qualité de la vie chrétienne et de son héroïsme» (DA 46). L’acceptation de la douleur physique peut manifester un héroïsme élevé et témoigner d’une authentique imitation de la passion du Christ, mais sans en être un élément indispensable.
III. PISTES DE RÉFLEXION
· Le message biblique sur la souffrance humaine m’apparaît-il comme quelque chose de libérateur, une consolation, ou à l’inverse m’apparaît-il comme quelque chose de moralisant, pesant ? (un message positif ou négatif, une bonne ou mauvaise nouvelle ?). Si c’est un message plutôt négatif, essayer de voir pourquoi. Comment pourrais-je modifier cette perception ?
· Est-ce que reçois cette Révélation comme une « obligation » de souffrir, de renoncer à moi-même, de porter ma croix, pour compléter dans ma chair ce qui manque aux épreuves du Christ ? Est-ce que je reçois plutôt ce message biblique comme une consolation d’un Dieu qui est venu prendre sur lui nos infirmités et nos souffrances ?
· Est-il pour moi une invitation à la solidarité, à la compassion (cum patire = souffrir avec), une invitation à lutter contre la souffrance ?
· Autres….
· Je peux méditer sur cette phrase de Pie XII : « L’acceptation de la douleur physique n’est qu’une manière, parmi d’autres, de signifier ce qui constitue l’essentiel: la volonté d’aimer Dieu et de le servir en toutes choses. C’est dans la perfection de cette disposition volontaire que consiste avant tout la qualité de la vie chrétienne et de son héroïsme »
DENIS 1900, LAISSEZ VENIR A MOI LES ENFANTS
27 mai, 2015CARDINAL RAVASI : « OUVRONS-NOUS AUX NON-CROYANTS », Apr 02, 2011
27 mai, 2015http://www.cardinalrating.com/cardinal_266__article.htm
CARDINAL RAVASI : « OUVRONS-NOUS AUX NON-CROYANTS »
Apr 02, 2011
Alors que le Vatican lance à Paris le parvis des Gentils, structure de rencontre entre catholiques et non-croyants, entretien exclusif avec le président du Conseil pontifical pour la culture en charge du projet.
« Je pense que l’Église devrait aujourd’hui ouvrir une sorte de parvis des Gentils, où les hommes puissent d’une certaine manière s’accrocher à Dieu, sans le connaître et avant d’avoir trouvé l’accès à son mystère. » La confidence est de Benoît XVI, lors de ses vœux de Noël 2009. Un parvis des Gentils ? L’expression, très cryptée, n’a rien à voir avec la gentillesse. Elle fait référence à l’existence, au sein de l’antique Temple de Jérusalem, d’une zone qui était réservée aux non-juifs (les « gentils », c’est-à-dire les ressortissants des « nations », d’après le mot latin gens, signifiant nation) qui souhaitaient s’approcher du lieu le plus sacré du judaïsme. Transposée au XXIe siècle, l’idée de Benoît XVI est de créer une zone de contact entre les catholiques et les non-croyants de bonne volonté. Le parvis des Gentils est d’abord un lieu où les interlocuteurs ne devront jamais se sentir récupérés ou enrégimentés, mais plutôt stimulés. Il comble une sorte de vide entre, d’un côté, la mission d’évangélisation de l’Église catholique et, de l’autre, son dialogue avec les autres religions.
Le pape a confié la réalisation de ce projet ambitieux au cardinal Gianfranco Ravasi, président du Conseil pontifical pour la culture, qui est chargé de faire vivre cette structure pérenne du Vatican avec des manifestations régulières à travers le monde. Cet Italien de 68 ans, déjà identifié comme un sérieux papabile, a déjà organisé en novembre 2009 la rencontre de 300 artistes avec le pape sous les voûtes de la chapelle Sixtine. Il nous explique l’ampleur de ce projet, qui sera lancé officiellement à Paris les 24 et 25 mars prochain:
Quel est le principe du parvis des Gentils ?
Nous souhaitons nous confronter, en tant que chrétiens, à ceux qui ont une vision du monde cohérente mais antithétique de la nôtre, et discuter ensemble des questions fondamentales qui concernent l’humanité. Ce sont les grandes interrogations sur la vie et la mort, la vérité et le mensonge, l’amour et la douleur, le bien et le mal, etc. Notre tentative est simplement de dialoguer avec des personnes intelligentes et de bonne volonté, et qui sont les porteurs de systèmes de pensée élaborés et établis, comme la psychanalyse ou le marxisme. Je pense à la psychanalyste Julia Kristeva, par exemple. C’est pourquoi, et bien que nous ayons été poussés à le faire, nous avons décidé de ne pas dialoguer avec les représentants de l’athéisme national-populaire comme Michel Onfray, Piergiorgio Odifreddi (Italie), Christopher Hitchens (Angleterre). Nous avons choisi de nous situer à un niveau plus élevé. Il y a des athées qui s’intéressent sérieusement à la question de la transcendance, parfois bien plus que certains croyants. Je pense à une prière de Zinoviev, qui s’adresse ainsi à Dieu : « Seigneur, je te supplie d’exister. »
Quels sont les domaines privilégiés du dialogue ?
Il y a deux domaines principaux : c’est le rapport entre la foi et l’art, et celui entre la foi et la science. En ce qui concerne la foi et l’art, nous sommes face à une évidence. Si la foi chrétienne n’avait pas existé, l’art européen n’aurait pas eu cette source qui l’a irrigué en toutes sortes de domaines, de l’architecture à la musique. Et cela continue. Je pense ici à ces grands architectes contemporains qui se montrent si inspirés quand ils construisent des lieux de culte : je pense à Tadao Ando, Renzo Piano, Mario Botta, Richard Meier, Santiago Calatrava.
Entre la foi et la science, les convergences sont moins évidentes. Il y a plutôt des conflits, non ?
Je vois deux domaines où les scientifiques, même athées, se retrouvent immédiatement confrontés à la transcendance : la médecine et la bioéthique. Et même un troisième : l’économie. Sans oublier les neurosciences. Les chercheurs dans ce domaine sont demandeurs du discours de l’Église sur l’âme humaine… Mais les disciplines plus fondamentales sont aussi concernées. À Cambridge, le cosmologue et mathématicien John Barrow fait intervenir le concept d’un « multivers ». Son propos consiste à dire qu’il faut dépasser la voie expérimentale pour se projeter dans la transcendance. Selon lui, la raison doit postuler qu’il existe un autre monde que l’on ne peut pas atteindre par les outils de la rationalité. Quant au paléontologue américain Stephen Jay Gould, disparu en 2002, il posait le principe du No-Ma (Non Overlapping Magisteria), à savoir qu’il y a « des magistères qui ne se chevauchent pas ». Foi et science se situent comme sur deux parallèles… qui peuvent entrer en résonance.
Si la science peut démontrer le comment des choses, la philosophie et les religions sont situées du côté de leur pourquoi. La science se propulse sur le niveau des phénomènes expérimentaux, selon un horizon calibré, mais Gould dit que ce niveau n’est pas celui de la connaissance ultime de l’homme. Notre pari du parvis des Gentils est de tenter de montrer que les disciplines par elles-mêmes ne sont pas exhaustives, que le réel est plus complexe qu’on ne l’imagine. C’est vrai aussi pour la théologie. La convocation des autres visions est nécessaire. La tentation d’exalter une vie de foi par elle-même, sans l’intelligence et la raison, mène à une impasse.
Votre dialogue ne s’intéresse donc qu’aux élites ? Que faites-vous pour les catholiques confrontés à l’incroyance et à l’athéisme dans leur vie quotidienne ?
L’objection est de taille. Il y a une demande forte pour aller dans ce sens. Je pense notamment à ce que disent les évêques du Celam, qui représentent les Églises de l’Amérique latine, qui nous demandent une approche plus populaire et pastorale. Même si notre choix est de partir du dialogue avec la culture, nous souhaitons aussi que la question soit reprise à la base, dans les paroisses, les diocèses. Avec les jeunes, en particulier. Par exemple, dans un domaine comme la question de l’évolution des espèces, l’école explique souvent les choses de façon à ridiculiser la foi, alors que l’on peut s’y prendre autrement. Mais je suis conscient des enjeux que pose l’athéisme populiste ou le fondamentalisme scientiste. En vue du prochain congrès eucharistique à Ancône, en Italie, des athées veulent établir une analyse scientifique du pain et du vin après la consécration, pour prouver que l’Église ment aux gens !
Croyez-vous vraiment que, dans le très grand public, les non-croyants s’intéressent au christianisme ?
Oui. C’est mon expérience. Je continue mon émission de télévision du dimanche matin à 9 heures, car les producteurs ne m’ont pas laissé partir. J’y parle toujours de la Bible ; les indices d’audience sont en hausse et, d’après les enquêtes, 25 % du public est non croyant. Je suis optimiste pour l’avenir. Nous portons une tradition énorme sur nos épaules, un héritage qui doit être relancé à nouveaux frais et peut répondre aux attentes des gens en matière de transcendance. Celle-ci n’est pas d’abord un concept théologique, mais une aspiration commune de l’humanité. Regretter l’absence de Dieu – ce que font tant de gens qui disent ne pas croire – n’est pas exactement la même chose que de postuler son inexistence. Dieu est l’Absent. Mais l’absence est bien différente du vide. L’absence est un signe de la transcendance… Nous allons vers l’éternité. L’homme ne peut jamais rester prisonnier de ce qu’il connaît de façon immanente.
http://www.lavie.fr/hebdo/2011/3417/cardinal-ravasi-ouvrons-nous-aux-non-croyants-23-02-2011-14289_202.php
PAPE FRANÇOIS – FAMILLE – 15. EDUCATION (20 mai 2015)
27 mai, 2015PAPE FRANÇOIS
AUDIENCE GÉNÉRALE
Place Saint-Pierre
Mercredi 20 mai 2015
FAMILLE – 15. EDUCATION
Aujourd’hui, chers frères et sœurs, je désire vous souhaiter la bienvenue car j’ai vu parmi vous de nombreuses familles, bonjour à toutes les familles ! Continuons à réfléchir sur la famille. Aujourd’hui, nous nous arrêterons sur une caractéristique essentielle de la famille, c’est-à-dire sur sa vocation naturelle à éduquer les enfants pour qu’ils grandissent en étant responsables à l’égard d’eux-mêmes et des autres. Ce que nous avons entendu de l’apôtre Paul au début est très beau : « Vous les enfants, en toutes choses écoutez vos parents ; dans le Seigneur, c’est cela qui est beau. Et vous les parents n’exaspérez pas vos enfants ; vous risquez de les décourager » (Col 3, 20-21). C’est une règle sage : l’enfant doit être éduqué à écouter ses parents et à obéir à ses parents, qui ne doivent pas commander de manière brutale, pour ne pas décourager leurs enfants. Les enfants, en effet, doivent grandir sans se décourager, un pas après l’autre. Si vous, parents, dites aux enfants : « Montons cet escalier » et que vous leur prenez la main et, pas à pas, les faites monter, les choses se passeront bien. Mais si vous dites : « Monte là-haut ! » — « Mais je ne peux pas » — « Vas-y ! », cela s’appelle exaspérer les enfants, demander aux enfants des choses qu’ils ne sont pas capables de faire. C’est pourquoi la relation entre parents et enfants doit être d’une sagesse, d’un équilibre très grand. Enfants, obéissez à vos parents, cela plaît à Dieu. Et vous parents, n’exaspérez pas les enfants, en leur demandant des choses qu’ils ne peuvent pas faire. C’est ce qu’il faut faire pour que les enfants grandissent en étant responsables à l’égard d’eux-mêmes et des autres.
Cela semblerait une constatation évidente, pourtant, à notre époque, les difficultés ne manquent pas. Il est difficile d’éduquer pour les parents qui ne voient les enfants que le soir, quand ils reviennent à la maison fatigués par leur travail. Ceux qui ont la chance d’avoir du travail ! Cela est encore plus difficile pour les parents séparés, qui portent le poids de cette situation : les pauvres, ils ont eu des difficultés, ils se sont séparés et très souvent, leur enfant est pris comme otage, et le papa parle mal de la maman et la maman parle mal du papa, et beaucoup de mal est fait. Mais je dis aux parents séparés : il ne faut jamais, jamais, jamais prendre un enfant comme otage ! Vous vous êtes séparés en raison de nombreuses difficultés et motifs, la vie vous a fait vivre cette épreuve, mais que les enfants ne soient pas ceux qui portent le poids de cette séparation, qu’ils ne soient pas utilisés comme otages contre l’autre conjoint, qu’ils grandissent en entendant leur maman dire du bien de leur papa, bien qu’ils ne soient pas ensemble, et que leur papa parle bien de leur maman. Pour les parents séparés cela est très important et très difficile, mais ils peuvent le faire.
Mais la question est surtout comment éduquer ? Quelle tradition avons-nous à transmettre aujourd’hui à nos enfants ?
Des intellectuels « critiques » ont de mille manières fait taire les parents, pour défendre les jeunes générations des dommages — véritables ou présumés — de l’éducation familiale. La famille a été accusée, entre autres, d’autoritarisme, de favoritisme, de conformisme, de répression affective qui engendre des conflits.
De fait, une fracture s’est ouverte entre famille et société, entre famille et école, le pacte éducatif s’est aujourd’hui rompu et ainsi, l’alliance éducative de la société avec la famille est entrée en crise, car la confiance réciproque a été minée. Les symptômes sont nombreux. À l’école, par exemple, à l’école les relations entre parents et enseignants se sont dégradées. Il y a parfois des tensions et une méfiance réciproque ; et naturellement, les conséquences retombent sur les enfants. D’autre part, se sont multipliés les soi-disant experts, qui ont repris le rôle des parents également dans les aspects les plus intimes de l’éducation. Les experts savent tout sur la vie affective, sur la personnalité et le développement, sur les droits et les devoirs : objectifs, motivations, techniques. Et les parents doivent seulement écouter, apprendre et s’adapter. Privés de leur rôle, ils deviennent souvent excessivement anxieux et possessifs à l’égard de leurs enfants, jusqu’à ne jamais les corriger : « Tu ne peux pas corriger un enfant ». Ils tendent à les confier toujours davantage aux « experts », également en ce qui concerne les aspects les plus délicats et personnels de leur vie, se mettant tout seuls sur la touche. Ainsi les parents courent aujourd’hui le risque de s’auto-exclure de la vie de leurs enfants. Et cela est très grave ! Aujourd’hui, il existe des cas de ce genre. Je ne dis pas que cela arrive toujours, mais il y en a. La maîtresse à l’école gronde un enfant et écrit une note à ses parents. Je me souviens d’une anecdote personnelle. Une fois, quand j’étais à l’école primaire, j’ai dit un vilain mot à la maîtresse et la maîtresse, une brave femme, a fait appeler ma mère. Elle est venue le jour suivant, elles ont parlé entre elles et ensuite j’ai été appelé. Et ma maman m’a expliqué devant la maîtresse que ce que j’avais fait était une vilaine chose, que l’on ne devait pas faire ; mais ma mère l’a fait avec beaucoup de douceur et elle m’a demandé de demander pardon devant elle à la maîtresse. Je l’ai fait et ensuite j’étais content parce que j’ai dit : cette histoire a bien fini. Mais c’était le premier chapitre ! Quand je suis revenu à la maison, le deuxième chapitre a commencé… Imaginez-vous aujourd’hui, si la maîtresse fait quelque chose de ce genre, le lendemain elle retrouve les deux parents ou l’un des deux qui lui fait des reproches, car les « experts » disent que les enfants ne doivent pas être ainsi grondés. Les choses ont changé ! C’est pourquoi les parents ne doivent pas s’auto-exclure de l’éducation des enfants.
Il est évident que cette approche n’est pas la bonne : elle n’est pas harmonieuse, elle ne relève pas du dialogue, et au lieu de favoriser la collaboration entre la famille et les autres structures éducatives, les écoles, les salles de sport… elle les oppose.
Comment en sommes-nous arrivés là ? Il ne fait pas de doute que les parents, ou mieux, certains modèles éducatifs du passé avaient certaines limites, il n’y a pas de doute. Mais il est aussi vrai qu’il y a des erreurs que seuls les parents sont autorisés à faire, car ils peuvent les compenser d’une manière impossible pour qui que ce soit d’autre. D’autre part, nous le savons bien, la vie est devenues avare de temps pour parler, réfléchir, se confronter. De nombreux parents sont « séquestrés » par le travail — papa et maman doivent travailler — et par d’autres préoccupations, embarrassés par les nouvelles exigences des enfants et par la complexité de la vie actuelle, — qui est ainsi faite, nous devons l’accepter telle qu’elle est — et ils se trouvent comme paralysés par la crainte de commettre une erreur. Le problème, cependant, ne se résout pas uniquement en parlant. Au contraire, un « dialogue » superficiel ne mène pas à une véritable rencontre de l’esprit et du cœur. Demandons-nous plutôt : essayons-nous de comprendre « où » en sont réellement les enfants sur leur chemin ? Où est réellement leur âme, le savons-nous ? Et surtout, cela nous intéresse-t-il de le savoir ? Sommes-nous convaincus que ceux-ci en réalité, n’attendent rien d’autre ?
Les communautés chrétiennes sont appelées à offrir leur soutien à la mission éducative des familles, et elles le font en premier lieu à la lumière de la Parole de Dieu. L’apôtre Paul rappelle la réciprocité des devoirs entre parents et enfants : « Vous les enfants, en toutes choses écoutez vos parents ; dans le Seigneur, c’est cela qui est beau. Et vous les parents n’exaspérez pas vos enfants ; vous risquez de les décourager » (Col 3, 20-21). À la base de tout cela, il y a l’amour, celui que Dieu nous donne, qui « ne fait rien d’inconvenant, ne cherche pas son intérêt, ne s’irrite pas, ne tient pas compte du mal… excuse tout, croit tout, espère tout, supporte tout » (1 Co 13, 5-6). Même dans les meilleures familles, il faut se supporter, et il faut beaucoup de patience pour se supporter ! Mais ainsi va la vie. La vie ne se fait pas en laboratoire, elle se fait dans la réalité. Jésus lui-même est passé par l’éducation familiale.
Dans ce cas aussi, la grâce de l’amour du Christ accomplit ce qui est inscrit dans la nature humaine. Combien d’exemples magnifiques avons-nous de parents chrétiens pétris de sagesse humaine ! Ceux-ci démontrent que la bonne éducation familiale est la colonne vertébrale de l’humanisme. Son irradiation sociale est la ressource qui permet de compenser les lacunes, les blessures, les vides de paternité et de maternité qui touchent les enfants les moins chanceux. Cette irradiation peut faire d’authentiques miracles. Et dans l’Église, ces miracles ont lieu tous les jours !
Je souhaite que le Seigneur donne aux familles chrétiennes la foi, la liberté et le courage nécessaires pour leur mission. Si l’éducation familiale retrouve la fierté de son rôle, beaucoup de choses vont s’améliorer, pour les parents incertains et pour les enfants déçus. Et à présent, que les pères et les mères rentrent de leur exil — parce qu’ils se sont auto-exclus de l’éducation de leurs enfants —, et assument à nouveau pleinement leur rôle éducatif. Espérons que le Seigneur donne aux parents cette grâce de ne pas s’auto-exclure de l’éducation de leurs enfants. Et seuls l’amour, la tendresse et la patience peuvent faire cela.
Je salue cordialement les pèlerins de langue française, en particulier les groupes venus de Côte d’Ivoire et de France. Que le Saint-Esprit demeure sur vous et dans vos familles, et qu’il donne en particulier aux parents la foi, le courage et la liberté pour assumer leur mission éducative auprès de leurs enfants.
Que Dieu vous bénisse !