Archive pour le 22 avril, 2015

Notre-Dame du Puits

22 avril, 2015

Notre-Dame du Puits dans images sacrée madonna_del_pozzo_cms_257

 

ÉCRIRE L’HISTOIRE DES ORIGINES DU CHRISTIANISME

22 avril, 2015

http://www.revue-resurrection.org/Ecrire-l-histoire-des-origines-du

ÉCRIRE L’HISTOIRE DES ORIGINES DU CHRISTIANISME

MATTHIEU CASSIN

Il y a plusieurs dénominations possibles, aux délimitations variables, pour le sujet qui nous intéresse : origines de l’Église, origines du christianisme, Église primitive, communauté primitive, temps apostoliques, etc. Cependant, la référence aux ‘origines’ est la plus souvent retenue, car elle permet d’établir cette période comme référence [1]. Se pose donc d’emblée une question de définition : définition chronologique de la période, que l’on fait couvrir en général le premier siècle, et définition de l’objet étudié, Église, communauté, doctrines, figures des apôtres, prédication transmise, etc. En effet, il faut rappeler, en reprenant les mots de W. Kasper : « Christlicher Glaube und Theologie gründen auf dem geschichtlich ein für allemal ergangenen Wort Gottes in seinem Handeln in der Geschichte. Die geschichtliche Argumentation ist deshalb grundlegend für jede Theologie. » [2] Ceci est considéré comme une différence fondamentale du christianisme par rapport aux autres religions, du moins par rapport à certaines religions…
Pour tenter de comprendre les élaborations successives de l’histoire des origines, il faut distinguer, me semble-t-il, deux aspects, au moins en préambule, car ils sont toujours indissociablement liés et mêlés dans les faits :
L’évolution des positions et des enjeux ecclésiaux, ainsi que des polémiques et des adversaires, qui modifie sensiblement la perception des origines et la nécessité de sa prise en considération.
L’évolution des méthodes historiques, en particulier lorsqu’elles sont appliquées à l’histoire de l’Église.
C’est de l’entrecroisement de ces deux facteurs que naît l’histoire des origines de l’Église. Je ne prétends pas débrouiller ici cette question, mais simplement attirer l’attention sur ce point, comme une clef de déchiffrement toujours nécessaire.
Je prendrai par la suite quelques exemples, en différents moments du temps, pour essayer de mettre en valeur les principaux courants qui ont traversé l’histoire de l’Église, ce qui pourra me conduire parfois à m’écarter de l’histoire des origines proprement dites, car celle-ci n’a pas toujours été traitée séparément du reste de l’histoire de l’Église.

Origines de l’histoire des origines
On présente en général Eusèbe de Césarée comme le premier historien de l’Église, ce qui n’est que partiellement vrai. Chez lui, cependant, on trouve déjà une imbrication de la théologie et de l’histoire qui donne forme à son ouvrage ; les quatre premiers chapitres du premier livre sont uniquement théologiques et portent sur la manifestation du Christ. Et l’on trouve déjà en son œuvre la notion de clôture de l’âge apostolique : « Ce qui est venu à notre connaissance sur les apôtres et les temps apostoliques, sur les écrits sacrés qu’ils nous ont laissés, sur les livres contestés, bien qu’ils soient lus publiquement par beaucoup dans un très grand nombre d’Églises, sur ceux qui sont complètement apocryphes et étrangers à l’orthodoxie catholique, voilà ce que nous avons exposé dans ce qui précède [3]. » Il faut noter toutefois que cette courte conclusion laisse nettement apparaître que cette période n’est pas conçue par Eusèbe comme un âge infaillible et parfait, bien qu’elle soit l’époque de référence malgré tout.
Il est même possible, en prenant les précautions nécessaires, de remonter plus haut ; un autre auteur a droit au qualificatif de « père de l’histoire de l’Église », c’est le rédacteur des Actes, qui se présente comme le continuateur de l’évangile lucanien. Précisons tout de suite qu’il ne s’agit pas à proprement parler d’une histoire de la communauté primitive, mais bien plutôt de la vision que cette communauté bâtit à propos d’elle-même ou de ses ancêtres immédiats. Cependant, on trouve bien là le processus même que nous évoquions, qui est celui de la construction d’une référence originaire : si l’histoire de la communauté apostolique et des missions pauliniennes est écrite, c’est bien parce qu’elle est perçue comme fondement de la foi des communautés qui les suivent [4].
Je passerai rapidement sur la période médiévale, non qu’il n’y ait pas à dire, mais parce que les questions qui nous intéressent y sont sans doute plus diffuses et moins nettement saisissables. On peut dire rapidement que la présentation théologique et/ou apocalyptique de l’histoire de l’Église l’emporte souvent, comme chez Joachim de Flore ou Jean Olivi.

Réformes, contre-réformes et polémiques
Nous nous arrêterons ici sur deux histoires, celle des Centuries de Magdebourg (1559-1574) du côté protestant, et celle des Annales (1588sq.) de Baronius (Cesare Baronio), pour le côté catholique [5].
Les Centuries sont rédigées en milieu protestant allemand, et constituent la première grande entreprise d’histoire de l’Église du côté de la Réforme. La thèse principale est la suivante : ce qui est central dans l’histoire de l’Église, c’est la doctrine (non la vie des communautés), et cette histoire se caractérise par un déclin progressif depuis les origines. Voici comment Flacius Illyricus, l’initiateur du projet – qui en est ensuite écarté – en définit le principe : « démontrer sur la seule base des anciens documents que la première doctrine ou religion de l’Église n’était pas celle du pape mais la nôtre », et que les erreurs ont commencé à s’introduire dès après les temps apostoliques. La communauté primitive n’est pas vraiment mise en avant – rien n’est dit, par exemple, sur la communauté des biens, telle qu’elle est décrite dans les Actes – au profit de la seule doctrine.
D’autre part, l’Église est toujours traitée sous le mode de l’Église visible, au détriment de l’Église invisible, ce qui est assez inévitable dans une histoire, mais écarte quelque peu les centuriateurs des positions de Luther et les rapproche de Melanchthon sur ce point.
La première centurie isole le premier siècle, décrit comme l’ « âge apostolique » ; c’est celui de la fondation, des origines incontestables, qui servent de point de référence pour l’examen et l’évaluation de toute la suite de l’histoire de l’Église ; c’est à partir de cet âge qu’est jugée la valeur des siècles suivants, caractérisés par leur écart croissant à la doctrine apostolique. Cette perspective n’est pas totalement originale, mais le retour à l’origine est ici caractéristique de l’entreprise en ce qu’il est un retour à la doctrine des origines, ce qui l’éloigne quelque peu de la perspective humaniste traditionnelle. Le préjugé favorable est accordé non pas à l’ancienneté, mais à l’apostolicité, par l’identification du message du Christ et de celui qui a été annoncé immédiatement après lui.
Baronius, au contraire, se place dans une ligne plus usuelle, celle des controverses menées depuis le début du XVIe siècle : la question est celle du fondement de l’Église, qui est rapportée à Mt 16, 18, où le roc est Pierre ; le fondement absolu est certes le Christ, mais celui-ci a établi un pouvoir monarchique sur terre pour son Église, en la lignée de Pierre et de ses successeurs. La référence, chez lui, est moins à l’Église primitive qu’à la continuité de la tradition (Pères, conciles, saints), et plus précisément encore à l’Église de Rome comme héritière du privilège de Pierre et témoin privilégié de cette tradition. De même, en expliquant Jn 20, 22-23, il montre que le pouvoir de pardonner s’est transmis depuis les apôtres à leurs successeurs. À la ligne de décadence continue depuis l’origine, qui est la thèse des centuriateurs, Baronius oppose celle de la continuité de la tradition véritable, incarnée dans le siège romain. Il rapproche cela de la transmission, orale dès l’origine, mettant en avant la tradition orale comme premier vecteur de ce qui fut ensuite l’Écriture ; cette tradition est conservée dans l’Église romaine, et toute tentative de jugement porté sur les origines hors de cette tradition est faussée et incomplète.

De l’histoire de combat à l’érudition critique du XVIIe
Après ces deux œuvres majeures, et au milieu des nombreux travaux d’édition érudite du XVIIe siècle, il faut mentionner ici l’œuvre monumentale de Sébastien Lenain de Tillemont [6]. Dans sa préface, Lenain donne plusieurs éléments d’importance sur son projet, qui vise à rassembler et fournir les éléments nécessaires à une histoire ecclésiastique : « Une histoire générale de l’Église eût même obligé de traiter avec quelque exactitude ce qui en regarde les dogmes et la discipline, et il eût fallu pour cela étudier à fond ces matières, étant fâcheux et même dangereux de parler de choses si importantes sans en avoir une connaissance parfaite : et l’auteur n’a jamais fait d’étude particulière sur cela, ayant cru qu’il lui suffisait pour son dessein de marquer ces choses autant qu’elles entraient dans la narration, sans avancer au-delà de ce qu’il trouvait dans les auteurs originaux. » (p. V-VI). C’est donc s’écarter assez nettement des perspectives que nous avons évoquées plus haut, en mettant de côté d’emblée les questions de doctrines et la justification de la position de l’Église.
Le projet, s’il se place certes dans une perspective chrétienne, chez ce fervent disciple de Port-Royal qu’est Tillemont, n’est pas avant tout apologétique :
« Il ne se croira pas tout à fait inutile à l’Église s’il peut représenter la vérité toute simple de ce qui s’est passé dans les premiers siècles, et l’établir autant que cela lui est possible par le témoignage des auteurs les plus anciens. Il laisse à chacun d’y faire les réflexions que sa piété lui suggèrera, se contentant de marquer quelques-unes de celles que les Pères y ont faites, lorsqu’il les a rencontrées dans leurs ouvrages.
« Il ne s’engage point non plus à examiner les conséquences que l’on pourrait tirer des faits qu’il trouve établis par de bons auteurs, ni à répondre aux objections que l’on y a faites, ou que l’on pourrait y faire ; ce qui demanderait une étude toute différente de la sienne. Il se contente de chercher la vérité des faits : et pourvu qu’il la trouve, il ne craint pas que l’on en abuse ; étant certain que la vérité ne peut être contraire à la vérité, ni par conséquent à la piété, qui doit être fondée sur la vérité. » (p. VIII-IX).
La dimension apologétique passe, non pas au second plan des préoccupations, mais au second plan de la méthode. Elle n’en est pas moins présente, et la conception de l’Église qui est celle de Tillemont n’en oriente pas moins son œuvre ; cependant, ce n’est plus cet aspect qui est mis en avant comme guide et raison de l’écriture de l’histoire. La question de la décadence n’est pas reprise sous la forme qu’elle avait dans l’historiographie protestante, mais comme un trait de la transmission humaine naturelle ; ainsi Tillemont écarte-t-il d’emblée les versions des vies de saints que donne Siméon Métaphraste ou d’autres versions tardives, car leur éloignement à la source les disqualifie d’emblée [7].
Il est un peu facile d’opposer ces traits de méthode historique à des passages de la préface de l’ouvrage de l’abbé Fleury [8] : « C’est la matière de l’histoire ecclésiastique : cette heureuse succession de doctrine, de discipline, de bonnes mœurs. » (p. VII). « Rien n’est plus propre à nous confirmer dans la foi que de voir la même doctrine que nous enseignons aujourd’hui, enseignée dès le commencement par les martyrs et confirmée par tant de miracles. Plus la discipline est ancienne, plus est elle vénérable. »
On voit bien là que ce n’est pas une distinction absolue des temps dans une perspective de progrès continu de la science historique qui l’emporte, mais des approches qui diffèrent suivant les projets d’écriture. Fleury, qui sera longtemps lu comme référence, jusqu’à la fin du XIXe siècle dans les milieux catholiques français, se place dans une perspective d’histoire apologétique, ce qui est beaucoup moins le cas pour Tillemont, bien qu’il dise lui-même dans sa préface avoir plus souvent accordé à l’autorité qu’à la critique.

La critique allemande des XVIIIe et XIXe siècles : bref aperçu et perspectives [9]
La critique historique, telle qu’elle s’est élaborée aux XVIIe et XVIIIe siècles, est peu à peu mise en œuvre dans le domaine de l’histoire de l’Église. Cependant, c’est surtout le fait de l’école protestante allemande, et l’approche suivie en subit les traits principaux. Ainsi chez Gottfried Arnold (1666-1714), qui remet en question tout l’appareil institutionnel, tout ce qui relève de la cléricature, et plus seulement la papauté ; ne reste à ses yeux que la communauté ecclésiale. Mosheim (1694-1755) traite à sa suite de l’Église comme communauté de personnes, communauté étudiée comme le serait un État ou toute autre collectivité.
Le temps nous manque pour évoquer les différentes figures et perspectives de la critique allemande du XIXe siècle, malgré leur importance. Je m’arrêterai simplement à un aspect de l’œuvre d’Adolf von Harnack, tel qu’il est présenté dans la série de cours-conférences donnée au semestre d’hiver 1899-1900 à la Friedrich-Wilhelms Universität de Berlin [10].
Son ouvrage se place dans la perspective de la wissenschaftliche Theologie, (« théologie scientifique ») qui cherche la vérité du christianisme dans la recherche historique. Dans cette perspective, ce sont les origines du christianisme qui sont interrogées en priorité, et la suite de son histoire est étudiée à partir de l’image qui a été reconstruite pour cette origine. Le but de son étude est de présenter l’essence du christianisme, ce à quoi la Réforme a voulu se conformer, en la séparant de sa gangue culturelle surajoutée, en particulier de l’héritage grec, tout spécialement sous sa forme philosophique. Il utilise une formulation imagée de cette dichotomie, celle de l’aubier, c’est-à-dire l’essence, et de l’écorce, c’est-à-dire la forme historique. Son étude se place donc dans la perspective d’une distinction de l’essence et de la réalisation historique, de l’idée et de la forme réalisée dans le temps humain.
C’est Paul qui est pour lui l’instrument et l’occasion de la rupture, conduisant par son œuvre à la séparation de l’Église et de la synagogue, et à l’introduction de l’Église dans le monde gréco-romain, donc dans l’histoire universelle. Il est l’artisan, selon Harnack, de la première transformation par rapport à l’essence originelle, qui est réduite à la considération des seuls évangiles. Il se distingue, en cette radicalité de l’exemple, des centuriateurs de Magdeburg, et de bien d’autres, pour qui la limite de l’Église idéale se situait à la fin de l’âge apostolique, soit une génération plus tard [11]. On a là un exemple net et typique de l’impasse à laquelle conduit, lorsqu’elle est appliquée trop fortement, la théorie de la pureté originelle et de la décadence ; en introduisant ces distinctions dans l’histoire primitive du christianisme, même si elles ne visent pas à rejeter l’héritage paulinien en son ensemble, Harnack pose les jalons de la séparation de l’hellénisme comme ajout étranger au cœur du message évangélique (voir ses travaux sur Marcion, en particulier).
On en trouverait d’autres exemples dans l’étude de la production exégétique et historique des XIXe et XXe siècles, qui cherche à délimiter la partie pure et non contaminée du christianisme (que l’on pense par exemple aux tentatives de reconstructions du Jésus historique, aux recherches sur les logia de Jésus quand elles visent à les extraire de la matière évangélique, etc.).

Conclusion
Il semble donc que l’on puisse retrouver, augmentées, les réserves que nous formulions au début de notre exposé : cette brève présentation historiographique visait à attirer l’attention sur l’influence des présupposés théoriques et théologiques des auteurs, tout particulièrement sur une matière comme celle-ci. Ce que nous disons ne serait qu’un truisme appliqué à l’histoire en général ; appliquées à l’histoire de l’Église, ces remarques prennent davantage de poids, puisqu’elles concernent des investigations qui portent sur une religion et une institution qui se présentent comme un cadre de salut. Lorsqu’il s’agit des origines de l’Église, le biais introduit dans l’histoire est plus grand encore : en effet, la plupart des auteurs considérés, et cela reste largement vrai pour les auteurs contemporains, trouvent dans l’étude des origines un moyen de prendre position par rapport aux institutions et options ecclésiales actuelles, en s’attaquant à leurs fondements et fondations. Qui dit ‘origine’ dit ‘tradition’ : si l’on remet en cause le fondement, les gens qui s’en réclament sont disqualifiés et les positions théoriques et théologiques qui s’appuient sur cet héritage en sont invalidées. Cependant, cette invalidation se fait par le biais d’une enquête – ou d’une pseudo-enquête – portant sur l’histoire, ce qui rend plus difficilement discernables les motifs qui soutiennent et sous-tendent ces remises en cause et plus difficiles à réfuter ces entreprises : lorsque le débat reste au niveau du débat théologique, les preuves peuvent être théologiques, et le grand public s’en tient le plus souvent écarté ; lorsque c’est une reconstruction historique qui sert de moyen de transmission des positions, la réfutation oblige à descendre dans l’arène de la critique historique, et de telles positions sont reçues par le plus grand nombre, lorsqu’elles sont affirmées avec force, comme vérité scientifique invariante. Puissent les quelques exemples envisagés ici permettre de mieux discerner dans les reconstructions des origines de l’Église les présupposés et les partis pris qui les orientent, et nous rendre plus attentifs en nos formulations comme à celles des autres.

Matthieu Cassin, Né en 1980, élève de l’Ecole Normale Supérieure.

UN MOT BIBLIQUE – LA MISÉRICORDE (TAIZÉ)

22 avril, 2015

http://www.taize.fr/fr_article6823.html

UN MOT BIBLIQUE – LA MISÉRICORDE (TAIZÉ)

« Heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde » (Matthieu 5, 7). Aux miséricordieux, Jésus ne promet rien d’autre que ce qu’ils vivent déjà : la miséricorde. Dans toutes les autres béatitudes, la promesse contient un plus, mène plus loin : ceux qui pleurent seront consolés, les cœurs limpides verront Dieu. Mais qu’est-ce que Dieu pourrait donner de plus aux miséricordieux ? La miséricorde est plénitude de Dieu et des humains. Les miséricordieux vivent déjà de la vie même de Dieu.
« Miséricorde » est un vieux mot. Au cours de sa longue histoire, il a pris un sens très riche. En grec, langue du Nouveau Testament, miséricorde se dit éléos. Ce mot nous est familier dans la prière Kyrie eleison, qui est un appel à la miséricorde du Seigneur. Éléos est la traduction habituelle, dans la version grecque de l’Ancien Testament, du mot hébreu hésèd. C’est un des plus beaux mots bibliques. Souvent, on le traduit tout simplement par amour.
Hésèd, miséricorde ou amour, fait partie du vocabulaire de l’alliance. Du côté de Dieu, il désigne un amour inébranlable, capable de maintenir une communion pour toujours, quoi qu’il arrive : « Mon amour ne s’écartera pas de toi » (Isaïe 54, 10). Mais comme l’alliance de Dieu avec son peuple est une histoire de ruptures et de recommencements dès le départ (Exode 32 – 34), il est évident qu’un tel amour inconditionnel suppose le pardon, il ne peut être que miséricorde.
Éléos traduit encore un autre mot hébreu, celui de rahamîm. Ce mot va souvent de pair avec hésèd mais est plus chargé d’émotions. Littéralement, il signifie les entrailles, c’est une forme plurielle de réhèm, le sein maternel. La miséricorde, ou la compassion, est ici l’amour ressenti, l’affection d’une mère pour son petit enfant (Isaïe 49, 15), la tendresse d’un père pour ses fils (Psaume 103, 13), un amour fraternel intense (Genèse 43, 30).
La miséricorde, au sens biblique, est bien plus qu’un aspect de l’amour de Dieu. La miséricorde est comme l’être même de Dieu. Par trois fois devant Moïse, Dieu prononce son nom. La première fois, il dit : « Je suis qui je suis » (Exode 3, 14). La deuxième fois : « Je fais grâce à qui je fais grâce, et miséricorde à qui je fais miséricorde » (Exode 33, 19). Le rythme de la phrase est le même mais la grâce et la miséricorde se substituent à l’être. Pour Dieu, être qui il est, c’est faire grâce et miséricorde. Ce que confirme la troisième proclamation du nom de Dieu : « Le Seigneur, Dieu de tendresse et de pitié, lent à la colère, riche en miséricorde et en fidélité » (Exode 34, 6).
Cette dernière formule a été reprise dans les prophètes et dans les psaumes, en particulier dans le psaume 103 (verset 8). Dans sa partie centrale, (versets 11 à 13), ce psaume s’émerveille de l’envergure inouïe de la miséricorde de Dieu. « Comme est la hauteur des cieux sur la terre, sa miséricorde… » : elle est la hauteur de Dieu, sa transcendance. Mais elle est aussi son humanité, si l’on ose dire : « Comme est la tendresse d’un père pour ses fils… ». Si transcendante et si proche à la fois, elle est capable d’enlever tout mal : « Comme est loin l’orient de l’occident, il éloigne de nous nos péchés. »
La miséricorde est ce qu’il y a de plus divin en Dieu, elle est aussi ce qu’il y a de plus accompli en l’homme. « Il te couronne de miséricorde et de tendresse », dit encore le psaume 103. Il faut lire ce verset à la lumière d’un autre verset du psaume 8 où il est dit que Dieu couronne l’être humain « de gloire et de beauté ». Créés à son image, les humains sont appelés à partager la gloire et la beauté de Dieu. Mais c’est la miséricorde et la tendresse qui nous font réellement participer à la vie même de Dieu.
La parole de Jésus : « Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux » (Luc 6, 36) fait écho à l’ancien commandement : « Soyez saints comme moi, le Seigneur votre Dieu, je suis saint » (Lévitique 19, 2). À la sainteté, Jésus a donné le visage de la miséricorde. C’est la miséricorde qui est le plus pur reflet de Dieu dans une vie humaine. « Par la miséricorde envers le prochain tu ressembles à Dieu » (Basile le Grand). La miséricorde est l’humanité de Dieu. Elle est aussi l’avenir divin de l’homme.