Archive pour avril, 2015
LE RÉALISME DE LA CROIX
14 avril, 2015http://livres-mystiques.com/partieTEXTES/Huan/lereali.html
LE RÉALISME DE LA CROIX
«Les juifs demandent des
miracles et les Grecs cherchent
la sagesse ; nous, nous prê-
chons le Christ crucifié »
(I Cor., I. 22)
Vous rappelez-vous la saisissante description qu’a faite Huysmans, dans Là-Bas, du Christ en croix peint par Mathaeus Grûnewald au Musée de Cassel ?
« Démanchés, presque arrachés des épaules, les bras du Christ paraissaient garrottés dans toute leur longueur par les courroies enroulées des muscles. L’aisselle éclamée craquait ; les mains grandes ouvertes brandissaient des doigts hagards « qui bénissaient quand même, dans un geste confus de prières et de reproches ; les pectoraux tremblaient, beurrés par les sueurs le torse était rayé de cercles de douves par la cage divulguée des côtes ; les chairs gonflaient, salpêtrées et bleuies, persillées de morsures de puces, mouchetées comme de coups d’aiguilles par les pointes des verges qui, brisées sous la peau, la lardaient encore, çà et là, d’échardes
L’heure des sanies était venue la, plaie fluviale du flanc ruisselait plus épaisse, inondait la hanche d’un sang pareil au jus foncé des mûres ; des sérosités rosâtres, des petits laits, des eaux, semblables à des vins de Moselle gris suintaient de la poitrine, trempaient le ventre au-dessous duquel ondulait le panneau bouillonné d’un linge ; puis, les genoux rapprochés de force, heurtaient leurs rotules et les jambes tordues s’évidaient jusqu’aux pieds qui, ramenés l’un sur l’autre, s’allongeaient, poussaient en pleine putréfaction, verdissaient dans des flots de sang les pieds spongieux et caillés étaient horribles la chair bourgeonnait, remontait sur la tête du clou et leurs doigts crispés contredisaient le geste implorant des mains, maudissaient, griffaient presque avec la corne bleue de leurs ongles l’ocre du sol, chargé de fer, pareil aux terres empourprées de la Thuringe.
Au-dessus de ce cadavre en éruption, la tête apparaissait tumultueuse et énorme ; cerclée d’une couronne désordonnée d’épines, elle pendait, exténuée, entrouvrait à peine un oeil hâve où frissonnait encore un regard de douleur et d’effroi ; la face était montueuse, le front démantelé, les joues taries ; tous les traits renversés pleuraient, tandis que la bouche descellée riait avec sa mâchoire contractée par des secousses tétaniques, atroces.
Le supplice avait été épouvantable, l’agonie avait terrifié l’allégresse des bourreaux en fuite. »
Le voilà le réalisme de la Croix ! Sans doute, l’Homme que l’on cloua sur le gibet d’infamie était Dieu par sa Personne incréée ; mais il était bien aussi, et en toute plénitude, par son âme et par son corps, un homme comme l’un quelconque d’entre nous ; aurait-il pu souffrir et mourir, s’il n’avait eu de la chair que l’on peut transpercer, et du sang que l’on peut répandre ? Et, s’il n’avait pas souffert, s’il n’était pas mort, la rédemption eût-elle été vraiment accomplie ? Ce ne fut donc pas un vain simulacre que la crucifixion de Jésus, mais une oeuvre de douleurs et d’angoisses où « l’Homme-Dieu reçut de telles meurtrissures que son corps exténué ne put retenir l’âme sainte qui l’animait et expira.
Que vient-on nous parler, à ce propos, de symbolisme, comme si la Croix de Jésus, par l’intersection de ses deux lignes horizontale et verticale, avait simplement pour objet de représenter par des signes géométriques une certaine doctrine cosmologique ? (1). En vérité, il s’agit ici de tout autre chose que de conceptions métaphysiques. Ce qui s’est accompli sur le Calvaire, c’est un sacrifice et un sacrifice sanglant : un Homme a été cloué sur une croix, et quel Homme ! Le Fils de Dieu, le Verbe, qui ne s’est fait chair qu’afin de donner sa vie pour le salut du monde. Si la Croix est un signe, c’est le signe de notre Rédemption. Aussi, dans la contemplation de Jésus crucifié, attachons-nous bien moins nos regards à l’instrument de bois qui a servi au supplice qu’à l’être humano-divin qui y est suspendu.
Avez-vous noté le fait remarquable de la destruction du Temple de Jérusalem quelques années après .la mort du Sauveur ? Cette destruction a eu pour effet de mettre un terme aux rites sacrificiels qui y étaient célébrés et par suite, à l’institution même du sacerdoce juif. Il semble bien, à ne constater que la succession historique des événements, que la mort de Jésus sur la Croix ait été un accomplissement, la réalisation de figures qui devaient prendre fin à sa venue et qui, de fait, ont pris fin lorsqu’il eut achevé sa mission rédemptrice. S’il est vrai, comme le rappelle l’Épître aux Hébreux, que l’effusion du sang des victimes consacrées à la divinité ait été, chez tous les peuples, la condition et le signe de la rémission des péchés, pourquoi les sacrifices sanglants ont-ils cessé, tout d’abord dans le culte juif, puis peu à peu sur toute la terre, si ce n’est précisément parce que l’Agneau de Dieu, se substituant à toutes les victimes, a payé pour tous les coupables et que par sa seule médiation l’humanité est désormais rentrée en grâce auprès du Créateur ? Le sacrifice du Golgotha est donc à la fois une oeuvre de rachat, dont la portée est universelle, puisqu’elle s’étend à tous les pécheurs et s’applique à tous les temps, et une oeuvre de substitution, puisque les fruits de la passion du Christ ont une telle vertu qu’ils suffisent, sans mérite de notre part, à nous, ouvrir tous les trésors de la miséricorde divine. Ainsi la mort du Christ met fin à la longue coulée de sang qui, depuis le meurtre d’Abel, n’avait cessé d’inonder le monde, sans réussir à laver l’humanité de ses iniquités et de ses turpitudes.
Devant ce spectacle de Jésus en croix, dont la tragique grandeur est faite de justice et d’amour, quel est celui d’entre nous qui oserait dire: cela ne me regarde pas ! Comme s’il n’était pour rien dans la passion du Christ ! Comme si Celui qui fut sans péché n’avait souffert et n’était mort que pour son propre salut ! Le grand-prêtre juif aspergeait lui-même de sang l’autel de Yahvé devant tout le peuple, au grand jour de l’Expiation ; mais, en le marquant ainsi du sang des taureaux, ce n’est pas seulement pour la rémission des péchés du peuple qu’il offrait le sacrifice, C’était aussi pour la rémission de ses propres péchés. Le Saint de Dieu, qui est notre grand-prêtre pour l’éternité, n’offre pas à son Père le sang des taureaux : il offre son sang à lui et il l’offre pour le salut du monde, c’est-à-dire pour la rédemption de chacun de nous en particulier. « Le Fils de Dieu, parce qu’il m’a aimé, s’est livré lui-même à la mort pour moi ». (Galat.II, 20).
Comprend-on maintenant ce qu’est pour nous Jésus en Croix ?
Jésus en croix, c’est le don infini de l’Amour divin à tout coeur qui veut aimer !
Jésus en croix, c’est la miséricorde et le pardon de Dieu, s’inclinant vers tous les hommes de bonne volonté !
Jésus en croix, c’est l’Agneau sans tâche qui porte sur lui les péchés du monde !
Jésus en croix, c’est le bon Pasteur qui donne sa vie pour ses brebis !
Jésus en croix, c’est le Roi des rois, couronné d’épines pour payer la rançon de son peuple !
Jésus en croix, c’est la Vigne mystique qui étend ses rameaux sur l’humanité coupable pour la couvrir de son abri tutélaire !
Jésus en croix, c’est la Lumière du Ciel venant éclairer ceux qui sont assis dans les ténèbres et à l’ombre de la mort !
Jésus en croix, c’est la sainte et pure Victime d’amour inondant toute la terre de son sang, afin qu’elle fût lavée de toutes ses iniquités, de toutes ses turpitudes, de toutes ses forfaitures !
Jésus en croix, c’est le souverain Maître de l’Univers livré à toutes les puissances du Mal et de la Haine pour nous mériter la liberté des enfants de Dieu ;
Jésus en croix, c’est l’appel de l’Amour compatissant à toutes les âmes affligées qui plient sous le poids de leurs misères et de leurs fautes !
Jésus en croix, c’est le Dieu qui meurt pour que tous les hommes, ses créatures aient la vie et la vie éternelle
Jésus en croix, c’est notre guérison, notre lumière., notre, force, notre justice, c’est notre sanctification et notre rédemption, notre Salut et notre Paix.
«Mon âme approche de la Croix avec la plus profonde humilité, la plus grave attention et la plus entière confiance. Baise cet autel où meurt ton Bien-aimé Sauveur : mets-toi sous ses pieds et courbe la tête pour recevoir le sang divin. Dis, comme les Juifs mais avec un tout autre sentiment : que son sang soit sur moi ! Oui, Seigneur, que votre précieux sang descende sur nous et nous lave de nos péchés ! Non, le sang de Jésus-Christ, le sang du Sauveur mort pour nous, ce sang ne crie pas vengeance comme celui d’Abel. Il ne demande pour nous que grâce et miséricorde (2).»
JÉSUS EN CROIX ! VOUS QUI EFFACEZ LES PÉCHÉS DU MONDE, AYEZ PITIÉ DE NOUS
Gabriel HUAN.
« GÉOGRAPHIE DE LA BIBLE » ET NON »GÉOGRAPHIE BIBLIQUE’ »
14 avril, 2015http://www.bible-service.net/extranet/current/pages/421.html
« GÉOGRAPHIE DE LA BIBLE » ET NON »GÉOGRAPHIE BIBLIQUE’ »
Approfondir
Le titre de ce Cahier, « La géographie de la Bible », indique que son propos dépasse les limites de l’ancien concept de « géographie biblique ».
Le titre de ce Cahier, La géographie de la Bible, veut indiquer que son propos dépasse les limites de l’ancien concept de « géographie biblique », une telle désignation pouvant laisser croire que la géographie appliquée aux données bibliques se serait constituée en discipline spécifique. La géographie est une science autonome, et c’est en tant que telle qu’elle peut fournir au lecteur des textes bibliques des instruments susceptibles d’en améliorer la compréhension. Science autonome, la géographie est également une science aux multiples facettes, auxquelles correspondent les différents angles d’approche que nous nous proposons d’adopter dans ce Cahier.
Tout d’abord, nous nous intéresserons à la géographie physique du pays, ou mieux, des pays bibliques : cet intitulé recouvre aussi bien la géologie’, que l’étude du relief, celle de l’hydrologie ou enfin celle du climat. Les données de la géographie physique conduisent à délimiter les principales régions qui constituent
les pays bibliques, et à en préciser les caractéristiques propres. Elles permettent donc d’élaborer une véritable géographie régionale. La définition géographique des principales régions ira de pair avec une enquête permettant de mettre au jour la manière dont le texte biblique se réfère aux différentes entités géographiques, et de préciser le vocabulaire spécifique auquel il recourt pour les désigner.
Puis, notre enquête aura pour objet la géographie humaine. Ce terme veut désigner tout à la fois la géographie économique (agriculture, industrie, communications et commerce) et la géographie politique : l’entité politique « Israël », quelles que soient ses désignations successives. Israël a toujours été tributaire de l’histoire des grandes puissances qui l’entouraient : au sud l’Égypte, au nord-est les empires qui se sont succédé dans l’espace mésopotamien. C’est dans ce contexte régional qu’il convient de comprendre le développement puis la chute des royaumes de Samarie et de Juda, le destin politique de la fragile province de Judée, dans le cadre de l’Empire perse, la naissance et le développement du royaume hasmonéen. A ces différentes époques, comme à la Palestine du Nouveau Testament, correspondent des caractéristiques géographiques propres que nous présenterons brièvement.
Signalons ici que les données récentes de l’archéologie des pays de la Bible mettent parfois en question les résultats communément admis de la critique socio-historique des textes bibliques, particulièrement pour ce qui concerne la période pré-exilique : des datations se révèlent contestables, des entités politiques (tel le royaume de David et de Salomon) semblent devoir faire l’objet d’une nouvelle évaluation critique. Nous tenterons de mettre en perspective les résultats récents des études archéologiques et les données de l’exégèse critique des textes bibliques.
Enfin, se pencher sur le thème « géographie et Bible », c’est aussi s’intéresser à la manière dont le texte biblique recourt aux données géographiques. A côté de récits où les notions géographiques, souvent sobrement exposées, ont pour but de préciser le cadre de l’action, ou encore de compléter l’information du lecteur, plusieurs textes ou ensembles littéraires recourent à la géographie comme lieu « théologal »: l’organisation, la structuration de certains récits à l’aide d’une géographie symbolique est l’un des vecteurs choisis par leurs auteurs pour délivrer au lecteur ou à l’auditeur un message théologique. Dans la dernière partie de ce Cahier, nous chercherons à mettre au jour la géographie symbolique du Tétrateuque sacerdotal (Gn-Nb), celle du cycle de Jacob, celle du livre du Deutéronome, et enfin, dans le Nouveau Testament, celles des Évangiles synoptiques ( les itinéraires des voyages de Paul sont délibérément laissés en dehors de la perspective de ce Cahier).
Olivier Artus, SBEV / Éd. du Cerf, Cahier Évangile n° 122 (décembre 2002), « La géographie de la Bible » (p. 5-6)
BULLE D’INDICTION DU JUBILÉ EXTRAORDINAIRE DE LA MISÉRICORDE
13 avril, 2015BULLE D’INDICTION DU JUBILÉ EXTRAORDINAIRE DE LA MISÉRICORDE
FRANÇOIS EVÊQUE DE ROME SERVITEUR DES SERVITEURS DE DIEU
À CEUX QUI LIRONT CETTE LETTRE GRÂCE, MISÉRICORDE ET PAIX
1. Jésus-Christ est le visage de la miséricorde du Père. Le mystère de la foi chrétienne est là tout entier. Devenue vivante et visible, elle atteint son sommet en Jésus de Nazareth. Le Père, «riche en miséricorde» (Ep 2, 4) après avoir révélé son nom à Moïse comme «Dieu tendre et miséricordieux, lent à la colère, plein d’amour et de vérité» (Ex 34, 6) n’a pas cessé de faire connaître sa nature divine de différentes manières et en de nombreux moments. Lorsqu’est venue la «plénitude des temps» (Ga 4, 4), quand tout fut disposé selon son dessein de salut, il envoya son Fils né de la Vierge Marie pour nous révéler de façon définitive son amour. Qui le voit a vu le Père (cf. Jn 14, 9). A travers sa parole, ses gestes, et toute sa personne,[1] Jésus de Nazareth révèle la miséricorde de Dieu.
2. Nous avons toujours besoin de contempler le mystère de la miséricorde. Elle est source de joie, de sérénité et de paix. Elle est la condition de notre salut. Miséricorde est le mot qui révèle le mystère de la Sainte Trinité. La miséricorde, c’est l’acte ultime et suprême par lequel Dieu vient à notre rencontre. La miséricorde, c’est la loi fondamentale qui habite le cœur de chacun lorsqu’il jette un regard sincère sur le frère qu’il rencontre sur le chemin de la vie. La miséricorde, c’est le chemin qui unit Dieu et l’homme, pour qu’il ouvre son cœur à l’espérance d’être aimé pour toujours malgré les limites de notre péché.
3. Il y a des moments où nous sommes appelés de façon encore plus pressante, à fixer notre regard sur la miséricorde, afin de devenir nous aussi signe efficace de l’agir du Père. C’est la raison pour laquelle j’ai voulu ce Jubilé Extraordinaire de la Miséricorde, comme un temps favorable pour l’Eglise, afin que le témoignage rendu par les croyants soit plus fort et plus efficace.
L’Année Sainte s’ouvrira le 8 décembre 2015, solennité de l’Immaculée Conception. Cette fête liturgique montre comment Dieu agit dès le commencement de notre histoire. Après qu’Adam et Eve eurent péché, Dieu n’a pas voulu que l’humanité demeure seule et en proie au mal. C’est pourquoi Marie a été pensée et voulue sainte et immaculée dans l’amour (cf. Ep 1, 4), pour qu’elle devienne la Mère du Rédempteur de l’homme. Face à la gravité du péché, Dieu répond par la plénitude du pardon. La miséricorde sera toujours plus grande que le péché, et nul ne peut imposer une limite à l’amour de Dieu qui pardonne. En cette fête de l’Immaculée Conception, j’aurai la joie d’ouvrir la Porte Sainte. En cette occasion, ce sera une Porte de la Miséricorde, où quiconque entrera pourra faire l’expérience de l’amour de Dieu qui console, pardonne, et donne l’espérance.
Le dimanche suivant, troisième de l’Avent, la Porte Sainte sera ouverte dans la cathédrale de Rome, la Basilique Saint Jean de Latran. Ensuite seront ouvertes les Portes Saintes dans les autres Basiliques papales. Ce même dimanche, je désire que dans chaque Eglise particulière, dans la cathédrale qui est l’Eglise-mère pour tous les fidèles, ou bien dans la co-cathédrale ou dans une église d’importance particulière, une Porte de la Miséricorde soit également ouverte pendant toute l’Année Sainte. Au choix de l’Ordinaire du lieu, elle pourra aussi être ouverte dans les Sanctuaires où affluent tant de pèlerins qui, dans ces lieux ont le cœur touché par la grâce et trouvent le chemin de la conversion. Chaque Eglise particulière est donc directement invitée à vivre cette Année Sainte comme un moment extraordinaire de grâce et de renouveau spirituel. Donc, le Jubilé sera célébré à Rome, de même que dans les Eglises particulières, comme signe visible de la communion de toute l’Eglise.
4. J’ai choisi la date du 8 décembre pour la signification qu’elle revêt dans l’histoire récente de l’Eglise. Ainsi, j’ouvrirai la Porte Sainte pour le cinquantième anniversaire de la conclusion du Concile œcuménique Vatican II. L’Eglise ressent le besoin de garder vivant cet événement. C’est pour elle que commençait alors une nouvelle étape de son histoire. Les Pères du Concile avait perçu vivement, tel un souffle de l’Esprit, qu’il fallait parler de Dieu aux hommes de leur temps de façon plus compréhensible. Les murailles qui avaient trop longtemps enfermé l’Eglise comme dans une citadelle ayant été abattues, le temps était venu d’annoncer l’Evangile de façon renouvelée. Etape nouvelle pour l’évangélisation de toujours. Engagement nouveau de tous les chrétiens à témoigner avec plus d’enthousiasme et de conviction de leur foi. L’Eglise se sentait responsable d’être dans le monde le signe vivant de l’amour du Père.
Les paroles riches de sens que saint Jean XXIII a prononcées à l’ouverture du Concile pour montrer le chemin à parcourir reviennent en mémoire: «Aujourd’hui, l’Épouse du Christ, l’Église, préfère recourir au remède de la miséricorde plutôt que de brandir les armes de la sévérité… L’Eglise catholique, en brandissant le flambeau de la vérité religieuse, veut se montrer la mère très aimante de tous, bienveillante, patiente, pleine d’indulgence et de bonté à l’égard de ses fils séparés».[2] Dans la même perspective, lors de la conclusion du Concile, le bienheureux Paul VI s’exprimait ainsi: «Nous voulons plutôt souligner que la règle de notre Concile a été avant tout la charité … La vieille histoire du bon Samaritain a été le modèle et la règle de la spiritualité du Concile…. Un courant d’affection et d’admiration a débordé du Concile sur le monde humain moderne. Des erreurs ont été dénoncées. Oui, parce que c’est l’exigence de la charité comme de la vérité mais, à l’adresse des personnes, il n’y eut que rappel, respect et amour. Au lieu de diagnostics déprimants, des remèdes encourageants ; au lieu de présages funestes, des messages de confiance sont partis du Concile vers le monde contemporain: ses valeurs ont été non seulement respectées, mais honorées ; ses efforts soutenus, ses aspirations purifiées et bénies… toute cette richesse doctrinale ne vise qu’à une chose: servir l’homme. Il s’agit, bien entendu, de tout homme, quels que soient sa condition, sa misère et ses besoins».[3]
Animé par des sentiments de gratitude pour tout ce que l’Eglise a reçu, et conscient de la responsabilité qui est la nôtre, nous passerons la Porte Sainte sûrs d’être accompagnés par la force du Seigneur Ressuscité qui continue de soutenir notre pèlerinage. Que l’Esprit Saint qui guide les pas des croyants pour coopérer à l’œuvre du salut apporté par le Christ, conduise et soutienne le Peuple de Dieu pour l’aider à contempler le visage de la miséricorde.[4]
5. C’est le 20 novembre 2016, en la solennité liturgique du Christ, Roi de l’Univers, que sera conclue l’Année jubilaire. En refermant la Porte Sainte ce jour-là, nous serons animés de sentiments de gratitude et d’action de grâce envers la Sainte Trinité qui nous aura donné de vivre ce temps extraordinaire de grâce. Nous confierons la vie de l’Eglise, l’humanité entière et tout le cosmos à la Seigneurie du Christ, pour qu’il répande sa miséricorde telle la rosée du matin, pour une histoire féconde à construire moyennant l’engagement de tous au service de notre proche avenir. Combien je désire que les années à venir soient comme imprégnées de miséricorde pour aller à la rencontre de chacun en lui offrant la bonté et la tendresse de Dieu! Qu’à tous, croyants ou loin de la foi, puisse parvenir le baume de la miséricorde comme signe du Règne de Dieu déjà présent au milieu de nous.
6. «La miséricorde est le propre de Dieu dont la toute-puissance consiste justement à faire miséricorde».[5] Ces paroles de saint Thomas d’Aquin montrent que la miséricorde n’est pas un signe de faiblesse, mais bien l’expression de la toute-puissance de Dieu. C’est pourquoi une des plus antiques collectes de la liturgie nous fait prier ainsi: «Dieu qui donne la preuve suprême de ta puissance lorsque tu patientes et prends pitié».[6] Dieu sera toujours dans l’histoire de l’humanité comme celui qui est présent, proche, prévenant, saint et miséricordieux.
“Patient et miséricordieux”, tel est le binôme qui parcourt l’Ancien Testament pour exprimer la nature de Dieu. Sa miséricorde se manifeste concrètement à l’intérieur de tant d’événements de l’histoire du salut où sa bonté prend le pas sur la punition ou la destruction. D’une façon particulière, les Psaumes font apparaître cette grandeur de l’agir divin: «Car il pardonne toutes tes offenses et te guérit de toute maladie ; il réclame ta vie à la tombe et te couronne d’amour et de tendresse» (Ps 102, 3-4). D’une façon encore plus explicite, un autre Psaume énonce les signes concrets de la miséricorde: «Il fait justice aux opprimés ; aux affamés, il donne le pain ; le Seigneur délie les enchaînés. Le Seigneur ouvre les yeux des aveugles, le Seigneur redresse les accablés, le Seigneur aime les justes, le Seigneur protège l’étranger. Il soutient la veuve et l’orphelin, il égare les pas du méchant» (145, 7-9). Voici enfin une autre expression du psalmiste: «[Le Seigneur] guérit les cœurs brisés et soigne leurs blessures… Le Seigneur élève les humbles et rabaisse jusqu’à terre les impies» (146, 3.6). En bref, la miséricorde de Dieu n’est pas une idée abstraite, mais une réalité concrète à travers laquelle Il révèle son amour comme celui d’un père et d’une mère qui se laissent émouvoir au plus profond d’eux mêmes par leur fils. Il est juste de parler d’un amour «viscéral». Il vient du cœur comme un sentiment profond, naturel, fait de tendresse et de compassion, d’indulgence et de pardon.
7. «Eternel est son amour»: c’est le refrain qui revient à chaque verset du Psaume 135 dans le récit de l’histoire de la révélation de Dieu. En raison de la miséricorde, tous les événements de l’Ancien Testament sont riches d’une grande valeur salvifique. La miséricorde fait de l’histoire de Dieu avec Israël une histoire du salut. Répéter sans cesse: «Eternel est son amour» comme fait le Psaume, semble vouloir briser le cercle de l’espace et du temps pour tout inscrire dans le mystère éternel de l’amour. C’est comme si l’on voulait dire que non seulement dans l’histoire, mais aussi dans l’éternité, l’homme sera toujours sous le regard miséricordieux du Père. Ce n’est pas par hasard que le peuple d’Israël a voulu intégrer ce Psaume, le “Grand hallel” comme on l’appelle, dans les fêtes liturgiques les plus importantes.
Avant la Passion, Jésus a prié avec ce Psaume de la miséricorde. C’est ce qu’atteste l’évangéliste Matthieu quand il dit qu’«après avoir chanté les Psaumes» (26, 30), Jésus et ses disciples sortirent en direction du Mont des Oliviers. Lorsqu’il instituait l’Eucharistie, mémorial pour toujours de sa Pâque, il établissait symboliquement cet acte suprême de la Révélation dans la lumière de la miséricorde. Sur ce même horizon de la miséricorde, Jésus vivait sa passion et sa mort, conscient du grand mystère d’amour qui s’accomplissait sur la croix. Savoir que Jésus lui-même a prié avec ce Psaume le rend encore plus important pour nous chrétiens, et nous appelle à en faire le refrain de notre prière quotidienne de louange : «Eternel est son amour».
8. Le regard fixé sur Jésus et son visage miséricordieux, nous pouvons accueillir l’amour de la Sainte Trinité. La mission que Jésus a reçue du Père a été de révéler le mystère de l’amour divin dans sa plénitude. L’évangéliste Jean affirme pour la première et unique fois dans toute l’Ecriture: «Dieu est amour» (1 Jn 4, 8.16). Cet amour est désormais rendu visible et tangible dans toute la vie de Jésus. Sa personne n’est rien d’autre qu’amour, un amour qui se donne gratuitement. Les relations avec les personnes qui s’approchent de Lui ont quelque chose d’unique et de singulier. Les signes qu’il accomplit, surtout envers les pécheurs, les pauvres, les exclus, les malades et les souffrants, sont marqués par la miséricorde. Tout en Lui parle de miséricorde. Rien en Lui ne manque de compassion.
Face à la multitude qui le suivait, Jésus, voyant qu’ils étaient fatigués et épuisés, égarés et sans berger, éprouva au plus profond de son cœur, une grande compassion pour eux (cf. Mt 9, 36). En raison de cet amour de compassion, il guérit les malades qu’on lui présentait (cf. Mt 14, 14), et il rassasia une grande foule avec peu de pains et de poissons (cf. Mt 15, 37). Ce qui animait Jésus en toute circonstance n’était rien d’autre que la miséricorde avec laquelle il lisait dans le cœur de ses interlocuteurs et répondait à leurs besoins les plus profonds. Lorsqu’il rencontra la veuve de Naïm qui emmenait son fils unique au tombeau, il éprouva une profonde compassion pour la douleur immense de cette mère en pleurs, et il lui redonna son fils, le ressuscitant de la mort (cf. Lc 7, 15). Après avoir libéré le possédé de Gerasa, il lui donna cette mission: «Annonce tout ce que le Seigneur a fait pour toi dans sa miséricorde» (Mc 5, 19). L’appel de Matthieu est lui aussi inscrit sur l’horizon de la miséricorde. Passant devant le comptoir des impôts, Jésus regarda Matthieu dans les yeux. C’était un regard riche de miséricorde qui pardonnait les péchés de cet homme, et surmontant les résistances des autres disciples, il le choisit, lui, le pécheur et le publicain, pour devenir l’un des Douze. Commentant cette scène de l’Evangile, Saint Bède le Vénérable a écrit que Jésus regarda Matthieu avec un amour miséricordieux, et le choisit: miserando atque eligendo.[7] Cette expression m’a toujours fait impression au point d’en faire ma devise.
9. Dans les paraboles de la miséricorde, Jésus révèle la nature de Dieu comme celle d’un Père qui ne s’avoue jamais vaincu jusqu’à ce qu’il ait absous le péché et vaincu le refus, par la compassion et la miséricorde. Nous connaissons ces paraboles, trois en particulier : celle de la brebis égarée, celle de la pièce de monnaie perdue, et celle du père et des deux fils (cf. Lc 15, 1-32). Dans ces paraboles, Dieu est toujours présenté comme rempli de joie, surtout quand il pardonne. Nous y trouvons le noyau de l’Evangile et de notre foi, car la miséricorde y est présentée comme la force victorieuse de tout, qui remplit le cœur d’amour, et qui console en pardonnant.
Dans une autre parabole, nous recevons un enseignement pour notre manière de vivre en chrétiens. Interpellé par la question de Pierre lui demandant combien de fois il fallait pardonner, Jésus répondit: «Je ne te dis pas jusqu’à sept fois, mais jusqu’à soixante dix fois sept fois» (Mt 18, 22). Il raconte ensuite la parabole du «débiteur sans pitié». Appelé par son maître à rendre une somme importante, il le supplie à genoux et le maître lui remet sa dette. Tout de suite après, il rencontre un autre serviteur qui lui devait quelques centimes. Celui-ci le supplia à genoux d’avoir pitié, mais il refusa et le fit emprisonner. Ayant appris la chose, le maître se mit en colère et rappela le serviteur pour lui dire: «Ne devais-tu pas, à ton tour, avoir pitié de ton compagnon, comme moi-même j’avais eu pitié de toi ?» (Mt 18, 33). Et Jésus conclut: «C’est ainsi que mon Père du ciel vous traitera, si chacun de vous ne pardonne pas à son frère du fond du cœur» (Mt 18, 35).
La parabole est d’un grand enseignement pour chacun de nous. Jésus affirme que la miséricorde n’est pas seulement l’agir du Père, mais elle devient le critère pour comprendre qui sont ses véritables enfants. En résumé, nous sommes invités à vivre de miséricorde parce qu’il nous a d’abord été fait miséricorde. Le pardon des offenses devient l’expression la plus manifeste de l’amour miséricordieux, et pour nous chrétiens, c’est un impératif auquel nous ne pouvons pas nous soustraire. Bien souvent, il nous semble difficile de pardonner ! Cependant, le pardon est le moyen déposé dans nos mains fragiles pour atteindre la paix du cœur. Se défaire de la rancœur, de la colère, de la violence et de la vengeance, est la condition nécessaire pour vivre heureux. Accueillons donc la demande de l’apôtre: «Que le soleil ne se couche pas sur votre colère» (Ep 4, 26). Ecoutons surtout la parole de Jésus qui a établi la miséricorde comme idéal de vie, et comme critère de crédibilité de notre foi: «Heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde» (Mt 5, 7). C’est la béatitude qui doit susciter notre engagement tout particulier en cette Année Sainte.
Comme on peut le remarquer, la miséricorde est, dans l’Ecriture, le mot-clé pour indiquer l’agir de Dieu envers nous. Son amour n’est pas seulement affirmé, mais il est rendu visible et tangible. D’ailleurs, l’amour ne peut jamais être un mot abstrait. Par nature, il est vie concrète: intentions, attitudes, comportements qui se vérifient dans l’agir quotidien. La miséricorde de Dieu est sa responsabilité envers nous. Il se sent responsable, c’est-à-dire qu’il veut notre bien et nous voir heureux, remplis de joie et de paix. L’amour miséricordieux des chrétiens doit être sur la même longueur d’onde. Comme le Père aime, ainsi aiment les enfants. Comme il est miséricordieux, ainsi sommes-nous appelés à être miséricordieux les uns envers les autres.
10. La miséricorde est le pilier qui soutient la vie de l’Eglise. Dans son action pastorale, tout devrait être enveloppé de la tendresse par laquelle on s’adresse aux croyants. Dans son annonce et le témoignage qu’elle donne face au monde, rien ne peut être privé de miséricorde. La crédibilité de l’Eglise passe par le chemin de l’amour miséricordieux et de la compassion. L’Eglise «vit un désir inépuisable d’offrir la miséricorde».[8] Peut-être avons-nous parfois oublié de montrer et de vivre le chemin de la miséricorde. D’une part, la tentation d’exiger toujours et seulement la justice a fait oublier qu’elle n’est qu’un premier pas, nécessaire et indispensable, mais l’Eglise doit aller au-delà pour atteindre un but plus haut et plus significatif. D’autre part, il est triste de voir combien l’expérience du pardon est toujours plus rare dans notre culture. Même le mot semble parfois disparaître. Sans le témoignage du pardon, il n’y a qu’une vie inféconde et stérile, comme si l’on vivait dans un désert. Le temps est venu pour l’Eglise de retrouver la joyeuse annonce du pardon. Il est temps de revenir à l’essentiel pour se charger des faiblesses et des difficultés de nos frères. Le pardon est une force qui ressuscite en vie nouvelle et donne le courage pour regarder l’avenir avec espérance.
11. Nous ne pouvons pas oublier le grand enseignement que saint Jean-Paul II nous a donné dans sa deuxième encyclique Dives in misericordia, qui arriva à l’époque de façon inattendue et provoqua beaucoup de surprise en raison du thème abordé. Je voudrais revenir plus particulièrement sur deux expressions. Tout d’abord le saint Pape remarque l’oubli du thème de la miséricorde dans la culture actuelle : «La mentalité contemporaine semble s’opposer au Dieu de miséricorde, et elle tend à éliminer de la vie et à ôter du cœur humain la notion même de miséricorde. Le mot et l’idée de miséricorde semblent mettre mal à l’aise l’homme qui, grâce à un développement scientifique et technique inconnu jusqu’ici, est devenu maître de la terre qu’il a soumise et dominée (cf. Gn 1, 28). Cette domination de la terre, entendue parfois de façon unilatérale et superficielle, ne laisse pas de place, semble-t-il, à la miséricorde… Et c’est pourquoi, dans la situation actuelle de l’Eglise
et du monde, bien des hommes et bien des milieux, guidés par un sens aigu de la foi, s’adressent, je dirais quasi spontanément, à la miséricorde de Dieu».[9]
C’est ainsi que saint Jean-Paul II justifiait l’urgence de l’annonce et du témoignage à l’égard de la miséricorde dans le monde contemporain: «Il est dicté par l’amour envers l’homme, envers tout ce qui est humain, et qui, selon l’intuition d’une grande partie des hommes de ce temps, est menacé par un péril immense. Le mystère du Christ… m’a poussé à rappeler dans l’encyclique Redemptor Hominis sa dignité incomparable, m’oblige aussi à proclamer la miséricorde en tant qu’amour miséricordieux de Dieu révélé dans ce mystère. Il me conduit également à en appeler à cette miséricorde et à l’implorer dans cette phase difficile et critique de l’histoire de l’Eglise et du monde».[10] Son enseignement demeure plus que jamais d’actualité et mérite d’être repris en cette Année Sainte. Recevons ses paroles de façon renouvelée : «L’Eglise vit d’une vie authentique lorsqu’elle professe et proclame la Miséricorde, attribut le plus admirable du Créateur et du Rédempteur, et lorsqu’elle conduit les hommes aux sources de la Miséricorde du Sauveur, dont elle est la dépositaire et la dispensatrice».[11]
12. L’Eglise a pour mission d’annoncer la miséricorde de Dieu, cœur battant de l’Evangile, qu’elle doit faire parvenir au cœur et à l’esprit de tous. L’Epouse du Christ adopte l’attitude du Fils de Dieu qui va à la rencontre de tous, sans exclure personne. De nos jours où l’Eglise est engagée dans la nouvelle évangélisation, le thème de la miséricorde doit être proposé avec un enthousiasme nouveau et à travers une pastorale renouvelée. Il est déterminant pour l’Eglise et pour la crédibilité de son annonce de vivre et de témoigner elle-même de la miséricorde. Son langage et ses gestes doivent transmettre la miséricorde pour pénétrer le cœur des personnes et les inciter à retrouver le chemin du retour au Père.
La vérité première de l’Eglise est l’amour du Christ. L’Eglise se fait servante et médiatrice de cet amour qui va jusqu’au pardon et au don de soi. En conséquence, là où l’Eglise est présente, la miséricorde du Père doit être manifeste. Dans nos paroisses, les communautés, les associations et les mouvements, en bref, là où il y a des chrétiens, quiconque doit pouvoir trouver une oasis de miséricorde.
13. Nous voulons vivre cette Année Jubilaire à la lumière de la parole du Seigneur : Miséricordieux comme le Père. L’évangéliste rapporte l’enseignement du Christ qui dit : « Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux » (Lc 6, 36). C’est un programme de vie aussi exigeant que riche de joie et de paix. Le commandement de Jésus s’adresse à ceux qui écoutent sa voix
(cf. Lc 6, 27). Pour être capable de miséricorde, il nous faut donc d’abord nous mettre à l’écoute de la Parole de Dieu. Cela veut dire qu’il nous faut retrouver la valeur du silence pour méditer la Parole qui nous est adressée. C’est ainsi qu’il est possible de contempler la miséricorde de Dieu et d’en faire notre style de vie.
14. Le pèlerinage est un signe particulier de l’Année Sainte : il est l’image du chemin que chacun parcourt au long de son existence. La vie est un pèlerinage, et l’être humain un viator, un pèlerin qui parcourt un chemin jusqu’au but désiré. Pour passer la Porte Sainte à Rome, et en tous lieux, chacun devra, selon ses forces, faire un pèlerinage. Ce sera le signe que la miséricorde est un but à atteindre, qui demande engagement et sacrifice. Que le pèlerinage stimule notre conversion : en passant la Porte Sainte, nous nous laisserons embrasser par la miséricorde de Dieu, et nous nous engagerons à être miséricordieux avec les autres comme le Père l’est avec nous.
Le Seigneur Jésus nous montre les étapes du pèlerinage à travers lequel nous pouvons atteindre ce but : « Ne jugez pas, et vous ne serez pas jugés ; ne condamnez pas, et vous ne serez pas condamnés. Pardonnez, et vous serez pardonnés. Donnez, et l’on vous donnera : c’est une mesure bien pleine, tassée, secouée, débordante, qui sera versée dans le pan de votre vêtement ; car la mesure dont vous vous servez pour les autres servira de mesure aussi pour vous » (Lc 6, 37-38). Il nous est dit, d’abord, de ne pas juger, et de ne pas condamner. Si l’on ne veut pas être exposé au jugement de Dieu, personne ne doit devenir juge de son frère. De fait, en jugeant, les hommes s’arrêtent à ce qui est superficiel, tandis que le Père regarde les coeurs. Que de mal les paroles ne font-elles pas lorsqu’elles sont animées par des sentiments de jalousie ou d’envie ! Mal parler du frère en son absence, c’est le mettre sous un faux jour, c’est compromettre sa réputation et l’abandonner aux ragots. Ne pas juger et ne pas condamner signifie, de façon positive, savoir accueillir ce qu’il y a de bon en toute personne et ne pas permettre quelle ait à souffrir de notre jugement partiel et de notre prétention à tout savoir. Ceci n’est pas encore suffisant pour exprimer ce qu’est la miséricorde. Jésus demande aussi de pardonner et de donner, d’être instruments du pardon puisque nous l’avons déjà reçu de Dieu, d’être généreux à l’égard de tous en sachant que Dieu étend aussi sa bonté pour nous avec grande magnanimité.
Miséricordieux comme le Père, c’est donc la “devise” de l’Année Sainte. Dans la miséricorde, nous avons la preuve de la façon dont Dieu aime. Il se donne tout entier, pour toujours, gratuitement, et sans rien demander en retour. Il vient à notre secours lorsque nous l’invoquons. Il est beau que la prière quotidienne de l’Eglise commence avec ces paroles : « Mon Dieu, viens me délivrer ; Seigneur, viens vite à mon secours » (Ps 69, 2). L’aide que nous implorons est déjà le premier pas de la miséricorde de Dieu à notre égard. Il vient nous sauver de la condition de faiblesse dans laquelle nous vivons. Son aide consiste à rendre accessible sa présence et sa proximité. Touchés jour après jour par sa compassion, nous pouvons nous aussi devenir compatissants envers tous.
15. Au cours de cette Année Sainte, nous pourrons faire l’expérience d’ouvrir le cœur à ceux qui vivent dans les périphéries existentielles les plus différentes, que le monde moderne a souvent créées de façon dramatique. Combien de situations de précarité et de souffrance n’existent-elles pas dans le monde d’aujourd’hui ! Combien de blessures ne sont-elles pas imprimées dans la chair de ceux qui n’ont plus de voix parce que leur cri s’est évanoui et s’est tu à cause de l’indifférence des peuples riches ! Au cours de ce Jubilé, l’Eglise sera encore davantage appelée à soigner ces blessures, à les soulager avec l’huile de la consolation, à les panser avec la miséricorde et à les soigner par la solidarité et l’attention. Ne tombons pas dans l’indifférence qui humilie, dans l’habitude qui anesthésie l’âme et empêche de découvrir la nouveauté, dans le cynisme destructeur. Ouvrons nos yeux pour voir les misères du monde, les blessures de tant de frères et soeurs privés de dignité, et sentons-nous appelés à entendre leur cri qui appelle à l’aide. Que nos mains serrent leurs mains et les attirent vers nous afin qu’ils sentent la chaleur de notre présence, de l’amitié et de la fraternité. Que leur cri devienne le nôtre et qu’ensemble, nous puissions briser la barrière d’indifférence qui règne souvent en souveraine pour cacher l’hypocrisie et l’égoïsme.
J’ai un grand désir que le peuple chrétien réfléchisse durant le Jubilé sur les œuvres de miséricorde corporelles et spirituelles. Ce sera une façon de réveiller notre conscience souvent endormie face au drame de la pauvreté, et de pénétrer toujours davantage le cœur de l’Evangile, où les pauvres sont les destinataires privilégiés de la miséricorde divine. La prédication de Jésus nous dresse le tableau de ces œuvres de miséricorde, pour que nous puissions comprendre si nous vivons, oui ou non, comme ses disciples. Redécouvrons les œuvres de miséricorde corporelles : donner à manger aux affamés, donner à boire à ceux qui ont soif, vêtir ceux qui sont nus, accueillir les étrangers, assister les malades, visiter les prisonniers, ensevelir les morts. Et n’oublions pas les œuvres de miséricorde spirituelles : conseiller ceux qui sont dans le doute, enseigner les ignorants, avertir les pécheurs, consoler les affligés, pardonner les offenses, supporter patiemment les personnes ennuyeuses, prier Dieu pour les vivants et pour les morts.
Nous ne pouvons pas échapper aux paroles du Seigneur et c’est sur elles que nous serons jugés : aurons-nous donné à manger à qui a faim et à boire à qui a soif ? Aurons-nous accueilli l’étranger et vêtu celui qui était nu ? Aurons-nous pris le temps de demeurer auprès de celui qui est malade et prisonnier ? (cf. Mt 25, 31-45). De même, il nous sera demandé si nous avons aidé à sortir du doute qui engendre la peur, et bien souvent la solitude; si nous avons été capable de vaincre l’ignorance dans laquelle vivent des millions de personnes, surtout des enfants privés de l’aide nécessaire pour être libérés de la pauvreté, si nous nous sommes fait proches de celui qui est seul et affligé; si nous avons pardonné à celui qui nous offense, si nous avons rejeté toute forme de rancœur et de haine qui porte à la violence, si nous avons été patient à l’image de Dieu qui est si patient envers nous; si enfin, nous avons confié au Seigneur, dans la prière nos frères et sœurs. C’est dans chacun de ces « plus petits » que le Christ est présent. Sa chair devient de nouveau visible en tant que corps torturé, blessé, flagellé, affamé, égaré… pour être reconnu par nous, touché et assisté avec soin. N’oublions pas les paroles de Saint Jean de la Croix : « Au soir de notre vie, nous serons jugés sur l’amour ».[12]
16. Dans l’Evangile de Luc, nous trouvons un autre aspect important pour vivre avec foi ce Jubilé. L’évangéliste raconte qu’un jour de sabbat, Jésus retourna à Nazareth, et comme il avait l’habitude de le faire, il entra dans la synagogue. On l’appela pour lire l’Ecriture et la commenter. C’était le passage du prophète Isaïe où il est écrit : « L’esprit du Seigneur Dieu est sur moi parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction. Il m’a envoyé annoncer la bonne nouvelle aux humbles, guérir ceux qui ont le cœur brisé, proclamer aux captifs leur délivrance, aux prisonniers leur libération, proclamer une année de bienfaits accordée par le Seigneur » (Is 61, 1-2). « Une année de bienfaits » : c’est ce que le Seigneur annonce et que nous voulons vivre. Que cette Année Sainte expose la richesse de la mission de Jésus qui résonne dans les paroles du Prophète : dire une parole et faire un geste de consolation envers les pauvres, annoncer la libération de ceux qui sont esclaves dans les nouvelles prisons de la société moderne, redonner la vue à qui n’est plus capable de voir car recroquevillé sur lui-même, redonner la dignité à ceux qui en sont privés. Que la prédication de Jésus soit de nouveau visible dans les réponses de foi que les chrétiens sont amenés à donner par leur témoignage. Que les paroles de l’Apôtre nous accompagnent : « celui qui pratique la miséricorde, qu’il ait le sourire » (Rm 12, 8).
17. Puisse le Carême de cette Année Jubilaire être vécu plus intensément comme un temps fort pour célébrer et expérimenter la miséricorde de Dieu. Combien de pages de l’Ecriture peuvent être méditées pendant les semaines du Carême, pour redécouvrir le visage miséricordieux du Père ! Nous pouvons nous aussi répéter avec Michée : Toi, Seigneur, tu es un Dieu qui efface l’iniquité et pardonne le péché. De nouveau, tu nous montreras ta miséricorde, tu fouleras aux pieds nos crimes, tu jetteras au fond de la mer tous nos péchés ! (cf. 7, 18-19).
Ces pages du prophète Isaïe pourront être méditées plus concrètement en ce temps de prière, de jeûne et de charité : « Le jeûne qui me plaît, n’est-ce pas ceci : faire tomber les chaînes injustes, délier les attaches du joug, rendre la liberté aux opprimés, briser tous les jougs ? N’est-ce pas partager ton pain avec celui qui a faim, accueillir chez toi les pauvres sans abri, couvrir celui que tu verras sans vêtement, ne pas te dérober à ton semblable ? Alors ta lumière jaillira comme l’aurore, et tes forces reviendront vite. Devant toi marchera ta justice, et la gloire du Seigneur fermera la marche. Alors, si tu appelles, le Seigneur répondra ; si tu cries, il dira : « Me voici. » Si tu fais disparaître de chez toi le joug, le geste accusateur, la parole malfaisante, si tu donnes à celui qui a faim ce que toi, tu désires, et si tu combles les désirs du malheureux, ta lumière se lèvera dans les ténèbres et ton obscurité sera lumière de midi. Le Seigneur sera toujours ton guide. En plein désert, il comblera tes désirs et te rendra vigueur. Tu seras comme un jardin bien irrigué, comme une source où les eaux ne manquent jamais » (Is 58, 6-11).
L’initiative appelée « 24 heures pour le Seigneur » du vendredi et samedi qui précèdent le IVème dimanche de Carême doit monter en puissance dans les diocèses. Tant de personnes se sont de nouveau approchées du sacrement de Réconciliation, et parmi elles de nombreux jeunes, qui retrouvent ainsi le chemin pour revenir au Seigneur, pour vivre un moment de prière intense, et redécouvrir le sens de leur vie. Avec conviction, remettons au centre le sacrement de la Réconciliation, puisqu’il donne à toucher de nos mains la grandeur de la miséricorde. Pour chaque pénitent, ce sera une source d’une véritable paix intérieure.
Je ne me lasserai jamais d’insister pour que les confesseurs soient un véritable signe de la miséricorde du Père. On ne s’improvise pas confesseur. On le devient en se faisant d’abord pénitent en quête de pardon. N’oublions jamais qu’être confesseur, c’est participer à la mission de Jésus d’être signe concret de la continuité d’un amour divin qui pardonne et qui sauve. Chacun de nous a reçu le don de l’Esprit Saint pour le pardon des péchés, nous en sommes responsables. Nul d’entre nous n’est maître du sacrement, mais un serviteur fidèle du pardon de Dieu. Chaque confesseur doit accueillir les fidèles comme le père de la parabole du fils prodigue : un père qui court à la rencontre du fils bien qu’il ait dissipé tous ses biens. Les confesseurs sont appelés à serrer sur eux ce fils repentant qui revient à la maison, et à exprimer la joie de l’avoir retrouvé. Ils ne se lasseront pas non plus d’aller vers l’autre fils resté dehors et incapable de se réjouir, pour lui faire comprendre que son jugement est sévère et injuste, et n’a pas de sens face à la miséricorde du Père qui n’a pas de limite. Ils ne poseront pas de questions impertinentes, mais comme le père de la parabole, ils interrompront le discours préparé par le fils prodigue, parce qu’ils sauront accueillir dans le cœur du pénitent l’appel à l’aide et la demande de pardon. En résumé, les confesseurs sont appelés, toujours, partout et en toutes situations, à être le signe du primat de la miséricorde.
18. Au cours du carême de cette Année Sainte, j’ai l’intention d’envoyer les Missionnaires de la Miséricorde. Ils seront le signe de la sollicitude maternelle de l’Eglise à l’égard du Peuple de Dieu, pour qu’il entre en profondeur dans la richesse de ce mystère aussi fondamental pour la foi. Ce seront des prêtres à qui j’aurai donné l’autorité pour pardonner aussi les péchés qui sont réservés au Siège Apostolique, afin de rendre explicite l’étendue de leur mandat. Ils seront surtout signe vivant de la façon dont le Père accueille ceux qui sont à la recherche de son pardon. Ils seront des missionnaires de la miséricorde car ils se feront auprès de tous l’instrument d’une rencontre riche en humanité, source de libération, lourde de responsabilité afin de dépasser les obstacles à la reprise de la vie nouvelle du Baptême. Dans leur mission, ils se laisseront guider par la parole de l’Apôtre : « Dieu, en effet, a enfermé tous les hommes dans le refus de croire pour faire à tous miséricorde » (Rm 11, 32). De fait, tous, sans exclusion, sont invités à accueillir l’appel à la miséricorde. Que les missionnaires vivent cet appel en fixant le regard sur Jésus, « Grand-Prêtre miséricordieux et digne de foi » (He 2, 17).
Je demande à mes frères évêques d’inviter et d’accueillir ces Missionnaires, pour qu’ils soient avant tout des prédicateurs convaincants de la miséricorde. Que soient organisées dans les diocèses des « missions vers le peuple », de sorte que ces Missionnaires soient les hérauts de la joie du pardon. Qu’ils célèbrent le sacrement de la Réconciliation pour le peuple, pour que le temps de grâce de l’Année Jubilaire permette à de nombreux fils éloignés de retrouver le chemin de la maison paternelle. Que les pasteurs, spécialement pendant le temps fort du Carême, soient invités à appeler les fidèles à s’approcher « vers le Trône de la grâce, pour obtenir miséricorde et recevoir la grâce de son secours » (He 4, 16).
19. Que puisse parvenir à tous la parole de pardon et que l’invitation à faire l’expérience de la miséricorde ne laisse personne indifférent ! Mon appel à la conversion s’adresse avec plus d’insistance à ceux qui se trouvent éloignés de la grâce de Dieu en raison de leur conduite de vie. Je pense en particulier aux hommes et aux femmes qui font partie d’une organisation criminelle quelle qu’elle soit. Pour votre bien, je vous demande de changer de vie. Je vous le demande au nom du Fils de Dieu qui, combattant le péché, n’a jamais rejeté aucun pécheur. Ne tombez pas dans le terrible piège qui consiste à croire que la vie ne dépend que de l’argent, et qu’à côté, le reste n’aurait ni valeur, ni dignité. Ce n’est qu’une illusion. Nous n’emportons pas notre argent dans l’au-delà. L’argent ne donne pas le vrai bonheur. La violence pour amasser de l’argent qui fait couler le sang ne rend ni puissant, ni immortel. Tôt ou tard, le jugement de Dieu viendra, auquel nul ne pourra échapper.
Le même appel s’adresse aux personnes fautives ou complices de corruption. Cette plaie puante de la société est un péché grave qui crie vers le ciel, car il mine jusqu’au fondement de la vie personnelle et sociale. La corruption empêche de regarder l’avenir avec espérance, parce que son arrogance et son avidité anéantissent les projets des faibles et chassent les plus pauvres. C’est un mal qui prend racine dans les gestes quotidiens pour s’étendre jusqu’aux scandales publics. La corruption est un acharnement dans le péché qui entend substituer à Dieu l’illusion de l’argent comme forme de pouvoir. C’est une œuvre des ténèbres, qui s’appuie sur la suspicion et l’intrigue. Corruptio optimi pessima, disait avec raison saint Grégoire le Grand, pour montrer que personne n’est exempt de cette tentation. Pour la vaincre dans la vie individuelle et sociale, il faut de la prudence, de la vigilance, de la loyauté, de la transparence, le tout en lien avec le courage de la dénonciation. Si elle n’est pas combattue ouvertement, tôt ou tard on s’en rend complice et elle détruit l’existence.
Voici le moment favorable pour changer de vie ! Voici le temps de se laisser toucher au cœur. Face au mal commis, et même aux crimes graves, voici le moment d’écouter pleurer les innocents dépouillés de leurs biens, de leur dignité, de leur affection, de leur vie même. Rester sur le chemin du mal n’est que source d’illusion et de tristesse. La vraie vie est bien autre chose. Dieu ne se lasse pas de tendre la main. Il est toujours prêt à écouter, et moi aussi je le suis, comme mes frères évêques et prêtres. Il suffit d’accueillir l’appel à la conversion et de se soumettre à la justice, tandis que l’Eglise offre la miséricorde.
20. Dans ce contexte, il n’est pas inutile de rappeler le rapport entre justice et miséricorde. Il ne s’agit pas de deux aspects contradictoires, mais de deux dimensions d’une unique réalité qui se développe progressivement jusqu’à atteindre son sommet dans la plénitude de l’amour. La justice est un concept fondamental pour la société civile, quand la référence normale est l’ordre juridique à travers lequel la loi s’applique. La justice veut que chacun reçoive ce qui lui est dû. Il est fait référence de nombreuses fois dans la Bible à la justice divine et à Dieu comme juge. On entend par là l’observance intégrale de la Loi et le comportement de tout bon israélite conformément aux commandements de Dieu. Cette vision est cependant souvent tombée dans le légalisme, déformant ainsi le sens originel et obscurcissant le sens profond de la justice. Pour dépasser cette perspective légaliste, il faut se rappeler que dans l’Ecriture, la justice est essentiellement conçue comme un abandon confiant à la volonté de Dieu.
Pour sa part, Jésus s’exprime plus souvent sur l’importance de la foi que sur l’observance de la loi. C’est en ce sens qu’il nous faut comprendre ses paroles, lorsqu’à table avec Matthieu et d’autres publicains et pécheurs, il dit aux pharisiens qui le critiquent : « Allez apprendre ce que signifie : Je veux la miséricorde, non le sacrifice. En effet, je ne suis pas venu appeler des justes, mais des pécheurs » (Mt 9, 13). En face d’une vision de la justice comme simple observance de la loi qui divise entre justes et pécheurs, Jésus indique le grand don de la miséricorde qui va à la recherche des pécheurs pour leur offrir le pardon et le salut. On comprend alors pourquoi Jésus fut rejeté par les pharisiens et les docteurs de la loi, à cause de sa vision libératrice et source de renouveau. Pour être fidèles à la loi, ils posaient des poids sur les épaules des gens, rendant vaine la miséricorde du Père. Le respect de la loi ne peut faire obstacle aux exigences de la dignité humaine.
L’évocation que fait Jésus du prophète Osée – « Je veux la fidélité, non le sacrifice » (6, 6) – est très significative. Jésus affirme que la règle de vie de ses disciples devra désormais intégrer le primat de la miséricorde, comme Lui-même en a témoigné, partageant son repas avec les pécheurs. La miséricorde se révèle une nouvelle fois comme une dimension fondamentale de la mission de Jésus. Elle est un véritable défi face à ses interlocuteurs qui s’arrêtaient au respect formel de la loi. Jésus au contraire, va au-delà de la loi; son partage avec ceux que la loi considérait comme pécheurs fait comprendre jusqu’où va sa miséricorde.
L’apôtre Paul a parcouru un chemin similaire. Avant de rencontrer le Christ sur le chemin de Damas, il consacrait sa vie à observer de manière irréprochable la justice de la loi (cf. Ph 3, 6). La conversion au Christ l’amena à changer complètement de regard, au point qu’il affirme dans la Lettre aux Galates : « Nous avons cru, nous aussi, au Christ Jésus pour devenir des justes par la foi au Christ, et non par la pratique de la Loi » (2, 16). Sa compréhension de la justice change radicalement. Paul situe désormais en premier la foi, et non plus la loi. Ce n’est pas l’observance de la loi qui sauve, mais la foi en Jésus-Christ, qui par sa mort et sa résurrection, nous a donné la miséricorde qui justifie. La justice de Dieu devient désormais libération pour ceux qui sont esclaves du péché et de toutes ses conséquences. La justice de Dieu est son pardon (cf. Ps 50, 11-16).
21. La miséricorde n’est pas contraire à la justice, mais illustre le comportement de Dieu envers le pécheur, lui offrant une nouvelle possibilité de se repentir, de se convertir et de croire. Ce qu’a vécu le prophète Osée nous aide à voir le dépassement de la justice par la miséricorde. L’époque de ce prophète est parmi les plus dramatiques de l’histoire du peuple hébreu. Le Royaume est près d’être détruit ; le peuple n’est pas demeuré fidèle à l’alliance, il s’est éloigné de Dieu et a perdu la foi des Pères. Suivant une logique humaine, il est juste que Dieu pense à rejeter le peuple infidèle : il n’a pas été fidèle au pacte, et il mérite donc la peine prévue, c’est-à-dire l’exil. Les paroles du prophète l’attestent : « Il ne retournera pas au pays d’Égypte ; Assour deviendra son roi, car ils ont refusé de revenir à moi » (Os 11, 5). Cependant, après cette réaction qui se réclame de la justice, le prophète change radicalement son langage et révèle le vrai visage de Dieu : « Mon cœur se retourne contre moi ; en même temps, mes entrailles frémissent. Je n’agirai pas selon l’ardeur de ma colère, je ne détruirai plus Israël, car moi, je suis Dieu, et non pas homme : au milieu de vous je suis le Dieu saint, et je ne viens pas pour exterminer » (11, 8-9). Commentant les paroles du prophète, saint Augustin écrit : « Il est plus facile pour Dieu de retenir la colère plutôt que la miséricorde ».[13] C’est exactement ainsi. La colère de Dieu ne dure qu’un instant, et sa miséricorde est éternelle.
Si Dieu s’arrêtait à la justice, il cesserait d’être Dieu ; il serait comme tous les hommes qui invoquent le respect de la loi. La justice seule ne suffit pas et l’expérience montre que faire uniquement appel à elle risque de l’anéantir. C’est ainsi que Dieu va au-delà de la justice avec la miséricorde et le pardon. Cela ne signifie pas dévaluer la justice ou la rendre superflue, au contraire. Qui se trompe devra purger sa peine, mais ce n’est pas là le dernier mot, mais le début de la conversion, en faisant l’expérience de la tendresse du pardon. Dieu ne refuse pas la justice. Il l’intègre et la dépasse dans un événement plus grand dans lequel on fait l’expérience de l’amour, fondement d’une vraie justice. Il nous faut prêter grande attention à ce qu’écrit Paul pour ne pas faire la même erreur que l’Apôtre reproche à ses contemporains juifs : « En ne reconnaissant pas la justice qui vient de Dieu, et en cherchant à instaurer leur propre justice, ils ne se sont pas soumis à la justice de Dieu. Car l’aboutissement de la Loi, c’est le Christ, afin que soit donnée la justice à toute personne qui croit » (Rm 10, 3-4). Cette justice de Dieu est la miséricorde accordée à tous comme une grâce venant de la mort et de la résurrection de Jésus-Christ. La Croix du Christ est donc le jugement de Dieu sur chacun de nous et sur le monde, puisqu’elle nous donne la certitude de l’amour et de la vie nouvelle.
22. Le jubilé amène la réflexion sur l’indulgence. Elle revêt une importance particulière au cours de cette Année Sainte. Le pardon de Dieu pour nos péchés n’a pas de limite. Dans la mort et la résurrection de Jésus-Christ, Dieu rend manifeste cet amour qui va jusqu’à détruire le péché des hommes. Il est possible de se laisser réconcilier avec Dieu à travers le mystère pascal et la médiation de l’Eglise. Dieu est toujours prêt au pardon et ne se lasse jamais de l’offrir de façon toujours nouvelle et inattendue. Nous faisons tous l’expérience du péché. Nous sommes conscients d’être appelés à la perfection (cf. Mt 5, 48), mais nous ressentons fortement le poids du péché. Quand nous percevons la puissance de la grâce qui nous transforme, nous faisons l’expérience de la force du péché qui nous conditionne. Malgré le pardon, notre vie est marquée par les contradictions qui sont la conséquence de nos péchés. Dans le sacrement de la Réconciliation, Dieu pardonne les péchés, et ils sont réellement effacés, cependant que demeure l’empreinte négative des péchés dans nos comportements et nos pensées. La miséricorde de Dieu est cependant plus forte que ceci. Elle devient indulgence du Père qui rejoint le pécheur pardonné à travers l’Epouse du Christ, et le libère de tout ce qui reste des conséquences du péché, lui donnant d’agir avec charité, de grandir dans l’amour plutôt que de retomber dans le péché.
L’Eglise vit la communion des saints. Dans l’eucharistie, cette communion, qui est don de Dieu, est rendue présente comme une union spirituelle qui lie les croyants avec les Saints et les Bienheureux dont le nombre est incalculable (cf. Ap 7,4). Leur sainteté vient au secours de notre fragilité, et la Mère Eglise est ainsi capable, par sa prière et sa vie, d’aller à la rencontre de la faiblesse des uns avec la sainteté des autres. Vivre l’indulgence de l’Année Sainte, c’est s’approcher de la miséricorde du Père, avec la certitude que son pardon s’étend à toute la vie des croyants. L’indulgence, c’est l’expérience de la sainteté de l’Eglise qui donne à tous de prendre part au bénéfice de la rédemption du Christ, en faisant en sorte que le pardon parvienne jusqu’aux extrêmes conséquences que rejoint l’amour de Dieu. Vivons intensément le Jubilé, en demandant au Père le pardon des péchés et l’étendue de son indulgence miséricordieuse.
23. La valeur de la miséricorde dépasse les frontières de l’Eglise. Elle est le lien avec le Judaïsme et l’Islam qui la considèrent comme un des attributs les plus significatifs de Dieu. Israël a d’abord reçu cette révélation qui demeure dans l’histoire comme le point de départ d’une richesse incommensurable à offrir à toute l’humanité. Nous l’avons vu, les pages de l’Ancien Testament sont imprégnées de miséricorde, puisqu’elles racontent les oeuvres accomplies par le Seigneur en faveur de son peuple dans les moments les plus difficiles de son histoire. L’Islam de son côté, attribue au Créateur les qualificatifs de Miséricordieux et Clément. On retrouve souvent ces invocations sur les lèvres des musulmans qui se sentent accompagnés et soutenus par la miséricorde dans leur faiblesse quotidienne. Eux aussi croient que nul ne peut limiter la miséricorde divine car ses portes sont toujours ouvertes.
Que cette Année Jubilaire, vécue dans la miséricorde, favorise la rencontre avec ces religions et les autres nobles traditions religieuses. Qu’elle nous rende plus ouverts au dialogue pour mieux nous connaître et nous comprendre. Qu’elle chasse toute forme de fermeture et de mépris. Qu’elle repousse toute forme de violence et de discrimination.
24. Que notre pensée se tourne vers la Mère de la Miséricorde. Que la douceur de son regard nous accompagne en cette Année Sainte, afin que tous puissent redécouvrir la joie de la tendresse de Dieu. Personne n’a connu comme Marie la profondeur du mystère de Dieu fait homme. Sa vie entière fut modelée par la présence de la miséricorde faite chair. La Mère du Crucifié Ressuscité est entrée dans le sanctuaire de la miséricorde divine en participant intimement au mystère de son amour.
Choisie pour être la Mère du Fils de Dieu, Marie fut préparée depuis toujours par l’amour du Père pour être l’Arche de l’Alliance entre Dieu et les hommes. Elle a gardé dans son cœur la divine miséricorde en parfaite syntonie avec son Fils Jésus. Son chant de louange, au seuil de la maison d’Elisabeth, fut consacré à la miséricorde qui s’étend « d’âge en âge » (Lc 1, 50). Nous étions nous aussi présents dans ces paroles prophétiques de la Vierge Marie, et ce sera pour nous un réconfort et un soutien lorsque nous franchirons la Porte Sainte pour goûter les fruits de la miséricorde divine.
Près de la croix, Marie avec Jean, le disciple de l’amour, est témoin des paroles de pardon qui jaillissent des lèvres de Jésus. Le pardon suprême offert à qui l’a crucifié nous montre jusqu’où peut aller la miséricorde de Dieu. Marie atteste que la miséricorde du Fils de Dieu n’a pas de limite et rejoint tout un chacun sans exclure personne. Adressons lui l’antique et toujours nouvelle prière du Salve Regina, puisqu’elle ne se lasse jamais de poser sur nous un regard miséricordieux, et nous rend dignes de contempler le visage de la miséricorde, son Fils Jésus.
Que notre prière s’étende aussi à tant de Saints et de Bienheureux qui ont fait de la miséricorde la mission de leur vie. Cette pensée s’adresse en particulier à la grande apôtre de la miséricorde, Sainte Faustine Kowalska. Elle qui fut appelée à entrer dans les profondeurs de la miséricorde divine, qu’elle intercède pour nous et nous obtienne de vivre et de cheminer toujours dans le pardon de Dieu et dans l’inébranlable confiance en son amour.
25. Une Année Sainte extraordinaire pour vivre dans la vie de chaque jour la miséricorde que le Père répand sur nous depuis toujours. Au cours de ce Jubilé, laissons-nous surprendre par Dieu. Il ne se lasse jamais d’ouvrir la porte de son cœur pour répéter qu’il nous aime et qu’il veut partager sa vie avec nous. L’Eglise ressent fortement l’urgence d’annoncer la miséricorde de Dieu. La vie de l’Eglise est authentique et crédible lorsque la miséricorde est l’objet d’une annonce convaincante. Elle sait que sa mission première, surtout à notre époque toute remplie de grandes espérances et de fortes contradictions, est de faire entrer tout un chacun dans le grand mystère de la miséricorde de Dieu, en contemplant le visage du Christ. L’Eglise est d’abord appelée à être témoin véridique de la miséricorde, en la professant et en la vivant comme le centre de la Révélation de Jésus-Christ. Du cœur de la Trinité, du plus profond du mystère de Dieu, jaillit et coule sans cesse le grand fleuve de la miséricorde. Cette source ne sera jamais épuisée pour tous ceux qui s’en approcheront. Chaque fois qu’on en aura besoin, on pourra y accéder, parce que la miséricorde de Dieu est sans fin. Autant la profondeur du mystère renfermé est insondable, autant la richesse qui en découle est inépuisable.
Qu’en cette Année Jubilaire l’Eglise fasse écho à la Parole de Dieu qui résonne, forte et convaincante, comme une parole et un geste de pardon, de soutien, d’aide, d’amour. Qu’elle ne se lasse jamais d’offrir la miséricorde et soit toujours patiente pour encourager et pardonner. Que l’Eglise se fasse la voix de tout homme et de toute femme, et répète avec confiance et sans relâche : « Rappelle-toi, Seigneur, ta tendresse, ton amour qui est de toujours » (Ps 25, 6).
Donné à Rome, près Saint Pierre, le 11 avril
Veille du IIème Dimanche de Pâques ou de la Divine Miséricorde, de l’An du Seigneur 2015, le troisième de mon pontificat.
Franciscus
[1] Cf. Conc. œcum. Vat. II, Const. dogm. Dei Verbum, n. 4.
[2] Jean XXIII, Discours d’ouverture du Concile œcuménique Vatican II Gaudet Mater Ecclesia, 11 octobre 1962, nn. 2-3.
[3] Paul VI, Discours de clôture du Concile œcuménique Vatican II, 7 décembre 1965.
[4] Cf. Conc. œcum. Vat. II, Const. dogm. Lumen gentium, n. 16; Const. past. Gaudium et spes, n. 15.
[5] Saint Thomas d’Aquin, Summa Theologiae, II-II, q. 30, a. 4.
[6] Prière d’ouverture du XXVIème dimanche du Temps ordinaire. Cette prière apparaît dès le VIIIème siècle dans les textes eucologiques du Sacramentaire Gélasien 1198.
[7] Cf. Hom. 21: CCL 122, 149-151.
[8] Exhort. apost. Evangelii gaudium, n. 24.
[9] n. 2.
[10] Jean-Paul II, Lett. Enc. Dives in misericordia, n. 15.
[11] Ibid., n. 2.
[12] Avis et Sentences spirituelles, § 56.
[13] Enarr. in Ps. 76, 11.
« MIEUX VAUT SE MARIER QUE BRÛLER ». MÊME SI C’EST EN SECONDES NOCES – par Sandro Magister
13 avril, 2015http://chiesa.espresso.repubblica.it/articolo/1351018?fr=y
« MIEUX VAUT SE MARIER QUE BRÛLER ». MÊME SI C’EST EN SECONDES NOCES
Les Églises orthodoxes appliquent aux divorcés cette formule de l’apôtre Paul. Et il y a des gens qui voudraient qu’une telle pratique soit également introduite dans l’Église catholique. L’un d’eux est un théologien du diocèse de Bologne, dont l’archevêque est le cardinal Caffarra
par Sandro Magister
ROME, le 2 avril 2015 – Le Jeudi Saint, on peut entendre cet avertissement, plus que jamais d’actualité, qui avait été adressé par l’apôtre Paul aux chrétiens de Corinthe : « Quiconque mange le pain ou boit la coupe du Seigneur indignement… mange et boit sa propre condamnation ».
De cet avertissement l’Église catholique a tiré l’interdiction de donner la communion aux divorcés remariés.
Toutefois, dans les Églises orthodoxes, c’est une pratique différente qui a prévalu. Elle en arrive à bénir les secondes noces et à permettre la communion eucharistique aux divorcés remariés.
Les gens qui souhaitent que cette pratique soit également introduite dans l’Église catholique citent en effet les Églises orthodoxes comme un exemple de « miséricorde » qu’il conviendrait d’imiter. Ils se réfèrent, pour soutenir leur point de vue, à une remarque sibylline formulée par le pape François, le 28 juillet 2013, à bord de l’avion qui le ramenait de Rio de Janeiro à Rome :
« Les orthodoxes suivent la théologie de l’économie, comme ils l’appellent, et ils donnent une seconde possibilité [de mariage], ils le permettent. Je crois que ce problème, on doit l’étudier dans le cadre de la pastorale du mariage ».
Mais, à la veille de la première session du synode consacré à la famille, au mois d’octobre dernier, l’archevêque Cyril Vasil, secrétaire de la congrégation pour les Églises orientales au Vatican, a lancé une mise en garde contre une interprétation « naïve » de la pratique des Églises orthodoxes en matière de mariage.
Les remariages – a-t-il expliqué – sont entrés dans la pratique des Églises orientales à une époque tardive, vers la fin du premier millénaire. Ils y ont été introduits sous l’influence envahissante de la législation impériale byzantine, dont les Églises étaient les exécutrices. Et, à l’heure actuelle, la dissolution d’un premier mariage est encore pour ces Églises, dans presque tous les cas, la simple transcription d’un jugement de divorce qui a été rendu par l’autorité civile.
Vasil est une autorité en la matière. Slovaque de rite grec, jésuite, il a été doyen de la faculté de droit canonique de l’Institut Pontifical Oriental de Rome. Son essai consacré au divorce et aux remariages dans les Églises orthodoxes a été inclus dans un livre à plusieurs auteurs qui a été publié à la veille du synode et qui contient des textes rédigés par cinq cardinaux, tous opposés à l’accès des divorcés remariés à la communion :
« Permanere nella verità di Cristo. Matrimonio e Comunione nella Chiesa cattolica », Cantagalli, Sienne, 2014.
Les passages marquants de l’essai de Vasil sont reproduits dans cet article de www.chiesa :
> Divorce et remariages. La conciliante « oikonomia » des Églises orthodoxes
Cependant les experts ne sont pas tous d’accord avec lui.
Enrico Morini est professeur d’histoire des Églises orthodoxes à l’université d’état de Bologne et à la faculté de théologie d’Émilie-Romagne. Il a écrit – en note à un essai publié dans « Memorie Teologiche » [Mémoires Théologiques], la revue en ligne de sa faculté – le texte suivant à propos de la dissolution du lien nuptial et de la possibilité de contracter un second mariage, qui sont admis par les Églises orthodoxes :
« Cette donnée incontestable qu’est la modulation de la pratique ecclésiastique en tenant compte de la législation civile en matière de mariage paraît présentée par Cyril Vasil de manière négative, comme une adultération sécularisante de l’enseignement évangélique, presque comme une approbation donnée à des lois d’état qui sont en opposition avec la loi divine. Il me semble, au contraire, qu’elle constitue une pratique qui, avec sagesse, applique à la pastorale le critère salvifique de la miséricorde, sans compromettre pour autant le principe de l’indissolubilité. Dans les problématiques aigües qui sont suscitées par le contexte sociologique actuel, elle représente, à mon avis, une alternative valide à l’hypothèse de l’admission des divorcés remariés à la communion sacramentelle. En effet cette pratique, au lieu de permettre à des personnes qui vivent objectivement en état de péché d’accéder au sacrement, assainit plutôt la situation de péché au moyen d’une ratification ecclésiale non sacramentelle, qui valorise ce qu’il y a de positif dans une union naturelle, stable et fidèle ».
L’essai écrit par Morini peut être lu dans son intégralité sur le site web de « Memorie Teologiche » :
> Il matrimonio nella dottrina e nella prassi canonica della Chiesa ortodossa
Par ailleurs on pourra en lire ci-dessous les passages les plus marquants.
On notera que Morini est diacre et qu’il préside la commission per l’œcuménisme du diocèse de Bologne, diocèse dont l’archevêque est Carlo Caffara. Celui-ci est l’un des cinq cardinaux qui ont apporté leur contribution à l’ouvrage cité plus haut et le pape François lui témoigne une estime croissante :
> Cote des valeurs du synode. Kasper en baisse, Caffarra en hausse
Cela signifie qu’un diocèse dirigé par un évêque « intransigeant » peut très bien constituer un exemple de dialogue ouvert et fructueux entre des personnes ayant des points de vue différents ou même opposés, dans le respect réciproque et aux niveaux de compétence les plus élevés.
__________
LE MARIAGE DANS L’ÉGLISE ORTHODOXE
par Enrico Morini
1. Théologie du mariage chrétien
Pour comprendre la réglementation de l’Église orthodoxe en matière de mariage, il est nécessaire de partir des prémisses théologiques. […]
Quelle est l’essence du sacrement de mariage ? Les époux sont des icônes vivantes – c’est-à-dire des images qui impliquent la présence réelle de ce qui est représenté – de deux associations surnaturelles parallèles, dans la mesure où l’une implique l’autre : l’union du Dieu Verbe, dans l’incarnation, avec la nature humaine et celle du Christ, Verbe incarné, avec l’Église. […]
Conséquences :
a. La nécessité absolue de l’hétérosexualité du mariage. L’union homosexuelle n’est pas simplement un désordre : c’est un monstre, qui profane la sacralité même du mariage, c’est une contrefaçon sacrilège de l’union divino-humaine et de l’union Christ-Église. Elle annihile le caractère iconique du mariage. […]
b. L’unité du mariage, qui exclut de la manière la plus absolue la polygamie simultanée, mais également la polygamie consécutive, après un ou plusieurs veuvages. En effet […], comme tous les autres sacrements, le mariage chrétien ne concerne pas seulement la vie terrestre, mais aussi la vie éternelle : par conséquent la grâce du sacrement ne cesse pas avec la mort, mais elle constitue une union éternelle entre ceux qui l’ont reçu. L’exercice du mariage cesse –comme l’a dit le Seigneur « neque nubent neque nubentur » – mais pas la grâce sacramentelle.
c. Son indissolubilité est tout aussi absolue. Si le mariage est une icône de l’incarnation, il ne peut pas être temporaire. Tout comme la consécration virginale dans le monachisme – pour laquelle, dans la religion orthodoxe, les dispenses ne sont pas admises – il se projette dans l’éternité. La grâce d’un sacrement – comme on le sait bien en ce qui concerne le baptême et la confirmation – ne peut pas être supprimée. […]
2. Mariage civil et cohabitations
Ce cadre théologique comporte des retombées bien précises lorsqu’il s’agit de porter un jugement, par exemple, le mariage civil et les cohabitations.
L’union entre un homme et une femme, contractée conformément aux lois civiles – ou conformément aux lois religieuses d’une autre confession – avec une volonté de stabilité et de fidélité réciproque, fait entrevoir en elle le mystère divino-humain du mariage, même si elle ne réalise pas le mystère du mariage humain et même si elle ne reproduit pas l’image de l’archétype divin. C’est un fait naturel et non pas surnaturel. […]
Toutefois, bien qu’elle ne soit pas un sacrement, elle constitue tout de même un lien sacré, dans la mesure où elle laisse entrevoir la véritable icône. Même si les deux époux ne sont pas transformés par la grâce divine, il y a néanmoins dans leur union une certaine présence de la grâce. Celle-ci sera encore plus réduite, évidemment, dans les cohabitations hors des liens du mariage qui, si elles ne comportent pas d’intention de stabilité et de fidélité, sont purement et simplement de la débauche.
C’est pour toutes ces raisons que l’Église de l’antiquité, avant que le rite chrétien du mariage ne se soit imposé, acceptait les mariages civils comme étant salvifiques.
3. L’économie ecclésiastique
L’Église s’est trouvée tout de suite confrontée au fait que non seulement la législation civile permettait aux veufs de contracter un second mariage, mais qu’elle prenait également en considération la dissolution du lien nuptial avec la possibilité de contracter un nouveau mariage.
Afin de résoudre ce grave problème pastoral – qui ne s’est pas seulement posé à l’Église de l’antiquité mais qui a aussi pris, à notre époque, une forme aigüe en raison de la sécularisation de la société et de l’affirmation de la laïcité de l’état – l’Église d’Orient a élaboré le concept d’“économie”. […]
Techniquement parlant, l’économie ecclésiastique est la possibilité d’accorder, sous une forme temporaire ou permanente, des dérogations par rapport à une prescription normative, sans pour autant invalider en aucune manière la validité de la prescription elle-même. Une telle procédure, grâce à laquelle on atténue la dureté d’une loi dans le moment même où l’on en réaffirme la validité, est justifiée uniquement par l’objectif supérieur de faciliter l’obtention du salut éternel dans les situations où la loi, si elle était appliquée dans toute sa rigueur, pourrait y faire obstacle.
L’Église, qui concrétise dans le temps et dans l’Histoire l’œuvre salvifique du Christ, est seule à pouvoir apporter des dérogations à la lettre de la loi. En agissant de cette façon, en effet, elle ne fait rien d’autre que d’imiter l’infinie miséricorde divine, qui veut que « tous les hommes soient sauvés » (1 Tim 2, 4) et elle considère par conséquent qu’elle est autorisée à accorder des dérogations même aux prescriptions qui remontent au Christ lui-même, ce qui fait que, en apparence, elle se montre parfois plus indulgente que son Seigneur lui-même. […]
De manière plus conceptuelle, l’économie canonique pourrait être définie comme la « pastorale de la miséricorde », qui parvient à adoucir les duretés de la loi, sans que la validité de celle-ci soit compromise en aucune manière. […]
4. Le mariage des veufs
C’est dans la Sainte Écriture que se trouverait le témoignage relatif au premier recours à l’économie en matière de mariage. L’apôtre Paul enseigne, dans la perspective d’une attente eschatologique imminente, que la virginité est préférable au mariage, mais que, en tout état de cause, « mieux vaut se marier que brûler de désir » (1 Cor 7, 8-9). S’il s’agit là d’une indication générale, elle est a fortiori valable pour les veufs, à qui il est d’autre part recommandé de ne pas se marier (1 Cor 7, 40). […] Par conséquent un second mariage est permis aux veufs en guise de remède contre la débauche. […]
Étant donné que ce mariage à caractère médicinal ne peut pas reproduire avec la perfection nécessaire le modèle nuptial divino-humain, il ne s’agit pas à proprement parler d’un sacrement : en effet il est en contradiction avec le principe de l’unité du mariage qui, appartenant à l’ordre surnaturel, se projette dans l’éternité. Cependant la mère Église le bénit tout de même : à la fois en raison du caractère salvifique en tout état de cause que comporte une union stable et fidèle et dans le but d’aider les nouveaux époux à éviter le péché de débauche.
Voilà pourquoi a été préparé, à l’usage des personnes qui contractaient un second mariage, un rite dans lequel le couronnement des époux n’était pas prévu à l’origine et qui est caractérisé par le fait que :
a. Les prières qui sont prononcées par le prêtre ont un caractère pénitentiel.
b. Les deux époux se voient imposer des pratiques pénitentielles, qui comportent entre autres une longue période pendant laquelle ils doivent s’abstenir de la communion eucharistique. […]
5. Le mariage des divorcés
Le caractère le plus frappant de la réglementation canonique de l’Église orthodoxe – mais il est le fruit d’une profonde cohérence – c’est le fait que, dans cette Église, le second mariage des divorcés est assimilé à celui des veufs.
Le divorce est contraire à la nature, dans la mesure où les deux époux deviennent une seule chair, et il est contraire à la loi divine, parce que Dieu l’a interdit : « Que l’homme ne sépare pas ce que Dieu a uni ». Cependant l’homme, qui a en lui la liberté de pécher, a également la terrible possibilité de détruire, par le péché, l’intégrité de la communion matrimoniale, de provoquer la mort morale – non pas la mort sacramentelle, parce que le mariage est intrinsèquement indissoluble – du mariage lui-même. […].
On peut dire que, des deux aspects, sacramentel et contractuel, du mariage chrétien – que la manière de voir orientale considère comme plus distincts que la conception occidentale – c’est l’aspect contractuel qui est dissous par le divorce.
Cette concession est faite par l’Église non pas sur la base de la simple volonté des époux – dans les pays de religion orthodoxe l’Église s’est toujours opposée à ce que les lois civiles permettent le divorce par consentement mutuel – mais en présence de faits peccamineux graves, pouvant être qualifiés de « crimina » contre le mariage. […] il s’agit principalement :
a. De l’adultère commis par l’un des époux.
b. De l’abandon du domicile conjugal.
c. Des actes de violence, ceux-ci pouvant aller jusqu’à la tentative de mettre fin aux jours du conjoint.
d. De l’apostasie du christianisme par l’un des époux. […]
Il faut souligner que la rupture du mariage est toujours un acte répréhensible, dans la mesure où elle brise l’icône des noces divino-humaines et que, par conséquent, elle affecte en profondeur la relation qui existe entre les époux et Dieu. C’est pour cette raison que le coupable ne peut pas se réconcilier avec Dieu seulement par le sacrement de pénitence et qu’il est privé de la communion sacramentelle pendant un certain temps, même s’il ne se remarie pas. Une telle sanction signifie que le coupable a commis une faute contre la foi chrétienne, mais elle se présente toutefois comme une privation de communion seulement temporaire, dans la mesure où l’Église a pour but le salut des hommes et non pas leur condamnation.
Au contraire celui des deux époux qui n’est pas coupable, s’il reste continent, ne fait l’objet d’aucune sanction. Cependant, dans le cas où on lui permet de contracter un second mariage afin de lui éviter de « brûler de désir », les pénitences habituelles lui sont également imposées, de même que l’on prescrit à un malade les médicaments qui lui sont nécessaires. Ces pénitences montrent que le second mariage est une dérogation à la loi divine et qu’elle est justifiée – en tant qu’application miséricordieuse de la même loi – par la faiblesse de la chair.
L’exigence fondamentale, en effet, est d’éviter la débauche, qui serait mortelle pour le salut de l’individu. En tant que relation non stable et avec des personnes différentes, celle-ci est encore plus destructrice du mystère dont le mariage est l’image. Elle peut être assimilée à la polygamie simultanée et elle constitue le plus grand mal qui puisse exister dans l’éthique du mariage. En effet une relation sexuelle stable, entre un homme et une seule femme, est en tout état de cause une image affaiblie du mystère, même si cette relation est extrêmement imparfaite en dehors du sacrement, alors que la débauche ne peut jamais être une telle image. […]
L’évêque grec-catholique Dimitrios Salachas a écrit : « La pastorale de l’Église doit rechercher la solution qui soit la plus acceptable pour chacune des deux parties et pour leurs enfants. Dans un grand nombre de cas, une nouvelle union matrimoniale est inévitable mais, du point de vue de l’Église, ce nouveau mariage ne peut pas avoir la même plénitude sacramentelle que le premier : il faut alors recourir au rite utilisé pour les gens qui se marient deux fois ». […]
6. Conclusions
Il ne faut pas se laisser tromper par les différences qui existent entre les deux Églises, la catholique et l’orthodoxe, en ce qui concerne la réglementation relative au mariage. En effet il existe entre elles un consensus théologique de base, fondé sur l’unité et l’indissolubilité du sacrement, et la différence qui existe dans la pratique s’explique uniquement par une différence dans le relevé des données empiriques.
Pour l’Occident – qui, dans une conception principalement juridique, identifie contrat et sacrement – il peut arriver que des mariages qui ont été contractés et vécus soient déclarés nuls uniquement parce qu’une clause sociale – et non pas une clause théologique – n’a pas été totalement respectée.
Pour l’Orient orthodoxe, en revanche, ces mêmes mariages seraient parfaitement valides, dans la mesure où l’aspect contractuel n’est pas considéré comme un élément constitutif du sacrement, ce que sont plutôt les éléments essentiels iconiques du mystère du Verbe incarné.
Je voudrais conclure avec ces quelques phrases écrites par l’historien et théologien russo-américain John Meyendorff, qui résument de manière efficace le point de vue de l’Église orthodoxe :
« L’Église a toujours été compréhensive envers la faiblesse humaine et elle n’a pas cherché à imposer l’Évangile en utilisant des prescriptions purement formelles. Seule une consécration consciente de la vie tout entière au Christ rend compréhensible toute la signification et la plénitude de la doctrine évangélique à propos du mariage. Mais cette consécration reste inaccessible à beaucoup de gens ».
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Traduction française par Charles de Pechpeyrou, Paris, France.
Caravaggio, incredulity of Saint Thomas 1531-1535
11 avril, 2015MISÉRICORDE Hébreu : (rahamîm) Grec : (eleos) Latin : misericordia
11 avril, 2015http://www.interbible.org/interBible/ecritures/mots/2002/mots_020222.htm
MISÉRICORDE
Hébreu : (rahamîm)
Grec : (eleos)
Latin : misericordia
La notion de « miséricorde » a connu un développement, dans notre culture, qui voile la richesse qu’elle possède dans la tradition biblique. En effet, pour nous, la miséricorde signifie la sensibilité à la misère d’autrui ou la pitié par laquelle on pardonne au coupable. La notion biblique de « miséricorde » est beaucoup plus vaste.
Le mot hébreux rahamim est un pluriel qui signifie « entrailles ». Les hébreux considéraient que les entrailles, en tant que siège de tous les sentiments, pouvaient s’émouvoir sous le coup de la douleur ou d’une peine. C’est peut-être en ressentant des « papillons dans le ventre », comme on dit, qu’ils en étaient arrivés à considérer la miséricorde, comme un sentiment qui a son origine au sein même de la personne. La miséricorde apparaît alors comme l’attachement d’un être à un autre. Mais le terme rahamim désigne surtout l’attachement qui unit Dieu à l’être humain, comme si les « entrailles de Dieu » frémissaient en pensant à l’homme. Ainsi Dieu s’émeut avec tendresse comme un père ou une mère à l’égard de leurs enfants.
Un autre terme accompagne souvent la « miséricorde »: c’est hesed. Il s’agit de la relation qui unit deux personnes et implique la fidélité et l’obligation de venir en aide. La miséricorde unie à la fidélité devient une bonté consciente et voulue qui répond à un devoir intérieur. La personne qui agit avec miséricorde témoigne alors d’une grande fidélité à la relation qui l’unit à quelqu’un d’autre. Il en est ainsi de la miséricorde de Dieu.
Dieu manifeste sa miséricorde chaque fois qu’il vient en aide à son peuple ou à un individu. Il a alors une prédilection pour le pauvre, la veuve, l’orphelin. Ces personnes vivent habituellement dans la plus grande indigence, puisqu’elles ont perdu le soutien qui d’un mari, qui d’un père. Pour Israël, la manifestation par excellence de la miséricorde de Dieu fut l’exode. La libération de la servitude en Égypte est le modèle de toutes les autres manifestations de la miséricorde de Dieu.
Il n’y a pas que la misère ou les malheurs de l’homme qui bouleversent Dieu. Il y a surtout la condition de l’homme pécheur. La miséricorde dans ce cas, n’ignore pas la gravité de la rupture due au péché, mais elle se traduit par la patience, la volonté ferme d’amener les humains à la conversion et de leur accorder son pardon. En Israël, on en vient à penser que la miséricorde est un acte proprement divin. Elle est le signe de la toute-puissance de l’amour de Dieu. Seul le coeur endurci et rebelle peut limiter l’exercice de la miséricorde de Dieu. Les prophètes enseignent que la pratique de la miséricorde et de la tendresse entre les membres du peuple est préférable à tous les sacrifices où le coeur est absent. En raison des liens créés par l’Alliance, personne ne peut se dérober à son devoir d’amour envers le prochain.
Jésus reprendra cet enseignement des prophètes, en affirmant qu’il n’est pas venu pour les justes qui ne sentent aucun besoin de conversion, mais pour les pécheurs qui ont besoin de connaître la miséricorde de Dieu. Il ira cependant plus loin en invitant ses disciples à agir avec miséricorde à l’égard de tout être humain, même l’ennemi. Il faut être miséricordieux comme notre Père du ciel est miséricordieux. Comme lui, il faut que nos entrailles frémissent devant autrui.
C’est par la pratique de la miséricorde que les disciples de Jésus révèlent qu’ils sont en communion avec Dieu. C’est la condition essentielle pour entrer dans le Royaume.
Yves Guillemette, ptre
HOMÉLIE DU 2E DIMANCHE DE PÂQUES B
11 avril, 2015http://parolesdudimanche.blogs.lalibre.be/
HOMÉLIE DU 2E DIMANCHE DE PÂQUES B
Ac 4, 32-35 ; 1 Jn 5, 1-6 ; Jn 20, 19-31
(Prononcée en 1997 en la cathédrale des SS. Michel et Gudule (Bruxelles), les événements cités sont de cette époque)
Thème : La foi n’est pas une évidence. Elle se nourrit de l’écoute de la Parole et des « actions parlantes »
Il était une fois, au seuil du 21e siècle, quelques dizaines de jeunes gens et jeunes filles qui voulaient bâtir leur existence sur le roc des Ecritures. Leur communauté fut baptisée « Source Supérieure ». Vivant comme des moines et des moniales, ils s’appelaient entre eux frères et sœurs et mettaient tout en commun. Ils s’étaient exilés du monde du péché, pour aspirer davantage à une autre vie, purifiée, joyeuse et définitive. A l’abri d’un refuge discret mais luxueux, ils vivaient dans l’impatience du grand jour. Celui du retour à la Source. Le grand passage, la pâque ultime. C’est au cours de leur « semaine sainte » 1997 qu’ils ont choisi de se débarrasser joyeusement et ensemble de leur enveloppe terrestre. Un suicide collectif pour rejoindre le paradis de leurs fantasmes.
C’est sur fond de cette actualité d’une liturgie morbide, née d’une dérive « religieuse » que nous avons vécu en Eglise le Saint jour de Pâques. La fête des fêtes. La fête de la foi. Dans l’allégresse, les prières et les chants, nous avons proclamé d’un même cœur et d’une seule voix : Je crois en Jésus le Christ, ressuscité des morts. Je crois à la résurrection de la chair et à la vie éternelle. Avant cela, le Verbe, qui est l’ »exégète de Dieu », avait ouvert nos esprits à l’intelligence des Ecritures, depuis la Genèse jusqu’au sépulcre vide, en passant par les prophètes et les psaumes, qui parlent du Christ en clair obscur.
Foi reçue. Foi proclamée. Foi célébrée. Mais l’adhésion au Christ ne peut se contenter des expressions doctrinales, liturgiques et rituelles. Il lui reste encore à descendre au plus profond de notre conscience et à se concrétiser dans le pas à pas quotidien pour y devenir foi vécue. C’est-à-dire rayonner en amour sans frontière, en impérieuse réconciliation et en victoire de la paix. Croire et aimer, c’est tout un. Même si nous sommes des témoins fragiles, souvent hésitants ou peureux, troublés et fragilisés par le doute. C’était il y a huit jours.
Aujourd’hui, comme tous les premiers jours de la semaine, nous faisons corps dans la foi. Nous faisons Eglise. Lourds de nos inquiétudes, de nos faiblesses, du poids de nos souffrances, peut-être aussi de nos angoisses. Comme Thomas et ses compagnons, un certain premier jour de la semaine.
Ce matin, les portes de la cathédrale ne sont pas fermées, mais celles de nos cœurs sont peut-être encore verrouillées. Il n’empêche ! Jésus est là au milieu de nous puisque nous sommes rassemblés en son nom. Il est là aussi « présent dans sa parole, car c’est lui qui parle tandis qu’on lit dans l’Eglise les Saintes Ecritures » (Constitution sur la liturgie, 7a).
Encore faut-il y croire. Et y croire vraiment. Mais croire n’est pas facile. Pour personne. Voyez les réactions de Thomas, lui qui était placé aux premières loges. Lisez le récit de Luc, là, ce sont tous les disciples sans exception qui sont « frappés de stupeur et de crainte ». Et lorsqu’ils auront pris conscience de l’authenticité de leur expérience spirituelle, et malgré leur joie, « ils n’osaient pas encore y croire et restaient saisis d’étonnement ».
Même après la résurrection, la foi des apôtres est restée difficile et elle était tout autre chose qu’une assurance donnée par une vision sensible de Jésus ressuscité. Or, nous sommes appelés à croire sans preuves. Si ce n’est la preuve des témoignages et des signes.
La foi chrétienne n’est pas une évidence. Elle est affaire d’amour, et donc de confiance et de liberté. Elle n’est pas non plus soumission aveugle à des formules pétrifiées dans la lettre des dogmes. Pas plus qu’elle ne se prouve par tous les faits, évoqués par les Evangiles. Comme s’ils étaient le résultat d’une enquête historique et scientifique ou le résumé d’évènements scrupuleusement filmés par des professionnels de la pellicule et du reportage. Les évangiles sont le témoignage d’une communauté chrétienne qui vit, dans la foi, l’expérience du Christ ressuscité.
Bien des croyants qui ont suivi les cinq émissions « Corpus Christi » programmées sur ARTE durant la Semaine Sainte, auront peut-être vécu « un douloureux décapage de leur foi ». C’est une purification bénéfique. Car la foi est toujours une libre décision prise par quelqu’un qui a été séduit par la personne de Jésus, sa Parole, son message et sa vie. La foi est un attachement vivant au Christ, dont la Parole est nourriture. Elle suppose un contact intime, admiratif et radicalement confiant avec Jésus, le Christ, le Vivant. Et vivant, parce que ressuscité, c’est-à-dire qu’il a « accès à la vie définitive ». « En Dieu, il continue d’exister » (1).
Pour les apôtres d’hier, Pierre en tête, comme pour ceux d’aujourd’hui, toute vie chrétienne est « faite de foi et d’incertitudes, de chutes et de re-départs ». Nous avons tous des étapes de questions et de doutes, voire même d’anxiété, confesse le cardinal Martini. Il n’y a qu’une solution, ajoute-t-il, tant pour les savants que pour les simples : donner foi aux paroles du Christ, comme paroles provenant de Dieu.
Pour devenir croyants et nourrir notre foi, nous avons davantage besoin des oreilles pour écouter que des yeux pour voir. Et cependant, la Parole n’est rien tant qu’elle n’est pas traduite en capacité d’aimer, tant qu’elle n’a pas pris corps. Et elle prend corps dans des comportements et des actions qui deviennent autant de signes de la résurrection. Des « actions parlantes ». On en découvre des traces chaque fois que des hommes et des femmes, à la suite du Christ, deviennent à leur tour des « créatures nouvelles » qui osent s’engager à « renouveler la face de la terre » ou du moins la petite parcelle de leur territoire. Nous sommes conviés, écrivait récemment l’évêque de Tournai, « à découvrir et à ouvrir des chemins de résurrection, à repérer (aussi) les premiers signes de la victoire pascale, comme le don de soi et l’amour désintéressé, le pardon des offenses, la volonté de réconciliation ».
C’est d’ailleurs ainsi que « les apôtres portaient témoignage de la résurrection du Seigneur Jésus », nous disent les Actes. Partage de la Parole et du Pain eucharistique. Partage des services et partage des biens, « pour que personne ne soit dans la misère ». C’est alors que les yeux s’ouvrent et que, sans voir Jésus, on reconnaît qu’il est vivant. Ce n’est pas pour rien que la liturgie fait précéder aujourd’hui l’Evangile d’un flash sur la vie des premières communautés chrétiennes. Un récit certes idéalisé, mais qui indique le chemin à poursuivre et le signe à donner.
« La multitude de ceux qui avaient adhéré à la foi, avaient un seul cœur et une seule âme ». Autrement dit, des hommes et des femmes ordinaires, « quelle que soit leur origine ethnique, religieuse ou sociale, leur culture ou leur fortune », se comportaient en frères et sœurs pour le meilleur et pour le pire. Ils vivaient « en ressuscités ». Avec évidemment des conséquences directes sur la façon de comprendre et d’exercer l’autorité et le pouvoir, par exemple. Une véritable conversion également dans tout ce qui touche à l’usage des biens matériels, à la possession gourmande, à l’idolâtrie de la propriété et des droits acquis.
Il en va de même aujourd’hui. Le Christ ressuscité et sa Bonne Nouvelle seront reconnus à des signes qui ne trompent pas : ceux de chrétiens et de communautés chrétiennes qui « vivent en ressuscités », ici, aujourd’hui, d’une manière crédible et convaincante, par une solidarité effective, une manière de partager et de mettre en commun adaptée aux situations, aux problèmes et aux aspirations d’aujourd’hui. C’est ainsi que la foi se nourrit et se prouve par l’écoute de la Parole et le témoignage des actions « parlantes » de l’agir quotidien.
« Donne-nous envie de croire ! » Tel est le cri qui résume les 1.200 lettres adressées aux évêques de France par des jeunes de 15 à 30 ans. Ils nous disent que, pour eux, la foi est « avant tout une expérience authentique qui ouvre des horizons insoupçonnés. Elle conduit à une transformation intérieure qui change le regard sur les autres, sur le monde… C’est le bonheur à portée de main, dans la trame des relations quotidiennes ».
N’est-ce pas le signe et l’espérance de la naissance d’une société et d’un monde nouveaux ?
« Seigneur, donne-nous envie de croire ! ».
P. Fabien Deleclos, franciscain (T) – 1925 – 2008